BGer 6B_94/2015
 
BGer 6B_94/2015 vom 24.09.2015
{T 0/2}
6B_94/2015
 
Arrêt du 24 septembre 2015
 
Cour de droit pénal
Composition
M. et Mmes les Juges fédéraux Denys, Président, Jacquemoud-Rossari et Jametti.
Greffière : Mme Kistler Vianin.
Participants à la procédure
X.________, représenté par Me Georges Schaller, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de la République et canton de Neuchâtel, rue du Pommier 3, 2000 Neuchâtel,
intimé.
Objet
Mesure thérapeutique institutionnelle (art. 59 al. 2 CP),
recours contre le jugement de la Cour pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel du 2 décembre 2014.
 
Faits :
A. Par jugement du 25 juin 2014, le Tribunal criminel du Littoral et du Val-de-Travers a reconnu X.________ coupable d'actes d'ordre sexuel avec un enfant (art. 187 ch. 1 CP). Il l'a condamné à une peine privative de liberté de 36 mois, dont 18 ferme, dont à déduire 336 jours de détention avant jugement, et 18 mois avec sursis durant trois ans. En application de l'art. 59 al. 2 CP, il a ordonné un traitement institutionnel en milieu ouvert.
B. Par jugement du 2 décembre 2014, la Cour pénale du Tribunal cantonal neuchâtelois a rejeté l'appel formé par X.________ et confirmé le jugement attaqué.
C. Contre ce dernier jugement, X.________ dépose un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral. Il conclut à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il confirme le prononcé d'un traitement institutionnel en application de l'art. 59 al. 2 CP; partant, il requiert, principalement, sa libération de toute mesure, subsidiairement, le prononcé d'un traitement ambulatoire au sens de l'art. 63 CP et, en tout état de cause, sa libération immédiate. En outre, il sollicite l'assistance judiciaire.
 
Considérant en droit :
1. Le recourant soutient que le sursis partiel, octroyé par le tribunal de première instance et non attaqué en appel par le Ministère public, empêche le prononcé d'un traitement institutionnel.
1.1. Il est exact que, selon la jurisprudence, sursis et mesures sont incompatibles. En effet, la mesure doit être de nature à écarter un risque de récidive et, partant, suppose qu'un tel risque existe (cf. par ex. art. 59 al. 1 CP). A l'inverse, l'octroi du sursis suppose que le juge n'ait pas posé un pronostic défavorable et, partant, qu'il ait estimé qu'il n'y avait pas de risque de récidive (ATF 135 IV 180 consid. 2.3; 134 IV 1 consid. 3.1; arrêts 6B_498/2011 du 23 janvier 2012 consid. 1.4; 6B_342/2010 du 8 juillet 2010 consid. 3.5; 6B_1048/2010 du 6 juin 2011 consid. 6.2; 6B_268/2008 du 2 mars 2009 consid. 6). Cette incompatibilité s'applique également en cas de sursis partiel au sens de l'art. 43 CP (arrêt 6B_141/2009 du 24 septembre 2009 consid. 1; SCHWARZENEGGER/HUG/JOSITSCH, Strafrecht II, Strafen und Massnahmen, 8e éd., 2007, p. 132). En effet, les conditions du sursis partiel sont les mêmes; il faut en particulier qu'un pronostic défavorable ne puisse pas être posé ( DUPUIS ET AL., Petit commentaire du Code pénal, 2012, n° 6 ad art. 43 CP).
1.2. En l'espèce, la cour cantonale n'a pas méconnu ces principes. Elle a admis que les premiers juges avaient commis une erreur en accordant un sursis partiel, tout en ordonnant une mesure. Elle a ainsi considéré que le risque de récidive était fondé et que le recourant n'aurait pas dû bénéficier d'un sursis partiel. En raison de l'interdiction de la reformatio in pejus, elle a toutefois renoncé à supprimer celui-ci. Le jugement cantonal ne souffre ainsi d'aucune contradiction dans sa motivation. Sur la base des éléments de fait constatés dans le jugement attaqué et de l'expertise, la cour de céans examinera si la mesure institutionnelle est fondée.
2. Le recourant soutient que l'expertise psychiatrique est incomplète. En se fondant sur une telle expertise, la cour cantonale aurait versé dans l'arbitraire (art. 9 Cst.) et porté atteinte à son droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.). Elle aurait également violé l'art. 189 CPP.
2.1. Savoir si une expertise est convaincante est une question d'interprétation des preuves (ATF 106 IV 97 consid. 2b p. 99 s.), que le Tribunal fédéral ne peut revoir que sous l'angle de l'arbitraire. Lorsque l'autorité cantonale juge l'expertise concluante et en fait sien le résultat, le Tribunal fédéral n'admet le grief d'appréciation arbitraire que si l'expert n'a pas répondu aux questions posées, si ses conclusions sont contradictoires ou si, d'une quelconque autre façon, l'expertise est entachée de défauts à ce point évidents et reconnaissables, même sans connaissances spécifiques, que le juge ne pouvait tout simplement pas les ignorer. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral de vérifier si toutes les affirmations de l'expert sont exemptes d'arbitraire; sa tâche se limite bien plutôt à examiner si l'autorité intimée pouvait, sans arbitraire, se rallier au résultat de l'expertise (arrêt 4A_543/2014 du 30 mars 2015 consid. 5 non publié in ATF 141 III 97; ATF 133 II 384 consid. 4.2.3 p. 391; 132 II 257 consid. 4.4.1 p. 269).
2.1.1. L'art. 189 CPP prévoit que la direction de la procédure peut, d'office ou à la demande d'une partie, ordonner un complément ou une clarification d'expertise, soit par l'expert mandaté, soit en désignant un nouvel expert, lorsque l'expertise est incomplète ou peu claire. Tel est notamment le cas lorsque l'expertise ne répond pas à toutes les questions posées, n'est pas fondée sur l'ensemble des pièces transmises à l'expert, fait abstraction de connaissances scientifiques actuelles ou ne répond pas aux questions de manière compréhensible ou logique ( JEANNERET/KUHN, Précis de procédure pénale, 2013, n° 13009).
2.1.2. Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti aux art. 3 al. 2 let. c CPP et 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuve pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 131 I 153 consid. 3 p. 157; 129 II 497 consid. 2.2 p. 505).
 
Erwägung 2.2
2.2.1. Le recourant se plaint du fait que l'expert n'a pas répondu aux questions qu'il a déposées le 14 août 2013. Dans ces questions, il faisait notamment valoir qu'il avait besoin d'éprouver des sentiments pour passer à l'acte, ce qui diminuerait, selon lui, le risque de récidive; or, d'après le recourant, l'expert n'aurait pas répondu à cette question.
Les questions du recourant, auxquelles l'expert n'aurait pas répondu, ont trait à l'évaluation du risque de récidive. Or, l'expert s'est prononcé de manière détaillée sur cette question. Dans son rapport intermédiaire d'expertise psychiatrique du 28 août 2013, il a indiqué les méthodes selon lesquelles le risque de récidive a été évalué et les critères qu'il a pris en considération (D 98). Il s'est également référé à l'état émotionnel de l'auteur et a précisé, en particulier, que le recourant n'avait pas commis de violence dans les actes qui lui étaient reprochés (D 98-99). Il a qualifié le risque de récidive d'élevé sur le long terme et de modéré sur le court et moyen terme (D 99). Dans son rapport final du 14 novembre 2013, il a exposé que le meilleur signe annonciateur du risque de récidive était la présence d'antécédents d'actes pédophiles, que le recourant n'avait pas pris conscience des conséquences négatives de ses actes sur ses victimes et que ses conditions de vie, qui montraient une absence de structure, constituaient un facteur de risque (D 164). Dans ses observations du 28 janvier 2014, l'expert a accusé réception du courrier du ministère public, par lequel ce dernier l'invitait à établir un rapport complémentaire répondant aux questions du recourant et à indiquer si les compléments transmis avec la présente conduisaient à des modifications de son rapport. Il a indiqué qu'il avait, à son avis, intégré dans son rapport final tous les aspects susceptibles d'influencer son rapport (D 217 ch. 4).
De la sorte, l'expert a clairement motivé les raisons qui l'ont conduit à retenir un risque de récidive. Il n'avait pas à discuter l'ensemble des points soulevés par le recourant, dans la mesure où ceux-ci n'étaient pas susceptibles de modifier son rapport (D 217 ch. 4). Le recourant ne démontre pas au demeurant que ces points étaient essentiels et qu'en omettant d'y répondre, l'expertise serait arbitraire. Dans cette mesure, le grief ne satisfait pas aux exigences de précision et de clarté posées à l'art. 106 al. 2 LTF. Il est irrecevable.
Le recourant reproche au ministère public d'avoir adopté un comportement contradictoire et arbitraire (art. 5 al. 3 et 9 Cst.). Celui-ci aurait invité l'expert à répondre aux questions du recourant, par courrier du 3 janvier 2014 (D 215), puis, il aurait considéré, par décision du 17 avril 2014, que le rapport d'expertise était complet (D 252). Ce reproche est infondé. Ce comportement n'a rien d'incohérent ni de contradictoire. Ne disposant pas des connaissances nécessaires pour juger de la portée de ces questions, le ministère public les a soumises à l'expert. A la lecture de la réponse du 28 janvier 2014 de l'expert, qui précisait qu'il avait tenu compte de tous les aspects susceptibles d'influencer son rapport (D 216-217), il a considéré, suivant en cela l'avis de l'expert, que le rapport d'expertise était complet.
Le recourant fait grief à la cour cantonale d'avoir apprécié, de manière anticipée, les réponses que l'expert aurait données à ses questions, en estimant que celles-ci n'auraient rien changé à la question du risque de récidive. Ce reproche est infondé. Les autorités d'instruction n'ont pas refusé d'administrer une preuve ou de transmettre les questions à l'expert. C'est l'expert, qui, par observations du 28 janvier 2014, a considéré que ces questions n'étaient pas susceptibles de changer son rapport. En constatant que l'expertise répondait aux questions nécessaires, la cour cantonale n'a donc fait que suivre l'avis de l'expert.
2.2.2. Le recourant reproche à l'expert de ne pas avoir consulté le dossier médical du Dr A.________, psychiatre auprès duquel il a volontairement suivi un traitement entre 2004 et 2010.
Dans son rapport intermédiaire, l'expert a précisé que ses conclusions se basaient, entre autres, sur l'entretien téléphonique du 26 août 2013 avec le Dr A.________, médecin psychiatre en formation et thérapeute de l'expertisé pendant environ cinq ans (D 91). Il s'est également référé expressément à un rapport du suivi du 11 mai 2005 du Dr A.________, qui écrivait: " [Le recourant] a pris conscience de la nécessité de se faire aider pour essayer de comprendre et de sortir éventuellement de cette situation. Jusqu'à présent, je peux dire qu'il y a un progrès sensible dans l'évolution de la pathologie de X.________, lequel fait des efforts pour investir son énergie dans d'autres activités libidinales, détournant ainsi son fantasme de tendance pédophile ". Pour le surplus, l'expert a constaté que la thérapie suivie à l'époque ne semblait avoir apporté aucun changement dans le fonctionnement de l'expertisé ni dans sa sexualité (pas de relation nouée avec une femme, pas d'emplois autres que ceux qui lui étaient proposés par le chômage) (D. 99).
Dans ces conditions, il faut admettre que l'expert a tenu compte du suivi du Dr A.________. Le recourant ne précise du reste pas sur quel point le dossier du Dr A.________ aurait pu changer le résultat de l'expertise. Dans la mesure où il est recevable, le grief soulevé doit être rejeté.
2.3. En définitive, l'expertise doit être considérée comme complète. Les griefs tirés de l'établissement arbitraire des faits et de la violation de l'art. 189 CPP sont infondés. Le droit d'être entendu du recourant n'a pas été non plus violé, dans la mesure où il a participé à l'administration des preuves et a pu poser des questions à l'expert.
3. Le recourant dénonce une violation du principe de la proportionnalité. Il fait valoir que, selon les renseignements pris auprès des autorités d'exécution, il existait des délais d'attente importants pour pouvoir exécuter une mesure en placement ouvert. Selon lui, l'absence de possibilité concrète d'application d'un traitement institutionnel commandait d'opter pour une mesure de traitement ambulatoire, assortie le cas échéant d'une assistance de probation et de toutes règles de conduite utiles. Un traitement dans un milieu fermé pendant trois mois à une année, comme le préconiserait la cour cantonale, serait disproportionné.
 
Erwägung 3.1
3.1.1. Selon l'art. 59 al. 1 CP, lorsque l'auteur souffre d'un grave trouble mental, le juge peut ordonner un traitement institutionnel à condition que l'auteur ait commis un crime ou un délit en relation avec ce trouble (let. a) et qu'il soit à prévoir que cette mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec ce trouble (let. b).
3.1.2. D'après l'art. 59 al. 2 CP, le traitement institutionnel doit s'effectuer dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d'exécution des mesures. Le législateur n'a pas défini les conditions que doivent remplir ces " établissements ". Selon la jurisprudence, le traitement doit être donné par un médecin ou sous contrôle médical (ATF 103 IV 1 consid. 2 p. 3 à propos de l'art. 43 aCP), mais il suffit que l'établissement bénéficie des services d'un médecin qui le visite régulièrement. En outre, il faut qu'il dispose des installations nécessaires ainsi que d'un personnel disposant d'une formation appropriée et placé sous surveillance médicale (ATF 108 IV 81 consid. 3c à propos de l'art. 43 aCP; ANDREA BAECHTOLD, Exécution des peines, 2008, p. 290 s.; MARIANNE HEER, in Basler Kommentar, Strafrecht I, 3e éd. 2013, n° 93 ad art. 59). Enfin, il ressort de l'art. 58 al. 2 CP que les lieux d'exécution des mesures thérapeutiques visés aux art. 59 à 61 CP doivent être séparés des lieux d'exécution des peines.
3.1.3. En vertu de l'art. 56 al. 5 CP, en règle générale, le juge n'ordonne une mesure que si un établissement approprié est à disposition. Cette disposition vise à éviter que le juge n'ordonne une mesure sans s'assurer au préalable de l'existence d'une institution susceptible de l'exécuter. Cette information sera fournie par l'expert, tenu de s'exprimer sur ce point dans son rapport (art. 56 al. 3 let. c CP), ainsi que par les autorités d'exécution. Le juge doit se borner à déterminer si un établissement approprié existe et non que tel ou tel établissement soit disposé à accueillir le condamné (Message concernant la modification du code pénal suisse (dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal) et du code pénal militaire ainsi qu'une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs, in FF 1999 1879). Il ne renoncera à prononcer une mesure thérapeutique institutionnelle que si l'exécution d'une telle mesure est impossible dans l'ensemble de la Suisse ( SCHWARZENEGGER/HUG/JOSITSCH, op. cit., p. 165; DUPUIS ET AL., op. cit., n° 23 ad art. 56 CP).
3.1.4. En raison du manque d'établissement approprié, il est admis que les autorités d'exécution puissent placer, à titre temporaire, un auteur faisant l'objet d'une mesure dans un établissement pénitentiaire, en attendant qu'une place se libère dans un établissement plus adapté au traitement de son trouble; le délai d'attente variera selon les circonstances ( HEER, op. cit., n° 100c ad art. 59 CP; ATF 138 III 593 consid. 8.2 p. 600). Il s'ensuit que le délinquant qui fait l'objet d'une mesure institutionnelle en milieu ouvert pourra être provisoirement placé dans un établissement d'exécution des mesures fermé, en attendant qu'un établissement ouvert puisse l'accueillir.
 
Erwägung 3.2
3.2.1. Les conditions d'un traitement institutionnel selon l'art. 59 al. 1 CP sont réalisées en l'espèce. En particulier, une peine seule n'est pas susceptible d'écarter le risque de récidive (art. 56 al. 1 CP). La cour cantonale s'est fondée sur une expertise (art. 56 al. 3 CP) et s'est renseignée sur l'existence des institutions susceptibles d'accueillir le recourant (art. 56 al. 5 CP). L'expert a préconisé un traitement institutionnel au sens de l'art. 59 CP en milieu ouvert. En effet, il a expliqué que l'expertisé paraissait avoir impérativement besoin d'un cadre structurant et contenant afin de diminuer le risque d'un nouveau passage à l'acte (D 166 chiffre 13 et 14). Il a en outre précisé que plusieurs institutions existaient en Suisse romande. Compte tenu de la gravité des infractions craintes, du risque de récidive et de l'insuffisance des garde-fous sociaux en cas de traitement ambulatoire, le prononcé d'un traitement institutionnel respecte le principe de la proportionnalité. Les difficultés de trouver un établissement adéquat et les éventuels délais d'attente ne font pas obstacle au prononcé d'une mesure institutionnelle.
3.2.2. Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir violé l'interdiction de la 
4. Le recours doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable.
Comme ses conclusions étaient vouées à l'échec, l'assistance judiciaire ne peut être accordée (art. 64 al. 1 LTF). Le recourant devra donc supporter les frais (art. 66 al. 1 LTF), dont le montant sera toutefois fixé en tenant compte de sa situation financière.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2. La demande d'assistance judiciaire est rejetée.
3. Les frais judiciaires, arrêtés à 1600 fr., sont mis à la charge du recourant.
4. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.
Lausanne, le 24 septembre 2015
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Denys
La Greffière : Kistler Vianin