BGer 1C_223/2014
 
BGer 1C_223/2014 vom 15.01.2015
{T 0/2}
1C_223/2014, 1C_225/2014, 1C_289/2014
 
Arrêt du 15 janvier 2015
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Merkli, Karlen, Eusebio et Chaix.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
1C_223/2014
A.________, représentée par Me Guillaume Etier, avocat,
recourante,
1C_225/2014
B.________, représenté par Me Julien Liechti, avocat,
recourant,
1C_289/2014
C.________, représenté par Me Steve Alder, avocat,
recourant,
contre
Grand Conseil de la République et canton de Genève, case postale 3970, 1211 Genève 3.
Objet
Modification de la loi générale sur les zones de développement, contrôle abstrait,
recours contre la loi adoptée par le Grand Conseil de la République et canton de Genève le 18 mars 2014.
 
Faits :
A. La loi générale genevoise sur les zones de développement, du 29 juin 1957 (LGZD, RS/GE L 1 35) fixe les conditions applicables à l'aménagement et à l'occupation rationnelle des zones de développement affectées à l'habitat, aux commerces et aux autres activités du secteur tertiaire. Elle définit les conditions auxquelles le Conseil d'Etat peut autoriser l'application des normes d'une telle zone (art. 1). En principe, la délivrance de permis de construire dans une zone de développement est subordonnée à l'adoption préalable d'un plan de quartier (art. 2), selon la procédure prévue aux art. 3 ss. La loi prévoit les indices de densité minimaux qui vont de 2,5 à 0,8 (art. 2A). Elle fixe des taux minimums de logements d'utilité publique (art. 4A). Intitulé "Besoins d'intérêt général", l'art. 5 de cette loi a la teneur suivante:
¹ En exécution de l'art. 2, alinéa 1, lettre b, la délivrance de l'autorisation de construire est subordonnée à la condition que:
² Les plans techniques et financiers, notamment les normes applicables à l'état locatif ou au plan de vente et aux réserves pour entretien, doivent être préalablement agréés par le département de l'aménagement, du logement et de l'énergie. Toute modification qui intervient en cours de construction doit être signalée et faire, le cas échéant, l'objet d'un nouvel agrément.
³ Les prix et les loyers des bâtiments visés sous alinéa 1, lettres a et b, sont soumis au contrôle de l'Etat pendant une durée de 10 ans dès la date d'entrée moyenne dans les logements ou locaux, selon les modalités prévues au chapitre VI (art. 42 à 48) de la loi générale sur le logement et la protection des locataires, du 4 décembre 1977.
B. Le 14 mars 2014, le Conseil d'Etat genevois a présenté un projet de modification de la LGZD. Il rappelait la situation du marché du logement dans le canton, présentant notamment un taux de vacance inférieur à 0,2%, ainsi qu'une hausse massive des prix dès le milieu des années 2000, le prix du m² s'élevant en moyenne à 6'500 fr. pour les PPE en zone de développement. Dans ce contexte, plusieurs types d'abus avaient été constatés dans le cadre d'opérations PPE en zone de développement: certains logements n'étaient pas vendus immédiatement mais gardés en location et vendus au prix du marché à la fin de la période de contrôle. Ces opérations pouvaient être réalisées par des investisseurs isolés ou par des personnes ayant acquis un grand nombre d'appartements. Cette thésaurisation ou ces acquisitions à des fins d'investissements empêchaient les acheteurs de la classe moyenne d'accéder à la propriété de logements. Le Conseil d'Etat proposait dès lors notamment de compléter l'art. 5 al. 1 let. b LGZD par la phrase suivante: "les logements destinés à la vente doivent être occupés par leurs propriétaires, sauf justes motifs agréés par le département de l'urbanisme". En outre, selon l'art. 8A du projet, si l'acquéreur décidait de louer l'appartement, celui-ci passait en régime locatif et ne pouvait plus être revendu par la suite.
La Commission du logement chargée de l'examen de ce projet de loi a rendu son rapport le 7 janvier 2014. La majorité de la commission reprenait l'obligation d'habiter l'appartement acheté, mais ajoutait des exceptions, pour différents motifs. A l'issue de sa séance du 23 janvier 2014, le Grand Conseil a renvoyé le projet à la Commission. Celle-ci a déposé un nouveau rapport le 20 février 2014. Le nouveau projet prévoyait de limiter le droit d'achat aux personnes qui ne sont pas encore propriétaires d'un logement dans le canton (principe du "primo accédant"). L'art. 8A était supprimé. Deux rapports de minorité préconisaient, pour des motifs différents, la version précédente (obligation d'habiter le logement).
A l'issue de sa séance du 14 mars 2014 et après avoir accepté plusieurs amendements, le Grand Conseil a adopté les modifications suivantes aux art. 5 al. 1 let. b, 9 et 12 LGZD:
Art. 5, al. 1, lettre b (nouvelle teneur)
¹ En exécution de l'article 2, alinéa 1, lettre b, la délivrance de l'autorisation de construire est subordonnée à la condition que:
b) les bâtiments d'habitation destinés à la vente, quel que soit le mode d'aliénation (notamment cession de droits de copropriété d'étages ou de partie d'étages, d'actions ou de parts sociales), répondent, par le nombre, le type et le prix des logements prévus à un besoin d'intérêt général ; sauf justes motifs agréés par le département, les logements destinés à la vente doivent, pendant la période de contrôle fixée à l'alinéa 3, être aliénés à une personne physique qui n'est pas déjà propriétaire d'un logement dans le canton. Sauf justes motifs agréés par le département, les logements destinés à la vente ne doivent faire l'objet ni d'une acquisition à titre fiduciaire, ni d'un pacte d'emption ou de réméré, pendant la période de contrôle fixée à l'alinéa 3. Sont notamment considérés comme justes motifs :
1° le fait que le propriétaire du bien-fonds ait reçu le ou les appartements concernés en paiement du prix du terrain pour permettre la construction de logements prévus sur son bien-fonds ou dans une circonstance analogue ;
2° le fait que l'acquéreur ait conclu une promesse de vente du logement dont il est déjà propriétaire dans le canton;
3° une situation sur le marché du logement ne permettant pas de trouver un acquéreur au prix contrôlé et admis par l'Etat;
4° le fait que le logement soit acquis dans le cadre d'une succession.
Art. 9  Mesures et sanctions (nouvelle teneur de la note),
² Tout contrevenant à l'art. 5 al. 1 let. b est passible d'une amende administrative fixée entre 20% et 50% du prix de revient de l'appartement.
³ Les propriétaires des appartements destinés à la vente, qui, sans justes motifs, ne les aliènent pas à une personne physique dans les trois ans qui suivent la délivrance de l'accord provisoire de vente délivré par l'Office du logement à la fin des travaux, sont considérés comme contrevenant à l'art. 5 alinéa 1 lettre b. Les justes motifs mentionnés dans l'article 5 alinéa 1 lettre b étant réservés.
⁴ Au surplus, les mesures et sanctions prévues aux titres V et VI de la loi sur les constructions et installations diverses, du 14 avril 1988, sont applicables par analogie.
Art. 12  Dispositions transitoires (nouvelle teneur de la note),
⁴ L'article 5, alinéa 1, lettre b n'est applicable qu'aux appartements pour lesquels un acte de vente n'a pas été signé et, cumulativement, n'a pas fait l'objet d'une réquisition d'inscription au registre foncier à la date d'entrée en vigueur de la loi.
Entrée en vigueur
La loi entre en vigueur le jour de son adoption.
Assortie d'une clause d'urgence, la loi est entrée en vigueur le jour de son adoption par le Grand Conseil.
C. Cette modification législative fait l'objet de trois recours en matière de droit public déposés par A.________ (cause 1C_223/2014), B.________ (cause 1C_225/2014) et C.________ (cause 1C_289/2014). Les deux premiers demandent l'annulation de l'ensemble des nouvelles dispositions. A titre subsidiaire, B.________ conclut à l'annulation de l'art. 12 al. 4 (régime transitoire) ainsi que de la disposition relative à l'entrée en vigueur. C.________ conclut à l'annulation des art. 5 al. 1 let. b et 9 al. 2 et 3 de la loi.
Le Grand Conseil conclut au rejet des recours et à la constatation que les dispositions contestées sont valables. Les recourants A.________ et B.________ ont déposé de nouvelles observations, persistant dans leurs conclusions. C.________ y a renoncé. Le Grand Conseil a lui aussi persisté dans ses conclusions.
 
Considérant en droit :
1. Dirigés contre une même loi cantonale, les trois recours peuvent, malgré leurs conclusions en partie différentes, être joints afin qu'il soit statué à leur sujet par un arrêt unique.
2. Le recours en matière de droit public est ouvert contre les actes normatifs cantonaux (art. 82 let. b LTF).
2.1. En vertu de l'art. 87 LTF, le recours est directement recevable contre les actes normatifs cantonaux qui ne peuvent faire l'objet d'un recours cantonal (al. 1). Lorsque le droit cantonal prévoit un recours contre les actes normatifs, l'art. 86 LTF est applicable (al. 2); dans une telle hypothèse, le Tribunal fédéral ne statue qu'après épuisement des instances cantonales. En l'occurrence, les recours ont été interjetés avant l'entrée en fonction de la nouvelle Chambre constitutionnelle genevoise (cf. art. 130B al. 1 let. a de la loi genevoise d'organisation judiciaire, disposition entrée en vigueur le 14 juin 2014). L'exigence d'épuisement préalable des instances cantonales n'était dès lors pas encore opposable aux recourants lors du dépôt du recours. L'art. 143 ch. 12 de la loi genevoise d'organisation judiciaire précise certes que dès l'entrée en vigueur de la modification législative, les procédures de recours, notamment contre les règlements, sont reprises par la chambre constitutionnelle de la Cour de justice. Toutefois, la condition de l'épuisement des voies de recours doit être examinée d'office en principe au moment du dépôt du recours: le recourant doit en effet pouvoir se déterminer à ce propos au moment de la notification de l'acte attaqué et sur le vu d'une éventuelle indication des voies de droit. Le dépôt du recours crée la litispendance et le Tribunal fédéral ne saurait ainsi se dessaisir en application d'une loi cantonale entrée en vigueur après coup.
2.2. Selon l'art. 101 LTF, le recours contre un acte normatif doit être interjeté dans un délai de 30 jours à compter de sa publication selon le droit cantonal. Lorsque l'acte est soumis au référendum facultatif - ce qui est le cas pour une loi genevoise -, ce délai commence à courir avec la publication de la décision de promulgation, selon laquelle le délai référendaire est arrivé à son terme sans avoir été utilisé ou l'acte a été adopté en votation populaire (ATF 133 I 286 consid. 1 p. 288 et les arrêts cités). En l'espèce, les deux premiers recours ont été déposés dans les trente jours suivant la première publication de la loi, le 18 mars 2014. Le troisième recours a été interjeté avant l'expiration du délai de trente jours à compter de la publication de la décision de promulgation, le 2 mai 2014. Le délai de recours est donc respecté dans les trois cas.
2.3. Dans le cas d'un recours abstrait, la qualité pour recourir contre un acte normatif cantonal dépend, selon l'art. 89 al. 1 let. b et c LTF, d'une simple atteinte virtuelle; il suffit donc, avec un minimum de vraisemblance, que les recourants puissent être un jour touchés directement par l'acte normatif attaqué afin que ceux-ci soient à même d'agir (ATF 136 I 17 consid. 2.1 p. 21). Les recourants remplissent cette exigence: ils sont tous trois domiciliés dans le canton de Genève. Les deux premiers d'entre eux sont également propriétaires d'immeubles sis dans le même canton et se voient dès lors, de par les nouvelles dispositions, empêchés d'acquérir un appartement situé en zone de développement. Le troisième recourant ne prétend pas être déjà propriétaire dans le canton de Genève; il n'est toutefois pas exclu qu'il puisse le devenir et qu'il se trouve alors lui aussi confronté à l'interdiction posée à l'art. 5 LGZD (cf. ATF 113 Ia 46 consid. 3b p. 129).
Il y a lieu dès lors d'entrer en matière.
3. Alors que le recours 1C_225/2014 est essentiellement dirigé contre la disposition transitoire de la loi, les recours 1C_223/2014 et 1C_289/2014 s'en prennent à l'art. 5 al. 1 let. b LGZD. Le premier invoque la garantie de la propriété; la recourante estime que l'interdiction d'acquérir un logement en zone de développement pour les personnes déjà propriétaires, porterait atteinte à la garantie institutionnelle de la propriété et au droit d'accès à la propriété. La base légale litigieuse ne serait pas suffisamment précise puisque la notion de "personne physique déjà propriétaire d'un logement dans le canton" se prêterait à différentes interprétations: elle n'empêcherait pas une acquisition simultanée de plusieurs lots de PPE par une personne qui n'est pas encore propriétaire et ne réglerait pas le cas des titulaires d'actions ou de parts de sociétés coopératives; le cas des copropriétaires ou propriétaires en main commune (époux divorcés ou héritiers par exemple) ou des parents acquérant pour leurs descendants ne seraient pas traités par la nouvelle loi. La recourante estime que l'atteinte serait, dans ces derniers cas, disproportionnée car nullement nécessaire au regard du but de la loi qui est d'empêcher les opérations spéculatives. Les justes motifs prévus par la loi ne seraient pas suffisants à cet égard. La loi consacrerait par ailleurs une inégalité de traitement car une personne (domiciliée ou non à Genève) propriétaire de biens dans le canton de Vaud ou en France voisine pourrait acquérir un logement en zone de développement alors qu'un propriétaire d'un bien à Genève ne le pourrait pas.
Le recours 1C_289/2014 invoque, outre la garantie de la propriété, la primauté du droit fédéral (lequel garantit la liberté contractuelle) et la liberté économique. A l'appui de ces griefs, il fait lui aussi valoir l'absence d'intérêt public pertinent. L'interdiction n'aurait aucun effet sur le marché locatif - au contraire puisque la possibilité de détenir plusieurs appartements en zone de développement permettrait la location à un loyer contrôlé. L'acquisition de logements par la classe moyenne ne serait nullement favorisée. L'interdiction devrait être limitée aux personnes qui sont déjà propriétaires en zone de développement, et ne pas viser par exemple les propriétaires - ou copropriétaires - de villas.
4. Dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, le Tribunal fédéral examine librement la conformité d'un arrêté de portée générale au droit constitutionnel; il s'impose cependant une certaine retenue eu égard notamment aux principes découlant du fédéralisme et de la proportionnalité. Dans ce contexte, ce qui est décisif, c'est que la norme mise en cause puisse, d'après les principes d'interprétation reconnus, se voir attribuer un sens compatible avec les droits fondamentaux invoqués (ATF 138 I 321 consid. 2 p. 323). Le Tribunal fédéral n'annule dès lors une norme cantonale que lorsque celle-ci ne se prête à aucune interprétation conforme à la Constitution ou à la Convention européenne des droits de l'homme (ATF 140 I 2 consid. 4 p. 14). Pour en juger, il faut notamment tenir compte de la portée de l'atteinte aux droits fondamentaux en cause, de la possibilité d'obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante, et des circonstances concrètes dans lesquelles ladite norme sera appliquée (ATF 140 I 2 consid. 4 p. 14; 137 I 31 consid. 2 p. 39 s.; 135 II 243 consid. 2 p. 248). Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d'une application conforme aux droits fondamentaux. Les explications de l'autorité cantonale sur la manière dont elle applique ou envisage d'appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l'éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 140 I 2 consid. 4 p. 14; 134 I 293 consid. 2 p. 295; 130 I 82 consid. 2.1 p. 86 et les arrêts cités).
4.1. Conformément à l'art. 36 Cst., toute restriction d'un droit fondamental doit reposer sur une base légale qui doit être de rang législatif en cas de restriction grave (al. 1); elle doit en outre être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (al. 2) et, selon le principe de la proportionnalité, se limiter à ce qui est nécessaire et adéquat à la réalisation des buts d'intérêt public poursuivis (al. 3), sans violer l'essence du droit en question (al. 4). Ainsi, la garantie de la propriété ancrée à l'art. 26 al. 1 Cst. n'est pas absolue. Comme tout droit fondamental, elle peut être restreinte aux conditions rappelées ci-dessus. Lorsque l'atteinte est grave, outre que la base légale doit être une loi au sens formel, celle-ci doit être claire et précise (ATF 140 I 168 consid. 4 p. 170; 119 Ia 362 consid. 3a p. 366; 115 Ia 333 consid. 2a p. 336; 108 Ia 33 consid. 3a p. 35). L'atteinte au droit de propriété est tenue pour particulièrement grave lorsque la propriété foncière est enlevée de force ou lorsque des interdictions ou des prescriptions positives rendent impossible ou beaucoup plus difficile une utilisation du sol actuelle ou future conforme à sa destination (ATF 135 III 633 consid. 4.3. p. 637; 131 I 333 consid. 4.2 p. 340).
De la même manière, la liberté économique (art. 27 Cst.) peut se voir limitée par des mesures restrictives poursuivant des motifs d'ordre public, de politique sociale ou des mesures ne servant pas en premier lieu des intérêts économiques (arrêt 2C_123/2013 consid. 2c non publié à l'ATF 140 I 218). Le droit public peut en particulier interdire, ou au contraire imposer la conclusion de contrats entre certaines personnes, sans que cela ne viole en soi le droit fédéral. La liberté contractuelle, énoncée à l'art. 1 CO, bénéficie certes de la protection assurée par le principe de primauté du droit fédéral (ATF 102 Ia 533 consid 10a p. 542). Elle n'est toutefois pas illimitée (cf. art. 19 et 20 CO) et certaines dérogations à cette liberté peuvent aussi se justifier, notamment dans le domaine du logement (ATF 135 I 233; 113 Ia 126 consid. 8c p. 139).
4.2. Les modifications apportées à la LGZD, en tant qu'elles limitent les possibilités d'acquérir et de vendre librement un appartement situé en zone de développement, causent indubitablement une atteinte à la garantie de la propriété. Dans sa fonction individuelle, la garantie de la propriété protège les droits patrimoniaux concrets du propriétaire: celui de conserver sa propriété, d'en jouir et de l'aliéner (ATF 131 I 333 consid. 3.1 p. 338). L'art. 26 Cst. garantit en outre le libre accès à la propriété (ATF 114 Ia 14 consid. 1b p. 16 et les arrêts cités). Or, de par la nouvelle réglementation, toute une catégorie de personnes physiques - propriétaires à un titre ou un autre d'un logement dans le canton - se voit privée de la faculté d'acquérir un logement en zone de développement. Une telle atteinte ne saurait toutefois être considérée comme touchant à l'institution même de la propriété, soit l'essence même de ce droit fondamental au sens de l'art. 36 al. 4 Cst. La modification législative ne vise en effet qu'une catégorie spécifique d'acquéreurs, et elle est limitée à la zone de développement.
Il reste à examiner si les restrictions apportées par la modification législative reposent sur un intérêt public et satisfont au principe de la proportionnalité.
4.3. Dans son exposé des motifs, le Conseil d'Etat rappelle que le canton de Genève connaît une sévère pénurie affectant toutes les catégories de logement. Il rappelle également que le but de la LGZD est de permettre la création de logements répondant aux besoins prépondérants de la population, qu'il s'agisse de loyers ou de prix de vente. Le Conseil d'Etat rappelle ensuite que ces dernières années, des dysfonctionnements de plusieurs ordres ont été constatés dans le cadre d'opérations en PPE en zone de développement: certains appartements n'étaient pas vendus durant la période de contrôle; ils étaient loués au maximum du loyer fixé par l'Etat, puis vendus au prix du marché à l'issue de la période de contrôle. Sur sept immeubles réalisés entre 2008 et 2010, seuls deux étaient entièrement occupés par les propriétaires. Des lots entiers étaient vendus aux mêmes personnes, certaines notoirement connues comme propriétaires d'autres biens dans le canton. Selon le Conseil d'Etat, ce genre d'investissements était contraire sinon à la lettre, du moins à l'esprit de la loi, la classe moyenne étant privée de l'accès à la propriété d'un logement. Dans le cadre de l'application de l'art. 5 LGZD, l'Office cantonal du logement avait instauré une pratique visant à plafonner les loyers perçus par les propriétaires de plus de trois logements, à exiger une mise en vente effective et rapide des logements et à contrôler les prix de vente. La modification législative proposée tendait à corriger ces dysfonctionnements en prévoyant que les logements destinés à la vente devaient en principe être occupés par leur propriétaire.
Bien que modifiée après son passage en commission, la nouvelle réglementation poursuit le même objectif, soit de s'assurer que les appartements en PPE situés en zone de développement sont bien attribués aux personnes qui en ont besoin. La jurisprudence constante considère que la lutte contre la pénurie de logements correspond à un intérêt public évident, qu'il s'agisse de lutter contre les ventes d'appartements loués (ATF 113 Ia 126 consid. 7a p. 133), contre le maintien d'appartements vides (ATF 119 Ia 348), de justifier un droit de préemption de l'Etat sur des terrains (arrêt 1C_30/2008 du 24 novembre 2008, SJ 2009 I 257), d'imposer certains types de locataires (ATF 131 I 333) ou de contrôler le montant des loyers (ATF 101 Ia 510). Comme le relève le Grand Conseil, la construction de logements et l'accession à la propriété à des fins d'habitation constituent des objectifs consacrés par la Constitution fédérale elle-même (art. 108 Cst.). Contrairement à ce que suggère l'un des recourants, il ne s'agit pas simplement d'empêcher la possession de plusieurs appartements sur territoire genevois, mais de lutter contre la spéculation ou la détention d'appartements à de pures fins d'investissement, ce qui constitue en soi un moyen d'atteindre l'objectif poursuivi (ATF 119 Ia 348 consid. 3b p. 355). Il y a lieu par conséquent d'admettre que la novelle poursuit un intérêt public aussi important qu'évident. Les arguments des recourants qui contestent un tel intérêt doivent ainsi être écartés.
4.4. Selon la jurisprudence, le principe de la proportionnalité exige que les mesures mises en oeuvre soient propres à atteindre le but visé (règle de l'aptitude) et que celui-ci ne puisse être atteint par une mesure moins contraignante (règle de la nécessité); il doit en outre y avoir un rapport raisonnable entre ce but et les intérêts compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts; ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 p. 235; 134 I 221 consid. 3.3 p. 227; 132 I 49 consid. 7.2 p. 62; 130 I 65 consid. 3.5.1 p. 69; 128 II 292 consid. 5.1 p. 297 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral examine en principe librement les questions d'intérêt public et de proportionnalité, en s'imposant toutefois une certaine réserve lorsqu'il s'agit de tenir compte de circonstances locales ou de trancher de pures questions d'appréciation (ATF 140 I 168 consid. 4.2.1 p. 173 et les arrêts cités).
4.4.1. En zone de développement, les mesures de contrôle de l'Etat sur les prix de vente ou les loyers apparaissent comme une contrepartie à l'intervention étatique: celle-ci a en effet permis, par le déclassement et l'application des règles spécifiques à ce type de zone, une plus-value foncière, une densification des surfaces et une construction à un coût modéré. Dans ce cas, l'Etat peut dès lors poser certaines conditions propres à la réalisation d'un intérêt public déterminé (cf. ATF 98 Ia 194 consid. 2b p. 200). Encore faut-il que les conditions posées soient réellement propres à atteindre le but recherché.
Le Grand Conseil considère que l'exigence du "primo-acquérant" permettrait "sans nul doute" d'atteindre le but de lutte contre la spéculation en zone de développement. Il apparaît au contraire que cette exigence, si elle permet d'éviter une partie des opérations spéculatives, n'offre aucune garantie quant aux motifs de l'acquisition: rien n'empêche en effet un acquéreur remplissant les conditions de la loi de se livrer à un pur investissement, sans notamment devoir habiter le logement qu'il acquiert. Certaines des opérations dénoncées par le Conseil d'Etat dans son rapport explicatif (mise en location durant la période de contrôle, puis revente au prix du marché) pourraient ainsi continuer, qu'elles soient le fait d'acquéreurs isolés non encore propriétaires à Genève, ou de propriétaires de biens sis en dehors du canton. Le Grand Conseil estime que la ratio legis de la novelle serait que seuls pourraient acquérir un logement en zone de développement les personnes désireuses d'y vivre. Le législateur, en s'écartant de l'obligation d'habiter figurant dans le premier projet présenté par le Conseil d'Etat, a toutefois expressément renoncé à poser une telle condition, de sorte que l'utilisation des logements par leur acquéreur n'est jamais garantie.
4.4.2. Outre qu'elle ne permet qu'imparfaitement d'atteindre le but recherché, la disposition de l'art. 5 al. 1 let. b LGZD implique une restriction au droit d'acquérir un logement dans de nombreux cas où cela n'est pas nécessaire. La réglementation s'applique en effet à n'importe quel propriétaire d'un logement dans le canton de Genève, indépendamment du type de propriété et de l'utilisation du logement actuel. Les recourants mentionnent avec raison le cas des copropriétaires (époux séparés notamment) ou des propriétaires en main commune (héritiers en particulier) qui n'habitent pas nécessairement leur logement et paraissent ainsi légitimés à en acquérir un autre en zone de développement sans que cela ne soit contraire au but recherché par la législation. La loi ne tient pas non plus compte des autres cas dans lesquels un propriétaire d'un logement ne peut pas l'habiter, par exemple parce qu'il ne correspond pas à ses propres besoins.
Le Grand Conseil évoque la possibilité de déroger à la règle pour de justes motifs. Il est vrai que l'art. 5 al. 1 let. b LGZD permet de faire exception au principe du primo-acquérant, pour de justes motifs "agréés par le département". La loi mentionne quatre cas à titre d'exemples: le fait que le propriétaire du bien-fonds ait reçu le ou les appartements concernés en paiement du prix du terrain pour permettre la construction de logements prévus sur son bien-fonds ou dans une circonstance analogue; le fait que l'acquéreur a conclu une promesse de vente du logement dont il est déjà propriétaire dans le canton; une situation sur le marché du logement ne permettant pas de trouver un acquéreur au prix contrôlé et admis par l'Etat; le fait que le logement soit acquis dans le cadre d'une succession. Il ne s'agit certes que d'exemples, mais il est douteux que ceux-ci, applicables à des situations très particulières, puissent être étendus à l'ensemble des cas énumérés ci-dessus. L'expression de "personne physique qui n'est pas déjà propriétaire d'un logement dans le canton" apparaît en effet relativement claire et rien dans les travaux préparatoires ne laisse entrevoir une application souple de la loi, le département compétent n'ayant pas encore pris officiellement position à ce propos. Dans ces circonstances, une interprétation conforme au droit supérieur n'apparaît pas possible.
4.5. Les recours 1C_223/2014 et 1C_289/2014 dénoncent aussi une inégalité de traitement. La loi avantagerait les propriétaires de biens situés à l'étranger ou dans un autre canton par rapport aux propriétaires d'un logement à Genève. Elle ne ferait par ailleurs aucune distinction entre les différents types de propriétaires, notamment les personnes qui détiennent déjà un appartement en zone de développement ou les propriétaires de villa.
4.5.1. Selon l'art. 8 al. 1 Cst., tous les êtres humains sont égaux devant la loi. Un acte normatif viole le principe de l'égalité de traitement lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou qu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances, c'est-à-dire lorsque ce qui est semblable n'est pas traité de manière identique et ce qui est dissemblable ne l'est pas de manière différente. Il faut que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 137 V 334 consid. 6.2.1 p. 348). Il y a notamment inégalité de traitement lorsque l'Etat accorde un privilège ou une prestation à une personne, mais dénie ceux-ci à une autre personne qui se trouve dans une situation comparable (cf., s'agissant de l'usage accru du domaine public, ATF 140 I 201 consid. 6.5.1 p. 210 et les références citées).
4.5.2. L'art. 5 al. 1 LGZD empêche en principe l'acquisition d'une habitation à toute personne qui est déjà propriétaire d'un logement à Genève. Les recourants relèvent avec raison que l'interdiction ne s'étend pas aux propriétaires de biens sis en dehors du canton, qu'il s'agisse d'un logement, d'autres types de biens voire d'immeubles entiers, et que l'intéressé réside ou non à Genève. Dans la mesure où le but de la loi est d'éviter les opérations spéculatives, cette distinction apparaît injustifiée puisqu'elle permet à toute personne domiciliée hors du canton de se porter acquéreur d'un logement en zone de développement, même si elle est déjà propriétaire d'un ou de plusieurs logements, et quel que soit le but de cette acquisition. Les difficultés à contrôler l'existence de propriétés immobilières hors du canton ne sauraient constituer une justification suffisante à cette inégalité de traitement, pas plus que l'argument tiré de la liberté d'établissement: l'application généralisée du principe du primo-acquérant n'empêcherait, le cas échéant, qu'une acquisition de logement en zone de développement, et n'entrave nullement l'établissement (sous la forme d'une prise de domicile ou d'un simple séjour) des personnes physiques (cf. ATF 135 I 233 consid. 5.2 p. 249).
5. Sur le vu de ce qui précède, il apparaît que la modification législative ne permet pas clairement d'atteindre le but recherché et qu'elle porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété garanti par la Constitution. Elle viole également le principe d'égalité de traitement. Pour ces motifs, elle doit être annulée dans son intégralité ce qui rend sans objet les griefs relatifs aux art. 9 et 12 LGZD.
Les recourants, qui obtiennent gain de cause, ont droit à une indemnité de dépens, à la charge du canton de Genève (art. 66 al. 1 LTF). Conformément à l'art. 68 al. 4 LTF, il n'est pas perçu de frais judiciaires.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1. Les causes 1C_223/2014, 1C_225/2014 et 1C_289/2014 sont jointes.
2. Les recours sont admis et la loi modifiant la LGZD, du 14 mars 2014, est annulée.
3. Les indemnités de dépens suivantes sont mises à la charge du canton de Genève:
3.1. 3'000 fr. en faveur de A.________;
3.2. 3'000 fr. en faveur de B.________;
3.3. 3'000 fr. en faveur de C.________.
4. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
5. Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des recourants et au Grand Conseil de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 15 janvier 2015
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Fonjallaz
Le Greffier : Kurz