BGer 5A_36/2016
 
BGer 5A_36/2016 vom 29.03.2016
{T 0/2}
5A_36/2016
 
Arrêt du 29 mars 2016
 
IIe Cour de droit civil
Composition
MM. les Juges fédéraux von Werdt, Président,
Marazzi et Bovey.
Greffière : Mme Mairot.
Participants à la procédure
A.A.________,
représentée par Me Mireille Loroch, avocate,
recourante,
contre
B.A.________,
représenté par Me José Coret, avocat,
intimé.
Objet
mesures provisionnelles (divorce),
recours contre l'arrêt du Juge délégué de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 26 novembre 2015.
 
Faits :
 
A.
A.a. B.A.________, né en 1959, et A.A.________, née en 1960, se sont mariés en 1988. Trois enfants, aujourd'hui majeurs, sont issus de cette union: C.________, née en 1988, D.________, né en 1989, et E.________, né en 1995.
Les conjoints vivent séparés depuis l'été 2010. Leur séparation a d'abord été régie par prononcé de mesures protectrices de l'union conjugale du 19 juillet 2010.
A.b. Le 24 août 2012, l'épouse a déposé une demande unilatérale en divorce auprès du Tribunal civil de l'arrondissement de La Côte.
Par ordonnance de mesures provisionnelles rendue le 4 juin 2013, le Président du Tribunal civil de l'arrondissement de La Côte a notamment condamné le mari à contribuer à l'entretien des siens par le versement d'une pension de 8'100 fr. par mois, éventuelles allocations familiales en sus, dès et y compris le 1er décembre 2012.
Par arrêt du 1er novembre 2013, le Juge délégué de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal vaudois a modifié cette ordonnance en ce sens que le montant de dite contribution a été réduit à 7'600 fr.
Par courrier signé les 13 et 19 octobre 2014, les trois enfants majeurs des parties se sont adressés à leurs parents afin notamment de dénoncer la pension de 7'600 fr. qui continuait à être payée par leur père en faveur de leur mère et de E.________, sollicitant qu'un montant égal leur soit versé à chacun pour poursuivre leurs études et que la contribution pour leur mère soit recalculée de manière séparée.
A.c. Par requête de mesures provisionnelles déposée le 9 décembre 2014 auprès du Tribunal civil de l'arrondissement de La Côte, le mari a conclu à ce qu'il soit dit que dès le 1er décembre 2014, il n'est plus tenu de contribuer à l'entretien de l'épouse. Subsidiairement, il a sollicité que dès cette même date, la contribution à l'entretien de celle-ci soit fixée à 1'000 fr. par mois.
L'épouse a conclu au rejet de la requête par procédé écrit du 27 janvier 2015.
Les parties ont chacune déposé des plaidoiries écrites dans le délai fixé à cet effet. Dans son écriture, l'épouse a pris des conclusions reconventionnelles tendant à ce que, dès le 1er mars 2015, le mari soit astreint à contribuer à son entretien par le versement d'un montant de 8'250 fr. par mois. Le mari a retiré la conclusion subsidiaire qu'il avait prise dans sa requête du 9 décembre 2014.
 
B.
B.a. Par ordonnance de mesures provisionnelles du 31 juillet 2015, le Président du Tribunal civil de l'arrondissement de La Côte a condamné le mari à verser à l'épouse une contribution d'entretien mensuelle de 5'000 fr. dès et y compris le 1er décembre 2014 (I), mis les frais judiciaires, arrêtés à 400 fr., par 200 fr. à la charge de chacune des parties (II), condamné l'intimée à restituer au requérant son avance de frais à concurrence de 200 fr. (III), compensé les dépens (IV) et rejeté toutes autres ou plus amples conclusions (V).
B.b. Par acte du 13 août 2015, le mari a fait appel de l'ordonnance précitée, concluant à sa réforme en ce sens qu'il n'est plus astreint à contribuer à l'entretien de l'épouse dès le 1er décembre 2014. Le même jour, celle-ci a également interjeté appel, concluant principalement à la réforme de l'ordonnance en ce sens que le mari est condamné à lui verser mensuellement une contribution d'entretien de 8'769 fr. du 1er décembre 2014 au 28 février 2015 et de 7'770 fr. à compter du 1er mars 2015.
Par arrêt du 26 novembre 2015, notifié en expédition complète le 17 décembre 2015, le Juge délégué de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal vaudois a rejeté l'appel du mari (I) et a partiellement admis celui de l'épouse (Ibis). Statuant à nouveau, il a condamné le mari à contribuer à l'entretien de l'épouse par le versement d'une pension d'un montant de 6'815 fr. par mois dès et y compris le 1er décembre 2014, 6'065 fr. par mois dès et y compris le 1er mars 2015 et 5'315 fr. par mois dès et y compris le 1er avril 2015, l'ordonnance querellée étant maintenue pour le surplus (II).
Le Juge délégué de la Cour d'appel civile a retenu que le salaire mensuel net du mari était de 15'482 fr. et ses charges de 5'037 fr., à savoir son minimum vital par 850 fr. (1'700 fr. / 2), son loyer par 2'000 fr. (part afférente à sa compagne déduite), sa prime d'assurance-maladie par 383 fr. 40, sa prime troisième pilier par 514 fr. 60 et ses impôts par 1'289 fr. Quant aux charges non contestées de l'épouse - actuellement en recherche d'emploi -, elles ont été arrêtées à 4'682 fr. 30 par mois, soit son minimum vital par 1'350 fr., les intérêts hypothécaires de la villa par 1'254 fr. 45, l'électricité par 195 fr. 85, le gaz par 227 fr. 50, l'eau chaude (y compris entretien chaudière) par 66 fr. 35, sa prime d'assurance-maladie par 580 fr. 65, ses frais de sport par 90 fr., sa prime d'assurance-vie par 117 fr. 50 et ses impôts par 800 fr.
La prise en charge effective des trois enfants majeurs des parties par le père justifiait que l'essentiel du solde disponible du couple (5'762 fr. 70) lui soit alloué, d'autant que sa capacité contributive lui permettait à la fois de verser ces montants (1'500 fr. par enfant, soit 4'500 fr. au total) et d'assumer l'entretien convenable de l'épouse. La répartition effectuée par le premier juge devait toutefois être légèrement modifiée afin que chacune des parties dispose, après paiement des charges et pensions précitées, d'un solde équivalent. La contribution d'entretien mensuelle en faveur de l'épouse pouvait ainsi être arrêtée en équité à 5'315 fr. par mois (5'315 fr. - 4'682 fr. 30 = 632 fr. 70; 10'445 fr.- 5'315 fr. - 4'500 fr. = 630 fr.), du moins dès le 1er avril 2015. L'instruction avait en effet montré que le père versait la pension de 1'500 fr. à C.________ depuis 2014, à E.________ depuis mars 2015 et à D.________ depuis avril 2015 seulement. Il se justifiait de répercuter équitablement cet élément dans la fixation de la contribution en faveur de l'épouse pour la période concernée, dite pension pouvant être arrêtée à 6'815 fr. jusqu'en février 2015, 6'065 fr. pour le mois de mars 2015 et 5'315 fr. dès le 1er avril 2015.
C. Par acte posté le 18 janvier 2016, l'épouse exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 26 novembre 2015. Elle conclut à l'admission de son recours et à la réforme du chiffre II du dispositif de l'arrêt entrepris en ce sens que l'intimé contribuera à son entretien par le régulier versement d'une pension de 7'550 fr. dès le 1er décembre 2014, et de 6'850 fr. dès le 1er mars 2015. Subsidiairement, elle sollicite le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Des observations n'ont pas été requises.
 
Considérant en droit :
1. Le présent recours a été interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans la forme légale (art. 42 LTF), contre une décision finale (art. 90 LTF; ATF 134 III 426 consid. 2.2; 133 III 393 consid. 4) prise en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par l'autorité supérieure du canton statuant en dernière instance et sur recours (art. 75 al. 1 et 2 LTF). Le litige porte sur une affaire pécuniaire dont la valeur litigieuse requise est atteinte (art. 51 al. 1 et 4, 74 al. 1 let. b LTF). La recourante a en outre qualité pour recourir (art. 76 al. 1 let. a et b LTF).
 
Erwägung 2
2.1. Dès lors que la décision attaquée porte sur des mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF (ATF 133 III 393 consid. 5.1, 585 consid. 3.3), seule peut être dénoncée la violation de droits constitutionnels. Le Tribunal fédéral n'examine de tels griefs que s'ils ont été invoqués et motivés (" principe d'allégation ", art. 106 al. 2 LTF), à savoir expressément soulevés et exposés de manière claire et détaillée (ATF 139 I 22 consid. 2.2; 137 III 580 consid. 1.3; 135 III 232 consid. 1.2; 134 I 83 consid. 3.2 et les arrêts cités). Le recourant qui se plaint de la violation d'un droit fondamental ne peut donc se borner à critiquer la décision attaquée comme il le ferait en instance d'appel, où l'autorité de recours jouit d'une libre cognition; il ne peut, en particulier, se contenter d'opposer sa thèse à celle de l'autorité cantonale, mais doit démontrer ses allégations par une argumentation précise (ATF 134 II 349 consid. 3; 133 II 396 consid. 3.2). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 140 II 264 consid. 2.3; 139 II 404 consid. 10.1 et les arrêts cités). Il doit exister un lien entre la motivation du recours et la décision attaquée. Le recourant doit se déterminer par rapport aux considérants de l'arrêt entrepris; il ne peut se contenter de reprendre presque mot pour mot l'argumentation formée devant l'autorité cantonale (ATF 134 II 244 consid. 2.1 et 2.3). Par ailleurs, lorsque la décision attaquée se fonde sur plusieurs motivations indépendantes, alternatives ou subsidiaires, toutes suffisantes, le recourant doit, sous peine d'irrecevabilité, démontrer que chacune d'entre elles est contraire au droit en se conformant aux exigences de motivation requises (ATF 138 I 97 consid. 4.1.4; 133 IV 119 consid. 6.3).
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Dans l'hypothèse d'un recours soumis à l'art. 98 LTF, une rectification ou un complètement de l'état de fait n'entre en considération que si l'autorité précédente a violé des droits constitutionnels, les art. 95, 97 et 105 al. 2 LTF ne s'appliquant pas directement (ATF 133 III 393 consid. 7.1, 585 consid. 4.1). Toutefois, l'application de l'art. 9 Cst. aboutit pratiquement au même résultat: le Tribunal fédéral ne corrige les constatations de fait que si elles sont arbitraires et ont une influence sur le résultat de la décision.
3. Précisant d'emblée qu'en l'état, elle ne contestait pas la contribution d'entretien versée à E.________, la recourante reproche premièrement à l'autorité cantonale d'avoir arbitrairement (art. 9 Cst.) violé l'art. 277 al. 2 CC en considérant que les montants mensuels de 1'500 fr. prétendument avancés - sur une base exclusivement volontaire - par l'intimé aux deux enfants aînés du couple devaient être pris en compte dans la détermination de la contribution d'entretien due en sa faveur. En ayant omis de procéder à l'examen in concreto des conditions d'application de l'art. 277 al. 2 CC, l'autorité précédente avait vidé cette disposition de sa substance. Si elle avait tenu compte de la situation concrète de C.________ et D.________, elle n'aurait pu qu'aboutir au constat que dites conditions d'application n'étaient pas remplies et que tant C.________ que D.________ n'avaient plus droit à une contribution d'entretien de la part de leurs parents.
Ce faisant, comme en appel, la recourante perd de vue que la somme de 1'500 fr. versée à chacun des deux enfants aînés du couple par l'intimé n'a pas été prise en compte dans les charges de ce dernier, mais exclusivement dans l'allocation du solde disponible. Or la recourante n'allègue pas, ni a fortiori ne démontre de manière conforme aux exigences de motivation sus-rappelées (cf. supra consid. 2.1), que l'absence de répartition par moitié de l'excédent l'empêche de maintenir le train de vie mené jusqu'à la cessation de la vie commune, lequel constitue la limite supérieure du droit à l'entretien (ATF 121 I 97 consid. 3b; 118 II 376 consid. 20b et les références). Elle n'explique pas non plus en quoi il serait insoutenable de considérer que l'entretien d'enfants majeurs - entretien dont le versement effectif et régulier est avéré vu notamment les déclarations faites en audience par les intéressés - constitue une circonstance importante justifiant de s'écarter de la règle générale de la répartition par moitié de l'excédent (ATF 119 II 314 consid. 4b/bb). Dans ces conditions, l'on ne saurait considérer que l'autorité cantonale a appliqué l'art. 277 al. 2 CC de manière arbitraire, la jurisprudence exigeant uniquement que les frais d'entretien de l'enfant majeur découlant de cette disposition ne soient pas inclus sans autre considération dans le minimum vital élargi du débirentier (ATF 132 III 209 consid. 2.3; arrêt 5A_823/2014 du 3 février 2015 consid. 5.4), ce qui en l'occurrence a été respecté.
Pour le surplus, force est de constater que la motivation présentée par la recourante, en tant qu'elle tend à démontrer que les conditions d'application de l'art. 277 al. 2 CC ne sont pas réunies, consiste en la reprise mot pour mot de son mémoire d'appel. La recourante ne s'en prend par ailleurs pas aux différents pans du raisonnement du Juge délégué. Ainsi, elle ne dit mot sur le critère de l'intérêt des enfants d'achever leurs formations et d'obtenir les diplômes leur permettant de gagner leur vie, ni sur le constat que les montants litigieux ont le triple avantage d'être identiques pour chaque enfant, de ne pas entamer la couverture des charges personnelles supportées par chacune des parties et d'inciter les enfants à se procurer les ressources nécessaires complémentaires indispensables au paiement de leurs charges. Elle ne se prononce pas non plus sur l'argument du juge précédent consistant à dire que même si l'art. 277 CC n'imposait pas un devoir d'entretien, l'art. 328 CC ou même un devoir moral pourrait entrer en ligne de compte. Dans cette mesure, le recours ne répond dès lors pas aux exigences de motivation applicables en l'espèce (cf. supra consid. 2.1).
Autant que recevable, le grief doit être rejeté.
4. Pour le cas où il devrait être considéré que C.________ et D.________ ont chacun droit à une pension mensuelle de 1'500 fr. de la part de l'intimé, la recourante fait valoir une violation arbitraire de l'art. 176 CC en tant que la cour cantonale ne pouvait prendre en compte cette pension dans le calcul de la contribution d'entretien due en sa faveur, celle-ci primant les contributions d'entretien versées à des enfants majeurs.
4.1. L'obligation d'entretien du conjoint l'emporte sur celle de l'enfant majeur. Ce principe a été posé pour régler les situations dans lesquelles la capacité contributive de l'époux débirentier n'est pas suffisante pour couvrir à la fois les prétentions du conjoint et celles des enfants majeurs (arrêt 5A_823/2014 du 3 février 2015 consid. 5.4). Les frais d'entretien de l'enfant majeur découlant de l'art. 277 al. 2 CC ne doivent dès lors pas être inclus sans autre considération dans le minimum vital élargi du débirentier (ATF 132 III 209 précité; arrêt 5A_823/2014 précité). Cette jurisprudence vaut également en matière de mesures provisionnelles (ATF 132 III 209 précité) et de mesures protectrices (arrêt 5P.384/2002 du 17 décembre 2002 consid. 2.1).
4.2. Une fois encore, la recourante perd de vue que les pensions de 1'500 fr. versées aux enfants majeurs du couple n'ont pas été intégrées aux charges de l'intimé. Quoi qu'il en soit, ce dernier dispose à l'évidence des ressources nécessaires pour subvenir tant aux besoins de son épouse qu'à l'entretien de ses enfants majeurs.
Infondé, le grief doit être rejeté.
5. En définitive, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, aux frais de la recourante (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'accorder des dépens à l'intimé, qui n'a pas été invité à répondre (art. 68 al. 1 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'500 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3. Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Juge délégué de la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 29 mars 2016
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : von Werdt
La Greffière : Mairot