BGer 2C_479/2018
 
BGer 2C_479/2018 vom 15.02.2019
 
2C_479/2018
 
Arrêt du 15 février 2019
 
IIe Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux
Seiler, Président, Donzallaz et Stadelmann.
Greffier : M. Ermotti.
Participants à la procédure
1.  A.X.________,
2.  B.X.________,
3.  C.Y.________,
4.  D.X.________,
5.  E.X.________,
recourants,
contre
Service de la population et des migrations du canton du Valais,
Conseil d'Etat du canton du Valais.
Objet
Révocation de l'autorisation d'établissement;
non-prolongation de l'autorisation de séjour
et renvoi de Suisse,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal
du canton du Valais, Cour de droit public,
du 27 avril 2018 (A1 17 166).
 
Faits :
 
A.
A.a. A.X.________, ressortissant français né en 1960, est entré en Suisse le 16 août 2004 et a été mis au bénéfice d'une autorisation de séjour UE/AELE. Le 16 août 2009, il s'est vu délivrer une autorisation d'établissement UE/AELE.
Sur le plan professionnel, A.X.________ a travaillé auprès d'une société valaisanne entre le 1 er septembre 2004 et le 31 décembre 2013, percevant un salaire mensuel de 14'500 fr. Depuis le 1 er janvier 2014, il exerce la fonction d'administrateur unique avec signature individuelle au sein de la société "F.________ SA", pour un salaire mensuel de 10'500 fr.
Entre 2014 et 2018, l'intéressé a accumulé de plus en plus de dettes. Selon des extraits récents du registre des poursuites, sa situation financière a ainsi évolué de la manière suivante:
poursuites
actes de défaut de biens
21.08.2014
141'776 fr. 75
269'096 fr. 25
14.08.2015
107'478 fr. 65
357'142 fr. 40
16.02.2016
474'488 fr. 80
394'132 fr. 35
11.01.2018
1'194'104 fr. 60
475'368 fr. 50
A.b. B.X.________, ressortissante française née en 1971, est l'épouse de A.X.________. Le 26 octobre 2004, elle a rejoint celui-ci en Suisse, accompagnée de sa fille C.Y.________ (née en 2000). Le couple a par la suite (art. 105 al. 2 LTF) eu deux enfants, D.X.________ (né en 2006) et E.X.________ (né en 2012).
A leur arrivée en Suisse (art. 105 al. 2 LTF), B.X.________ et C.Y.________ se sont vues délivrer deux autorisations de séjour UE/AELE, renouvelées la dernière fois jusqu'au 15 août 2014. D.X.________ et E.X.________, qui sont nés en Suisse, bénéficient quant à eux d'une autorisation d'établissement UE/AELE (art. 105 al. 2 LTF).
B. Le 20 avril 2015, le Service de la population et des migrations du canton du Valais (ci-après: le Service cantonal) a révoqué l'autorisation d'établissement de A.X.________ et refusé de prolonger les autorisations de séjour de B.X.________ et C.Y.________, ainsi que les autorisation de séjour (sic) de D.X.________ et E.X.________. Le Service cantonal a également prononcé le renvoi de Suisse de tous les membres de la famille.
Le 21 mai 2015, les intéressés ont recouru contre cette décision auprès du Conseil d'Etat du canton du Valais (ci-après: le Conseil d'Etat). Le 30 juin 2017, cette autorité a rejeté le recours. Par arrêt du 27 avril 2018, le Tribunal cantonal du canton du Valais (ci-après: le Tribunal cantonal) a rejeté, dans la mesure de sa recevabilité, le recours formé par les membres de la famille X.________ contre la décision du Conseil d'Etat.
C. Par acte de recours intitulé "recours de droit public", A.X.________ (le recourant 1), B.X.________ (la recourante 2), C.Y.________ (la recourante 3), D.X.________ (le recourant 4) et E.X.________ (le recourant 5) demandent au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler l'arrêt du Tribunal cantonal du 27 avril 2018 et de renouveler l'autorisation d'établissement du recourant 1, ainsi que les permis de séjour (sic) des recourants 2 à 5.
Le Conseil d'Etat conclut au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité. Le Service cantonal et le Tribunal cantonal renoncent à se déterminer. Le Secrétariat d'Etat aux migrations n'a pas déposé de réponse.
 
Considérant en droit :
1. Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 141 II 113 consid. 1 p. 116).
1.1. Les recourants ont déclaré former un "recours de droit public". Cette désignation imprécise ne saurait leur nuire, à condition que le recours remplisse les exigences légales de la voie de droit qui lui est ouverte (ATF 138 I 367 consid. 1.1 p. 370; arrêt 2C_313/2017 du 8 mars 2018 consid. 1.1).
1.2. D'après l'art. 83 let. c ch. 2 LTF, le recours en matière de droit public est irrecevable contre les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit. Il est recevable à l'encontre des décisions prononçant la révocation d'une autorisation d'établissement, comme en l'espèce pour les recourants 1, 4 et 5, parce qu'il existe en principe un droit au maintien d'une telle autorisation (ATF 135 II 1 consid. 1.2.1 p. 4; arrêts 2C_802/2018 du 17 décembre 2018 consid. 1.1 et 2C_95/2018 du 7 août 2018 consid. 2.1). S'agissant en particulier des recourants 4 et 5, il y a en effet lieu de relever que le Tribunal cantonal, après avoir mentionné que les intéressés s'étaient vus octroyer une autorisation d'établissement UE/AELE (arrêt entrepris, p. 2), a par la suite toutefois examiné le litige comme si ceux-ci étaient titulaires d'un simple permis de séjour (arrêt entrepris, p. 3 ss). Or, il ressort sans équivoque du dossier cantonal que les recourants 4 et 5, qui sont nés en Suisse, sont effectivement au bénéfice d'une autorisation d'établissement UE/AELE (art. 105 al. 2 LTF).
Pour ce qui est des recourantes 2 et 3, en leur qualité de ressortissantes françaises, elles peuvent en principe prétendre à un titre de séjour en Suisse, en vertu du droit à la libre circulation que leur confère l'ALCP (RS 0.142.112.681; cf. ATF 136 II 177 consid. 1.1 p. 179 s.; arrêts 2C_862/2018 du 15 janvier 2019 consid. 1.1 et 2C_840/2015 du 1 er mars 2016 consid. 1.1).
Le recours échappe donc au motif d'irrecevabilité prévu à l'art. 83 let. c ch. 2 LTF, de sorte que la voie du recours en matière de droit public est ouverte.
1.3. Pour le surplus, l'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90 LTF), rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF). En outre, le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes prescrites (art. 42 LTF), par les destinataires de l'arrêt attaqué qui ont un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (art. 89 al. 1 LTF). Par conséquent, il convient d'entrer en matière.
2. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits constatés par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF. On relèvera ici que, dans la présente cause, le Tribunal fédéral a dû faire un usage accru de cette norme, l'arrêt cantonal étant frappé de nombreuses lacunes et imprécisions (enfants qui "rejoignent" leurs parents en Suisse plusieurs années avant leur naissance, confusion entre autorisation d'établissement et permis de séjour, etc.).
Selon l'art. 97 al. 1 LTF, le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (ATF 142 II 355 consid. 6 p. 358; 139 II 373 consid. 1.6 p. 377 s.). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, la partie recourante doit expliquer de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées. A défaut, il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de celui qui est contenu dans l'acte attaqué (ATF 137 II 353 consid. 5.1 p. 356; arrêt 2C_665/2017 du 9 janvier 2018 consid. 2.1).
En l'espèce, dans la mesure où les recourants présentent une argumentation appellatoire, en opposant leur propre version des faits à celle du Tribunal cantonal ou en complétant librement l'état de fait retenu dans l'arrêt entrepris, sans cependant invoquer ni l'arbitraire, ni une constatation manifestement inexacte des faits, le Tribunal fédéral ne peut pas en tenir compte. Il sera donc statué sur la base des faits tels qu'ils ressortent de l'arrêt attaqué.
3. Le litige porte sur le point de savoir si, compte tenu des dettes accumulées par le recourant 1, la révocation de son autorisation d'établissement UE/AELE et de celles des recourants 4 et 5, ainsi que la non-prolongation des autorisations de séjour UE/AELE des recourantes 2 et 3, sont conformes au droit.
3.1. Il se justifie d'examiner en premier lieu la question de la révocation de l'autorisation d'établissement UE/AELE du recourant 1.
La loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l'intégration (LEI; RS 142.20; avant le 1 er janvier 2019: LEtr [RO 2007 5437]) ne s'applique aux ressortissants des Etats membres de l'Union européenne que lorsque l'ALCP n'en dispose pas autrement ou lorsque ladite loi prévoit des dispositions plus favorables (art. 2 al. 2 LEI). Comme l'ALCP ne réglemente pas la révocation de l'autorisation d'établissement UE/AELE, c'est l'art. 63 LEI qui est applicable (cf. art. 23 al. 2 de l'ordonnance fédérale du 22 mai 2002 sur l'introduction progressive de la libre circulation des personnes entre, d'une part, la Confédération suisse et, d'autre part, l'Union européenne et ses Etats membres, ainsi qu'entre les Etats membres de l'Association européenne de libre-échange [OLCP; RS 142.203]; voir aussi arrêts 2C_725/2018 du 13 novembre 2018 consid. 4.1 et 2C_247/2015 du 7 décembre 2015 consid. 5.1). Dès lors qu'il constitue une limite à la libre circulation des personnes, le retrait de l'autorisation d'établissement UE/AELE doit néanmoins être conforme aux exigences de l'ALCP (arrêts 2C_76/2018 du 5 novembre 2018 consid. 3.3; 2D_37/2017 du 8 février 2018 consid. 3; 2C_365/2017 du 7 décembre 2017 consid. 4.1)
3.2. Aux termes de l'art. 63 al. 1 let. b LEI, l'autorisation d'établissement peut être révoquée si l'étranger attente de manière très grave à la sécurité et l'ordre publics en Suisse ou à l'étranger, les met en danger ou représente une menace pour la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse.
La question de savoir si c'est à juste titre que le Tribunal cantonal a considéré que, au vu des nombreuses dettes accumulées par le recourant 1 au fil des années, le comportement de celui-ci tombait sous le coup de l'art. 63 al. 1 let. b LEI, souffre de demeurer indécise, compte tenu des développements qui suivent (consid. 3.3 ci-dessous).
3.3. Comme l'ensemble des droits octroyés par l'ALCP, le droit de demeurer en Suisse ne peut être limité que par des mesures justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (art. 5 par. 1 annexe I ALCP; ATF 139 II 121 consid. 5.3 p. 125; arrêts 2C_954/2018 du 3 décembre 2018 consid. 6.2; 2C_725/2018 du 13 novembre 2018 consid. 5.1; 2C_560/2016 du 6 octobre 2016 consid. 2.3).
Conformément à la jurisprudence rendue en rapport avec l'art. 5 annexe I ALCP, les limites posées au principe de la libre circulation des personnes doivent s'interpréter de manière restrictive. Ainsi, le recours par une autorité nationale à la notion d'"ordre public" pour restreindre cette liberté suppose, en-dehors du trouble de l'ordre social que constitue toute infraction à la loi, l'existence d'une menace réelle et d'une certaine gravité affectant un intérêt fondamental de la société (ATF 139 II 121 consid. 5.3 p. 125 s. et les références citées; arrêt 2C_144/2018 du 21 septembre 2018 consid. 6.1). Il faut procéder à une appréciation spécifique du cas, portée sous l'angle des intérêts inhérents à la sauvegarde de l'ordre public (ATF 139 II 121 consid. 5.3 p. 126; arrêt 2C_725/2018 du 13 novembre 2018 consid. 5.1). A cet égard, le Tribunal fédéral se montre particulièrement rigoureux, en lien avec l'art. 5 par. 1 annexe I ALCP, en présence d'infractions à la législation fédérale sur les stupéfiants, d'actes de violence criminelle et d'infractions contre l'intégrité sexuelle (arrêts 2C_308/2017 du 21 février 2018 consid. 5.2; 2C_389/2017 du 10 janvier 2018 consid. 4.1; 2C_317/2016 du 14 septembre 2016 consid. 5.1), ainsi que lorsqu'il est confronté à des actes de terrorisme, à la traite d'êtres humains ou à des infractions commises au sein de la criminalité organisée (arrêts 2C_740/2017 du 6 mars 2018 consid. 2.2.2 et 2C_860/2016 du 2 décembre 2016 consid. 2.3).
3.4. En l'espèce, le recourant 1 n'a fait l'objet d'aucune condamnation pénale en Suisse. Le Tribunal cantonal a toutefois considéré que la situation financière obérée de l'intéressé constituait, à elle seule, une atteinte à l'ordre public suisse suffisante à justifier le retrait de l'autorisation d'établissement UE/AELE de celui-ci.
Sous l'angle de l'art. 5 par. 1 annexe I ALCP, disposition dont l'autorité précédente n'a - à tort - pas tenu compte, ce raisonnement ne peut être confirmé. En effet, la jurisprudence impose une approche restrictive s'agissant des limitations au principe de la libre circulation des personnes au sens de l'art. 5 par. 1 annexe I ALCP, une telle limitation étant de manière générale admise en présence d'un comportement contraire au droit pénal, lorsque l'ensemble des circonstances du cas d'espèce démontrent que l'intéressé représente une menace actuelle et réelle d'une certaine gravité pour l'ordre public suisse (cf. p. ex. les arrêts 2C_954/2018 du 3 décembre 2018 consid. 6.3 in fine; 2C_76/2018 du 5 novembre 2018 consid. 3.4; 2C_839/2017 du 10 septembre 2018 consid. 3.3.4  in fine). Or, la situation catastrophique du recourant 1 sous l'angle du droit des poursuites prouve uniquement son incapacité à faire face à ses obligations financières. L'on ne voit toutefois pas en quoi elle serait propre à fonder une menace grave affectant un intérêt fondamental de la société au sens exigé par la jurisprudence précitée (consid. 3.3 ci-dessus), rendue en lien avec l'art. 5 par. 1 annexe I ALCP. Au demeurant, l'autorité précédente ne l'indique pas non plus, se limitant à se référer à l'art. 63 LEI et à la jurisprudence y relative (arrêt attaqué, p. 9 s.), sans tenir compte des exigences découlant de l'art. 5 par. 1 annexe I ALCP.
Il en découle que, en confirmant le retrait de l'autorisation d'établissement UE/AELE du recourant 1, le Tribunal cantonal a violé l'art. 5 par. 1 annexe I ALCP.
3.5. Le recours devant être admis en ce qui concerne le retrait de l'autorisation d'établissement UE/AELE du recourant 1, il en va de même s'agissant de la non-prolongation des autorisations de séjour UE/AELE des recourantes 2 et 3 (cf. art. 3 annexe I ALCP, ainsi que [pour la recourante 2] art. 43 al. 1 LEI) et du maintien des autorisations d'établissement UE/AELE des recourants 4 et 5 (cf. art. 3 annexe I ALCP et art. 43 al. 6 LEI).
4. Les considérants qui précèdent conduisent à l'admission du recours et à l'annulation de l'arrêt du 27 avril 2018 du Tribunal cantonal. Les autorisations d'établissement UE/AELE des recourants 1, 4 et 5 sont maintenues. La cause sera renvoyée au Service cantonal, afin qu'il octroie une autorisation de séjour UE/AELE aux recourantes 2 et 3.
Bien qu'ils succombent, le Service cantonal et le Conseil d'Etat, qui ne défendent pas d'intérêt patrimonial, ne peuvent se voir imposer les frais de justice (art. 66 al. 1 et 4 LTF). Les recourants, qui ont procédé sans l'aide d'un mandataire professionnel, n'ont pas droit à des dépens (art. 68 al. 1 LTF).
Le Tribunal fédéral ne fera pas usage de la faculté prévue aux art. 67 et 68 al. 5 LTF et renverra la cause à l'autorité précédente pour qu'elle statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure accomplie devant elle.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est admis et l'arrêt rendu le 27 avril 2018 par le Tribunal cantonal du canton du Valais est annulé.
2. Les autorisations d'établissement UE/AELE des recourants 1, 4 et 5 sont maintenues. La cause est renvoyée au Service cantonal, afin qu'il octroie une autorisation de séjour UE/AELE aux recourantes 2 et 3.
3. Il n'est pas perçu de frais judiciaires, ni alloué de dépens.
4. La cause est renvoyée au Tribunal cantonal du canton du Valais afin qu'il statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure accomplie devant lui.
5. Le présent arrêt est communiqué aux recourants, au Conseil d'Etat et au Service de la population et des migrations du canton du Valais, au Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour de droit public, ainsi qu'au Secrétariat d'Etat aux migrations.
Lausanne, le 15 février 2019
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Seiler
Le Greffier : Ermotti