BGer I 873/2006
 
BGer I 873/2006 vom 29.10.2007
Tribunale federale
{T 7}
I 873/06
Arrêt du 29 octobre 2007
IIe Cour de droit social
Composition
MM. les Juges U. Meyer, Président,
Borella et Kernen.
Greffier: M. Cretton.
Parties
Office AI Berne, Chutzenstrasse 10, 3007 Berne, recourant,
contre
S.________,
intimé, représenté par Me Philippe Degoumois, avocat, chemin de la Nant 1, 2740 Moutier.
Objet
Assurance-invalidité,
recours de droit administratif contre le jugement du Tribunal administratif du canton de Berne du 11 septembre 2006.
Faits:
A.
S.________, né en 1949, travaille comme garagiste indépendant depuis 1972. Victime d'un accident le 24 décembre 1971, il a présenté de multiples fractures (mandibule, calcanéum, col de l'astragale, apophyse odontoïde) et plaies au visage, un hématome ayant nécessité la ligature de l'artère carotide et une contusion cérébrale avec reprise de connaissance après trente-six heures. Le cas et des rechutes essentiellement liées à la persistance de douleurs au niveau cervical ont été pris en charge par la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents.
L'intéressé s'est annoncé à l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Berne (ci-après: l'office AI) le 14 octobre 2004 et a requis une aide économique.
Entre autres mesures d'instruction, l'office AI s'est procuré le dossier médical de l'assureur-accidents. On y retrouve principalement les rapports produits subséquemment par le docteur C.________, généraliste et médecin traitant. Celui-ci a synthétisé l'avis des praticiens consultés à son instigation et retenu une importante cervicarthrose secondaire à la fracture de l'apophyse odontoïde en 1971, un syndrome algoparesthésique bilatéral C7/8 fluctuant depuis 1998, une hypertension artérielle et une artériopathie coronarienne après stent de l'IVA en 2004; les deux premières affections engendraient une immobilisation progressive de la tête et une perte ponctuelle de force et de dextérité dans les membres supérieurs, surtout dans l'exécution de tâches fines ou situées au-dessus du niveau des épaules; la capacité résiduelle de travail était évaluée 50 % (rapport du 12 mars 2005).
Sur le plan économique, S.________ a produit la comptabilité de son entreprise (bilans et comptes de profits et pertes) pour les années 1999 à 2004.
Le 27 mai 2005, l'administration a procédé à une «enquête pour activité professionnelle indépendante». Elle a scindé le métier de garagiste en trois champs d'activité (direction et administration [20 %], travaux de réparation [60 %], vente de voitures [20 %]), dans lesquels elle a déterminé l'incapacité de travail de l'assuré en prenant en considération les limitations mentionnées par le docteur C.________ (10, 50 et 40 %). Elle a pondéré ces taux en fonction de l'importance de chaque champ (2, 30 et 8 %) pour aboutir à une incapacité globale de 40 %. Se fondant sur les pièces comptables, elle a fixé à 28'500 fr. le revenu d'invalide, estimé à 24'380 fr. la diminution de gain imputable au handicap et arrêté à 52'880 fr. le revenu sans invalidité. La comparaison des revenus a fait ressortir un degré d'invalidité de 46 %.
Se référant expressément au rapport d'enquête, l'office AI a reconnu le droit de l'intéressé à un quart de rente d'invalidité à compter du 1er janvier 2004 (décision du 18 août 2005 confirmée sur opposition le 20 avril 2006).
B.
S.________ a déféré la décision sur opposition au Tribunal administratif du canton de Berne concluant à la reconnaissance d'un degré d'invalidité supérieur à 46 %. Il contestait la pondération de l'incapacité de travail dans chaque champ de l'activité de garagiste, qu'il évaluait globalement à 60 %, et critiquait la comparaison des revenus dans la mesure où son salaire annuel n'aurait jamais dépassé 24'000 francs.
Par jugement du 11 septembre 2006, la juridiction cantonale a admis le recours de l'assuré, annulé la décision litigieuse et renvoyé la cause à l'administration pour instruction complémentaire, puis nouvelle décision. Elle estimait notamment que la méthode d'évaluation de l'invalidité utilisée par l'office AI était prohibée par le Tribunal fédéral.
C.
L'administration a interjeté un recours de droit administratif contre ce jugement dont elle a requis l'annulation. Elle a conclu à la confirmation de la décision sur opposition soutenant que sa pratique était fondée sur la jurisprudence.
L'autorité cantonale de recours a considéré que seule la méthode extraordinaire d'évaluation de l'invalidité était justifiée dès lors que le revenu sans invalidité n'était pas déterminable de manière fiable.
Sous suite de frais et dépens, l'intéressé a conclu au rejet du recours. Il s'est rallié à l'avis des premiers juges tout en reprenant l'argumentation développée en première instance.
L'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.
Considérant en droit:
1.
L'acte attaqué a été rendu avant l'entrée en vigueur le 1er janvier 2007 (RO 2005 1205, 1242) de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110), de sorte que la procédure reste régie par l'OJ (art. 132 al. 1 LTF; ATF 132 V 393 consid. 1.2 p. 395).
2.
L'acte attaqué porte sur des prestations de l'assurance-invalidité. Aux termes de l'art. 132 al. 2 OJ (dans sa teneur selon le ch. III de la loi fédérale du 16 décembre 2005 modifiant la LAI, en vigueur depuis le 1er juillet 2006), en relation avec les art. 104 let. a et b, ainsi que 105 al. 2 OJ, le Tribunal fédéral n'examine que si l'autorité cantonale de recours a violé le droit fédéral, y compris par l'excès ou l'abus de son pouvoir d'appréciation, ou si les faits pertinents ont été constatés d'une manière manifestement inexacte ou incomplète, ou encore s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de procédure. Cette réglementation s'applique à tous les recours déposés après le 30 juin 2006 (ch. II let. c de la loi du 16 décembre 2005 modifiant la LAI).
3.
L'intimé semble au préalable conclure à l'irrecevabilité du recours dès lors que le jugement cantonal, qui prescrit à l'office recourant de déterminer l'incapacité de gain selon la méthode extraordinaire d'évaluation de l'invalidité, est une décision de renvoi qui, selon lui, ne constituerait pas une décision finale.
Même si elle ne met pas fin à la procédure, une décision de renvoi par laquelle le juge invite l'administration à statuer à nouveau selon des instructions impératives est, sous l'OJ, une décision autonome, susceptible d'être attaquée par la voie du recours de droit administratif, et non une simple décision incidente (ATF 120 V 233 consid. 1a p. 237, 117 V 237 consid. 1 p. 241 et les références; VSI 2001 p. 121 consid. 1), contrairement à ce qui est le cas sous le régime de la LTF (cf. arrêt 9C_15/2007 du 25 juillet 2007, destiné à la publication).
Il y a dès lors lieu d'entrer en matière sur le recours.
4.
Le litige porte sur le droit de l'intimé à une rente d'invalidité, singulièrement sur le choix de la méthode d'évaluation de cette dernière.
Le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales et les principes jurisprudentiels concernant les notions d'invalidité (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI), d'incapacité de travail (art. 7 LPGA) et de gain (art. 6 LPGA), l'échelonnement des rentes (art. 28 al. 1 LAI), l'évaluation de l'invalidité chez les assurés actifs (art. 16 LPGA) selon la méthode générale de comparaison des revenus ou la méthode extraordinaire d'évaluation de l'invalidité, le rôle des médecins en la matière et l'instruction d'office (art. 43 et 61 let. c LPGA). Il suffit donc d'y renvoyer.
5.
L'administration reproche implicitement aux premiers juges d'avoir violé le droit fédéral en exigeant en l'occurrence l'application de la méthode extraordinaire d'évaluation de l'invalidité. Le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral n'est donc pas limité sur cette question.
Comme l'ont à juste titre rappelé la juridiction cantonale et l'office recourant, pour un assuré actif, le degré d'invalidité doit être déterminé sur la base d'une comparaison des revenus. Le revenu du travail que l'invalide pourrait obtenir en exerçant l'activité que l'on peut raisonnablement attendre de lui, après exécution éventuelle de mesures de réadaptation et compte tenu d'une situation équilibrée du marché du travail, est ainsi comparé à celui qu'il aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide. La comparaison des revenus s'effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l'un avec l'autre, la différence permettant de calculer le taux d'invalidité. Dans la mesure où ces revenus ne peuvent être chiffrés exactement, ils doivent être estimés d'après les éléments connus dans le cas particulier, après quoi l'on compare entre elles les valeurs approximatives ainsi obtenues.
Si l'on ne peut déterminer ou évaluer sûrement les deux revenus en cause, il faut, en s'inspirant de la méthode spécifique pour non-actifs, procéder à une comparaison des activités et évaluer le degré d'invalidité d'après l'incidence de la capacité de rendement amoindrie sur la situation économique concrète (procédure extraordinaire d'évaluation de l'invalidité).
En l'occurrence, le raisonnement des premiers juges, aux termes duquel ils concluent à l'impossibilité de déterminer le revenu sans invalidité de manière fiable, est convaincant. Pour fixer ce revenu à 52'880 fr., l'administration a additionné le revenu d'invalide, équivalant selon elle à la somme du salaire annoncé et du bénéfice d'exploitation ressortant des pièces comptables (1999-2004) dans la mesure où le début de l'activité indépendante est postérieur de quelques mois à l'accident dont les conséquences se font encore ressentir (28'500 fr.), et de la diminution de gain imputable au handicap, calculé d'après le salaire statistique d'un ouvrier non-qualifié actif dans le secteur du commerce et de la réparation de véhicule automobile employé à 40 % (24'380 fr.). Or, on ne connaît pas l'évolution du revenu de l'intéressé entre 1972 et 1998. Il semble exagéré de le qualifier de revenu d'invalide uniquement parce que l'atteinte à la santé est antérieure au début de l'activité, d'autant plus qu'il est fait mention de «rechutes», dont on ignore la fréquence, pour les cervicalgies et d'algoparesthésie «fluctuantes» depuis 1998 seulement, ce qui laisse supposer de nombreuses et longues périodes durant lesquelles les conséquences de l'accident de 1971 n'avaient pas - ou peu - d'incidence sur la capacité de gain. On ajoutera à cet égard que la rente d'invalidité octroyée par l'assureur-accidents, initialement de 15 %, a été réduite à 10 % dès le 1er janvier 1976. La juridiction cantonale s'est de surcroît déjà exprimée de manière pertinente sur la diminution de gain imputable au handicap. On ne peut en effet pas se fonder sur le salaire d'un ouvrier non qualifié pour chiffrer cette diminution dans la mesure où celui-ci pourrait éventuellement se substituer à l'intimé pour une partie des travaux de réparation, mais en aucun cas pour les tâches relatives à la gestion et à l'administration ou à la vente.
Il apparaît dès lors que la détermination ou l'évaluation des revenus nécessaires à l'application de la méthode générale présente trop d'éléments incertains, de sorte que la décision de renvoi pour application de la méthode extraordinaire d'évaluation de l'invalidité se justifie entièrement.
6.
Dans sa réponse, l'intéressé conteste encore les taux d'incapacité de travail retenus par l'office recourant, ainsi que leur pondération pour chaque champ d'activité du métier de garagiste indépendant.
Il s'agit en l'espèce d'une question de fait, que la Cour de céans revoit avec un pouvoir d'examen restreint, recevable dès lors que le dispositif de l'acte attaqué renvoie à des considérants qui participent de la force matérielle (ATF 113 V 159) et font partie de l'objet de la contestation (sur cette notion, cf. ATF 131 V 164 consid. 2.1 p. 164 sv., 125 V 413 consid. 2a-c p. 415 ss, 119 Ib 33 consid. 1b p. 36 et les références).
L'autorité cantonale de recours a déjà répondu de manière exhaustive et convaincante à l'argumentation de l'intimé qui se contente de reprendre les éléments invoqués sans rien y ajouter. Le raisonnement de ce dernier ne fait donc apparaître aucune irrégularité dans la constatation des faits, de sorte que le jugement cantonal n'est pas contraire au droit fédéral.
7.
La procédure est onéreuse (art. 132 OJ dans sa teneur en vigueur dès le 1er juillet 2006). L'intéressé, qui obtient gain de cause et est représenté par un avocat, a droit à des dépens (art. 159 al. 1 en relation avec l'art. 135 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais de justice, d'un montant de 500 fr., sont mis à la charge de l'office recourant.
3.
L'office recourant versera à l'intimé la somme de 2'500 fr. (y compris la taxe à la valeur ajoutée), à titre de dépens pour l'instance fédérale.
4.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal administratif du canton de Berne et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 29 octobre 2007
Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier: