BGer 8C_21/2016
 
BGer 8C_21/2016 vom 20.09.2016
{T 0/2}
8C_21/2016
 
Arrêt du 20 septembre 2016
 
Ire Cour de droit social
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Maillard, Président, Frésard et Heine.
Greffière : Mme Castella.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Pierre Seidler, avocat,
recourante,
contre
Visana, Service juridique,
Weltpoststrasse 19/21, 3015 Bern,
intimée.
Objet
Assurance-accidents (causalité naturelle),
recours contre le jugement de la Cour des assurances du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura du 24 novembre 2015.
 
Faits :
A. 
A.a. A.________ travaillait en qualité de gérante d'un kiosque au service de la société B.________ SA et était, à ce titre, assurée obligatoirement contre le risque d'accident auprès de Visana Assurances SA (ci-après: Visana).
Le 21 janvier 2011, alors qu'elle circulait au volant de son véhicule sur une autoroute, un ralentissement soudain du trafic l'a contrainte de freiner jusqu'à l'arrêt. Son véhicule a alors été embouti par celui qui le suivait, de telle sorte qu'il a percuté à son tour la voiture de devant.
A.b. En raison de l'apparition de douleurs, l'assurée s'est rendue à l'Hôpital D.________ le 24 janvier 2011, pour une première consultation médicale. Les médecins de cet hôpital ont fait état d'une contraction paracervicale et paradorsale post-traumatique. En revanche, ils ont indiqué qu'il n'y avait pas de trouble neurovasculaire et que les radiographies n'avaient pas révélé de lésion osseuse (cf. rapport du 29 mars 2011).
Consulté le 31 janvier 2011, le docteur C.________, spécialiste en médecine générale et médecin traitant de l'assurée, a posé le diagnostic de contusions cervico-dorsales avec contractures étagées et impotence fonctionnelle. Il a attesté une incapacité totale de travail depuis l'accident (rapport médical du 2 février 2011). Visana a pris en charge le cas.
Le 1 er mars 2011, le docteur E.________, spécialiste en radiologie, a fait procéder à deux IRM de la colonne cervicale et dorsale, lesquelles ont révélé l'existence d'une contusion osseuse des vertèbres C5 et C6. Elles ont également mis en évidence une discarthrose et uncarthrose en C4/C5, C5/C6 et C6/C7, ainsi qu'une cyphoscoliose dorsale et hyperlordose lombaire (rapport d'IRM du 1 er mars 2011). Le 29 février 2012, une nouvelle IRM de la colonne cervicale a montré une cervicarthrose basse (rapport d'IRM du 2 mars 2012).
A.c. Après avoir recueilli l'ensemble des rapports médicaux des médecins consultés ainsi que l'avis de son médecin-conseil, Visana a rendu une décision le 13 avril 2012, par laquelle elle a supprimé le droit de l'assurée à des prestations d'assurance (frais de traitement et indemnité journalière) avec effet au 31 mars 2012. Elle a considéré qu'il n'existait plus de lien de causalité entre l'accident survenu le 21 janvier 2011 et les maux dont souffrait encore l'assurée.
Saisie d'une opposition, Visana a confié une expertise pluridisciplinaire au Bureau d'expertises médicales (BEM) à F.________, laquelle a été réalisée par les docteurs G.________, spécialiste en rhumatologie et en médecine interne, H.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, et I.________, spécialiste en chirurgie orthopédique. Dans leur rapport d'expertise du 7 octobre 2013, ces médecins ont retenu les diagnostics suivants:
- cervicarthrose, spondylodiscarthrose étagée sans atteinte neurologique radiculaire ni myélopathique;
- myogéloses étagées dans le contexte d'une hyperpathie et d'une allodynie de type fibromyalgique secondaire et d'un déconditionnement;
-excès pondéral;
- maladie de Dupuytren stade 0 main gauche;
- status après entorse cervicale stade I-II selon la Quebec Task Force, contusion du rachis thoracique et contusion de la hanche gauche;
- status après appendicectomie.
Ils ont indiqué que l'accident avait provoqué une aggravation passagère de l'état antérieur. Les troubles dégénératifs visibles sur les radiographies étaient évidents et il était surprenant que l'assurée fût totalement asymptomatique avant l'accident. Ces atteintes existeraient selon toute vraisemblance sans l'accident, car elles mettent des années à se constituer. Le statu quo sine pouvait être fixé à un an après l'accident et la capacité de travail était totale à partir de l'IRM du 29 février 2012.
Par décision du 2 juin 2014, Visana a rejeté l'opposition et confirmé sa décision du 13 avril 2012.
B. L'assurée a déféré la décision sur opposition à la Cour des assurances du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura. En cours de procédure, elle a communiqué au tribunal un rapport d'expertise privée du 28 octobre 2014, réalisée par le docteur J.________, spécialiste en neurochirurgie.
Par jugement du 24 novembre 2015, la cour cantonale a rejeté le recours. Elle a considéré en résumé que les avis médicaux des médecins traitants de l'assurée n'étaient pas de nature à remettre en cause les conclusions du rapport d'expertise du BEM, auquel elle a accordé pleine valeur probante.
C. A.________ interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement dont elle demande l'annulation en concluant au maintien de son droit à des prestations de l'assurance-accidents. Subsidiairement, elle demande le renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour mise en oeuvre d'une nouvelle expertise médicale, le tout sous suite de frais et dépens.
Visana et la cour cantonale concluent au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité, tandis que l'Office fédéral de la santé publique a renoncé à se déterminer.
 
Considérant en droit :
1. Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.
2. Le litige porte sur le point de savoir si l'intimée était fondée, par sa décision sur opposition du 2 juin 2014, à supprimer le droit de la recourante aux prestations de l'assurance-accidents obligatoire (frais de traitement et indemnité journalière) à compter du 1 er avril 2012.
Lorsque, comme en l'espèce, le jugement entrepris porte sur des prestations en espèces et en nature de l'assurance-accidents, le Tribunal fédéral constate avec un plein pouvoir d'examen les faits communs aux deux objets litigieux et se fonde sur ces constatations pour statuer, en droit, sur ces deux objets. En revanche, les faits qui ne seraient pertinents que pour statuer sur le droit aux prestations en nature ne sont revus que dans les limites définies par les art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF (cf. arrêt 8C_584/2009 du 2 juillet 2010 consid. 4, in SVR 2011 UV n° 1 p. 2 s.).
 
Erwägung 3
3.1. Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle.
Le droit à des prestations découlant d'un accident assuré suppose d'abord, entre l'événement dommageable de caractère accidentel et l'atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette exigence est remplie lorsqu'il y a lieu d'admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout, ou qu'il ne serait pas survenu de la même manière (ATF 129 V 177 consid. 3.1 p. 181; 402 consid. 4.3.1 p. 406 et les arrêts cités). Pour admettre l'existence d'un lien de causalité naturelle, il n'est pas nécessaire que l'accident soit la cause unique ou immédiate de l'atteinte à la santé; il faut et il suffit que l'événement dommageable, associé éventuellement à d'autres facteurs, ait provoqué l'atteinte à la santé physique ou psychique de l'assuré, c'est-à-dire qu'il se présente comme la condition sine qua non de celle-ci. Savoir si l'événement assuré et l'atteinte à la santé sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait, que l'administration ou, le cas échéant, le juge examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d'ordre médical, et qui doit être tranchée en se conformant à la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l'appréciation des preuves dans l'assurance sociale. Ainsi, lorsque l'existence d'un rapport de cause à effet entre l'accident et le dommage paraît possible, mais qu'elle ne peut pas être qualifiée de probable dans le cas particulier, le droit à des prestations fondées sur l'accident assuré doit être nié (ATF 129 V 177 consid. 3.1 et 402 consid. 4.3.1 précités).
3.2. Selon une jurisprudence constante, lorsque des expertises confiées à des médecins indépendants sont établies par des spécialistes reconnus, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier et que les experts aboutissent à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4 p. 469 s.; 122 V 157 consid. 1c p. 161). En présence d'avis médicaux contradictoires, le juge doit apprécier l'ensemble des preuves à disposition et indiquer les motifs pour lesquels il se fonde sur une appréciation plutôt que sur une autre. A cet égard, l'élément décisif pour apprécier la valeur probante d'une pièce médicale n'est en principe ni son origine, ni sa désignation sous la forme d'un rapport ou d'une expertise, mais bel et bien son contenu. Il importe, pour conférer pleine valeur probante à un rapport médical, que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu'il ait été établi en pleine connaissance de l'anamnèse, que la description du contexte médical et l'appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l'expert soient dûment motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 p. 232; 125 V 351 consid. 3a p. 352).
 
Erwägung 4
4.1. La recourante reproche à la juridiction cantonale une constatation erronée des faits et une appréciation arbitraire des preuves. Elle lui fait grief de s'être fondée exclusivement sur les conclusions de rapport d'expertise du BEM et d'avoir écarté les rapports médicaux des autres médecins consultés.
La recourante soutient d'abord que l'arthrose dégénérative antérieure à l'accident n'est pas à l'origine de ses douleurs, puisqu'avant l'accident elle était totalement asymptomatique. Elle se prévaut ensuite des rapports médicaux du docteur K.________, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, des 21 décembre 2011 et 9 juillet 2012 et reproche aux premiers juges d'avoir considéré que le diagnostic de "dysfonction atlanto-axiale" posé par ce médecin ne permettait pas de retenir la présence d'une lésion objectivable d'origine post-traumatique. La recourante fait également valoir que le docteur L.________, spécialiste en neurologie, a fait état de nombreuses lésions somatiques post-traumatiques dans un rapport du 3 juillet 2012 et que, selon le docteur J.________, il était incontestable qu'un choc tel que celui produit par l'accident a pu majorer ou accélérer l'évolution discarthrosique (rapport d'expertise privée du 28 octobre 2014).
4.2. En l'occurrence, c'est à tort que la recourante se prévaut de l'absence d'état douloureux avant l'accident. En effet, comme l'ont constaté d'ailleurs les premiers juges, elle avait déjà été en incapacité partielle de travail pendant plusieurs années, en raison de douleurs liées à des myogéloses étagées (cf. les rapports médicaux du docteur C.________ des 11 janvier, 29 mars et 31 mai 2010). Au demeurant, on ne saurait retenir l'existence d'un lien de causalité du seul fait de l'absence de plaintes avant un événement accidentel (cf. ATF 119 V 335 consid. 2b/bb p. 341 s.).
En ce qui concerne les avis des médecins cités par la recourante, ils ne permettent pas de remettre en cause le rapport d'expertise du BEM. En effet, à la lecture du rapport du docteur K.________ du 21 décembre 2011, il n'apparaît pas que la "dysfonction atlanto-axiale" diagnostiquée reposerait sur un substrat organique objectivable, sous la forme d'une lésion structurelle cervicale d'origine traumatique. Ce médecin expose que les radiographies ont révélé d'importantes modifications dégénératives, lesquelles ne contribueraient toutefois pas aux plaintes actuelles de l'assurée qu'il attribue au choc provoqué par l'accident. Dans son rapport du 9 juillet 2012, il se limite à confirmer son opinion selon lesquelles les symptômes dont souffre la recourante sont des séquelles de l'accident. Cela étant, il n'apporte pas d'éléments nouveaux qui n'auraient pas été pris en compte par les médecins du BEM. Quant au docteur L.________, on ne voit pas quelles sont les nombreuses lésions somatiques post-traumatiques dont il aurait fait état au dire de la recourante. En sus des diagnostics déjà retenus par les experts, il a indiqué un "probable" syndrome de distorsion cervicale chronique (rapport du 3 juillet 2012), ce qui ne suffit pas pour jeter un doute sur le rapport d'expertise du 7 octobre 2013. Enfin, le docteur J.________ a relevé pour sa part qu'il était inconcevable que les importantes lésions discarthrosiques aient été provoquées par l'accident. Il relève cependant que cet état arthrosique n'était associé d'aucune répercussion clinique dans la vie de l'assurée, de sorte que l'accident a fait apparaître des symptômes nouveaux, invalidants et durables. Le rapport de causalité entre l'accident et les troubles actuels de la recourante est donc vraisemblable selon lui. Comme on l'a vu, un tel raisonnement n'est pas suffisant pour admettre un lien de causalité. Il repose en outre sur la prémisse erronée que la recourante était asymptomatique avant l'accident. Par ailleurs, lorsqu'il expose que l'accident a pu majorer ou accélérer l'évolution discarthrosique, le docteur J.________ ne fait que confirmer les conclusions des médecins du BEM, selon lesquelles l'accident a provoqué une aggravation passagère de l'état antérieur.
On ajoutera que si la recourante a effectivement présenté une lésion objectivable de nature accidentelle sous la forme d'une contusion osseuse (cf. rapport d'IRM du 1 er mars 2011), celle-ci s'était déjà résorbée au moment de l'IRM du 29 février 2012, soit avant que l'intimée ne mette fin aux prestations.
Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de s'écarter du rapport d'expertise du 7 octobre 2013, lequel satisfait pleinement aux exigences posées par la jurisprudence (supra consid. 3.2).
4.3. La recourante reproche aux premiers juges d'avoir fait preuve d'arbitraire en refusant son offre de preuve tendant à l'audition des docteurs K.________ et J.________. Il était pourtant indispensable, à son avis, de confronter les opinions de ces derniers aux conclusions erronées, selon elle, du rapport d'expertise.
Comme on l'a vu, les avis médicaux invoqués par la recourante ne sont pas susceptibles de mettre en doute l'expertise du BEM. La juridiction cantonale pouvait donc refuser de procéder à leur audition; d'autant plus qu'en cours de procédure la recourante a produit un rapport d'expertise privée du docteur J.________ et, partant, a eu l'occasion de confronter ce dernier aux conclusions de la première expertise.
Il en résulte, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une instruction complémentaire comme le demande la recourante, que l'intimée était fondée à supprimer le droit aux prestations à compter du 1 er avril 2012.
5. Vu ce qui précède, le recours se révèle mal fondé et doit être rejeté.
6. La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). L'intimée n'a pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3. Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour des assurances du Tribunal cantonal de la République et canton du Jura et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 20 septembre 2016
Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Maillard
La Greffière : Castella