BGer 2C_970/2017
 
BGer 2C_970/2017 vom 07.03.2018
 
2C_970/2017
 
Arrêt du 7 mars 2018
 
IIe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Seiler, Président, Aubry Girardin et Donzallaz.
Greffier: M. Tissot-Daguette.
Participants à la procédure
X.________,
représenté par Me Berivan Ozveren, avocate,
recourant,
contre
Service de la population de la République et canton du Jura.
Objet
Révocation de l'autorisation d'établissement,
recours contre l'arrêt de la Cour administrative du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura du 6 octobre 2017 (ADM 91/2017).
 
Faits :
A. X.________, ressortissant macédonien né en Suisse en 1993, est célibataire et sans enfant. Il a été mis au bénéfice d'une autorisation de séjour à sa naissance puis, dès le 29 mai 2002, d'une autorisation d'établissement. Après sa scolarité obligatoire, il a suivi avec succès une formation de mécanicien de production, obtenant un certificat fédéral de capacité. Il n'a jamais émargé à l'aide sociale et ne fait l'objet d'aucune poursuite, ni d'acte de défaut de biens. Depuis novembre 2005, l'intéressé a été condamné à sept reprises, la dernière fois à une peine privative de liberté de cinq ans pour tentative de brigandage et contravention à la LStup (RS 812.121). Il est actuellement en liberté conditionnelle et vit chez ses parents.
B. Par décision du 25 novembre 2016, confirmée sur opposition le 26 avril 2017, le Service de la population de la République et canton du Jura (ci-après: le Service de la population) a révoqué l'autorisation d'établissement de X.________. Celui-ci a contesté ce prononcé auprès de la Cour administrative du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura (ci-après: le Tribunal cantonal) le 25 mai 2017. Par arrêt du 6 octobre 2017, le Tribunal cantonal a rejeté le recours de X.________.
C. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, X.________ demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, outre l'effet suspensif, d'annuler l'arrêt du Tribunal cantonal du 6 octobre 2017 et de maintenir son autorisation d'établissement; subsidiairement, d'annuler l'arrêt précité et de renvoyer la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Il se plaint de violation du droit fédéral et international.
Par ordonnance du 15 novembre 2017, le Président de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral a déclaré la requête d'effet suspensif sans objet, le délai imposé à X.________ pour quitter la Suisse ne commençant à courir qu'à l'entrée en force de l'arrêt du 6 octobre 2017.
Le Tribunal cantonal conclut au rejet du recours. Le Service de la population en fait implicitement de même. Le Secrétariat d'Etat aux migrations renonce à se déterminer. Dans des observations finales, X.________ a confirmé ses conclusions.
 
Considérant en droit :
1. D'après l'art. 83 let. c ch. 2 LTF, le recours en matière de droit public est irrecevable contre les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit. Il est recevable contre les décisions révoquant, comme en l'espèce, une autorisation d'établissement parce qu'il existe en principe un droit au maintien de cette autorisation (ATF 135 II 1 consid. 1.2.1 p. 4; arrêt 2C_991/2017 du 1 er février 2018 consid. 1.1). La présente cause ne tombe ainsi pas sous le coup de l'art. 83 let. c ch. 2 LTF, ni d'aucune autre clause d'irrecevabilité figurant à l'art. 83 LTF. Partant, la voie du recours en matière de droit public est ouverte. Au surplus, le recours est dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF) par un tribunal supérieur de dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF). Déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi, le recours est recevable.
2. Le Tribunal fédéral statue en principe sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF (ATF 142 I 155 consid. 4.4.3 p. 156). Le recourant ne peut critiquer les constatations de fait ressortant de la décision attaquée que si celles-ci ont été effectuées en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF ou de manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; ATF 142 II 355 consid. 6 p. 358). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, le recourant doit expliquer de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées. Les faits et les critiques invoqués de manière appellatoire sont irrecevables (ATF 141 IV 369 consid. 6.3 p. 375). Par ailleurs, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut en principe être présenté devant le Tribunal fédéral (art. 99 al. 1 LTF).
Sans toutefois citer l'art. 97 al. 1 LTF, le recourant se prévaut d'un établissement inexact des faits. Il ne fait cependant que présenter ses vision et appréciation des faits de manière appellatoire, sans expliquer à suffisance en quoi le Tribunal cantonal aurait établi certains faits pertinents de manière manifestement inexacte. Ainsi, dans la mesure où il invoque par exemple avoir entrepris des démarches en vue de son mariage, ces faits ne sauraient être pris en compte. Dans ces conditions, le Tribunal fédéral vérifiera la correcte application du droit sur la seule base des faits retenus par l'autorité précédente.
3. A teneur de l'art. 63 al. 2 LEtr, l'autorisation d'établissement d'un étranger qui séjourne en Suisse légalement et sans interruption depuis plus de quinze ans ne peut être révoquée que pour les motifs mentionnés à l'art. 63 al. 1 let. b LEtr et à l'art. 62 al. 1 let. b LEtr. Aux termes de l'art. 63 al. 1 let. b LEtr, l'autorisation d'établissement peut être révoquée si l'étranger attente de manière très grave à la sécurité et l'ordre publics en Suisse ou à l'étranger, les met en danger ou représente une menace pour la sécurité intérieure ou extérieure de la Suisse. Selon l'art. 62 al. 1 let. b LEtr, l'autorité compétente peut révoquer une autorisation notamment si l'étranger a été condamné à une peine privative de liberté de longue durée. Selon la jurisprudence, constitue une peine privative de longue durée au sens de cette disposition toute peine dépassant un an d'emprisonnement, indépendamment du fait qu'elle soit ou non assortie (en tout ou partie) du sursis (ATF 139 I 145 consid. 2.1 p. 147; 139 II 65 consid. 5.1 p. 72). En l'occurrence, il n'est pas contesté que la condition de la peine privative de longue durée de l'art. 63 al. 2 LEtr en lien avec l'art. 62 let. b LEtr est remplie, le recourant ayant été condamné à une peine privative de liberté de cinq ans.
4. Le recourant, étranger de la deuxième génération, peut invoquer un droit à la vie privée au sens de l'art. 8 CEDH pour prétendre demeurer en Suisse (cf. ATF 139 I 16 consid. 2.2.2 p. 20; arrêt 2C_536/2013 du 30 décembre 2013 consid. 2.2, non publié in ATF 140 II 129). Se pose donc en définitive uniquement la question de savoir si la mesure ordonnée par le Service de la population et confirmée sur recours par le Tribunal cantonal, c'est-à-dire la révocation de l'autorisation d'établissement du recourant, est proportionnée au sens des art. 96 al. 1 LEtr et 8 par. 2 CEDH, l'examen de la proportionnalité sous l'angle de la première disposition se confondant avec celui imposé par
la seconde (arrêts 2C_547/2017 du 12 décembre 2017 consid. 4.1; 2C_365/2017 du 7 décembre 2017 consid. 6.3 et les références citées).
4.1. Selon l'art. 96 al. 1 LEtr, les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son degré d'intégration.
De jurisprudence constante, la question de la proportionnalité d'une révocation d'autorisation doit être tranchée au regard de toutes les circonstances du cas d'espèce, les critères déterminants se rapportant notamment à la gravité de l'infraction, à la culpabilité de l'auteur, au temps écoulé depuis l'infraction, au comportement de celui-ci pendant cette période, au degré de son intégration et à la durée de son séjour antérieur, ainsi qu'aux inconvénients qui le menacent, lui et sa famille, en cas de révocation (ATF 139 I 31 consid. 2.3.3 p. 34 ss; 135 II 377 consid. 4.3 p. 381 s.; arrêt 2C_991/2017 du 1 er février 2018 consid. 6.1).
Lorsque la mesure de révocation est prononcée en raison de la commission d'une infraction, la peine infligée par le juge pénal est le premier critère à utiliser pour évaluer la gravité de la faute et pour procéder à la pesée des intérêts (ATF 139 I 16 consid. 2.2.1 p. 19 s.; 135 II 377 consid. 4.3 p. 381 s.). La durée de séjour en Suisse d'un étranger constitue un autre critère très important. Plus cette durée est longue, plus les conditions pour prononcer l'expulsion administrative doivent être appréciées restrictivement (cf. ATF 135 II 377 consid. 4.4 et 4.5 p. 382 s.). La révocation de l'autorisation d'établissement d'un étranger né et élevé en Suisse (un étranger dit de la deuxième génération) n'est pas a priori exclue, mais n'entre en ligne de compte que si l'intéressé a commis des infractions très graves, en particulier en cas de violence, de délits sexuels, de graves infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants, ou en cas de récidive. On tiendra alors particulièrement compte de l'intensité des liens de l'étranger avec la Suisse et des difficultés de réintégration dans son pays d'origine (arrêt 2C_991/2017 du 1 er février 2018 consid. 6.1 et les références citées).
4.2. Il ressort de l'arrêt entrepris qu'entre novembre 2005 et mai 2015, le recourant a été condamné à sept reprises, quatre fois en tant que mineur et trois fois en tant que majeur. En tant que majeur, il a été condamné une première fois le 15 avril 2013 à une peine privative de liberté de huit jours avec sursis pour vol et lésions corporelles simples, une deuxième fois le 25 septembre 2014 à une peine pécuniaire de 20 jours-amende avec sursis pour rixe et, finalement, le 22 mai 2015 à une peine privative de liberté ferme de cinq ans pour tentative de brigandage et contravention à la LStup. S'agissant de l'infraction de brigandage, le Tribunal cantonal a retenu que le recourant a fait usage d'une violence particulière, traitant les deux victimes de l'infraction avec cruauté et leur infligeant des lésions corporelles graves ayant entraîné une incapacité de travail de 18 mois pour l'une et des lésions irréversibles au visage pour l'autre. Le recourant et ses complices ont fait usage de violence, afin d'obtenir la clef d'un coffre dans lequel se trouvait de l'argent. Ils ont infligé des souffrances physiques et psychiques, agissant avec un certain professionnalisme. La violence était telle que l'autorité judiciaire pénale a retenu qu'elle était une fin en soi, les auteurs ayant frappé les victimes avant même de demander de l'argent ou la clef du coffre. Durant la procédure pénale, le comportement du recourant a été particulièrement mauvais. Il n'a en particulier fait aucunement montre d'une quelconque prise de conscience par rapport à ses actes.
Sur le vu de la gravité de la dernière infraction commise et de l'importante culpabilité du recourant, c'est à juste titre que l'autorité précédente a considéré que les arguments d'intérêt public en faveur de l'éloignement de Suisse de ce dernier étaient clairs.
4.3. L'intérêt public à l'éloignement de Suisse de l'étranger doit être mis en balance avec l'intérêt personnel de celui-ci à demeurer dans ce pays.
Le recourant, célibataire et sans enfant, est né en Suisse et y a passé toute sa vie, sans jamais vivre dans son pays d'origine. Sa fiancée, ainsi que le reste de sa famille, résident également en Suisse. Sa situation financière est saine, n'ayant jamais émargé à l'aide sociale, ni fait l'objet de poursuite ou d'acte de défaut de biens. Il est en outre au bénéfice d'un certificat fédéral de capacité de mécanicien de production en métallurgie et ne maîtrise semble-t-il pas bien la langue de son pays d'origine. Ces éléments, qui plaident certes en faveur de la poursuite du séjour en Suisse, ne suffisent cependant pas à contrebalancer sa très grave condamnation.
En effet, on doit en premier lieu retenir que même si la prétendue prise de conscience du recourant est louable, celui-ci ne saurait se prévaloir de son bon comportement et des progrès effectués car, compte tenu du contrôle étroit que les autorités pénales exercent sur un détenu au cours de la période d'exécution de sa peine (ou de sa mesure), on ne saurait tirer des conclusions déterminantes de son attitude, du point de vue du droit des étrangers, afin d'évaluer sa dangerosité une fois en liberté. Il en va de même quant à la période de libération conditionnelle, étant donné qu'une récidive conduirait probablement à la révocation de ce régime (ATF 139 II 121 consid. 5.5.2 p. 128). Il faut au contraire garder à l'esprit que le jugement pénal, repris par l'autorité précédente, fait état d'un risque accru de récidive. L'évolution délictuelle du recourant est d'ailleurs là pour en attester. Durant dix ans, il n'a cessé d'occuper les autorités pénales. Les infractions commises alors qu'il était majeur ont été de plus en plus graves. Sur une très courte période, il s'est fait l'auteur de lésions corporelles simples, puis a pris part à une rixe et, alors qu'il était au bénéfice du sursis pour cette dernière infraction, il a violemment agressé deux personnes lors d'un brigandage. Une telle augmentation de violence démontre une incapacité à se conformer au système et à respecter les règles établies. Une telle activité délictuelle conduit à retenir, à l'instar du Tribunal cantonal, que le recourant ne présente pas une bonne intégration en Suisse. Celle-ci ne saurait dès lors être prépondérante par rapport à l'intérêt public tendant à éloigner un étranger condamné à une peine privative de liberté de cinq ans pour brigandage dans les circonstances du cas d'espèce. Les mauvaises fréquentations et son jeune âge que le recourant invoque à l'appui de son recours ne sauraient plaider en sa faveur.
S'il faut reconnaître qu'un départ de Suisse ne sera assurément pas facile pour le recourant, force est tout de même de relever qu'il ne sera pas insurmontable. Le recourant parle en effet couramment plusieurs langues, ce qui atteste d'une bonne capacité à acquérir de nouvelles connaissances linguistiques et permettra une meilleure intégration en Macédoine. De surcroît, sa formation et son expérience vont faciliter son intégration professionnelle. A bientôt 25 ans, il lui sera possible de les mettre à profit dans son pays d'origine, afin d'y trouver un emploi. S'agissant de la situation personnelle du recourant, rien n'indique effectivement que la fiancée de celui-ci ait été au courant de son passé délictuel. Néanmoins, le recourant n'a pas hésité à attaquer violemment deux personnes, alors que, selon lui, il envisageait de se marier. Son rôle de futur époux (selon ses dires) ne l'a aucunement retenu. S'il ne saurait être attendu que la fiancée du recourant aille vivre en Macédoine, pays qu'elle ne connaît probablement pas et duquel elle ne parle a priori pas la langue, il peut toutefois être attendu d'elle qu'elle aille régulièrement rendre visite au recourant. Ce dernier ne faisant pas l'objet d'une interdiction d'entrer en Suisse, il pourra également venir dans ce pays pour y passer des vacances auprès de sa future épouse.
4.4. En conclusion, l'autorité précédente a pris en considération tous les éléments imposés par la jurisprudence du Tribunal fédéral pour procéder à la pesée des intérêts en rapport avec les conditions prévues à l'art. 96 al. 1 LEtr. Elle a ainsi correctement apprécié le fait que le recourant soit né en Suisse, l'activité délictueuse qu'il y a déployée, la nature des infractions commises, la durée des condamnations et la gravité des actes pénaux. L'autorité précédente a également pris en considération le but poursuivi par l'intéressé, le comportement qu'il a adopté lors de la procédure pénale, sa persévérance dans la délinquance, le fait qu'il soit actuellement en liberté conditionnelle, ainsi que sa situation financière. Le Tribunal cantonal a finalement encore notamment tenu compte des conséquences pour l'intéressé et sa compagne d'un départ de Suisse et des possibilités d'intégration à l'étranger. Considérant l'ensemble de ces circonstances, on ne peut pas reprocher au Tribunal cantonal d'avoir violé le droit fédéral en retenant que l'intérêt public à maintenir le recourant éloigné de la Suisse l'emportait sur l'intérêt privé de celui-ci et ne pas avoir jugé préférable de n'adresser qu'un avertissement au recourant. Le résultat de la pesée des intérêts ainsi effectuée reste dans les limites du droit.
5. Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours. Succombant, le recourant doit supporter les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 1 et 3 LTF).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3. Le présent arrêt est communiqué à la mandataire du recourant, au Service de la population et à la Cour administrative du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, ainsi qu'au Secrétariat d'Etat aux migrations.
Lausanne, le 7 mars 2018
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Seiler
Le Greffier : Tissot-Daguette