BGer 4A_61/2015
 
BGer 4A_61/2015 vom 25.06.2015
{T 0/2}
4A_61/2015
 
Arrêt du 25 juin 2015
 
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes les Juges fédérales Kiss, présidente, Klett et Hohl.
Greffier : M. Piaget.
Participants à la procédure
A.________ SA,représentée par Me Philippe Prost,
recourante,
contre
B.________, représenté par Me Marc Béguin,
intimé.
Objet
acte illicite, dommage matériel, chose irréparable,
recours contre le jugement de la Cour de justice
du canton de Genève, Chambre civile, du 17 décembre 2014.
 
Faits :
A. Entre mars 2009 et août 2010, B.________ (ci-après également: le lésé) a fait construire une villa sur son bien-fonds situé sur la commune de Plan-les-Ouates (Genève). Il a mandaté, par son architecte, la société C.________ SA pour la pose de nombreux vitrages, laquelle a procédé aux travaux d'un coût total de 706'925 fr. 45.
B. Le 29 décembre 2011, B.________ a ouvert une action, devant le Tribunal de première instance de Genève, contre la société de nettoyage, concluant au paiement de 411'010 fr., 9'019 fr.45 et de 7'868 fr.39 avec intérêts à 5% l'an dès le 7 février 2011, ainsi qu'à la mainlevée de l'opposition à la hauteur de ces montants.
C. La société de nettoyage exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal du 17 décembre 2014. Sous suite de frais et dépens, elle conclut principalement à son annulation, à ce que l'action en paiement soit rejetée, à ce que la poursuite correspondante n'aille pas sa voie et, subsidiairement, à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale. Elle invoque une violation des art. 41, 42 et 55 CO.
L'intimé conclut, sous suite de frais et dépens, à ce que la recourante soit déboutée de toutes ses conclusions et que l'arrêt cantonal soit confirmé.
Les parties ont encore chacune déposé des observations.
La requête d'effet suspensif présentée par la recourante a été rejetée par ordonnance présidentielle du 19 mars 2015.
 
Considérant en droit :
 
Erwägung 1
1.1. Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions libératoires (art. 76 al. 1 LTF) et dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par un tribunal supérieur statuant sur recours (art. 75 LTF) dans une affaire pécuniaire dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), le recours est en principe recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 46 al. 1 let. c, 48 al. 1 et 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.
1.2. Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Il peut donc également être formé pour violation d'un droit constitutionnel (ATF 136 I 241 consid. 2.1 p. 247). Le Tribunal fédéral n'est pas lié par l'argumentation des parties (ATF 138 II 331 consid. 1.3 p. 336) et apprécie librement la portée juridique des faits; il s'en tient cependant d'ordinaire aux questions juridiques que la partie recourante soulève dans la motivation du recours (art. 42 al. 2 LTF; ATF 137 III 580 consid. 1.3 p. 584).
 
Erwägung 2
2.1. Le Tribunal de première instance a considéré que l'existence d'un dommage était exclue, dans la mesure où le lésé n'avait pas procédé au changement des vitres endommagées et que la présence des rayures n'avait aucune conséquence sur la capacité des vitres à supporter la force du vent ou leur propre poids, de sorte qu'elles étaient toujours aptes à remplir leur fonction première de protection et de support. Selon cette autorité, indemniser le lésé du montant total de la valeur de remplacement reviendrait dès lors à l'enrichir. En définitive, elle a retenu que le lésé avait subi un dommage limité à l'aspect esthétique des vitrages, dont l'étendue n'avait pas été établie, dans la mesure où il s'était limité à produire un simple devis, non contresigné, portant sur le remplacement total des vitrages. Le premier juge a également écarté un dommage résultant de la diminution de la valeur de l'immeuble, non allégué ni prouvé.
2.2. La Cour de justice retient quant à elle que les rayures en question portent atteinte à la substance même du bien du lésé et qu'elles constituent dès lors un dommage. Elle considère que celui-ci ne peut être supprimé ni par un procédé de polissage, ni par la pose de films protecteurs sur les vitrages, mais que seul leur remplacement permet d'y remédier. Elle rappelle qu'il n'est pas pertinent que le lésé ait effectivement fait remplacer ses vitres, respectivement qu'il ait l'intention de le faire, le dommage résultant de l'atteinte même à son bien-fonds et non de l'exécution de la réparation.
3. En l'espèce, seule est encore litigieuse la question du mode de calcul du dommage matériel subi par le lésé.
3.1. Selon le principe de la réparation intégrale, qui s'inscrit dans la fonction indemnitaire du droit de la responsabilité civile, l'auteur doit réparer l'entier du dommage (c'est-à-dire l'atteinte causée au patrimoine) subi (e) par le lésé en lien avec le fait générateur de responsabilité qui lui est imputable (cf. ATF 118 II 176 consid. 4b p. 179; OFTINGER/STARK, Schweizerisches Haftpflichtrecht, Allg. Teil, 5e éd. 1995, n. 354 ad § 6).
3.2. Que le dommage soit total ou partiel, il convient, dans la détermination de son montant (cf. art. 42 CO), de procéder à l'imputation des avantages (en faveur du lésé) générés par l'événement dommageable (sur l'ensemble de la question: BREHM, op. cit., nos 27 ss ad art. 42 CO).
3.3. En l'occurrence, les vitrages ne sont pas totalement détruits dans leur substance, mais le dommage n'est pas limité à leur aspect esthétique; il a également trait aux fonctions de ces vitrages, soit celle de support (les vitrages étant potentiellement plus fragiles), ainsi que celle consistant à laisser passer la lumière à l'intérieur du bâtiment (diminution de la transparence des vitrages de l'intérieur vers l'extérieur). Selon les constatations cantonales, les vitrages sont irréparables.
3.4. Le raisonnement de la recourante, qui vise la détermination du montant du dommage, ne convainc pas car il ne tient pas compte de l'élément essentiel sous-tendant le litige, soit la constatation de la cour cantonale selon laquelle la réparation de la chose n'est pas possible. La recourante fait ainsi abstraction de la fonction principale du droit de la responsabilité civile, qui est de réparer totalement l'atteinte au patrimoine subie par le lésé (cf. supra consid. 3.1). Or, si le lésé ne pouvait obtenir qu'une indemnisation pour la dépréciation de la chose (par hypothèse inférieure à la valeur de remplacement), il serait appauvri puisque, pour écarter totalement le dommage (soit une dépense qui, de fait, lui a été imposée par le comportement illicite de l'auteur de l'acte dommageable), il serait nécessairement contraint - une réparation n'étant pas envisageable - de remplacer la chose (valeur de remplacement). La solution préconisée par la société de nettoyage reviendrait à pénaliser le lésé et à le remettre dans une situation moins favorable que celle qui était la sienne avant le fait générateur de responsabilité (cf. VITO ROBERTO, Haftpflichtrecht, 2002, n. 691 ad § 28).
3.5. Dans l'hypothèse où les vitrages endommagés devraient encore avoir une valeur sur le marché, on ne saurait 
 
Erwägung 4
4.1. S'agissant du moyen tiré de la violation de l'art. 42 CO (mauvaise application des règles régissant le fardeau de la preuve), celui-ci repose sur la prémisse - erronée (cf. supra consid. 3) - que le lésé ne pouvait obtenir une indemnité fondée sur la valeur de remplacement des vitrages, mais qu'il lui incombait plutôt de démontrer que ceux-ci ont subi une dépréciation, ce qu'il n'a pas fait. Le moyen se révèle donc sans consistance.
4.2. Quant à la critique selon laquelle le devis non contresigné pour accord ne permettait pas de prouver un quelconque dommage, celle-ci doit être déclarée mal fondée.
4.3. La recourante reproche enfin à la cour cantonale d'avoir omis d'examiner, dans le calcul du dommage, le critère de l'aspect subjectif de celui-ci, respectivement de l'intérêt du lésé à la réparation de ce dommage.
5. Il résulte des considérations qui précèdent que le recours en matière civile doit être rejeté.
 
 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2. Les frais judiciaires, arrêtés à 7'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3. La recourante versera à l'intimé une indemnité de 8'000 fr. à titre de dépens.
4. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre civile.
Lausanne, le 25 juin 2015
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Kiss
Le Greffier : Piaget