BGer 1C_538/2012
 
BGer 1C_538/2012 vom 28.06.2013
{T 0/2}
1C_538/2012
 
Arrêt du 28 juin 2013
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Aemisegger, Juge présidant,
Karlen et Chaix.
Greffière: Mme Kropf.
Participants à la procédure
X._______ _,
représenté par Me Yann Jaillet, avocat,
recourant,
contre
Office fédéral des migrations.
Objet
annulation de la naturalisation facilitée,
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour III, du 14 septembre 2012.
 
Faits:
 
A.
Le 6 octobre 2000, X.________, ressortissant marocain né en 1964, a épousé A.________, ressortissante suisse née en 1959. Un peu moins d'un an auparavant, le *** 1999, et alors que le couple vivait en concubinage, est née leur fille, B.________.
Par requête du 25 mars 2002, réitérée le 17 janvier 2003, X.________ a requis la naturalisation facilitée qu'il a obtenue le 24 novembre 2005, après avoir co-signé avec son épouse le 15 août 2005 une déclaration confirmant la stabilité et l'effectivité de la communauté conjugale.
Le 22 janvier 2008, les époux ont déposé une requête commune en divorce, assortie d'une convention sur les effets accessoires datée du 12 décembre 2007. Le divorce a été prononcé le 8 août 2008. X.________ s'est marié au Maroc le 12 novembre 2008 avec une ressortissante de ce pays née en 1982, et avec qui il a eu une fille née le *** 2011.
 
B.
Par courrier du 23 mars 2009, l'Office fédéral des migrations (ODM) a informé X.________ qu'il devait examiner s'il y avait lieu d'annuler la naturalisation facilitée, compte tenu de la séparation intervenue en 2005 et du divorce prononcé le 8 août 2008. L'intéressé a exposé, le 10 avril 2009, que ses relations - déjà tendues - avec le fils du premier mariage de son ex-épouse s'étaient dégradées durant l'automne et l'hiver, pour aboutir à leur séparation au printemps 2006. Son ex-femme s'est expliquée par écrit le 17 avril 2009, puis oralement le 8 octobre 2009, relevant en particulier que si elle pensait au moment de la signature de la déclaration du 15 août 2005 que les choses s'arrangeraient dans son couple, elle reconnaissait que la première séparation intervenue en 2003, puis la seconde à sa demande en mars 2006 démontraient que leur communauté n'était pas stable. X.________ a formé des observations le 16 novembre 2009, rappelant notamment que son beau-fils passait alors plusieurs jours par semaine au domicile du couple.
Après avoir obtenu l'assentiment des autorités cantonales, l'ODM a, par décision du 25 mars 2010, annulé la naturalisation facilitée. L'enchaînement des faits - arrivée en Suisse en tant que touriste (1993), entrée dans la clandestinité (dès le 8 mars 1994), recours à deux mariages successifs (le 13 mars 1997, union ayant été qualifiée judiciairement de complaisance; puis le 6 octobre 2000) à chaque fois que X.________ était le sujet d'une décision d'interdiction de séjour impliquant son renvoi (le 12 mars 1997 et le 11 novembre 1999), commission de violences au sein du couple, recours à deux reprises à une procédure judiciaire de séparation (septembre 2003 et avril 2006) peu avant le dépôt prématuré d'une requête de naturalisation facilitée (le 25 mars 2002), introduction d'une demande commune de divorce (le 22 janvier 2008) suivie de démarches tendant à épouser une ressortissante marocaine plus jeune que ses deux épouses suisses précédentes (le 24 avril 2008) - permettait d'établir que lors de la déclaration du 15 août 2005 ou au moment du prononcé de la naturalisation, le mariage de l'intéressé n'était pas constitutif d'une communauté conjugale effective et stable. La naturalisation facilitée avait donc été octroyée sur la base de déclarations mensongères, voire d'une dissimulation de faits essentiels.
 
C.
Par arrêt du 14 septembre 2012, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a rejeté le recours formé par X.________. Cette autorité a retenu que le court laps de temps entre la déclaration du 15 août 2005, l'octroi de la naturalisation facilitée le 24 novembre 2005 et la séparation de fait en mars ou avril 2006 tendait à confirmer que le couple n'envisageait déjà plus une vie future partagée lors de la signature de ladite déclaration et encore moins lors de la décision d'octroi. Elle a également relevé que plusieurs indices confortaient ce point de vue, soit le passé de l'intéressé, sa précipitation à vouloir obtenir la naturalisation et la séparation de 2003 indiquant l'existence de fortes tensions dans le couple. L'existence de leur fille, ainsi que l'allégation de loisirs communs ne permettaient pas de remettre en cause la dégradation continue de leur relation au cours des deux années précédant la signature de la déclaration commune. Cette autorité n'a enfin pas retenu que les rapports conflictuels entre X.________ et son beau-fils puissent être à l'origine d'une brutale aggravation des relations du couple postérieurement au 15 août 2005.
 
D.
Par acte du 22 octobre 2012, X.________ forme un recours en matière de droit public, concluant, à titre principal, à la réforme de l'arrêt du 14 septembre 2012 en ce sens que la décision de l'ODM du 25 mars 2010 est annulée et, à titre subsidiaire, à l'annulation de la décision du TAF et au renvoi de la cause à cette autorité pour nouvelle décision.
Invités à se déterminer, l'ODM a confirmé sa position, tandis que l'autorité précédente a renoncé à formuler des observations. Le recourant a déposé de nouvelles déterminations le 14 janvier 2013.
 
Considérant en droit:
 
1.
L'arrêt attaqué émane du Tribunal administratif fédéral et concerne l'annulation de la naturalisation facilitée accordée au recourant, si bien qu'il peut faire l'objet d'un recours en matière de droit public (art. 82 let. a et 86 al. 1 let. a LTF). Le motif d'exclusion de l'art. 83 let. b LTF n'entre pas en ligne de compte, dès lors qu'il s'agit en l'espèce de la naturalisation facilitée et non pas de la naturalisation ordinaire. Pour le surplus, le recourant possède la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF et les conditions de recevabilité sont remplies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2. Le recourant considère que les premiers juges se sont appuyés à tort sur des éléments déjà connus au moment de l'octroi de la naturalisation facilitée pour fonder leur décision, faisant ainsi preuve d'arbitraire.
L'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'instance précédente que si elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou si elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. Il ne suffit pas que la motivation de la décision soit insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF 138 III 378 consid. 6.1 p. 379 s.; 136 I 316 consid. 2.2.2 p. 318 s.; 135 V 2 consid. 1.3 p. 4 s.; 134 I 263 consid. 3.1 p. 265 s.). En particulier, lorsque la partie recourante s'en prend à l'appréciation des preuves et à l'établissement des faits, la décision n'est arbitraire que si le juge n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9).
En l'espèce, les premiers juges fondent principalement leur appréciation sur les circonstances survenues ultérieurement à la date de l'octroi de la naturalisation facilitée (séparation de fait, divorce, remariage). Ils ne font référence à certains événements antérieurs au 24 novembre 2005 (mariage de complaisance, période de séparation du couple en 2003, deux démarches prématurées de naturalisation facilitée) qu'à titre d'indices venant conforter leur point de vue (cf. consid. 7.4 p. 15 du jugement attaqué). Ce faisant, l'autorité précédente ne procède pas de manière choquante, ne manquant d'ailleurs pas de tenir compte également d'éléments en faveur du recourant, telle la naissance de sa fille en 1999.
En conséquence et vu l'examen complet effectué par l'autorité précédente, le grief d'arbitraire doit être rejeté.
3. Le recourant reproche ensuite aux premiers juges une application erronée de l'art. 41 de la loi fédérale du 29 septembre 1952 sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse (LN ou loi sur la nationalité; RS 141.0). Selon lui, le "relativement court laps de temps" entre la déclaration commune des époux, la décision d'octroi de la naturalisation et la séparation de fait ne suffirait pas à fonder une présomption sérieuse de défaut de communauté conjugale. Le recourant soutient également que le caractère extraordinaire de ses relations conflictuelles avec le fils de son ex-épouse expliquerait la dégradation du couple jusqu'à la séparation en 2006.
3.1. Conformément aux art. 41 al. 1 LN dans sa teneur jusqu'au 1
La notion de communauté conjugale suppose non seulement l'existence formelle d'un mariage, mais encore une véritable communauté de vie des conjoints; tel est le cas s'il existe une volonté commune et intacte de ceux-ci de maintenir une union conjugale stable; une séparation survenue peu après l'octroi de la naturalisation constitue un indice de l'absence de cette volonté lors de l'obtention de la citoyenneté suisse (ATF 135 II 161 consid. 2 p. 165; 130 II 482 consid. 2 p. 484; 128 II 97 consid. 3a p. 98 s.; 121 II 49 consid. 2b p. 51 s.). La jurisprudence admet que l'autorité puisse se fonder sur une présomption pour établir que le conjoint naturalisé a menti lorsqu'il a déclaré former une union stable, dans la mesure où il s'agit d'un fait psychique, lié à des éléments relevant de la sphère intime et difficiles à prouver (ATF 135 II 161 consid. 3 p. 166; 130 II 482 consid. 3.2 p. 485 s.). Si l'enchaînement rapide des événements fonde une telle présomption, c'est alors à l'administré qu'il incombe de la renverser (ATF 130 II 482 consid. 3.2 p. 486). Il n'a pas besoin, pour cela, de rapporter la preuve contraire : il suffit qu'il parvienne à faire admettre l'existence d'une possibilité raisonnable qu'il n'ait pas menti en déclarant former une communauté stable avec son conjoint. Il peut le faire notamment en rendant vraisemblable, soit la survenance d'un événement extraordinaire susceptible d'expliquer une détérioration rapide du lien conjugal, soit l'absence de conscience de la gravité de ses problèmes de couple et, ainsi, l'existence d'une véritable volonté de maintenir une union stable avec son conjoint lorsqu'il a signé la déclaration (ATF 135 II 161 consid. 3 p. 165 s. et les arrêts cités).
3.2. En l'espèce, le recourant et son épouse ont signé la déclaration relative à la stabilité de leur union le 15 août 2005 et la naturalisation facilitée a été accordée au recourant le 24 novembre 2005. En mars ou en avril 2006, le couple s'est séparé et des mesures protectrices de l'union conjugale, statuant notamment sur la vie séparée, ont été ordonnées le 12 avril 2006. Le 22 janvier 2008, le recourant et son épouse ont déposé une requête commune en divorce et ont produit une convention signée le 12 décembre 2007. Le 8 août 2008, leur divorce a été prononcé, puis le 12 novembre 2008, le recourant s'est remarié avec une ressortissante marocaine. Cet enchaînement des événements - en particulier la séparation de fait intervenue seulement sept à huit mois après la signature de la déclaration commune - est propre à fonder la présomption que les liens conjugaux ne présentaient pas, au moment déterminant, la stabilité et l'intensité suffisantes pour retenir que le couple envisageait réellement une vie future commune.
Le recourant ne réussit pas non plus à rendre vraisemblable que ses rapports conflictuels avec le fils mineur de son ex-épouse puissent être à l'origine d'une dégradation des relations du couple à partir du 15 août 2005 d'une telle ampleur que la seule issue possible ait été la séparation. En effet, la présence de tensions entre les époux n'est pas nouvelle, puisqu'ils se sont séparés une première fois en 2003. De plus, l'allégation de possibles actes de violence - certes contestés - par l'un des conjoints vient confirmer l'existence d'un climat déjà tendu au sein du couple, préalablement à la déclaration commune.
Il en découle que les conditions d'application de l'art. 41 LN sont réunies et que l'autorité précédente n'a pas violé le droit fédéral en confirmant l'annulation de la naturalisation facilitée qui avait été octroyée au recourant.
 
4.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté. Le recourant qui succombe doit supporter les frais de la présente procédure (art. 66 al. 1 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
Le recours est rejeté.
 
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
 
3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, à l'Office fédéral des migrations et au Tribunal administratif fédéral, Cour III.
Lausanne, le 28 juin 2013
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant: Aemisegger
La Greffière: Kropf