BGer 6B_404/2012
 
BGer 6B_404/2012 vom 21.01.2013
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
{T 0/2}
6B_404/2012
Arrêt du 21 janvier 2013
Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Mathys, Président,
Jacquemoud-Rossari et Denys.
Greffière: Mme Cherpillod.
Participants à la procédure
X.________, représenté par Me Pierre-Dominique Schupp, avocat,
recourant,
contre
1. Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD,
2. A.________, représentée par Me Olivier Carré, avocat,
intimés.
Objet
Lésions corporelles graves par négligence,
recours contre le jugement de la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 8 mai 2012.
Faits:
A.
Le 21 juillet 2009, X.________, navigateur expérimenté, se trouvait au volant d'un bateau à moteur au large de Lutry, afin de suivre, avec une centaine d'autres bateaux principalement à moteur, l'évolution du voilier "Alinghi". Le plan d'eau était chaotique et traversé par un clapot croisé. A.________ et l'amie de X.________ étaient également à bord. Donnant des leçons de navigation à sa compagne, X.________ a voulu lui montrer comment il fallait manoeuvrer pour traverser une vague. Il a alors prié ses passagères de s'asseoir et de bien se tenir. Il a accéléré pour déjauger l'avant de son bateau et pris de trois quarts une vague provoquée par un bâtiment de la CGN. X.________, qui était seul aux commandes, naviguait à ce moment à une vitesse de l'ordre de 20 à 25 km/h, la manette des gaz à mi-course. Il a été surpris par une lame croisée qu'il n'a vue qu'au dernier moment, de sorte que le franchissement de la vague s'est avéré plus brutal que prévu. A.________, qui était assise sur une banquette avant et se tenait, a été propulsée en l'air et est retombée lourdement lorsque le bateau a tapé le creux de la vague. Ce choc a causé une fracture-tassement du mur antérieur de la vertèbre L1 qui a provoqué une cyphose de cette vertèbre d'environ 15 degrés. A.________ a dû être hospitalisée durant 9 jours, porter des corsets, prendre un traitement antalgique et suivre des séances de physiothérapie pendant plusieurs mois. Elle a également subi une incapacité de travail totale de plus de 5 mois. La valeur de l'atteinte à son intégrité physique est de 35%. Le pronostic est mauvais à moyen comme à long terme.
B.
Par jugement du 11 octobre 2011, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de l'Est vaudois a libéré X.________ des accusations de lésions corporelles graves par négligence et de détournement de valeurs patrimoniales mises sous main de justice, constaté que ce dernier s'était rendu coupable de violation des devoirs en cas d'accident, condamné X.________ à une amende de 100 fr., la peine privative de liberté de substitution étant de 2 jours, renoncé à révoquer le sursis octroyé le 28 mars 2007, donné acte à A.________ de ses réserves civiles à l'encontre de X.________, alloué à ce dernier une indemnité à titre de dépens réduits et mis une partie des frais à sa charge.
C.
Par jugement du 8 mai 2012, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a admis l'appel formé par A.________ et modifié le dispositif du jugement de première instance en ce sens que X.________ était désormais reconnu coupable de lésions corporelles graves par négligence et de violation des devoirs en cas d'accident et condamné à trente jours-amende, à 10 fr. le jour, avec sursis et délai d'épreuve de deux ans ainsi qu'à une amende de 100 fr., la peine privative de liberté de substitution étant de 2 jours. Les dépens octroyés en première instance étaient réduits et les frais mis à la charge de X.________ augmentés. Pour le reste, le jugement rendu le 11 octobre 2011 était maintenu.
En bref, cette autorité a estimé que X.________, navigateur expérimenté, avait, par le franchissement de la vague, opéré volontairement une man?uvre, sans nécessité aucune, dont il savait qu'il en résulterait un choc pour ses passagères, choc qui pouvait être violent en raison du risque de vagues croisées. Elle a dès lors considéré qu'il avait violé son devoir de vigilance, de manière fautive.
D.
X.________ forme un recours en matière pénale. Il conclut à la réforme du jugement d'appel en ce sens qu'il est revenu au dispositif rendu le 11 octobre 2011. Subsidiairement, il sollicite l'annulation du jugement d'appel et le renvoi de la cause à l'autorité de première, voire de deuxième instance, pour nouvelle décision.
Le Ministère public et la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud ont renoncé à se déterminer, cette dernière se référant à son jugement. A.________ a conclu au rejet du recours.
Considérant en droit:
1.
Invoquant une violation des art. 119 et 382 al. 1 CPP, le recourant fait grief à l'autorité cantonale d'avoir jugé recevable l'appel formé par l'intimée, celle-ci ayant uniquement demandé que lui soit donné acte de ses réserves civiles.
1.1 Les jugements des tribunaux de première instance qui ont clos tout ou partie de la procédure sont susceptibles de faire l'objet d'un appel en vertu de l'art. 398 al. 1 CPP. La qualité pour former appel est définie à l'art. 382 al. 1 CPP, disposition générique en matière de qualité pour recourir. Selon cette disposition, toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour recourir contre celle-ci (al. 1). La partie plaignante ne peut toutefois pas interjeter recours sur la question de la peine ou de la mesure prononcée (al. 2).
1.2 Dans une jurisprudence récente à laquelle on peut ici se référer, le Tribunal fédéral a considéré que la qualité pour recourir selon l'art. 382 al. 1 CPP ne devait pas être interprétée à la lumière de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF (arrêt 6B_261/2012 du 22 octobre 2012 consid. 3.3.4 destiné à la publication). Les moyens du recourant, dans la mesure où ils se fondent sur les exigences découlant de cette dernière disposition, sont donc sans pertinence ici.
Pour le surplus, le Tribunal fédéral a dans deux arrêts de principe admis que le lésé (art. 115 CPP), qui s'est constitué partie plaignante sur le plan pénal (art. 118 al. 1 et 119 al. 2 let. a CPP), est habilité à former appel pour ce qui concerne la culpabilité du prévenu, indépendamment de la prise de conclusions civiles (arrêt 6B_261/2012 du 22 octobre 2012 précité consid. 3) ou d'un appel joint du Ministère public (arrêt 6B_434/2012 du 14 décembre 2012 consid. 1.2 destiné à la publication). L'intimée a déposé plainte et s'est constituée partie civile selon la procédure cantonale alors applicable. En première instance, elle a uniquement demandé que lui soit donné acte de ses réserves civiles. Dans sa déclaration d'appel motivée, elle a requis la réforme du jugement de première instance, qui acquittait le recourant de l'accusation de lésions corporelles graves par négligence, en ce sens qu'il était condamné de ce chef. Il résulte de la jurisprudence qui précède que l'intimée avait qualité pour former cet appel. Le grief est ainsi infondé.
2.
Le recourant se plaint que l'autorité précédente ait complété l'état de fait sur des points qui n'avaient pas été soulevés dans l'appel, par ailleurs limité.
2.1 L'appel doit permettre un nouvel examen au fond par la juridiction d'appel. Celle-ci ne doit pas se borner à rechercher les erreurs du juge précédent et à critiquer le jugement de ce dernier. Elle doit tenir ses propres débats et prendre sa décision sous sa responsabilité et selon sa libre conviction, qui doit reposer sur le dossier et sa propre administration des preuves. L'appel tend à la répétition de l'examen des faits et au prononcé d'un nouveau jugement (arrêt 6B_715/2011 du 12 juillet 2012 consid. 2.1).
2.2 Aux termes de l'art. 404 al. 1 CPP, la juridiction d'appel n'examine que les points attaqués du jugement de première instance. En vertu de l'art. 399 CPP, qui régit la déclaration d'appel, celle-ci doit notamment indiquer si le jugement est attaqué dans son ensemble ou seulement sur certaines parties. L'art. 399 al. 4 CPP précise que quiconque attaque seulement certaines parties du jugement est tenu d'indiquer dans la déclaration d'appel, de manière définitive, sur quelles parties porte l'appel. Cette disposition contient, à ses lettres a à g, une énumération des parties du jugement qui peuvent être attaquées séparément. Eu égard à l'énumération limitative de l'art. 399 al. 4 CPP, il n'est pas possible de ne faire porter un appel que sur la contestation de certains faits, de sorte que les autres ne pourraient être réexaminés par l'autorité d'appel. Un appel limité de cette manière n'est toutefois pas irrecevable, mais doit être étendu de manière à satisfaire aux exigences de l'art. 399 al. 4 CPP. Une telle interprétation correspond à la volonté du législateur qui a voulu permettre à la juridiction d'appel d'exercer un très large contrôle sur la cause qui lui est soumise (art. 398 al. 2 CPP; arrêt 6B_548/2011 du 14 mai 2012 consid. 3).
2.3 En l'occurrence, l'intimée avait limité son appel, de manière recevable, à la culpabilité du recourant pour l'un des chefs d'accusation (art. 399 al. 4 let. a CPP). L'autorité précédente devait uniquement examiner ce point, à l'exclusion des autres visés par l'art. 399 al. 4 CPP. Dans ce cadre, elle pouvait et même devait établir les faits pertinents pour trancher cette question. On ne saurait dès lors lui faire grief d'avoir pris en compte des faits, même non critiqués par l'intimée, que n'avait pas retenu l'autorité précédente, en particulier l'expérience du recourant. Le grief du recourant est, sous cet angle, infondé.
3.
Le recourant conteste sa condamnation pour lésions corporelles graves par négligence au sens de l'art. 125 al. 2 CP. Il soutient que sa man?uvre était nécessaire et nie par conséquent avoir violé un quelconque devoir de prudence, respectivement de vigilance. Il formule dans ce cadre des critiques relatives à l'établissement des faits.
3.1 L'infraction de lésions corporelles par négligence, sanctionnée par l'art. 125 CP, suppose la réalisation de trois conditions: une négligence, des lésions corporelles et un lien de causalité naturelle et adéquate entre ces deux éléments. Si l'un de ces trois éléments fait défaut, le délit n'est pas réalisé.
3.2 Pour qu'il y ait négligence, définie à l'art. 12 al. 3 CP, deux conditions doivent être remplies. En premier lieu, il faut que l'auteur ait violé les règles de la prudence, c'est-à-dire le devoir général de diligence institué par la loi pénale, qui interdit de mettre en danger les biens d'autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires (ATF 134 IV 255 consid. 4.2.3 p. 262). L'auteur viole les règles de la prudence s'il omet, alors qu'il occupe une position de garant (art. 11 al. 2 et 3 CP) et que le risque dont il doit empêcher la réalisation vient à dépasser la limite de l'admissible, d'accomplir une action dont il devrait se rendre compte, de par ses connaissances et aptitude personnelles, qu'elle est nécessaire pour éviter un dommage (cf. ATF 136 IV 76 consid. 2.3.1 p. 79; 135 IV 56 consid. 2.1 p. 64). Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut donc se demander si une personne raisonnable dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l'auteur pouvait prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures cette personne pouvait prendre, compte tenu des connaissances qu'elle pouvait avoir au moment des faits, pour éviter la survenance du résultat (ATF 134 IV 255 consid. 4.2.3 p. 262 et les arrêts cités). Dans les domaines d'activités régis par des dispositions légales, administratives ou associatives reconnues, destinées à assurer la sécurité et à éviter des accidents, le devoir de prudence comprend en particulier le respect de ces dispositions (ATF 135 IV 56 consid. 2.1 p. 64).
En second lieu, pour qu'il y ait négligence, il faut que la violation du devoir de prudence soit fautive, c'est-à-dire que l'on puisse reprocher à l'auteur, compte tenu de ses circonstances personnelles, une inattention ou un manque d'effort blâmable (ATF 134 IV 255 consid. 4.2.3 p. 262 et les références citées).
3.3 En vertu de l'art. 22 de la loi fédérale du 3 octobre 1975 sur la navigation intérieure (LNI; RS 747.201), le conducteur de bateau doit prendre toutes les précautions que commandent le devoir général de vigilance et la pratique de la navigation pour éviter de mettre en danger des personnes, de causer des dommages aux choses des tiers, d'entraver la navigation et de troubler l'environnement. Aux termes de l'art. 5 let. a de l'ordonnance du 8 novembre 1978 sur la navigation dans les eaux suisses (Ordonnance sur la navigation intérieure; ONI; RS 747.201.1), le conducteur s'assure que la navigation sur le plan d'eau est possible sans danger. Il adapte la route aux conditions locales et prend toutes les mesures de précaution que commande le devoir de vigilance, en vue notamment d'éviter de mettre en danger ou d'incommoder des personnes. L'art. 4 al. 1 du règlement vaudois du 7 décembre 1976 de la navigation sur le Léman (RNav; RS/VD 747.01.1) prescrit quant à lui, sous le titre "devoir général de vigilance", que même en l'absence de prescriptions dans le règlement et de toute autre disposition applicable, les conducteurs doivent prendre toutes les mesures de précaution que commandent le devoir général de vigilance et les règles de la pratique courante, en vue notamment d'éviter de mettre en danger des personnes.
3.4 A l'instar d'une centaine d'autres bateaux, le recourant se trouvait sur un plan d'eau que la cour cantonale a qualifié de chaotique. Vu son expérience, sa seule présence ce jour-là ne saurait être considérée comme une violation des règles exposées ci-dessus. A un moment donné, le recourant a pris de trois quarts une vague provoquée par un bâtiment de la CGN. La cour cantonale retient dans sa partie "en droit" que le recourant a opéré volontairement cette man?uvre, sans aucune nécessité. En d'autres termes, elle estime que le recourant a choisi de franchir cette vague, alors qu'il aurait pu s'en abstenir. Cela implique qu'il serait allé chercher la vague et qu'il n'aurait pas fait que l'affronter, dans la mesure où elle se dirigeait vers l'embarcation qu'il conduisait et devait passer sous elle à un moment ou à un autre. Comme le soulève le recourant, rien dans l'état de fait du jugement entrepris ne permet toutefois de retenir un tel choix de la part du recourant. On comprend que ce dernier conteste à cet égard l'établissement des faits et l'introduction par la cour cantonale dans sa discussion juridique d'un élément factuel nouveau. Le Tribunal fédéral ne revoit cet aspect que sous l'angle de l'arbitraire (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62). Le fait que le recourant ait voulu montrer à sa compagne comment traverser la vague (jugement attaqué, ch. 4.1.1.2 p. 22) ne permet pas à lui seul d'en déduire qu'il ait choisi de procéder à une man?uvre inutile. Il résulte au contraire de l'état de fait du jugement du 8 mai 2012 que des vagues, par nature mobiles, étaient provoquées par les nombreuses embarcations venues voir "Alinghi", "sans compter les bateaux de la CGN dont le sillage est important" (jugement attaqué, ch. 2 p. 13). Dans ce contexte de vagues environnantes, on ignore si le recourant devait de toute façon franchir la vague en question et il n'apparaît pas soutenable, sans autre élément ni motivation, de retenir que le recourant aurait été chercher dite vague, dans le cadre d'une man?uvre inutile.
La violation du devoir de diligence retenue par la cour cantonale reposant sur la prémisse que le recourant serait allé, volontairement et par une man?uvre inutile, chercher la vague, le jugement entrepris ne peut qu'être annulé et la cause renvoyée à cette autorité afin qu'elle établisse si les éléments au dossier permettent de retenir un tel fait et motive sa solution. Si cela ne devait pas être le cas, autrement dit si le recourant n'avait pas d'autre choix que de passer cette vague qui venait vers lui, il conviendra encore de déterminer, le cas échéant par le biais d'une expertise technique, d'une part si le recourant disposait de plusieurs options ce jour-là pour affronter la vague en question et, d'autre part, s'il a choisi l'option la moins dangereuse et pris toutes les précautions nécessaires pour éviter de mettre en danger des personnes.
4.
En conclusion, le recours doit être partiellement admis, le jugement attaqué annulé et l'affaire renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens du considérant précédent.
Il est statué sans frais (art. 66 al. 1 LTF). Le recourant peut prétendre à une indemnité de dépens réduite, à la charge pour moitié chacun d'une part du canton de Vaud, d'autre part de l'intimée (art. 68 al. 1 et 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est partiellement admis, le jugement attaqué est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision. Pour le surplus, le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Une indemnité de 1'500 fr., à payer au recourant à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral, est mise pour moitié à la charge du canton de Vaud et pour moitié à la charge de l'intimée.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 21 janvier 2013
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Mathys
La Greffière: Cherpillod