BGer 1B_480/2019
 
BGer 1B_480/2019 vom 25.10.2019
 
1B_480/2019
 
Arrêt du 25 octobre 2019
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Juge présidant,
Kneubühler et Muschietti.
Greffière : Mme Thalmann.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Thomas Barth, avocat,
recourante,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy.
Objet
Détention provisoire,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 18 septembre 2019 (ACPR/722/2019 - P/7724/2019).
 
Faits :
 
A.
A.a. Le Ministère public de la République et canton de Genève instruit une procédure pénale à l'encontre de A.________ pour escroquerie par métier (art. 146 al. 1 et 2 CP), complicité d'escroquerie (art. 24 cum 146 CP) et faux dans les titres (art. 251 CP). Il lui est reproché d'avoir, entre 2007 et 2010, alors qu'elle était employée de la banque B.________, où elle occupait un poste d'assistante comptable, détourné au préjudice de son employeur un montant total de 1'398'228 francs, soit par le biais de prélèvements indus sur le compte d'un associé, au moyen d'instructions dont elle avait falsifié la signature, soit par substitution, en lieu et place de bulletins de versement censés régler des factures, de bulletins correspondant à des comptes de carte de crédit qu'elle avait ouverts auprès de multiples organismes, soit encore en modifiant le compte bénéficiaire de versements que certains clients de la banque voulaient faire en faveur d'organisations caritatives, en détournant les fonds sur ses propres comptes de carte de crédit.
A.b. Alors que l'instruction des faits précités était en cours, A.________ a été soupçonnée d'avoir commis à nouveau des escroqueries (art. 146 CP) et un blanchiment d'argent (art. 305
A.c. Elle est enfin soupçonnée d'abus de confiance (art. 138 CP) et escroquerie (art. 146 CP) au préjudice de la société genevoise C.________, où elle avait été engagée en janvier 2017. Il lui est reproché de s'être approprié sans droit et dans un dessein d'enrichissement, entre le 3 mars 2017 et le 2 avril 2019, la somme d'environ 124'000 francs, par des transferts d'argent à son avantage, notamment pour payer ses factures, lorsqu'elle y travaillait comme secrétaire de direction, puis, à partir de son licenciement le 31 mars 2018, en ordonnant des transferts en sa faveur alors qu'elle aurait conservé les codes d'accès.
A.d. Dans le cadre de la présente procédure de recours, A.________ ne conteste pas les faits reprochés. S'agissant de la deuxième période, elle considère avoir été elle-même victime d'escrocs et, pour la troisième période, elle aurait agi sous les menaces de son ex-mari, qui lui réclamait le paiement d'arriérés de dettes communes.
A.e. Sa détention provisoire a été prononcée par le Tribunal des mesures de contrainte de la République et Canton de Genève (Tmc) le 9 avril 2019 et prolongée en dernier lieu jusqu'au 5 septembre 2019.
B. Lors de l'audience du 4 juin 2019, A.________ a déposé une attestation de l'entreprise D.________, qui, le 28 mai 2019, se déclarait intéressée par sa candidature et son profil, nonobstant ses "soucis".
A teneur du rapport d'expertise psychiatrique établi le 13 août 2019, A.________ présentait au moment des faits reprochés un trouble de la personnalité de type dépendant. Sa responsabilité aurait été faiblement restreinte. Les actes punissables auraient été en relation avec son état mental. Selon l'expertise, elle présentait un risque de récidive moyen de commettre à nouveau des infractions en lien avec le détournement d'argent. Une peine seule ne suffirait pas à écarter le danger de récidive après sa libération. Une psychothérapie ambulatoire serait susceptible de diminuer ce risque.
Sous le chapitre "Dangerosité et risque de récidive", l'expert a relevé (selon l'échelle de psychopathie de Hare révisée) chez la recourante les facteurs suivants: loquacité/charme superficiel, besoin de stimulation/tendance à s'ennuyer, tendance au mensonge pathologique, duperie/manipulation, absence de remords ou de culpabilité, impulsivité, irresponsabilité, ainsi que l'incapacité à assumer les responsabilités de ses faits et gestes.
C. Par ordonnance du 2 septembre 2019, notifiée le même jour, le Tmc a refusé la demande de mise en liberté de A.________ et a prolongé sa détention provisoire jusqu'au 2 novembre 2019, retenant, outre l'existence de sérieux soupçons de culpabilité, celle de risques de réitération et de fuite.
Par arrêt du 18 septembre 2019, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève a rejeté le recours formé par A.________ contre l'ordonnance précitée. Elle a retenu l'existence d'un risque de récidive que la mesure de substitution proposée par l'intéressée n'était pas propre à pallier.
D. Par acte du 27 septembre 2019, A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 18 septembre 2019. Elle conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt et à ce que sa liberté immédiate soit ordonnée, le cas échéant, avec des mesures de substitution. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause devant la Chambre pénale de recours afin qu'elle examine le risque de fuite et les mesures de substitution à la détention provisoire qui devraient être, le cas échéant, prononcées. Elle sollicite en outre le bénéfice de l'assistance judiciaire.
Invités à se déterminer, l'autorité précédente y a renoncé et le Ministère public a conclu au rejet du recours. Le 14 octobre 2019, la recourante a persisté dans ses conclusions.
 
Considérant en droit :
1. Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est ouvert contre une décision relative à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP. Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF, la recourante, prévenue détenue, a qualité pour recourir. Le recours a été formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue par une autorité statuant en tant que dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF. Il y a donc lieu d'entrer en matière.
2. Une mesure de détention préventive n'est compatible avec la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH) que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par un risque de fuite ou un danger de collusion ou de réitération (art. 221 al. 1 let. a, b et c CPP). Préalablement à l'examen de ces hypothèses, il doit exister à l'égard de l'intéressé des charges suffisantes, soit de sérieux soupçons de culpabilité (art. 221 al. 1 CPP; ATF 139 IV 186 consid. 2 p. 187 s.).
3. Dans le cadre de la présente procédure de recours, la recourante ne conteste pas la gravité des charges pesant à son encontre (art. 221 al. 1 CPP).
3.1. Selon l'art. 221 al. 1 CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit. Selon la jurisprudence, il n'appartient cependant pas au juge de la détention de procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge et d'apprécier la crédibilité des personnes qui mettent en cause le prévenu. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure. L'intensité des charges propres à motiver un maintien en détention préventive n'est pas la même aux divers stades de l'instruction pénale; si des soupçons, même encore peu précis, peuvent être suffisants dans les premiers temps de l'enquête, la perspective d'une condamnation doit apparaître vraisemblable après l'accomplissement des actes d'instruction envisageables (ATF 143 IV 330 consid. 2.1 p. 333 s.; 143 IV 316 consid. 3.1 et 3.2 p. 318 s.).
3.2. En l'occurrence, la cour cantonale a retenu qu'il existait des soupçons suffisants de culpabilité à l'encontre de la recourante s'agissant d'infractions d'escroqueries (art. 146 CP) et de blanchiment d'argent (art. 305
L'appréciation de l'autorité inférieure ne prête pas le flanc à la critique au vu des éléments ressortant du dossier et des déclarations de la recourante elle-même qui ne conteste pas l'existence de forts soupçons de culpabilité.
4. La recourante conteste l'existence d'un risque de réitération justifiant sa mise en détention.
4.1. En vertu de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, la détention provisoire peut être ordonnée lorsqu'il y a sérieusement lieu de craindre que le prévenu "compromette sérieusement la sécurité d'autrui par des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre". Cette disposition pose trois conditions pour admettre un risque de récidive. En premier lieu, le prévenu doit en principe déjà avoir commis des infractions du même genre et il doit s'agir de crimes ou de délits graves. Deuxièmement, la sécurité d'autrui doit être sérieusement compromise. Troisièmement, une réitération doit, sur la base d'un pronostic, être sérieusement à craindre (ATF 143 IV 9 consid. 2.5 p. 14).
4.2. Bien qu'une application littérale de l'art. 221 al. 1 let. c CPP suppose l'existence d'antécédents, le risque de réitération peut être également admis dans des cas particuliers alors qu'il n'existe qu'un antécédent, voire aucun dans les cas les plus graves. La prévention du risque de récidive doit en effet permettre de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle du prévenu (ATF 137 IV 13 consid. 3-4 p. 18 ss). Le risque de récidive peut également se fonder sur les infractions faisant l'objet de la procédure pénale en cours, si le prévenu est fortement soupçonné - avec une probabilité confinant à la certitude - de les avoir commises (ATF 143 IV 9 consid. 2.3.1 p. 12 s.). S'agissant des infractions contre le patrimoine, si celles-ci perturbent la vie en société en portant atteinte de manière violente à la propriété, elles ne mettent cependant pas systématiquement en danger l'intégrité physique ou psychique des victimes. En présence de telles infractions, une détention n'est ainsi justifiée - en raison d'un danger de récidive - que lorsque l'on est en présence de crimes ou de délits particulièrement graves (ATF 143 IV 9 consid. 2.7 p. 15; voir pour des exemples, les arrêts 1B_470/2019 du 16 octobre 2019 consid. 2.1, 1B_219/2019 du 4 juin 2019 consid. 3.2 et 1B_32/2017 du 4 mai 2017 consid. 3.3.5).
4.3. En l'occurrence, comme le souligne l'instance précédente, le dossier fait état de forts soupçons que la recourante ait été capable de commettre de nouvelles escroqueries, en 2015, par le biais d'Internet, alors qu'une procédure pénale était en cours contre elle pour des agissements portant sur plus d'un million de francs, durant trois ans, entre 2007 et 2010, au préjudice de la banque qui l'employait. Ayant retrouvé un emploi en janvier 2017, elle aurait ensuite laissé s'écouler à peine deux mois avant de recommencer à détourner de l'argent. Dans le cadre de la présente procédure, elle ne conteste pas les forts soupçons pesant à son encontre. Le jour de son arrestation, elle a expliqué que son salaire net, de 3'700 francs, était "trop juste" et qu'elle était "accro" au shopping. Ainsi, même si la recourante n'a pas d'antécédents judiciaires, il ressort de l'arrêt cantonal qu'elle aurait admis avoir détourné, entre 2007 et 2018, des sommes importantes au préjudice de deux de ses employeurs, ainsi que, par un procédé astucieux, de clients d'un site de vente en ligne (arrêt attaqué, p. 3).
La cour cantonale pouvait dès lors, sans violer le droit fédéral, considérer que le risque de récidive était important et que, remise en liberté, la recourante ne soit tentée de recommencer, dans la mesure où, en cas de libération, elle se retrouverait dans une situation encore plus précaire que celle qui était la sienne au moment de la commission des infractions qui lui sont reprochées.
En outre, contrairement à ce que soutient la recourante, sa situation personnelle et financière, en cas de libération, n'est pas claire. En effet, elle allègue vouloir vivre avec son compagnon à Genève mais ne semble rien avoir entrepris en ce sens. Par ailleurs, elle produit une promesse d'embauche de la société D.________ pour un travail de secrétariat, tout en déclarant qu'elle ne souhaite en réalité plus travailler dans ce domaine mais dans l'accompagnement de personnes âgées et qu'elle doit, encore à cet égard, en discuter avec son conseiller de l'assurance-chômage. Elle allègue également avoir droit à des allocations de chômage, sans toutefois étayer le montant des prestations auxquelles elle pourrait prétendre.
4.4. Dans son mémoire de recours, la recourante soutient que ses engagements relatifs à son activité professionnelle ainsi que son engagement à continuer le traitement préconisé par l'expert psychiatre dans son rapport du 13 août 2019 permettraient de garantir de manière suffisante qu'elle ne récidivera pas. Il sied cependant de relever, à l'instar de l'autorité précédente, que l'expert a préconisé une psychothérapie d'au moins une année pour que des changements dans le fonctionnement psychique de la recourante puissent apparaître. Or, comme l'a retenu la cour cantonale, la recourante se trouve en détention depuis le 9 avril 2019, de sorte que le traitement d'une année est loin d'être terminé. Le risque de récidive justifie donc encore le maintien en détention.
4.5. Nonobstant le grief invoqué par la recourante, le risque de fuite n'a dès lors pas à être examiné, d'autant que l'autorité cantonale ne l'a pas retenu.
5. La recourante soutient également que la cour cantonale a violé les art. 221 et 237 CCP en ne retenant pas de mesure de substitution.
5.1. Conformément au principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), il convient d'examiner les possibilités de mettre en oeuvre d'autres solutions moins dommageables que la détention (règle de la nécessité). Cette exigence est concrétisée par l'art. 237 al. 1 CPP, qui prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté si ces mesures permettent d'atteindre le même but que la détention (ATF 142 IV 367 consid. 2.1 p. 370). Selon l'art. 237 al. 2 CPP, font notamment partie des mesures de substitution la fourniture de sûretés (let. a), la saisie des documents d'identité (let. b), l'assignation à résidence ou l'interdiction de se rendre dans un certain lieu ou un certain immeuble (let. c), l'obligation de se présenter régulièrement à un service administratif (let. d), l'obligation d'avoir un travail régulier (let. e) et l'obligation de se soumettre à un traitement médical ou à des contrôles (let. f).
5.2. En l'espèce, l'instance précédente a considéré que la poursuite, de manière ambulatoire, du traitement psychothérapeutique préconisé par l'expert psychiatre dans son rapport du 13 août 2019 était, dans les circonstances actuelles, insuffisante à pallier le risque de récidive, qualifié de "moyen" par l'expert. Cette appréciation ne prête pas le flanc à la critique, le traitement psychothérapeutique devant, selon l'expert, se dérouler en milieu fermé afin de pallier le risque de réitération actuellement existant.
Il apparaît ensuite que les autres mesures de substitution proposées par la recourante, soit la saisie de ses documents d'identité et autres documents officiels, l'interdiction de se rendre à l'étranger, l'obligation de se présenter une fois par semaine à un poste de police genevois, ainsi que l'obligation de trouver un travail hors du secteur financier et comptable ne sont pas propres à pallier le risque de récidive présent actuellement.
6. Le principe de la proportionnalité implique que la détention provisoire soit en adéquation avec la gravité du délit et la sanction prévisible (ATF 142 IV 389 consid. 4.1 p. 395). En tout état de cause, la détention avant jugement ne doit pas durer plus longtemps que la peine privative de liberté prévisible (art. 212 al. 3 CPP). Le juge peut dès lors maintenir la détention préventive aussi longtemps qu'elle n'est pas très proche de la durée de la peine privative de liberté à laquelle il faut s'attendre concrètement en cas de condamnation (ATF 143 IV 168 consid. 5.1 p. 173; 139 IV 270 consid. 3.1 p. 275 et les arrêts cités).
En l'espèce, du point de vue temporel, vu la gravité des infractions pour lesquelles la recourante a été mis en prévention et la durée de la détention provisoire déjà subie, le principe de la proportionnalité demeure respecté. Par ailleurs, le Ministère public paraît, en l'état, poursuivre l'enquête en se conformant à l'art. 5 al. 2 CPP, celui-ci ayant déjà communiqué son avis de prochaine clôture.
7. Au vu de ces éléments, la mesure de détention provisoire doit être confirmée.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté.
La recourante a demandé l'octroi de l'assistance judiciaire (art. 64 al. 1 LTF). Son recours n'était pas d'emblée dénué de chances de succès et cette requête doit être admise. Il y a donc lieu de désigner Me Thomas Barth en tant qu'avocat d'office de la recourante et de lui allouer une indemnité à titre d'honoraires, qui seront supportés par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 64 al. 1 LTF) et il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté.
2. La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Thomas Barth est désigné comme avocat d'office de la recourante et une indemnité de 1'500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires, à payer par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3. Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 25 octobre 2019
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant : Fonjallaz
La Greffière : Thalmann