BGer 6B_1086/2018
 
BGer 6B_1086/2018 vom 10.01.2019
 
6B_1086/2018
 
Arrêt du 10 janvier 2019
 
Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Denys, Président, Jacquemoud-Rossari et Oberholzer.
Greffière : Mme Kistler Vianin.
Participants à la procédure
A.________,
recourante,
contre
Ministère public central du canton de Vaud,
intimé.
Objet
Ordonnance de non-entrée en matière (concurrence déloyale); arbitraire, droit d'être entendu, déni de justice, formalisme excessif,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours pénale, du 23 juillet 2018 (n° 548 PE17.022977-EBJ).
 
Faits :
A. X.________ SA a publié sur Internet une option d'itinérance intitulée " B.________ " dont le contenu était notamment le suivant (traduction de l'allemand) :
" Tarifs attractifs pour l'Europe.
B.________.
- Appels en Suisse, EU, USA et votre pays de destination pour 0.20/min (les appels entrants et sortants lors de vos déplacements en zones A & B).
- Envoyez des SMS vers toutes les destinations depuis les pays des Zones A & B pour 0.15/SMS. Les SMS entrants sont gratuits.
- MMS entrants/sortants: CHF 1.50/MMS.
- 10 MB inclus. Avec une sécurité totale des coûts.
- B.________ n'est pas requis si votre abonnement inclut déjà un volume de données roaming en Europe.
Pour activer et désactiver l'option, rendez-vous sur Mon Compte ou envoyez START B.________ ou STOP B.________ par SMS au 5155.
5.-/mois ".
B. Le 7 novembre 2017, A.________ a déposé une plainte pénale auprès du Ministère public de Lenzburg en Argovie, comme demanderesse au civil et au pénal, contre X.________ SA, pour concurrence déloyale.
Elle a expliqué avoir activé, le 10 juillet 2017 - en vue d'un voyage en Serbie - l'option décrite ci-dessus B.________ à 5 fr. par mois. Elle espérait de cette façon éviter des frais supplémentaires d'itinérance de données. Elle s'est plainte d'avoir reçu une facture de 196 fr. 29 pour s'être brièvement connectée à Internet à une occasion le 22 juillet 2017, et avoir ainsi utilisé 13.09 MB de données. Elle avait été informée par le biais d'un SMS de la part de X.________ SA, reçu juste après ladite connexion, qu'elle avait dépensé 150 fr. pour l'utilisation de données à l'étranger.
Par ordonnance du 22 novembre 2017, rendue à la suite d'une demande du Ministère public de Lenzburg, le Ministère public central, division affaires spéciales, du canton de Vaud a accepté la compétence des autorités vaudoises.
C. Par ordonnance du 17 avril 2018, le Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois a refusé d'entrer en matière sur la plainte du 7 novembre 2017 de A.________.
D. Par arrêt du 23 juillet 2018, la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours formé contre cette ordonnance dans la mesure de sa recevabilité.
E. Contre cet arrêt cantonal, A.________ dépose un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral. Elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et de l'ordonnance de non-entrée en matière, et au renvoi de la cause aux autorités précédentes pour qu'elles ouvrent une procédure pénale conformément à la plainte du 7 novembre 2017. En outre, elle sollicite que la procédure soit conduite en langue allemande et requiert l'assistance judiciaire.
 
Considérant en droit :
1. Conformément à l'art. 54 al. 1 LTF, le présent arrêt sera rendu en français, langue de l'arrêt attaqué, même si le recours est rédigé en allemand, comme l'autorise l'art. 42 al. 1 LTF.
2. Aux termes de l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à recourir au Tribunal fédéral si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles.
2.1. Les prétentions civiles en question sont celles qui peuvent être présentées par voie d'adhésion au procès pénal. Elles sont fondées sur le droit civil, sont dirigées contre l'accusé et découlent directement de la commission de l'infraction. Il s'agit principalement des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO (ATF 141 IV 1 consid. 1.1 p. 4).
En vertu de l'art. 42 al. 1 LTF, il incombe au recourant d'alléguer les faits qu'il considère comme propres à fonder sa qualité pour recourir. Lorsque le recours est dirigé contre une décision de non-entrée en matière ou de classement de l'action pénale, la partie plaignante n'a pas nécessairement déjà pris des conclusions civiles. Il lui incombe par conséquent d'expliquer dans son mémoire au Tribunal fédéral quelles prétentions civiles elle entend faire valoir contre l'intimé. Comme il n'appartient pas à la partie plaignante de se substituer au ministère public ou d'assouvir une soif de vengeance, la jurisprudence entend se montrer restrictive et stricte, de sorte que le Tribunal fédéral n'entre en matière que s'il ressort de façon suffisamment précise de la motivation du recours que les conditions précitées sont réalisées, à moins que l'on puisse le déduire directement et sans ambiguïté compte tenu notamment de la nature de l'infraction alléguée (ATF 141 IV 1 consid. 1.1 p. 4 et les références citées).
2.2. La recourante se plaint d'avoir reçu une facture de 196 fr. 29 pour s'être brièvement connectée à Internet à une occasion le 22 juillet 2017, et avoir utilisé 13.09 MB de données. Elle expose que X.________ SA a fait valoir sur le plan civil ses créances qui se fondent sur le comportement déloyal reproché. Déterminer les obligations de la recourante et savoir si ce montant est dû relève de l'interprétation des contrats qu'elle a conclus avec X.________ SA. Or, la procédure pénale n'a pas pour vocation de déterminer l'étendue des obligations respectives des parties issues de leurs engagements contractuels (cf. arrêts 1B_196/2012 du 2 juillet 2012, consid. 1.4.2; 1B_682/2012 du 16 novembre 2012, consid. 3.2). La cour de céans ne voit pas quelles conclusions la recourante pourrait faire valoir par voie d'adhésion à la procédure pénale. La recourante ne donne à cet égard aucune explication. Elle ne démontre dès lors pas en quoi l'arrêt attaqué pourrait avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Elle n'a donc pas la qualité pour recourir sur le fond de la cause au sens de l'art. 81 al. 1 LTF. Dans cette mesure, son recours est irrecevable.
3. Indépendamment des conditions posées par l'art. 81 al. 1 LTF, la partie plaignante est habilitée à se plaindre d'une violation de ses droits de partie équivalant à un déni de justice formel, sans toutefois pouvoir faire valoir par ce biais, même indirectement, des moyens qui ne peuvent pas être séparés du fond (cf. ATF 141 IV 1 consid. 1.1 p. 5). Par exemple, elle peut faire valoir que son recours a été déclaré à tort irrecevable, qu'elle n'a pas été entendue, qu'on ne lui a pas donné l'occasion de présenter ses moyens de preuve ou qu'elle n'a pas pu prendre connaissance du dossier. Mais elle ne saurait se plaindre ni de l'appréciation des preuves, ni du rejet de ses propositions si l'autorité retient que les preuves offertes sont impropres à ébranler sa conviction, car ces griefs sont indissociablement liés à l'examen du fond (ATF 121 IV 317 consid. 3b p. 324).
3.1. La recourante dénonce la violation de son droit d'être entendue. En particulier, elle se plaint que la cour cantonale n'a pas traité des points soulevés et qu'elle n'a pas motivé sa décision de manière compréhensible.
Le droit d'être entendu, garanti par les art. 3 al. 2 let. c CPP, 29 al. 2 Cst. et 6 par. 1 CEDH, implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et afin que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Le juge doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3 p. 46; 141 IV 249 consid. 1.3.1 p. 253; 139 IV 179 consid. 2.2 p. 183). Il n'est pas tenu de discuter tous les arguments soulevés par les parties, mais peut se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 142 II 154 consid. 4.2 p. 157; 139 IV 179 consid. 2.2 p. 183). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1 p. 565).
La cour cantonale a exposé les raisons pour lesquelles une ordonnance de non-entrée en matière s'imposait. Elle a expliqué que l'option " B.________ " n'était pas trompeuse dans la mesure où le destinataire ne pouvait s'attendre à ce qu'une offre soit valable dans tous les pays européens et que la lecture des liens permettait de déterminer quels pays se trouvaient dans quelle zone. De la sorte, elle a suffisamment motivé son point de vue. Le grief tiré de la violation du droit d'être entendu doit donc être rejeté.
Dans la mesure où la recourante se plaint du fait que certains de ses griefs n'auraient pas été examinés, elle se plaint d'un déni de justice formel (art. 29 al. 1 Cst.; cf. ATF 142 II 154 consid. 4 p. 156 ss). Elle ne précise toutefois pas sur quels points la cour cantonale aurait omis de se prononcer, de sorte que son grief est insuffisamment motivé et, partant, irrecevable (art. 106 al. 2 LTF).
3.2. La recourante se plaint de la violation du principe de la célérité.
Selon l'art. 5 al. 1 CPP, les autorités pénales engagent les procédures pénales sans délai et les mènent à terme sans retard injustifié. En l'espèce, la recourante a déposé sa plainte le 7 novembre 2017 auprès du Ministère public de Lenzburg en Argovie. Par ordonnance du 22 novembre 2017, le Ministère public central du canton de Vaud a accepté la compétence des autorités vaudoises. Le 17 avril 2018, à savoir cinq mois plus tard, le Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois a refusé d'entrer en matière sur la plainte de la recourante. Un délai de cinq mois pour rendre une ordonnance de non-entrée en matière ne constitue toutefois pas une durée excessivement longue. En effet, il ne s'agit ni d'un cas bagatelle ni d'une affaire grave qui aurait nécessité d'être traitée en priorité (voir arrêt 1B_164/2012 du 26 juin 2012 où une ordonnance de non-entrée en matière a été rendue après un an). Le grief tiré de la violation du principe de la célérité doit être rejeté.
La recourante reproche à la cour cantonale de ne pas avoir transmis au ministère public son complément de plainte du 18 juin 2018 pour contrainte et menaces, lié au recouvrement dont la recourante a fait l'objet, mais d'avoir attendu l'arrêt attaqué pour lui communiquer qu'elle n'était pas compétente pour recevoir ce complément de plainte. C'est à juste titre que la cour cantonale a refusé d'entrer en matière sur ce complément de plainte. La recourante ne conteste du reste pas cette irrecevabilité, mais se plaint du défaut de transmission à l'autorité compétente. Ce grief est irrecevable. D'une part, en affirmant que la plainte n'a pas été transmise à l'autorité compétente, la recourante s'écarte de l'état de fait de l'arrêt attaqué, qui ne retient pas ce fait; or, la cour de céans est liée par les faits établis par l'autorité précédente, à moins que ceux-ci l'aient été de manière manifestement inexacte (art. 97 al. 1 LTF), ce que doit établir la recourante (cf. art. 106 al. 2 LTF). D'autre part, en soulevant ce grief, la recourante sort de l'objet du litige, qui porte sur les faits dénoncés dans la plainte du 7 novembre 2017 et le bien-fondé de l'ordonnance de non-entrée en matière.
3.3. La recourante reproche à la cour cantonale d'avoir fait preuve d'un formalisme excessif en déclarant douteuse sa qualité pour se plaindre du prétendu caractère mensonger de l'indication " avec une sécurité totale des coûts ".
Il y a formalisme excessif, constitutif d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst., lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi et complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (ATF 142 IV 299 consid. 1.3.2 p. 304; 142 I 10 consid. 2.4.2 p. 11; 135 I 6 consid. 2.1 p. 9).
On ne voit pas en quoi le fait d'avoir exprimé des doutes sur la qualité de la recourante de soulever un grief du fait que l'acte dénoncé ne pouvait pas la léser serait constitutif d'un formalisme excessif. La nécessité d'avoir été lésé par l'acte dont on se plaint (intérêt juridique) est une règle générale de procédure. De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes et non de prendre des décisions à caractère théorique, ce qui répond à un souci d'économie de procédure. La cour cantonale n'a donc fait preuve d'aucun formalisme excessif en appliquant cette règle. Au demeurant, elle a ajouté une motivation subsidiaire, à savoir que, de toute façon, la lecture des liens donnait des indications sur les tarifs applicables, ce qui était de nature à procurer une certaine sécurité des coûts.
4. Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est irrecevable.
Comme ses conclusions étaient vouées à l'échec, l'assistance judiciaire ne peut être accordée (art. 64 al. 1 LTF). La recourante devra donc supporter les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF), dont le montant sera toutefois fixé en tenant compte de sa situation financière.
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2. La demande d'assistance judiciaire est rejetée.
3. Les frais judiciaires, arrêtés à 1'200 fr., sont mis à la charge de la recourante.
4. Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours pénale.
Lausanne, le 10 janvier 2019
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Denys
La Greffière : Kistler Vianin