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Original
 
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
[img]
{T 0/2}
1B_387/2014
Arrêt du 22 décembre 2014
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Merkli et Chaix.
Greffière : Mme Arn.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Dimitri Iafaev, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
Objet
Détention provisoire,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 28 octobre 2014.
Faits :
A.
A.________, ressortissant biélorusse né en 1976, a été incarcéré le 8 octobre 2013 sous la prévention de lésions corporelles simples, dommages à la propriété, escroquerie, voire extorsion et chantage, usure, menaces, contrainte et infraction à la loi fédérale sur les étrangers. Il lui était notamment reproché, de concert avec sa mère, d'avoir convaincu B.________, née en 1929, en abusant de sa faiblesse, de les héberger dans son appartement, de l'avoir brutalisée à plusieurs reprises, de l'avoir contrainte de les laisser séjourner chez elle et de subvenir à leurs besoins en exerçant sur elle une pression psychologique et une surveillance constante.
Considérant que les charges n'apparaissaient plus suffisantes, sous l'angle de la proportionnalité, pour justifier le maintien en détention provisoire, le Tribunal des mesures de contrainte de la République et canton de Genève (ci-après: le Tmc) a ordonné en date du 31 janvier 2014 la mise en liberté de A.________ moyennant notamment l'interdiction d'entrer en contact avec B.________.
Le 2 juillet 2014, A.________ a été placé en détention provisoire comme prévenu de mise en danger de la vie d'autrui, lésions corporelles graves, vol et infraction à la loi fédérale sur les étrangers. Il lui est notamment reproché d'être entré en contact le 28 mars 2014 avec B.________, malgré l'obligation judiciaire faite de s'en abstenir, d'avoir séjourné chez elle et de lui avoir, à cette occasion, fait ingurgiter à son insu diverses substances lui provoquant un malaise et d'avoir dérobé au domicile de celle-ci la somme de 1'000 fr. Le 8 septembre 2014, le Tmc a refusé d'ordonner la mise en liberté du prévenu. Cette ordonnance a été confirmée le 30 septembre 2014 par la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice ou la cour cantonale), puis le 24 novembre 2014 par le Tribunal fédéral (arrêt 1B_361/2014).
B.
Dans l'intervalle, par ordonnance du 29 septembre 2014, le Tmc a, à la demande du Ministère public, ordonné la prolongation de la détention du prévenu pour une période de 2 mois et il a également constaté - faisant suite à une conclusion formulée par le prévenu - que les conditions de la détention provisoire de ce dernier respectaient les exigences légales. Par arrêt du 28 octobre 2014, la Cour de justice a rejeté le recours intenté par A.________ contre cette ordonnance. Elle a en substance considéré que les conditions de détention du recourant pour la période du 2 juillet au 16 septembre 2014 (77 jours incarcéré dans une cellule dite triple occupée par six détenus) et celle postérieure au 16 septembre 2014 (incarcération dans une cellule dite individuelle occupée par trois personnes) ne portaient pas atteinte à la dignité humaine de l'intéressé.
C.
Par acte du 28 novembre 2014, A.________ forme un recours en matière pénale contre cet arrêt en concluant à sa réforme en ce sens qu'il soit constaté que les conditions de sa détention du 2 juillet 2014 au 29 septembre 2014 ne respectaient pas les exigences légales. Subsidiairement, il demande au Tribunal fédéral d'ordonner une enquête sur les conditions de sa détention. Le prévenu sollicite également l'octroi de l'assistance judiciaire.
Invitée à se déterminer, la juridiction précédente s'est référée à ses considérants. Quant au Ministère public, il a conclu au rejet du recours. Le recourant a répliqué.
Considérant en droit :
1.
Selon l'art. 78 LTF, le recours en matière pénale est ouvert contre les décisions rendues en matière pénale, dont font partie les décisions relatives aux conditions de la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté (ATF 137 IV 22 consid. 1 p. 23). La recevabilité du recours en matière pénale dépend notamment de l'existence d'un intérêt juridique actuel à l'annulation de la décision entreprise (art. 81 al. 1 let. b LTF). De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes et non de prendre des décisions à caractère théorique, ce qui répond à un souci d'économie de procédure (ATF 136 I 274 consid. 1.3 p. 276).
En tant qu'il a vu rejetées ses conclusions en constatation du caractère irrégulier de sa détention, le recourant a intérêt à l'annulation de l'arrêt attaqué.
Les autres conditions de recevabilité ne posent pas de question particulière, de sorte qu'il convient d'entrer en matière.
2.
Le recourant invoque une violation des art. 3 CEDH et 7 Cst. Il reproche en substance à l'instance précédente d'avoir considéré que les conditions de sa détention entre le 2 juillet et le 16 septembre 2014 (77 jours) étaient conformes à la dignité humaine.
2.1. L'art. 3 CEDH prévoit que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Quant à l'art. 7 Cst., il prescrit que la dignité humaine doit être respectée et protégée.
Dans un arrêt publié aux ATF 140 I 125, le Tribunal fédéral a examiné si les conditions de détention dans la prison genevoise de Champ-Dollon - qui connaissait une grave surpopulation carcérale - étaient conformes aux exigences conventionnelles et constitutionnelles en matière de détention. Selon cette jurisprudence, l'occupation d'une cellule dite triple par six détenus avec une surface individuelle inférieure à 3,83 m 2 - restreinte encore par le mobilier - peut constituer une violation de l'art. 3 CEDH si elle s'étend sur une longue période et si elle s'accompagne d'autres mauvaises conditions de détention. Il faut dès lors considérer la période pendant laquelle l'intéressé a été détenu dans les conditions incriminées. Une durée qui s'approche de trois mois consécutifs apparaît comme la limite au-delà de laquelle les conditions de détention susmentionnées ne peuvent plus être tolérées. Ce délai ne peut cependant pas être compris comme un délai au sens strict du terme mais comme une durée indicative à prendre en compte dans le cadre de l'appréciation globale de toutes les conditions concrètes de détention (ATF 140 I 125 consid. 3.6.3 p. 139 s.).
En revanche, l'occupation d'une cellule dite individuelle par trois détenus - chacun disposant d'un espace individuel de 4 m 2, restreint par du mobilier - n'est pas constitutive d'une violation de l'art. 3 CEDH et ne représente pas un traitement dégradant portant atteinte à la dignité humaine des prévenus (ATF 140 I 125 consid. 3.6.3 p. 139).
2.2. Le recourant critique l'appréciation de l'instance précédente qui a estimé que les conditions de détention du recourant entre le 2 juillet 2014 et le 16 septembre 2014 ne portaient pas atteinte à la garantie de la dignité humaine. L'intéressé relève que la durée de son séjour (77 jours) s'approche, à 13 jours près, de la durée indicative de trois mois fixée par la jurisprudence pour admettre que les conditions de détention incriminées ne peuvent plus être tolérées. Le recourant invoque également de sérieux problèmes de santé physique et psychique; il précise qu'il a séjourné au secteur de psychiatrie et de psychothérapie du Centre de soins hospitaliers (CSH) de Marsens du 19 mai 2014 au 12 juin 2014 pour mise à l'abri d'idées suicidaires et que ces idées sont apparues chez lui à tout le moins durant le mois d'octobre 2014. Le cumul de ces éléments auraient rendu la détention subie par le recourant incompatible avec le niveau inévitable de souffrance inhérent à toute mesure de privation de liberté.
Selon les constatations non contestées de l'instance précédente, le recourant a passé 77 jours consécutifs (du 2 juillet au 16 septembre 2014) avec cinq autres personnes dans une cellule prévue pour trois. Bénéficiant d'une promenade quotidienne de 50 minutes, il était ainsi confiné dans un espace individuel vraisemblablement inférieur à 3.83 m 2 pendant près de 23 heures sur 24. Se fondant sur la jurisprudence précitée du Tribunal fédéral, l'instance précédente a, à juste titre, relevé que la détention de 77 jours dans de telles circonstances ne représentait pas un traitement dégradant portant atteinte à la dignité du prévenu. Quoi qu'en pense le recourant, la période de détention critiquée par le recourant est en effet sensiblement inférieure au seuil indicatif de trois mois fixé par la jurisprudence.
2.3. L'instance précédente n'a en outre pas violé le droit en considérant que les éléments invoqués par le recourant ne permettaient pas de modifier cette appréciation. Celle-ci a en particulier considéré - sans que le recourant n'émette la moindre critique sur ce point - que l'intéressé n'avait pas démontré que le diagnostic posé en 2013 - faisant état de séquelles d'une ancienne tuberculose - et la recommandation établie par un médecin en novembre 2013 en vue de son placement dans une cellule non-fumeur, étaient toujours d'actualité lors de son incarcération en juillet 2014. Le recourant ne conteste en outre pas l'assertion de l'instance précédente selon laquelle il serait lui-même fumeur. Il n'y a dès lors pas lieu de s'écarter de l'appréciation de l'instance précédente sur ce point.
Par ailleurs, l'absence d'un suivi complet de type psychothérapeutique pendant la période en cause - en raison de troubles psychiques dont souffrirait le recourant - ne peut en l'espèce être retenue comme portant atteinte à la dignité humaine de ce dernier. Celui-ci a certes produit deux documents attestant qu'il a connu en 2008 une symptomatologie anxio-dépressive (rapport de l'unité d'accueil et d'urgence psychiatrique des Hôpitaux Universitaires de Genève du 7 juin 2008) et qu'il a séjourné en mai 2014 au CSH de Marsens durant trois semaines après s'y être présenté pour "mise à l'abri d'idées suicidaires" (rapport du CSH du 4 juillet 2014). Il convient tout d'abord de relativiser la portée des documents transmis puisque le premier est daté du mois de juin 2008 et que le second est largement caviardé par le recourant; le caviardage ne laisse en l'occurrence apparaître qu'une très brève partie de l'anamnèse et aucun diagnostic des troubles actuels de l'intéressé n'est apparent. Au vu de ces éléments, il n'y avait pas lieu de mettre en place immédiatement un suivi complet de type psychothérapeutique. Le recourant ne démontre ainsi pas que l'accès à des soins médicaux lui aurait été refusé. Pour le surplus, l'intéressé ne saurait reprocher aux autorités pénales d'avoir attendu le mois d'octobre 2014 pour mettre en place un tel suivi psychothérapeutique complet. En effet, il ressort des faits établis par l'instance précédente que le recourant a été pris en charge par le service médical de la prison dès que le Ministère public a été informé des intentions suicidaires exprimées par l'intéressé dans les courriers adressés à sa famille début octobre 2014.
2.4. Enfin, le recourant ne motive pas sa conclusion en constatation de l'illégalité de sa détention en tant qu'elle porte sur la période entre le 16 et le 29 septembre 2014 (occupation d'une cellule dite individuelle par trois détenus). Elle est donc irrecevable, faute de satisfaire aux exigences minimales de motivation (art. 42 al. 2 LTF). Cela étant, à supposer recevable, elle aurait dû être rejetée conformément à la jurisprudence susmentionnée (cf. supra consid. 2.1).
En définitive, il découle de ce qui précède que, pour la période concernée, les conditions d'incarcération du recourant, pour difficiles qu'elles aient été, respectent les exigences conventionnelles et constitutionnelles découlant des art. 3 CEDH et 7 Cst. La conclusion subsidiaire demandant qu'une enquête soit ordonnée à propos des conditions de la détention du recourant est dès lors sans objet. Par conséquent, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
3.
Dès lors que le recourant est dans le besoin et que ses conclusions ne paraissaient pas d'emblée vouées à l'échec, l'assistance judiciaire doit lui être accordée (art. 64 al. 1 LTF). Il y a lieu de désigner Me Dimitri Iafaev en qualité d'avocat d'office et de fixer d'office ses honoraires, qui seront supportés par la caisse du Tribunal fédéral (art. 64 al. 2 LTF). Le recourant est en outre dispensé des frais judiciaires (art. 64 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Dimitri Iafaev est désigné comme avocat d'office du recourant et ses honoraires, supportés par la caisse du Tribunal fédéral, sont fixés à 1'500 francs.
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de la République et canton de Genève et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours.
Lausanne, le 22 décembre 2014
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Fonjallaz
La Greffière : Arn