BGer 4A_655/2012
 
BGer 4A_655/2012 vom 25.02.2013
{T 0/2}
4A_655/2012
 
Arrêt du 25 février 2013
 
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux Klett, présidente, Corboz, Kolly, Kiss et Niquille.
Greffier: M. Ramelet.
Participants à la procédure
X.________, représenté par Me Stefano Fabbro,
recourant,
contre
Hôpital intercantonal Y.________,
agissant par Hôpital Z.________,
représenté par Me René Schneuwly,
intimé.
Objet
responsabilité de l'Etat pour les activités médicales,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Fribourg, Ie Cour administrative, du 28 septembre 2012.
 
Faits:
 
A.
Le 7 août 2003 à 17 h.40, X.________, né le 9 avril 1959, s'est présenté aux urgences de l'Hôpital intercantonal Y.________ en raison de douleurs violentes au mollet gauche. L'assistante qui l'a reçu a constaté que le diamètre de son mollet gauche était supérieur de 2 cm à celui du mollet droit; la palpation au-dessus de la cheville et jusqu'au creux poplité était douloureuse. X.________ a expliqué qu'il faisait " la planche " sur le lac lorsque la douleur est apparue. Il a affirmé n'avoir subi aucun choc ni effectué aucun faux mouvement peu auparavant; il n'a pas fait état non plus d'une immobilisation prolongée. X.________ a été examiné par l'interniste médecin-chef qui a effectué un examen radiologique ultrason et a suspecté le développement d'une thrombose jambière sur les veines profondes. Il a administré au patient une dose d'anticoagulant (0,8 ml de Fraxiforte) et une demi-dose de morphine. Il a conseillé à X.________ de se rendre chez son médecin traitant le lendemain matin et à la Polyclinique médicale universitaire en cas d'augmentation des douleurs. Le patient a alors quitté l'hôpital.
Les douleurs ayant empiré, X.________ s'est présenté aux alentours de 21 h.00 au Centre médical de ..., où un syndrome des loges a été suspecté. Il a été transféré à 22 h.30 au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (ci-après: CHUV). Il a été noté une suspicion de syndrome des loges et la présence d'un hématome a été constaté. X.________ a été opéré le lendemain matin entre 05 h.00 et 06 h.30; il est resté hospitalisé durant trente-quatre jours au CHUV, période durant laquelle il a subi huit autres opérations. Le 12 août 2003, l'hypothèse d'une thrombose jambière sur les veines profondes a été écartée et le traitement anticoagulant a été arrêté.
En avril 2004, souffrant toujours de sa jambe ainsi que de troubles de la mémoire, X.________ a déposé une demande de rente de l'assurance-invalidité (AI). Le 29 mai 2010, une rente entière AI lui a été accordée du 1 er août 2004 au 31 mars 2005, puis dès cette date un quart de rente. Le 11 novembre 2005, X.________ a convenu avec son employeur de mettre fin à leurs rapports de travail avec effet au 31 décembre 2005, X.________ n'ayant plus été à même d'assumer normalement ses fonctions en raison de problèmes de santé.
 
B.
Par mémoire du 12 septembre 2006, X.________ a formé auprès du Tribunal administratif fribourgeois (devenu par la suite la Cour administrative du Tribunal cantonal) une demande en paiement dirigée contre l'Hôpital intercantonal Y.________, réclamant à ce dernier la somme de 1'337'700 fr. à titre de dommages-intérêts - sous imputation des prestations de l'assurance invalidité - et un montant de 70'000 fr. à titre de réparation du tort moral. Il a soutenu qu'il avait été victime d'une erreur de diagnostic ayant entraîné un traitement contre-indiqué.
L'hôpital s'est opposé à la demande en totalité.
Incertain quant à la qualité pour défendre de l'hôpital, X.________ a ensuite ouvert une action identique contre l'Association des communes A.________, l'Association d'hôpitaux B.________ et le Réseau hospitalier C.________.
Par décision du 28 mai 2009, la Cour administrative du Tribunal cantonal a retenu que le Réseau hospitalier C.________ (devenu par la suite l'Hôpital Z.________) était responsable des actes médicaux accomplis à l'Hôpital intercantonal Y.________, de sorte que la procédure s'est poursuivie exclusivement contre ce défendeur.
Une expertise judiciaire a été ordonnée et l'expert a rendu son rapport daté du 21 juillet 2010. Il est apparu cependant que l'expert avait mal compris les circonstances, croyant que le patient faisait de la planche à voile sur le lac, alors qu'en réalité il faisait " la planche ", expression qui vise une forme de nage particulièrement paisible. L'expert a alors rendu un rapport complémentaire le 27 décembre 2010.
Statuant par arrêt du 28 septembre 2012, la Ie Cour administrative du Tribunal cantonal fribourgeois a rejeté la demande. La cour cantonale a retenu qu'il n'y avait ni acte illicite, ni relation de causalité naturelle entre l'acte illicite allégué et le dommage invoqué.
 
C.
X.________ exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Invoquant l'arbitraire dans l'établissement des faits et dans l'application du droit cantonal, il conclut à l'annulation de la décision attaquée et à la condamnation de sa partie adverse à lui payer la somme de 1'407'713 fr.10; subsidiairement, il demande le renvoi de la cause à l'autorité précédente. Sa requête d'effet suspensif a été admise, en l'absence de toute opposition, par ordonnance présidentielle du 28 novembre 2012.
L'intimé propose le rejet du recours pour autant qu'il soit recevable.
Les parties ont répliqué et dupliqué.
 
Considérant en droit:
 
1.
1.1. Le Tribunal fédéral examine librement et d'office la recevabilité des recours dont il est saisi (ATF 138 I 367 consid. 1 p. 369; 138 III 41 consid. 1 p. 42, 46 consid. 1). Peu importe donc que les parties n'aient pas soulevé le problème qui va être maintenant traité.
1.2. Par arrêt du 28 mai 2009, la cour cantonale a retenu que le Réseau hospitalier C.________, soit actuellement l'Hôpital Z.________, était responsable des actes médicaux accomplis à l'Hôpital intercantonal Y.________. Il s'agit là d'une pure question de droit cantonal. Le recours en matière civile ne peut pas être formé pour violation du droit cantonal, hormis les exceptions prévues par l'art. 95 let. c à e LTF, qui n'entrent pas en considération ici (ATF 134 III 379 consid. 1.2 p. 382; 133 I 201 consid. 1 p. 203; 133 III 462 consid. 2.3 p. 466). Le Tribunal fédéral n'applique d'office, en vertu de l'art. 106 al. 1 LTF, que le droit dont il peut contrôler le respect sur la base des art. 95 et 96 LTF. Il ne peut examiner la violation de dispositions de droit cantonal ou intercantonal que si le grief a été invoqué et motivé par la partie recourante (art. 106 al. 2 LTF). Il est donc hors de question de revenir sur cette décision.
Selon l'art. 4 de la loi fribourgeoise du 27 juin 2006 sur l'hôpital fribourgeois (LHFR; RSF 822.01), l'Hôpital Z.________ est un établissement de droit public doté de la personnalité juridique; il englobe notamment l'Hôpital intercantonal Y.________, sous réserve des dispositions spéciales de la convention intercantonale conclue entre les cantons de Fribourg et de Vaud (art. 2 LHFR). Il n'y a aucune raison de penser que la situation juridique était différente précédemment. On se trouve donc en présence d'un cas de responsabilité pour un hôpital public.
1.3. Selon la jurisprudence, les soins dispensés aux malades dans les hôpitaux publics ne se rattachent pas à l'exercice d'une industrie (cf. art. 61 al. 2 CO), mais relèvent de l'exécution d'une tâche publique; en vertu de la réserve facultative prévue à l'art. 61 al. 1 CO, les cantons sont donc libres de soumettre au droit public cantonal la responsabilité des médecins engagés dans un hôpital public pour le dommage ou le tort moral qu'ils causent dans l'exercice de leur charge (ATF 133 III 462 consid. 2.1 p. 465; 122 III 101 consid. 2a/aa et bb p. 104 s.).
1.4. Le canton de Fribourg a fait usage de cette faculté. L'actuel art. 41 LHFR prévoit expressément que la responsabilité de cet hôpital pour le préjudice que ses employés causent d'une manière illicite à autrui dans l'exercice de leurs fonctions, ainsi que la responsabilité de l'employé pour le dommage causé à son employeur en violant ses devoirs professionnels sont régies par la loi sur la responsabilité civile des collectivités publiques et de leurs agents.
L'art. 6 de la loi fribourgeoise du 16 septembre 1986 sur la responsabilité civile des collectivités publiques et de leurs agents (RSF 16.1) prévoit, à son alinéa 1 er, que les collectivités publiques répondent du préjudice que leurs agents causent d'une manière illicite à autrui dans l'exercice de leurs fonctions. L'alinéa 2 de cette disposition précise que le lésé ne peut faire valoir aucune prétention contre l'agent personnellement. L'art. 7 al. 1 de cette loi permet l'octroi d'une réparation morale en cas de lésions corporelles ou de mort d'homme.
Ainsi, le droit fribourgeois a institué une responsabilité causale qui suppose la réunion de trois conditions, un acte illicite, un dommage (ou un tort moral) et un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre l'acte illicite et le dommage (ou le tort moral) (ATF 133 III 462 consid. 4.1 p. 467 s.).
La demande relève donc exclusivement du droit public cantonal. Dès lors que l'on ne se trouve pas dans l'une des hypothèses prévues par l'art. 95 let. c à e LTF, le recours n'est ouvert que pour autant qu'il y ait violation du droit fédéral, en particulier une violation de l'interdiction de l'arbitraire découlant de l'art. 9 Cst. (ATF 137 V 57 consid. 1.3 p. 60, 143 consid. 1.2 p. 145).
1.5. Même s'il est vrai que le droit public cantonal peut renoncer à l'exigence d'une faute, il n'en demeure pas moins que les conditions de la responsabilité médicale, que celle-ci repose sur le droit privé ou sur le droit public, sont par ailleurs les mêmes et posent des problèmes spécifiques. De surcroît, la frontière entre le droit public et le droit privé, dans cette matière, n'est pas toujours très perceptible pour le justiciable: des médecins privés envoient leurs patients faire des examens dans un hôpital public tout en poursuivant leur traitement, tandis que des médecins d'hôpitaux publics sont autorisés à avoir une clientèle privée. Il paraît donc opportun, au moins au niveau du Tribunal fédéral, de soumettre toutes ces causes à la même voie de recours et de charger une seule et même cour de dégager une jurisprudence assurant l'application uniforme du droit.
L'art. 72 al. 2 LTF soumet désormais au recours en matière civile des causes qui relèvent du droit public. La liste figurant à l'art. 72 al. 2 let. b LTF est précédée de l'adverbe " notamment ", ce qui montre qu'elle n'est pas exhaustive. Dans un arrêt de principe rendu le 13 juin 2007 - que les autorités fribourgeoises peuvent d'autant moins ignorer qu'il concernait une cause provenant de ce canton -, le Tribunal fédéral a jugé que la responsabilité médicale, lorsqu'elle est soumise au droit public cantonal, donne lieu à des décisions qui sont certes prises en application du droit public, mais qui se rapportent à une matière qui doit être considérée comme connexe au droit civil au sens de l'art. 72 al. 2 let. b LTF (ATF 133 III 462 consid. 2.1 p. 465).
Il en résulte qu'une décision rendue dans ce domaine, même fondée sur le droit public cantonal, ne peut être attaquée devant le Tribunal fédéral que par la voie du recours en matière civile ou, si la valeur litigieuse est insuffisante, du recours constitutionnel, adressé à la première Cour de droit civil de cette juridiction (art. 31 al. 1 let. d du Règlement du Tribunal fédéral du 20 novembre 2006; RS 173.110.131).
La valeur litigieuse étant manifestement suffisante en l'espèce (art. 74 al. 1 let. b LTF), seul le recours en matière civile entre en considération.
1.6. Les conditions de recevabilité d'un recours en matière civile, outre les exigences générales des art. 90 à 101 LTF, sont régies par les art. 72 à 76 LTF.
L'art. 75 al. 2 LTF prévoit - sauf les exceptions qu'il mentionne - que les cantons instituent des tribunaux supérieurs comme autorités cantonales de dernière instance, statuant sur recours. Le droit fédéral a ainsi imposé aux cantons l'exigence d'une double instance, puisque le tribunal supérieur doit statuer sur recours.
Cette disposition (art. 75 al. 2 LTF) n'est pas entrée en vigueur en même temps que la LTF le 1 er janvier 2007. L'art. 130 al. 2 LTF, à titre de disposition transitoire, a accordé aux cantons un délai d'adaptation courant en principe jusqu'à l'entrée en vigueur du Code de procédure civile suisse (CPC; RS 272). Depuis l'entrée en vigueur du CPC le 1er janvier 2011, l'art. 75 al. 2 LTF est entré en force et le recours en matière civile au Tribunal fédéral - comme d'ailleurs le recours constitutionnel subsidiaire (art. 114 LTF) - n'est recevable que contre une décision cantonale de dernière instance (art. 75 al. 1 LTF) prise par un tribunal supérieur (art. 75 al. 2, 1ère phrase, LTF) et, sauf exception expresse, rendue sur recours (art. 75 al. 2, 2ème phrase, LTF) (ATF 138 III 41 consid. 1.1 p. 42; 137 III 424 consid. 2.1 p. 426). L'exigence de la double instance vaut pleinement pour les décisions communiquées après le 1 er janvier 2011 (arrêt 5A_266/2011 du 24 octobre 2011 consid. 1). Sauf à violer le principe de la primauté du droit fédéral (art. 49 Cst.), les cantons doivent permettre de recourir auprès d'un tribunal supérieur dans les causes pendantes au 1er janvier 2011 mais jugées après cette date (ATF 137 III 238 consid. 2.2 p. 240). Toutefois, les cantons demeurent libres de désigner l'autorité de première instance; il peut s'agir par exemple d'un juge unique, d'un tribunal ou d'une autorité administrative (cf. Message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4109 s. ch. 4.1.3.1), laquelle devra alors rendre une décision formelle susceptible de recours.
Dans le cas présent, le canton de Fribourg devait donc faire en sorte que la décision rendue par la Cour administrative le 28 septembre 2012, statuant en première instance, puisse faire l'objet d'un recours auprès d'un tribunal supérieur, fût-ce une autre chambre du même tribunal composée d'autres juges. Il est en effet évident que l'on ne se trouve pas dans un cas où le droit fédéral impose une instance cantonale unique ou autorise les cantons à prévoir une instance cantonale unique; la Cour administrative n'est pas un tribunal de commerce et elle n'a pas fondé sa compétence sur un accord des parties, de sorte que l'on ne se trouve dans aucun des cas d'exception prévus par l'art. 75 al. 2 let. a à c LTF.
Il appartiendra au canton de Fribourg d'organiser l'administration judiciaire selon l'exigence de la double instance instaurée par l'art. 75 al. 2 LTF. L'autorité judiciaire de rang supérieur qui précède immédiatement le Tribunal fédéral devra au moins pouvoir examiner les griefs visés aux art. 95 à 98 LTF (art. 111 al. 3 LTF).
Ainsi, le recours est irrecevable, parce qu'il est dirigé contre une décision rendue par une autorité statuant en première instance, et non pas sur recours comme l'exige l'art. 75 al. 2 LTF (cf. ATF 138 III 41 consid. 1.3 p. 44; 137 III 424 consid. 2.4 p. 428 s.). La cause doit être transmise pour nouvel examen au Tribunal cantonal du canton de Fribourg.
 
2.
Les parties ne sont pas responsables du fait que le canton de Fribourg n'a pas ouvert une voie de recours contre la décision rendue en première instance par la Cour administrative. Il se justifie donc de ne pas percevoir de frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF).
Comme les parties n'ont pas traité le problème qui se posait, aucune d'elles n'obtient gain de cause, de sorte qu'il convient de ne pas allouer de dépens (art. 68 al. 1 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
Le recours est irrecevable.
 
2.
La cause est transmise pour nouvel examen au Tribunal cantonal du canton de Fribourg.
 
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
 
4.
Il n'est pas alloué de dépens.
 
5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Fribourg, Ie Cour administrative.
Lausanne, le 25 février 2013
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: Klett
Le Greffier: Ramelet