BGer 5A_981/2015
 
BGer 5A_981/2015 vom 12.04.2016
{T 0/2}
5A_981/2015
 
Arrêt du 12 avril 2016
 
IIe Cour de droit civil
Composition
MM. les Juges fédéraux von Werdt, Président,
Marazzi, Herrmann, Schöbi et Bovey.
Greffière : Mme de Poret Bortolaso.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Cristobal Orjales, avocat,
recourante,
contre
Vice-président du Tribunal civil de la République et canton de Genève, place du Bourg-de-Four 3, 1204 Genève,
intimé.
Objet
assistance judiciaire (récusation d'un expert, immissions),
recours contre la décision du Vice-président de la Cour de justice de la République et canton de Genève
du 4 novembre 2015.
 
Faits :
 
A.
A.a. Le 16 avril 2010, alléguant souffrir de nuisances et d'immissions excessives, A._______ a introduit devant le Tribunal de première instance de la République et canton de Genève (ci-après: le Tribunal) une action confessoire et en paiement contre sa voisine, B.________.
A.________ plaidait au bénéfice de l'assistance judiciaire.
A.b. Par jugement du 4 septembre 2012, le Tribunal a débouté la recourante de toutes ses conclusions.
La Cour de justice a annulé ce jugement le 7 juin 2013 et renvoyé la cause au Tribunal pour instruction complémentaire au sujet des immissions alléguées par l'intéressée et nouvelle décision.
A.c. Par ordonnance du 8 juillet 2014, le Tribunal a désigné C.________ en qualité d'expert en vue d'établir un rapport sur les aspects techniques liés aux immissions alléguées. Dans ce cadre, le Tribunal a notamment confié pour mission à l'expert de répondre à diverses questions après avoir pris connaissance de l'ensemble du dossier ainsi que de tous documents utiles remis directement par les parties à première réquisition, procédé à l'audition contradictoire des parties si nécessaire et s'être entouré de tous autres renseignements utiles. L'expert s'est également vu expressément assigner comme tâche de concilier les parties.
A.d. L'expert s'est rendu sur les lieux concernés à deux reprises, les 9 décembre 2014 et 7 janvier 2015.
A.e. Par courriel du 24 décembre 2014, A._______ a sollicité de l'expert qu'il constate divers problèmes en se rendant une nouvelle fois sur les lieux et qu'il requière de son adverse partie le constat établi par Me D.________, huissier judiciaire, en date du 1er septembre 2008.
A.f. Le 9 janvier 2015, l'expert a fait parvenir aux parties un exemplaire visé " provisoire " de son rapport d'expertise en s'enquérant d'une possible démarche de conciliation.
B.________ lui a transmis une copie du constat d'huissier susmentionné.
A.g. Le 19 janvier 2015, A.________ a sollicité la récusation de l'expert.
Elle a ensuite refusé, le 24 janvier 2015, que l'expert se rende à son domicile pour comparer l'état des fissures actuelles avec celles décrites dans le constat établi par l'huissier, lui sommant de ne plus reprendre contact avec elle.
A.h. Les conclusions du rapport d'expertise " définitif ", parvenues au Tribunal le 28 janvier 2015, sont identiques à celles transmises provisoirement par l'expert aux parties.
A.i. Par jugement du 15 juillet 2015, le Tribunal a rejeté la requête de récusation.
B. Le 31 juillet 2015, A.________ a sollicité une extension de l'assistance juridique pour recourir contre le jugement du 15 juillet 2015.
Par décision du 12 août 2015, le Vice-président du Tribunal a rejeté la requête d'extension de l'assistance juridique précitée.
Statuant sur le recours de A.________ le 4 novembre 2015, le Vice-président de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: le Vice-président) l'a rejeté.
C. Agissant le 10 décembre 2015 par la voie du recours en matière civile au Tribunal fédéral, A.________ (ci-après: la recourante) conclut préalablement à ce qu'elle soit mise au bénéfice de l'assistance judiciaire dans le cadre de la procédure fédérale; elle réclame principalement l'annulation de la décision querellée et l'extension de l'assistance judiciaire à la procédure de recours contre le jugement rejetant sa requête de récusation; subsidiairement, elle sollicite le renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision. La recourante invoque l'établissement manifestement inexact des faits ainsi que la violation des art. 29 al. 3 Cst. et 117 let. b CPC.
Des déterminations n'ont pas été demandées.
D. Le délai imparti à la recourante par la Chambre civile de la Cour de justice de la République et canton de Genève pour s'acquitter de l'avance de frais relative à la procédure de recours introduite contre le jugement rendu le 15 juillet 2015 par le Tribunal de première instance a été suspendu pour la durée de la procédure fédérale par ordonnance présidentielle du 11 janvier 2016.
 
Considérant en droit :
 
Erwägung 1
1.1. Le refus de l'assistance judiciaire constitue une décision incidente susceptible de causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF; ATF 139 V 600 consid. 2; 133 IV 335 consid. 4; 129 I 281 consid. 1.1), notamment lorsque, comme en l'espèce, une avance de frais doit être fournie dans un court délai (ATF 126 I 207 consid. 2a; arrêt 5A_811/2015 du 16 décembre 2015 consid. 2.1).
1.2. En vertu du principe de l'unité de la procédure (ATF 134 V 138 consid. 3), la voie de recours contre une décision incidente est déterminée par le litige principal (ATF 135 I 265 consid. 1.2). Le refus d'assistance judiciaire a été prononcé dans le cadre d'une procédure incidente de récusation, elle-même initiée dans le contexte d'une action confessoire et en paiement. La cause est ainsi de nature civile (art. 72 al. 1 LTF) et pécuniaire (art. 74 al. 1 LTF). Dès lors que, par son action au fond, la recourante réclame à sa voisine le paiement d'un montant de 200'000 fr., il convient d'admettre que la valeur litigieuse minimale est atteinte (art. 74 al. 1 let. b LTF). La décision a été rendue sur recours, par le tribunal supérieur du canton (art. 75 LTF) et l'écriture a été déposée à temps (art. 100 al. 1 LTF), par la partie qui a succombé dans ses conclusions devant l'autorité précédente (art. 76 al. 1 LTF). Le recours est donc en principe recevable.
2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF); il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été constatés de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influencer le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). La partie recourante qui soutient que les faits ont été établis d'une manière manifestement inexacte (art. 97 al. 1 LTF), à savoir arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 137 III 268 consid. 1.2 p. 278), doit démontrer, par une argumentation précise, en quoi consiste la violation (art. 106 al. 2 LTF; ATF 134 II 244 consid. 2.2 p. 246).
 
Erwägung 3
3.1. En vertu de l'art. 117 CPC - qui concrétise les principes que le Tribunal fédéral a dégagés de l'art. 29 al. 3 Cst. (ATF 138 III 217 consid. 2.2.3 p. 218 et les références) - une personne a droit à l'assistance judiciaire si elle ne dispose pas de ressources suffisantes (let. a) et si sa cause ne paraît pas dépourvue de toute chance de succès (let. b). De jurisprudence constante, un procès est dépourvu de chances de succès lorsque les perspectives de le gagner sont notablement plus faibles que les risques de le perdre, et ne peuvent donc être considérées comme sérieuses; en revanche, il ne l'est pas lorsque les chances de succès et les risques d'échec s'équilibrent à peu près ou que les premières n'apparaissent que légèrement inférieures aux secondes (ATF 138 III 217 consid. 2.2.4 p. 218). Ce qui est déterminant est de savoir si une partie, qui dispose des ressources financières nécessaires, se lancerait ou non dans le procès après une analyse raisonnable, en fonction des seules chances de succès et de façon objective. Une partie ne doit ainsi pas pouvoir mener un procès qu'elle ne conduirait pas à ses frais, uniquement parce qu'il ne lui coûte rien. Cette évaluation doit s'opérer en fonction des circonstances existant à la date du dépôt de la requête et sur la base d'un examen sommaire (ATF 138 III 217 consid. 2.2.4 p. 218; 133 III 614 consid. 5 p. 616 et les références).
3.2. Aux termes de l'art. 404 al. 1 CPC, les procédures en cours à l'entrée en vigueur de la présente loi sont régies par l'ancien droit de procédure jusqu'à la clôture de l'instance. En l'espèce, la cause a été introduite en 2010 et est encore pendante devant la première instance, suite à un arrêt de renvoi de la Cour de justice du 7 juin 2013. C'est donc l'ancien droit qui s'y applique (arrêt 4A_641/2011 du 27 janvier 2012 consid. 2.2); de même, c'est l'ancien droit de procédure cantonal qui s'applique à la requête incidente de récusation présentée par la recourante (TAPPY, in Bohnet et al. (éd.), Code de procédure civile commenté, 2011, n. 21 ad art. 404 CPC; cf. arrêts 4A_311/2012 du 28 juin 2012 consid. 2.1; 4A_34/2012 du 23 février 2012 consid. 2.1 [arrêts concernant une procédure incidente d'assistance judiciaire]).
3.2.1. Selon l'art. 258 al. 1 de l'ancienne loi de procédure civile genevoise (ci-après: aLPC/GE), les causes de récusation des experts sont les mêmes que celles des juges. La disposition renvoie ainsi aux art. 84 ss de l'ancienne loi sur l'organisation judiciaire genevoise (ci-après: aLOJ/GE). L'art. 91 aLOJ/GE prévoit la récusation du juge s'il a manifesté son avis avant le temps d'émettre son opinion pour le jugement (let. e). Cette disposition n'offre pas de garanties procédurales plus étendues que l'art. 29 al. 1 Cst. (arrêt 5A_431/2008 du 17 octobre 2008 consid. 4.1), étant précisé que, dès lors que l'expert ne fait pas partie du tribunal, sa récusation ne s'examine pas au regard de l'art. 30 al. 1 Cst. mais sous l'angle de l'art. 29 al. 1 Cst. garantissant l'équité du procès (ATF 125 II 541 consid. 4a p. 544). S'agissant des exigences d'impartialité et d'indépendance requises d'un expert, cette disposition assure toutefois au justiciable une protection équivalente à celle de l'art. 30 al. 1 Cst. (ATF 127 I 196 consid. 2b p. 198), qui a, de ce point de vue, la même portée que l'art. 6 § 1 CEDH (ATF 138 I 1 consid. 2.2; 134 I 20 consid. 4.2). La jurisprudence rendue en application de cette norme reste ainsi pertinente (arrêts 4A_3/2012 du 27 juin 2012 consid. 2.3; 5A_109/2012 du 3 mai 2012 consid. 3.1, avec les citations).
3.2.2. Les dispositions précitées permettent aux parties d'exiger la récusation d'un expert dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Ces garanties tendent notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elles n'imposent pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective est établie, car une disposition interne de l'expert ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale. Seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 138 I 1 consid. 2.2; 137 I 227 consid. 2.1; 136 III 605 consid. 3.2.1; 136 I 207 consid. 3.1 p. 210; 134 I 20 consid. 4.2 p. 21).
3.3. Le Vice-président de la Cour de justice a estimé que le refus de récuser l'expert judiciaire semblait a priori fondé, de sorte qu'un recours contre cette décision paraissait dépourvu de chances de succès: c'était ainsi à bon droit que l'extension de l'assistance juridique avait été refusée à la recourante.
Pour fonder cette conclusion, le Vice-président a considéré que la seule circonstance que l'expert eût transmis aux parties une version visée " provisoire " de son rapport en vue de tenter de les concilier n'autorisait pas à le croire incapable d'agir avec la neutralité voulue. L'autorité précédente a relevé que la tâche principale de l'expert consistait à se prononcer sur les immissions alléguées par la recourante. Il avait donc procédé à des constatations sur ces points et conclu que la maison de la voisine de la recourante n'occasionnait pas de gêne supplémentaire par rapport à la gêne " normale " due à une construction édifiée en limite de propriété. Quand bien même la rédaction du rapport provisoire était susceptible d'évoluer en fonction des éventuelles discussions entre les parties et l'expert, cela ne signifiait pas pour autant que, à l'issue de l'éventuelle tentative de conciliation, celui-ci aurait modifié ses conclusions relatives aux immissions alléguées. L'on ne se trouvait pas en effet, à première vue, dans une situation où l'expert se serait prononcé de manière prématurée, sans avoir procédé aux constats requis et sans s'être entouré des renseignements nécessaires. En définitive, le rapport aurait uniquement pu être modifié afin de tenir compte des résultats de la tentative de conciliation.
3.4. La recourante invoque l'établissement arbitraire des faits ainsi que la violation des art. 29 al. 3 Cst. et 117 let. b CPC.
3.4.1. Elle soutient d'abord que, contrairement à ce que retenait arbitrairement la cour cantonale, le rapport provisoire établi par l'expert n'avait pas été réalisé en procédant aux constats requis et en s'entourant des renseignements nécessaires. Selon la recourante, l'expert n'aurait ainsi pas examiné la question des fissures, alors qu'il s'agissait pourtant de l'un des objets de sa mission; il n'aurait pas demandé le constat d'huissier décisif dont disposait sa voisine, B.________; l'expert aurait enfin expressément réservé l'intervention d'un géophysicien pour établir plus précisément ce point, la recourante soulignant à ce dernier égard qu'il était pourtant requis de s'associer les compétences de professionnels d'autres branches dans la mesure qu'il estimerait nécessaire. La recourante en déduit que l'impartialité et l'indépendance de l'expert étaient compromises et que sa récusation devait être prononcée dès lors que, sauf à se dédire, il ne pouvait manifestement plus s'écarter de l'opinion consignée provisoirement, pourtant fondée sur des données incomplètes (art. 29 al. 1 Cst.). Elle affirme par ailleurs que le seul fait d'avoir exprimé son avis avant d'émettre son opinion finale constituait un cas de récusation couvert par l'art. 91 let. e aLOJ/GE. La recourante en conclut que, contrairement à ce que retenait le juge cantonal, son recours contre la décision rejetant sa requête de récusation n'était ainsi pas voué à l'échec et l'assistance judiciaire aurait dû lui être octroyée. Le juge cantonal avait violé les art. 29 al. 3 Cst. et 117 CPC en refusant de lui en accorder le bénéfice.
3.4.2. Les critiques formulées par la recourante tombent à faux.
Dans son rapport définitif du 28 janvier 2015, l'expert a indiqué avoir entre-temps pris connaissance du constat établi par huissier judiciaire, constat qui ne concernait cependant que l'état extérieur des façades et non l'état intérieur de la maison de la recourante. S'agissant précisément de celui-là, l'expert a relevé ne pas avoir pu comparer l'état actuel des fissures avec celui relevé dans ce dernier rapport, faute d'obtenir de rendez-vous pour ce faire, la recourante s'y opposant. L'expert a ainsi expressément mentionné que cette question restait en suspens. Quant à l'état intérieur de la maison, il a rappelé, comme il l'avait déjà indiqué dans son rapport provisoire que, faute de disposer d'un rapport d'huissier sur ce point, il n'était pas en mesure de comparer l'état actuel à celui prévalant avant le début des travaux effectués par B.________; l'expert a pris soin de souligner que, à défaut d'un tel rapport, les compétences d'un géophysicien seraient nécessaires pour déterminer l'origine et l'âge des fissures constatées. Vu l'importance de la mission qui serait confiée à celui-ci et celle du budget qui devrait lui être alloué, la décision de le mandater ne lui appartenait cependant pas. L'on ne peut ainsi à l'évidence déduire des éclaircissements qui précèdent qu'en établissant son rapport provisoire, l'expert se serait exprimé en se fondant sur des données lacunaires, en tant qu'il a justement spécifié dans ce rapport, puis rappelé dans son rapport définitif, que la problématique des fissures nécessitait un approfondissement, qu'il n'avait pu effectuer suite au refus de la recourante (fissures extérieures) ou n'était pas en mesure de réaliser (fissures intérieures). Aucun arbitraire dans l'établissement des faits ne peut ainsi être reproché au juge cantonal. De surcroît, en tant que l'expert n'a pas émis d'avis concret sur cette dernière question, l'on ne saisit pas en quoi son impartialité pourrait être compromise. L'on ne peut par ailleurs soutenir que le simple fait d'avoir rendu un rapport provisoire et d'avoir ainsi exprimé un premier avis constituerait une cause de récusation, étant explicitement retenu, sans contestations efficaces de la recourante sur ce point, que le rapport provisoire devait servir de base de discussion à une éventuelle conciliation des parties, les modifications à constater entre les deux rapports devant ainsi être fonction des pourparlers entre celles-ci et l'expert.
3.5. Vu ce qui précède, il faut admettre, avec l'instance précédente, que le recours formé par la recourante contre la décision de première instance rejetant sa requête de récusation paraît de prime abord voué à l'échec. C'est ainsi à juste titre que le juge cantonal a refusé de lui octroyer le bénéfice de l'assistance judiciaire.
4. Le présent recours étant manifestement voué à l'échec, la requête d'assistance judiciaire de la recourante doit être rejetée (art. 64 al. 1 LTF) et les frais mis à sa charge. Aucun dépens n'est attribué à l'autorité intimée (art. 68 al. 3 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté.
2. La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
3. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
4. Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Vice-président de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 12 avril 2016
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : von Werdt
La Greffière : de Poret Bortolaso