BGer 1C_269/2013
 
BGer 1C_269/2013 vom 10.12.2013
{T 0/2}
1C_269/2013
 
Arrêt du 10 décembre 2013
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Merkli et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.
Participants à la procédure
A.X.________,
représenté par Me Tony Donnet-Monay, avocat,
recourant,
contre
Y.________,
représenté par Me Laurent Trivelli, avocat,
intimé,
Municipalité de Bex, case postale 64, 1880 Bex, représentée par Me Benoît Bovay.
Objet
ordre de remise en état,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 15 février 2013.
 
Faits:
A. Le 27 mars 2007, A.X.________ et B.X.________ ont obtenu l'autorisation de construire deux immeubles contigus de huit appartements sur la parcelle n° 548 de la commune de Bex, au lieu-dit l'Allex d'Enhaut. La parcelle a ensuite été vendue à Y.________, lequel a demandé formellement, le 18 février 2010, de pouvoir apporter des modifications au projet, notamment en changeant la couleur de la toiture (noir anthracite au lieu de terre cuite) et en ajoutant au faîte du pan sud deux rangées de panneaux solaires (photovoltaïques et thermiques) sur quasiment toute la longueur. Outre un jeu de plans où figure cette adjonction, le requérant produisit une convention avec les propriétaires voisins (parmi lesquels A.X.________) portant sur l'installation d'une piscine et de cabanons en dérogation au périmètre d'implantation. La Municipalité a accordé le permis le 24 mars 2010 sans enquête publique, compte tenu de l'accord des propriétaires voisins et de la minime importance des travaux.
B. Le 30 août 2011, A.X.________ s'est adressé à la Municipalité, relevant que deux lucarnes à châssis rampants (velux) avaient été posées parmi les panneaux solaires, et que le périmètre d'implantation n'avait pas été respecté. Y.________ a expliqué qu'il avait changé de modèle de panneaux solaires, sur trois rangées au lieu de deux pour une surface identique et qu'il n'avait réalisé que deux des huit éléments vitrés qui avaient, selon lui, été autorisés.
Par décision du 21 septembre 2011, la Municipalité a imparti à Y.________ un délai au 30 novembre pour éliminer les châssis rampants installés sans autorisation.
C. Par arrêt du 15 février 2013, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois a admis le recours formé par Y.________ et annulé l'ordre de remise en état. Les panneaux solaires faisaient partie de l'autorisation accordée le 24 mars 2010, et ils étaient conformes à l'art. 18a LAT. Bien que non mentionnées dans la liste de modifications du projet initial, les ouvertures figuraient dans l'une des annexes. L'intéressé pouvait considérer de bonne foi que l'autorisation portait également sur ce point.
D. A.X.________ forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt. Principalement, il en demande la réforme en ce sens que la décision du 21 septembre 2011 est confirmée. Subsidiairement, il demande le renvoi de la cause à l'instance cantonale pour nouvelle instruction et nouvelle décision au sens des considérants.
La cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt. La Municipalité s'en remet à justice. Y.________ conclut au rejet du recours. Le recourant a formulé de nouvelles observations, persistant dans ses motifs et conclusions. L'intimé a renoncé à déposer de nouvelles observations.
 
Considérant en droit:
1. Dirigé contre une décision rendue dans le domaine du droit public de l'aménagement du territoire et des constructions, le recours est recevable comme recours en matière de droit public conformément aux art. 82 ss LTF. Le recourant, propriétaire voisin de la construction litigieuse et qui a participé à la procédure devant l'instance précédente, a qualité pour agir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Déposé en temps utile et dans les formes requises contre une décision finale, le recours est recevable au regard des art. 42, 90 et 100 al. 1 LTF.
2. Dans un grief d'ordre formel, qu'il convient d'examiner en premier, le recourant invoque son droit d'être entendu en reprochant à la cour cantonale d'avoir insuffisamment motivé son arrêt, en ne citant pas les dispositions juridiques pertinentes tant à propos de la bonne foi de l'intimé que de l'obligation pour le recourant de payer les frais et dépens pour la procédure de recours à la place de l'autorité communale.
2.1. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. implique notamment pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais elle peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents (ATF 139 IV 179 consid. 2.2 p. 183; 138 I 232 consid. 5.1 p. 238 et les références).
2.2. L'arrêt attaqué rappelle la teneur des dispositions du règlement du plan partiel d'affectation (RPPA) relatives aux toitures et lucarnes (art. 16 et 17, consid. B en fait). Il est ensuite fondé, pour l'essentiel, sur l'existence d'une autorisation de construire et sur une application du principe de la bonne foi, soit des principes généraux qui ne nécessitaient pas l'indication d'une base légale particulière. Quoi qu'il en soit, le recourant et l'autorité de recours sont à même de comprendre les raisons qui ont conduit au prononcé attaqué ce qui, sous l'angle du droit d'être entendu, est suffisant. Il en va de même s'agissant des frais et dépens, mis à la charge du recourant qui intervenait comme dénonciateur, à l'instar de l'opposant en cas d'enquête publique. La commune a été exemptée en vertu du principe qui veut que les collectivités publiques agissant dans le cadre de leurs compétences n'aient pas à supporter les frais et dépens des procédures de recours, dès lors qu'elles n'interviennent pas comme parties mais comme autorités intimées (cf. art. 66 al. 4 LTF). Cela constitue également une motivation suffisante.
3. Sur le fond, le recourant se plaint d'arbitraire dans l'établissement des faits. Contrairement à ce que retient l'arrêt attaqué, il n'aurait pas donné son accord à l'intégralité des modifications apportées au projet, mais seulement aux dérogations au périmètre d'implantation pour la piscine et les cabanons. La cour cantonale aurait aussi faussement retenu que les éléments vitrés remplaçaient les panneaux solaires, car la couleur et les dimensions des éléments seraient différentes. Elle aurait mal interprété un document produit par le constructeur en estimant que des velux étaient prévus dans la toiture, alors que le document ne comporte que des panneaux solaires. Elle aurait enfin méconnu que l'intimé est un professionnel de l'immobilier qui ne pouvait ignorer l'interdiction réglementaire des châssis rampants, de sorte que sa bonne foi ne pouvait être admise.
3.1. Il n'y a arbitraire dans l'établissement des faits ou l'appréciation des preuves que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables (cf. ATF 136 III 552 consid. 4.2 p. 560). Il ne suffit pas que la motivation de la décision critiquée soit insoutenable; encore faut-il que celle-ci se révèle arbitraire dans son résultat (ATF 138 I 305 consid. 4.3 p. 319).
3.2. La cour cantonale n'a pas retenu que le recourant connaissait l'intégralité des changements apportés au projet. Elle a simplement relevé qu'une convention avait été passée, portant sur les dérogations à la distance aux limites comme cela ressort de la lettre C de l'état de fait de l'arrêt attaqué. L'existence d'un accord des propriétaires voisins n'est d'ailleurs pas un motif pour lequel la cour cantonale a annulé l'ordre de remise en état, l'arrêt attaqué n'étant fondé que sur la bonne foi du constructeur.
La constatation selon laquelle les deux ouvertures litigieuses "remplacent en quelque sorte les panneaux solaires, la vitre étant au même niveau que les panneaux adjacents", ne saurait être qualifiée d'arbitraire: la cour cantonale a simplement voulu exprimer que les éléments litigieux étaient de même taille que les panneaux solaires qu'ils remplaçaient et étaient de ce fait bien intégrés, quand bien même ils seraient nettement visibles.
L'arrêt attaqué reconnaît également que les huit ouvertures vitrées prévues à l'origine ne figurent pas sur les plans produits avec la demande; il relève toutefois qu'un document annexe fait référence à "huit éléments vitrés" sans fonction photovoltaïque ou thermique. Il n'y a, sur ce point également, aucun arbitraire.
Le recourant reproche enfin en vain à la cour cantonale d'avoir ignoré que l'intimé est un professionnel de l'immobilier. Il ressort en effet clairement de l'arrêt attaqué que ce dernier connaissait la teneur de l'art. 17 RPPA qui interdit les châssis rampants.
Le grief d'arbitraire dans l'établissement des faits doit par conséquent être écarté.
4. L'arrêt attaqué repose essentiellement sur la bonne foi du constructeur, en retenant que celui-ci pouvait légitimement penser que les deux velux litigieux étaient couverts par l'autorisation de construire.
Le recourant estime que l'arrêt cantonal ferait une application erronée du principe de la bonne foi. Le silence de l'autorité communale à propos de l'installation de châssis rampants ne saurait être assimilé à une autorisation dans la mesure où la demande de l'intimé ne mentionnait pas ces éléments, lesquels sont au demeurant exclus par la réglementation (art. 17 RPPA). L'intimé, professionnel de l'immobilier, avait lui-même admis qu'il connaissait cette interdiction.
4.1. Selon la jurisprudence, l'ordre de démolir une construction ou un ouvrage édifié sans permis et pour lequel une autorisation ne pouvait être accordée n'est en principe pas contraire au principe de la proportionnalité. Celui qui place l'autorité devant un fait accompli doit s'attendre à ce qu'elle se préoccupe davantage de rétablir une situation conforme au droit que des inconvénients qui en découlent pour le constructeur (ATF 123 II 248 consid. 4a p. 255; 108 la 216 consid. 4b p. 218). L'autorité renonce à une telle mesure si les dérogations à la règle sont mineures, si l'intérêt public lésé n'est pas de nature à justifier le dommage que la démolition causerait au maître de l'ouvrage, si celui-ci pouvait de bonne foi se croire autorisé à construire ou encore s'il y a des chances sérieuses de faire reconnaître la construction comme conforme au droit qui aurait changé dans l'intervalle (arrêt 1C_107/2011 du 5 septembre 2011; ATF 123 Il 248 consid. 3a/bb p. 252; 111 Ib 213 consid. 6 p. 221 ss et les arrêts cités).
4.2. Ancré à l'art. 9 Cst. et valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale. A certaines conditions, le citoyen peut ainsi exiger de l'autorité qu'elle se conforme aux promesses ou assurances qu'elle lui a faites et ne trompe pas la confiance qu'il a légitimement placée dans celles-ci. L'administration doit être intervenue à l'égard de l'administré dans une situation concrète et celui-ci doit avoir pris, en se fondant sur les promesses ou le comportement de l'administration, des dispositions qu'il ne saurait modifier sans subir de préjudice (ATF 131 II 627 consid. 6.1 p. 636/637; 129 II 361 consid. 7.1 p. 381).
4.2.1. Avec sa demande de modifications, l'intimé a produit une liste et des plans où sont mises en évidence les modifications requises, notamment la pose de panneaux solaires (sur deux rangées au lieu des trois - de même surface - finalement installées); les velux ne figurent ni sur la liste, ni sur les plans. Le document A4 intitulé "détail énergie solaire pour bâtiment A et B" mentionne "8 éléments vitrés" en plus des panneaux photovoltaïques et thermiques. Des illustrations montrent les deux sortes d'éléments, insérés dans le même châssis. Ce document isolé ne suffit toutefois pas pour admettre la bonne foi du constructeur. La mention "éléments vitrés" prête à confusion: elle ne fait pas ressortir qu'il s'agit de véritables fenêtres, et les illustrations pourraient être interprétées comme un simple exemple de montage des panneaux solaires; l'emplacement des ouvertures dans la toiture ne figure sur aucun document.
L'intimé, professionnel de l'immobilier, admet avoir connu l'interdiction réglementaire des velux dans les pans sud des toits; il ne pouvait non plus ignorer que la simple adjonction d'un document annexé aux plans ne pouvait valoir comme une demande d'autorisation de construire. La commune a d'ailleurs manifestement ignoré les intentions du constructeur sur ce point puisque la pose de velux ne figure pas dans le permis de construire, alors que le projet nécessitait sur ce point une dérogation.
4.3. Sur le vu de ce qui précède, l'intimé ne pouvait sans arbitraire être mis au bénéfice de la bonne foi. L'arrêt attaqué doit par conséquent être annulé. L'ordre de remise en état doit pour sa part être confirmé: l'infraction à la réglementation est évidente; outre l'intérêt public poursuivi à l'art. 19 RPPA, il s'agit également d'éviter de rendre les combles habitables puisqu'une telle affectation est exclue. Contrairement à ce que soutient l'intimé, il ne s'agit donc pas d'un simple problème d'ordre esthétique. Quant aux frais de remise en état, l'intimé les estime à 30'000 fr.; il fait en outre valoir l'impossibilité de raccorder de nouveaux éléments photovoltaïques à ceux existant. Il est toutefois douteux qu'une remise en conformité - quelle que soit la solution choisie -, soit plus coûteuse que l'installation contestée, laquelle a été devisée à quelque 16'500 fr.
4.4. Le recours devant être admis sur ce point, il n'y a pas lieu de traiter les autres griefs d'arbitraire soulevés par le recourant.
5. Le recours doit par conséquent être admis. L'arrêt attaqué est annulé et la décision municipale du 21 septembre 2011 est confirmée. Conformément aux art. 66 al. 1 et 68 al. 2 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge de l'intimé, qui succombe, de même qu'une indemnité de dépens allouée au recourant, qui a agi par l'entremise d'un avocat. Il y a lieu par ailleurs, conformément aux art. 67 et 68 al. 5 LTF, de statuer à nouveau sur les frais et dépens de l'instance cantonale. Les frais de l'arrêt cantonal sont mis à la charge de l'intimé et l'indemnité de dépens peut être fixée globalement à 3'500 fr. pour les procédures fédérale et cantonale.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1. Le recours est admis; l'arrêt attaqué est annulé et la décision du 21 septembre 2011 de la Municipalité de Bex est confirmée.
2. Les frais judiciaires pour la procédure devant le Tribunal fédéral, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de l'intimé Y.________. Les frais de la procédure cantonale, soit 1'500 fr., sont mis à la charge de l'intimé Y.________.
3. Une indemnité de dépens de 3'500 fr. est allouée au recourant pour les procédures fédérale et cantonale, à la charge de l'intimé Y.________.
4. Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Municipalité de Bex et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public.
Lausanne, le 10 décembre 2013
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Fonjallaz
Le Greffier: Kurz