BGer 6B_9/2016
 
BGer 6B_9/2016 vom 21.07.2016
{T 0/2}
6B_9/2016
 
Arrêt du 21 juillet 2016
 
Cour de droit pénal
Composition
Mme et MM. les Juges fédéraux, Jacquemoud-Rossari, Juge présidant, Eusebio et Rüedi.
Greffière : Mme Kropf.
Participants à la procédure
1. X.________ SA,
2. Y.________ SAen liquidation,
toutes deux agissant par Z.________,
3. Z.________,
recourants,
contre
Ministère public de la République et canton de Neuchâtel,
intimé.
Objet
Ordonnance de non-entrée en matière (dommages à la propriété, etc.),
recours contre l'arrêt de l'Autorité de recours en matière pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel du 19 novembre 2015.
 
Faits :
A. Le 2 décembre 2011, X.________ SA et Y.________ SA en liquidation, agissant par leur administrateur Z.________, ont déposé plainte pénale auprès du Ministère public de la République et canton de Neuchâtel en particulier contre A.________; il lui était en substance reproché des dommages à la propriété, la destruction de pièces à conviction, une contrainte et une tentative d'enrichissement illégitime par contrainte. Selon les sociétés plaignantes, Y.________ SA en liquidation aurait été expulsée de manière illicite des locaux situés au chemin de Xb, à M.________, malgré le fait qu'elle se serait acquittée de plus de 900'000 fr. de loyers en trop; quant à X.________ SA, elle subirait un dommage de plusieurs millions de francs à la suite de cet événement dès lors qu'elle ne pourrait plus avoir accès à ses machines, ne pouvant ainsi pas les entretenir, respectivement les déménager. Les sociétés ont produit de nombreuses pièces, faisant en particulier état d'autres procédures judiciaires, notamment civile en lien avec les locaux situés aux numéros Xb et Xc de l'adresse susmentionnée. Elles ont complété leur plainte, en particulier pour entrave à la justice, les 10 mars et 17 octobre 2012.
Selon le rapport de police du 11 novembre 2013, une confusion serait née de l'occupation par l'une et l'autre des deux sociétés des locaux situés aux numéros Xb et Xc, les parties se rejetant la responsabilité de l'impossibilité de récupérer les objets se trouvant encore dans les locaux à la suite de la procédure d'expulsion.
Par ordonnance du 27 mai 2015, le ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte du 10 mars 2012 et a mis les frais de procédure (2'500 fr.) à la charge de X.________ SA. Le magistrat a en substance considéré que les personnes visées par la plainte n'avaient nullement, par action ou par omission, intentionnellement ou par dol éventuel, porté atteinte au patrimoine des sociétés recourantes (dommage à la propriété); que A.________ avait usé des voies légales pour obtenir leur expulsion, puis l'exécution forcée de celle-ci (contrainte); qu'une tentative d'enrichissement de cette dernière, ainsi que les dommages allégués aux "pièces à conviction" n'étaient pas suffisamment motivés; et enfin que, si la confusion entre les numéros des locaux à évacuer pouvait entraîner des conséquences civiles, il n'en résultait pas nécessairement une infraction d' "entrave à la justice" ou une "tromperie des agents d'exécution".
B. Le 19 novembre 2015, l'Autorité de recours en matière pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel a admis partiellement le recours intenté par X.________ SA et Y.________ SA en liquidation, réduisant les frais de la procédure devant le ministère public à 1'400 francs.
Pour le surplus, la cour cantonale a confirmé l'ordonnance entreprise. Elle a relevé que le comportement des deux sociétés était à l'origine des éventuels dommages causés au matériel, n'ayant pas saisi les opportunités offertes par la bailleresse de vider les locaux. Dès lors que l'erreur en lien avec les numéros des locaux avait pu être corrigée par les voies de droit civil ordinaires, la juridiction précédente a retenu que les infractions d'entrave à la justice ou d'induction de la justice en erreur ne pouvaient pas être réalisées. Elle a encore considéré que les sociétés plaignantes ne motivaient pas l'infraction - nouvellement invoquée - d'obtention d'une constatation fausse. Confirmant le comportement téméraire des deux sociétés au sens de l'art. 427 al. 2 CPP, l'Autorité de recours en matière pénale a cependant estimé que les frais judiciaires devaient être réduits vu l'absence d'actes d'instruction réalisés par le ministère public lors du prononcé d'une ordonnance de non-entrée en matière.
C. Par courrier du 6 janvier 2016, X.________ SA, Y.________ SA en liquidation et Z.________, agissant pour lui-même et au nom des deux sociétés, forment un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt, concluant à son annulation et en substance à la reprise de l'instruction. A titre subsidiaire, ils demandent le renvoi de la cause à l'autorité précédente. Encore plus subsidiairement, ils requièrent l'annulation ou la réduction des frais de procédure devant le ministère public. Les recourants ont complété leur recours par acte reçu le 8 janvier 2016 par le Tribunal fédéral, requérant également l'octroi de l'assistance judiciaire. Ils se sont encore déterminés le 28, le 30 janvier, le 8, le 23 février et le 11 avril 2016.
 
Considérant en droit :
1. Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement les conditions de recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 140 IV 57 consid. 2 p. 59).
1.1. Le recours est dirigé contre une décision prise par une autorité cantonale de dernière instance (art. 80 LTF) dans une cause pénale. La voie du recours en matière pénale est donc en principe ouverte (art. 78 ss LTF). L'arrêt attaqué a en outre un caractère final puisqu'il confirme la décision de non-entrée en matière rendue par le ministère public (art. 90 LTF).
1.2. La décision entreprise a été notifiée le samedi 21 novembre 2015 aux recourants. Le délai pour recourir au Tribunal fédéral arrivait donc à échéance le mercredi 6 janvier 2016 (art. 44 al. 1, 46 al. 1 let. c et 100 al. 1 LTF). Il n'a pas été procédé à des échanges d'écritures. Il en résulte que les courriers déposés ultérieurement au 6 janvier 2016 par les recourants sont irrecevables.
Deux mémoires différents sont datés du 6 janvier 2016. L'un d'eux a été adressé ce même jour par courrier recommandé, étant dès lors recevable. Quant au second - timbré par la Poste le 7 janvier 2016 -, l'enveloppe le contenant mentionne qu'il a été "déposé[...] dans la boîte postale avant minuit le 6 janvier 2016" et comporte la signature d'au moins quatre personnes. Vu l'issue du litige, il n'est pas nécessaire de déterminer si ces informations - sans indication de coordonnées - sont suffisantes pour admettre la recevabilité de ce courrier ou si les recourants devraient être interpellés sur le moyen de preuve invoqué (arrêts 1C_589/2015 du 16 mars 2016 consid. 2.2; 6B_477/2015 du 22 décembre 2015 consid. 2.1.2 et les références citées).
1.3. En vertu de l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF, la partie plaignante qui a participé à la procédure de dernière instance cantonale est habilitée à recourir au Tribunal fédéral, si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles. Constituent de telles prétentions celles qui sont fondées sur le droit civil et doivent en conséquence être déduites ordinairement devant les tribunaux civils. Il s'agit principalement des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO.
Selon l'art. 42 al. 1 LTF, il incombe au recourant d'alléguer les faits qu'il considère comme propres à fonder sa qualité pour recourir. Lorsque le recours est dirigé contre une décision de non-entrée en matière ou de classement de l'action pénale, la partie plaignante n'a pas nécessairement déjà pris des conclusions civiles. Quand bien même celle-ci aurait déjà déclaré de telles prétentions (cf. art. 119 al. 2 let. b CPP), il n'en reste pas moins que le procureur qui refuse d'entrer en matière ou prononce un classement n'a pas à statuer sur l'aspect civil (cf. art. 320 al. 3 CPP). Dans tous les cas, il incombe par conséquent au plaignant d'expliquer dans son mémoire au Tribunal fédéral quelles prétentions civiles il entend faire valoir contre l'intimé. Comme il n'appartient pas à la partie plaignante de se substituer au ministère public ou d'assouvir une soif de vengeance, la jurisprudence entend se montrer restrictive et stricte, de sorte que le Tribunal fédéral n'entre en matière que s'il ressort de façon suffisamment précise de la motivation du recours que les conditions précitées sont réalisées, à moins que l'on puisse le déduire directement et sans ambiguïté compte tenu notamment de la nature de l'infraction alléguée (ATF 141 IV 1 consid. 1.1 p. 4 s.).
En outre, si la partie plaignante invoque des infractions distinctes, elle doit mentionner par rapport à chacune d'elles en quoi consiste son dommage. Si ce dernier n'est motivé qu'en ce qui concerne l'une des infractions, le recours est irrecevable pour les autres (arrêt 6B_432/2015 du 1er février 2016 consid. 1.2). En cas de pluralité de parties plaignantes, il incombe aussi à chacune d'entre elles d'exposer individuellement en quoi consiste dans le principe son propre dommage (arrêts 6B_1043/2015 du 9 décembre 2015 consid. 1.2; 6B_936/2013 du 14 février 2014 consid. 1.2).
1.3.1. S'agissant tout d'abord du recourant Z.________, la cour cantonale n'a pas omis de le prendre en compte en tant que partie à la procédure cantonale de recours; en effet, seules les sociétés X.________ SA et Y.________ SA en liquidation figuraient dans les intitulés des mémoires de recours datés du 15 juin 2015.
Contrairement à ce que le recourant Z.________ soutient, sa qualité de partie à la procédure cantonale de recours initiée en juin 2015 ne peut pas découler de courriers datés de septembre 2014; il n'est en effet pas impossible qu'une partie renonce au cours d'une procédure à faire recours. De plus, c'est à juste titre que le recourant ne se prévaut pas pour fonder sa qualité de partie sur les écritures déposées les 26 juin et 17 juillet 2015 devant l'autorité précédente. En effet, dans la mesure où ces courriers pourraient être considérés comme des actes de recours personnels de Z.________ (cf. la mention "Et/Par"), ils auraient manifestement été déposés tardivement vu l'échéance du délai de recours au 15 juin 2015 (cf. art. 85 al. 4 let. a, 90, 91 et 396 al. 1 CPP et consid. 1 du jugement entrepris). Le recourant Z.________ - qui a procédé au nom des deux sociétés recourantes - ne soutient enfin pas avoir été empêché de prendre part à la procédure cantonale (art. 81 al. 1 let. a in fine LTF).
Partant, la qualité pour recourir de Z.________ doit lui être déniée, faute d'avoir participé à la procédure devant la juridiction cantonale (art. 81 al. 1 let. a LTF). Il en résulte que le recours déposé par Z.________ en son nom propre est irrecevable.
1.3.2. En ce qui concerne ensuite les deux sociétés recourantes, leur participation à l'instance précédente n'est pas contestée.
S'agissant ensuite de leurs prétentions civiles (art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF), il ressort en substance de leurs écritures que leur dommage équivaudrait à plus de 3'148'602 fr. 53 (cf. en particulier ad iii p. 5 des mémoires de recours datés du 6 janvier 2016). Selon les recourants, ce montant comprendrait notamment le matériel, les appareils et autres équipements situés dans les locaux desquels elles avaient été expulsées; privées d'accès, elles n'auraient pas pu les entretenir, prendre des mesures de protection, voire les déménager. Elles soutiennent également vouloir obtenir une indemnité de 1'000'000 fr. en raison d'un préjudice commercial et moral (cf. ad II.2 du "corps de texte", p. 3).
Cela étant, les recourantes exposent aussi avoir fait valoir leur dommage devant le Tribunal régional de Neuchâtel le 14 août 2014 (requête en conciliation a priori pour 2'523'500 fr. [cf. "corps de texte, p. 54 et 63]), ouvert action le 16 août 2015 devant le Tribunal de commerce de Zurich et déposé le 7 décembre 2015 une action en responsabilité contre le canton de Neuchâtel (cf. p. 5 et 6 des mémoires de recours datés du 6 janvier 2016). Il n'est dès lors pas manifeste quelles seraient les conclusions civiles qu'elles feraient encore valoir dans le cadre de la procédure pénale (ATF 131 IV 195 consid. 1.2.2 p. 198; arrêt 1B_709/2011 du 9 juillet 2012 consid. 1.3.3 et l'arrêt cité). En particulier, elles ne soutiennent pas que le montant du dommage invoqué serait différent des conclusions prises dans les procédures civiles ou qu'elles demanderaient la différence entre le montant évoqué au cours de la procédure de conciliation et celui indiqué dans la présente cause. Elles relèvent au contraire que "le fait de reconnaître une ou plusieurs infractions pénales de la part des représentants de A.________ et/ou de l'État de Neuchâtel permettra sans aucun doute de démontrer au niveau civil les actes illicites et les fautes commises" (cf. le second mémoire déposé le 6 janvier 2016, p. 5). Les recourantes ne fournissent pas non plus d'explication en lien avec le préjudice commercial ou le tort moral allégués subis. L'hypothèse du premier est d'ailleurs fortement douteuse pour une société déjà en liquidation; quant au second, on ne voit pas, faute de toute explication, quelle pourrait être l'atteinte objectivement grave ressentie par les deux personnes morales recourantes et qui justifierait une réparation à ce titre (sur cette notion, cf. arrêt 6B_98/2015 du 23 juin 2016 consid. 3.2.1 et les arrêts cités).
Les recourantes ne distinguent pas non plus leurs éventuelles prétentions en fonction des infractions dénoncées. Il est d'ailleurs douteux que la recourante Y.________ SA en liquidation puisse invoquer un éventuel dommage en lien avec les machines puisque la propriétaire de celles-ci paraît être X.________ SA.
Partant, faute d'explications permettant de comprendre quelles seraient les conclusions civiles que feraient valoir les deux sociétés recourantes par adhésion à la procédure pénale, la qualité pour recourir au Tribunal fédéral doit leur être déniée (art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF) et leur recours est donc irrecevable.
1.4. Indépendamment des conditions posées aux art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 et ch. 6 LTF - cette hypothèse n'entrant manifestement pas en considération en l'espèce -, la partie recourante est habilitée à se plaindre d'une violation de ses droits de partie équivalant en particulier à un déni de justice formel, sans toutefois pouvoir faire valoir par ce biais, même indirectement, des moyens qui ne peuvent être séparés du fond (ATF 141 IV 1 consid. 1.1 p. 5).
Les recourantes ne font valoir aucune violation de leurs droits de partie au sens des principes ci-dessus. En effet, sous couvert d'une constatation manifestement inexacte des faits et de violation de leur droit d'être entendus, les recourants font grief à l'autorité précédente de ne pas avoir pris en compte des éléments de fait qui, selon eux, auraient dû la conduire à une autre appréciation des faits et éléments de preuve figurant au dossier. Dans la mesure où les recourants entendent ainsi établir le fondement de leurs accusations, ces griefs ne peuvent être séparés du fond et ne sauraient par conséquent fonder leur qualité pour recourir sous l'angle de la violation de leurs droits procéduraux.
Au demeurant, il ne suffit pas de substituer sa propre appréciation des faits (cf. notamment le second mémoire du 6 janvier 2016 p. 12 ss) pour démontrer qu'une décision serait arbitraire, notamment quant à son résultat (sur ces notions, ATF 140 I 201 consid. 6.1 p. 205). En particulier, il ne peut être reproché à la cour cantonale de n'avoir pas relevé les courriers des recourants de janvier et février 2010, écritures qui démontreraient le refus de A.________ de leur octroyer un droit d'accès à leurs machines (cf. ad 10 de l'écriture susmentionnée, p. 14). En effet, la juridiction précédente n'a pas ignoré cette situation, puisqu'elle a mentionné à cet égard le courrier électronique du mandataire de la bailleresse du 21 janvier 2010 faisant état d'un refus de laisser les locataires accéder aux locaux (cf. consid. 2 p. 8 de l'arrêt entrepris); elle a ensuite poursuivi son raisonnement en indiquant que les recourants avaient toutefois pu s'y rendre en mars 2010, ce que ces derniers ne contestent en soi pas.
Les recourants se plaignent encore d'une violation de l'art. 427 al. 2 CPP et demandent l'annulation ou la réduction des frais judiciaires de la procédure devant le procureur. Dans la mesure où il s'agirait d'un droit de partie, les recourants ne développent cependant aucune argumentation y relative dans les deux mémoires datés du 6 février 2016. Ce faisant, ils ne démontrent pas de manière conforme à leurs obligations en matière de motivation en quoi l'arrêt attaqué viole le droit (cf. art. 42 al. 2 LTF; ATF 140 III 86 consid. 2 p. 88 ss). Par conséquent, un tel grief est irrecevable.
Il s'ensuit que le recours est également irrecevable sous cet angle.
2. Les trois recourants ont requis l'octroi de l'assistance judiciaire (art. 64 al. 1 LTF). Cependant, les conclusions de leur recours étaient dépourvues de chances de succès et cette requête doit être rejetée; cela vaut d'autant plus que deux des recourants sont des personnes morales qui ne sauraient prétendre à l'assistance judiciaire (ATF 131 II 306 consid. 5.2.1 et 5.2.2 p. 326 s.; arrêt 6B_1062/2014 du 18 septembre 2015 consid. 2). Les recourants supportent donc solidairement les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est irrecevable.
2. La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
3. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
4. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à l'Autorité de recours en matière pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel.
Lausanne, le 21 juillet 2016
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
La Juge présidant : Jacquemoud-Rossari
La Greffière : Kropf