BGer 1B_237/2018
 
BGer 1B_237/2018 vom 06.06.2018
 
1B_237/2018
 
Arrêt du 6 juin 2018
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
Fonjallaz et Eusebio.
Greffière : Mme Kropf.
Participants à la procédure
recourant,
contre
Ministère public du canton du Valais, Office régional du Valais central, case postale 2202, 1950 Sion 2.
Objet
Détention provisoire,
recours contre l'ordonnance de la Chambre pénale du Tribunal cantonal du canton du Valais du 16 avril 2018 (P3 18 75).
 
Faits :
A. Le 5 décembre 2017, la Chambre pénale du Tribunal cantonal valaisan a rejeté le recours formé contre le rejet par le Tribunal des mesures de contrainte (Tmc) de la demande de mise en liberté formée par A.________ le 24 octobre 2017. Selon les faits retenus dans l'arrêt susmentionné, A.________ faisait l'objet d'une instruction pénale ouverte le 30 juin 2017 pour actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP), instruction étendue le 24 août suivant aux chefs de prévention de contrainte sexuelle (art. 189 CP), de viol (art. 190 CP), voire d'abus de la détresse (art. 193 CP); il lui était en substance reproché d'avoir emmené, à la suite de soirées fortement alcoolisées, trois jeunes filles dans son appartement et d'avoir porté atteinte à leur intégrité sexuelle (dans la nuit du 7 avril 2017 pour C.________, celle du 6 mars 2017 pour B.________ et celle du 17 mars 2012 pour D.________). Il ressort également de cette décision que A.________ a notamment été entendu le 3 août 2017 en qualité de prévenu, ainsi que le 24 octobre 2017, audition lors de laquelle le Ministère public de l'Office régional du Valais central a informé les parties qu'il entendait mettre en oeuvre une expertise psychiatrique du prévenu. Le 12 octobre 2017, le prévenu a été arrêté et placé en détention provisoire, mesure confirmée le 14 suivant par le Tmc.
Au cours de l'instruction, A.________ a encore été mis en cause à deux reprises : premièrement, le 16 novembre 2017 par E.________ pour tentative de viol dans la nuit du 27 au 28 octobre 2016 et, deuxièmement, le 2 février 2018 par F.________ pour des faits qui se seraient déroulés le 8 juillet 2017.
Le 13 février 2018, l'expert psychiatre a rendu son rapport, retenant que A.________ souffre de troubles mentaux et du comportement liés à l'utilisation d'alcool - utilisation nocive au moment des faits reprochés -, d'un retard mental léger, d'un trouble neuropsychologique dû à une lésion cérébrale et d'une impulsivité probablement post-lésion frontale. Selon le rapport, ces troubles psychiques, de sévérité faible à modérée, n'avaient aboli que partiellement la capacité de l'expertisé à apprécier le caractère illicite de ses actes ou sa faculté à se déterminer d'après l'appréciation de la situation; la diminution de responsabilité était de légère à moyenne. L'expert a retenu que le risque de récidive d'infractions similaires pouvait être qualifié de modéré à important, danger à mettre en relation avec les troubles psychiques et avec les circonstances dans lesquelles A.________ aurait commis les infractions reprochées; des possibilités de traitement de l'impulsivité et des troubles mentaux, ainsi que du comportement liés à l'utilisation d'alcool existaient, de tels traitements étant susceptibles de diminuer le risque, sans toutefois pouvoir le garantir. Selon l'expertise, étaient ainsi recommandés la poursuite de la prise en charge psychothérapeutique entamée auprès du Service de médecine pénitentiaire avec l'ouverture de l'affaire pénale, le soutien de tout ce qui pourrait offrir des repères stables et positifs à l'intéressé, ainsi que la mise en place d'un suivi socio-judiciaire par le Service de probation. L'expert a encore estimé que, si le prévenu devait être reconnu coupable, une mesure de traitement institutionnelle en raison du danger important de réitération et de l'importance de la récurrence des comportements litigieux était préconisée, un traitement ambulatoire paraissant insuffisant.
B. Par requête 28 février 2018, A.________ a sollicité sa libération. Cette demande a été rejetée le 14 mars 2018 par le Tmc et la détention provisoire a été prolongée jusqu'au 14 juin 2018. Le recours déposé contre cette ordonnance par le prévenu a été rejeté le 16 avril 2018 par la Chambre pénale. Cette autorité a retenu l'existence de charges suffisantes et d'un risque de récidive qu'aucune mesure de substitution ne permettait de pallier.
C. Par acte du 15 mai 2018, A.________ forme un recours en matière pénale contre cet arrêt, concluant à sa libération immédiate, le cas échéant, accompagnée de mesures de substitution. A titre subsidiaire, il demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente afin qu'elle compète l'instruction s'agissant de la possibilité de mettre en oeuvre des mesures de substitution.
Invité à se déterminer, la Chambre pénale s'est référée à ses considérants. Quant au Ministère public, il n'a pas déposé d'observations.
 
Considérant en droit :
1. Selon l'art. 78 LTF, le recours en matière pénale est ouvert contre les décisions rendues en matière pénale, dont font partie les prononcés relatifs à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP (ATF 137 IV 22 consid. 1 p. 23). Selon l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF, le recourant - prévenu actuellement détenu - a qualité pour recourir. Pour le surplus, le recours a été formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue en dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF. Partant, il y a lieu d'entrer en matière.
2. Une mesure de détention préventive n'est compatible avec la liberté personnelle garantie aux art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par un risque de fuite, de collusion ou de réitération (art. 221 al. 1 let. a, b et c CPP). Préalablement à ces conditions, il doit exister des charges suffisantes, soit de sérieux soupçons de culpabilité, à l'égard de l'intéressé (art. 221 al. 1 CPP; art. 5 par. 1 let. c CEDH), c'est-à-dire des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis une infraction.
3. Le recourant conteste tout d'abord l'existence de charges suffisantes.
3.1. Selon l'art. 221 al. 1 CPP, il doit exister des charges suffisantes, soit de sérieux soupçons de culpabilité, à l'égard de l'intéressé, c'est-à-dire des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis une infraction. Selon la jurisprudence, il n'appartient pas au juge de la détention de procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge et d'apprécier la crédibilité des personnes qui mettent en cause le prévenu. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure. L'intensité des charges propres à motiver un maintien en détention préventive n'est pas la même aux divers stades de l'instruction pénale; si des soupçons, même encore peu précis, peuvent être suffisants dans les premiers temps de l'enquête, la perspective d'une condamnation doit apparaître avec une certaine vraisemblance après l'accomplissement des actes d'instruction envisageables (ATF 143 IV 330 consid. 2.1 p. 333; 143 IV 316 consid. 3.1 et 3.2 p. 318 s.).
3.2. En l'occurrence, pas moins de cinq femmes font des reproches similaires au recourant, à savoir d'avoir profité, dans son appartement, de leur état d'alcoolisation avancé pour attenter à leur intégrité sexuelle, cela à différents niveaux de gravité. Les grandes similitudes du mode opératoire décrit par les cinq victimes permettent au stade de la détention provisoire de considérer que les éventuelles contradictions ressortant de leurs différentes auditions, respectivement entre les plaignantes, ne sont pas suffisantes pour écarter les graves soupçons pesant sur le recourant. La cour cantonale n'a d'ailleurs pas ignoré cette problématique, considérant également en substance que cela ne remettait pas en cause la crédibilité de l'ensemble des déclarations effectuées (cf. consid. 2.2 p. 6 de l'arrêt attaqué); il ne peut dès lors lui être reproché de n'avoir pas détaillé ces éventuelles contradictions. Contrairement ensuite à ce que prétend le recourant, la juridiction précédente n'a pas non plus considéré qu'il n'existait aucun lien entre les victimes, puisqu'elle a retenu que "la plupart ne se connaissaient pas" (cf. consid. 2.2 p. 5 du jugement entrepris). En tout état de cause, le recourant pourra, le cas échéant, faire valoir ces moyens devant le juge du fond; il en va de même du défaut allégué de preuve matérielle trouvée notamment lors de la ou des perquisitions à son domicile.
Il n'y a pas non plus lieu de revenir sur les circonstances et motifs ayant amené son placement en détention provisoire le 12 octobre 2017, ainsi que sur la motivation retenue par la Chambre pénale le 5 décembre 2017. En tout état de cause, vu l'audition du 2 février 2018, les charges pesant à l'encontre du recourant ne paraissent pas s'être allégées au cours de l'instruction.
Au regard de ces considérations, la Chambre pénale pouvait, sans violer le droit fédéral ou procéder de manière arbitraire, retenir l'existence de graves soupçons de la commission d'infractions à l'encontre du recourant et ce grief peut être écarté.
4. Le recourant se plaint ensuite que la cour cantonale a retenu l'existence d'un risque de récidive. Le cas échéant, il soutient que celui-ci pourrait être diminué par des mesures de substitution.
4.1. L'art. 221 al. 1 let. c CPP pose trois conditions pour admettre un risque de récidive. En premier lieu, le prévenu doit en principe déjà avoir commis des infractions du même genre et il doit s'agir de crimes ou de délits graves. Deuxièmement, la sécurité d'autrui doit être sérieusement compromise. Troisièmement, une réitération doit, sur la base d'un pronostic, être sérieusement à craindre (ATF 143 IV 9 consid. 2.5 p. 14).
La gravité de l'infraction dépend, outre de la peine menace prévue par la loi, de la nature du bien juridique menacé et du contexte, notamment la dangerosité présentée concrètement par le prévenu, respectivement son potentiel de violence. La mise en danger sérieuse de la sécurité d'autrui par des crimes ou des délits graves peut en principe concerner tous types de biens juridiquement protégés, même si ce sont en premier lieu les délits contre l'intégrité corporelle et sexuelle qui sont visés (ATF 143 IV 9 consid. 2.6 et 2.7 p. 14 s.).
Pour établir le pronostic de récidive, les critères déterminants sont la fréquence et l'intensité des infractions poursuivies. Cette évaluation doit prendre en compte une éventuelle tendance à l'aggravation telle qu'une intensification de l'activité délictuelle, une escalade de la violence ou une augmentation de la fréquence des agissements. Les caractéristiques personnelles du prévenu doivent en outre être évaluées. Lorsqu'on dispose d'une expertise psychiatrique ou d'un pré-rapport - moyens d'instruction dont la mise en oeuvre n'est pas forcément nécessaire dans tous les cas où le risque de récidive est examiné -, il y a lieu d'en tenir compte (ATF 143 IV 9 consid. 2.8 p. 16 s.).
En général, la mise en danger de la sécurité d'autrui est d'autant plus grande que les actes redoutés sont graves. En revanche, le rapport entre gravité et danger de récidive est inversement proportionnel. Cela signifie que plus l'infraction et la mise en danger sont graves, moins les exigences seront élevées quant au risque de réitération. Lorsque la gravité des faits et leurs incidences sur la sécurité sont particulièrement élevées, on peut ainsi admettre un risque de réitération à un niveau inférieur. Il demeure qu'en principe le risque de récidive ne doit être admis qu'avec retenue comme motif de détention. Dès lors, un pronostic défavorable est nécessaire (et en principe également suffisant) pour admettre l'existence d'un tel risque (ATF 143 IV 9 consid. 2.9 p. 17).
4.2. En l'espèce, il n'y a pas lieu de revenir sur les circonstances ayant entraîné le placement en détention du recourant le 12 octobre 2017 et non pas à la suite de sa première audition le 3 août 2017. Le recourant ne saurait pas non plus se plaindre dans le cadre de la présente procédure du fait que la Chambre pénale a retenu, pour la première fois et à l'encontre de l'avis du Tmc, l'existence d'un risque de récidive à son encontre dans son arrêt du 5 décembre 2017. En revanche, dans la mesure où l'arrêt attaqué renvoie aux motifs alors retenus, le recourant est légitimé à les remettre en cause.
La cour cantonale avait alors considéré que les infractions redoutées étaient graves et pouvaient menacer un nombre indéterminé de femmes; de plus, un quatrième cas était suspecté et une expertise psychiatrique allait être mise en oeuvre, ce qui justifiait d'attendre les conclusions de l'expert sur la question du danger de réitération (cf. consid. 4.2 p. 8 s. de l'arrêt du 5 décembre 2017). Ainsi que l'a relevé la juridiction précédente, la gravité et le type des infractions reprochées au recourant, respectivement leurs conséquences en cas de réitération, n'ont pas changé depuis sa précédente décision (cf. consid. 3.2 p. 7 de l'arrêt attaqué). Depuis celle-ci, le recourant a en revanche été mis en cause le 2 février 2018 pour un cinquième cas dont les faits se seraient déroulés le 8 juillet 2017. On ne peut ainsi considérer que l'intensité du risque de récidive aurait diminué. A cela s'ajoute encore l'avis de l'expert, à savoir que ce danger pouvait être qualifié de modéré à important (cf. le rapport du 13 février 2018; voire sévère selon le complément du 10 avril 2018 dès lors que le rapport a été émis sans prendre en compte les derniers faits dénoncés). L'expertise ne constituant dans le cas d'espèce qu'un élément supplémentaire lors de l'appréciation du pronostic défavorable, il n'est ainsi pas nécessaire d'examiner à ce stade les critiques émises à l'encontre de la méthodologie utilisée et des conclusions retenues, griefs que pourra au demeurant faire valoir, le cas échéant, le recourant notamment devant le juge du fond.
Partant, l'ensemble de ces considérations permet de retenir l'existence d'un risque de récidive et le grief du recourant peut être écarté.
4.3. Conformément au principe de la proportionnalité ancré à l'art. 36 al. 3 Cst., le juge de la détention doit examiner les possibilités de mettre en oeuvre d'autres solutions moins dommageables que la détention (ATF 142 IV 367 consid. 2.1 p. 370; 141 IV 190 consid. 3.1 p. 192). Cette exigence est concrétisée par l'art. 237 al. 1 CPP, qui prévoit que le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention si ces mesures permettent d'atteindre le même but que la détention. Selon l'art. 237 al. 2 CPP, font notamment partie des mesures de substitution la fourniture de sûretés (let. a), la saisie des documents d'identité et autres documents officiels (let. b), l'assignation à résidence (let. c), l'obligation de se présenter régulièrement à un service administratif (let. d), l'obligation d'avoir un travail régulier (let. e), l'obligation de se soumettre à un traitement médical ou à des contrôles (let. f) et/ou l'interdiction d'entretenir des relations avec certaines personnes (let. g). L'art. 237 al. 3 CPP précise que, pour surveiller l'exécution de ces mesures, le tribunal peut ordonner l'utilisation d'appareils techniques qui peuvent être fixés à la personne sous surveillance.
A cet égard, la cour cantonale a retenu que l'expert préconisait, en cas de condamnation, un placement en institution, considérant qu'un traitement ambulatoire serait insuffisant en l'espèce. La prise en charge psychothérapeutique auprès du Service de médecine pénitentiaire - préconisé par l'expert en sus d'un soutien offrant des repères stables, ainsi que la mise en place d'un suivi socio-judiciaire par le Service de probation - ne paraît ainsi pas susceptible d'assurer qu'en cas de libération, le risque de réitération aurait diminué dans une mesure suffisante afin de garantir la sécurité publique; on peut d'ailleurs d'autant plus en douter que le recourant assure n'avoir pas entamé un tel suivi (cf. p. 19 s. de son recours). S'il affirme être prêt à suivre un traitement, ainsi qu'à être placé dans un premier temps en institution, il ne donne toutefois aucune indication sur les possibilités immédiates existant à cet égard, éléments qui, le cas échéant, pourraient permettre d'avoir une autre appréciation du risque de récidive.
Au regard des graves troubles dont souffre le recourant et du défaut de suivi thérapeutique en l'état, les autres mesures de substitution proposées ne paraissent pas à même de réduire d'une manière suffisante le danger retenu. En particulier, une interdiction de fréquentation des bars ou discothèques est difficilement vérifiable, dans la mesure au demeurant où tous les lieux potentiels pourraient être ciblés. De plus, les contrôles d'une interdiction de consommation d'alcool et/ou relatifs à une assignation à résidence le soir et la nuit ne permettent que de constater une éventuelle violation desdites interdictions, mais n'empêchent pas la commission d'éventuelle infraction. Or, vu la gravité du bien juridiquement protégé en cause et en l'absence de tout traitement, il y a lieu à ce stade de privilégier la sécurité publique.
5. Vu l'ensemble de ces considérations, la Chambre pénale n'a pas violé le droit fédéral en confirmant le rejet de la demande de remise en liberté déposée par le recourant.
6. Il s'ensuit que le recours est rejeté.
Le recourant, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3. Le présent arrêt est communiqué à la mandataire du recourant, au Ministère public du canton du Valais, Office régional du Valais central, et à la Chambre pénale du Tribunal cantonal du canton du Valais.
Lausanne, le 6 juin 2018
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Merkli
La Greffière : Kropf