BGer 4A_169/2007
 
BGer 4A_169/2007 vom 20.08.2007
Tribunale federale
{T 0/2}
4A_169/2007 /ech
Arrêt du 20 août 2007
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges Klett, juge présidant,
Rottenberg Liatowitsch et Kolly.
Greffière: Mme Cornaz.
Parties
X.________ SA, représentée par Me Mike Hornung,
contre
Y.________, représentée par Me Philippe Ehrenström,
Caisse W.________,
intimées.
Objet
contrat de travail, résiliation,
recours en matière civile contre l'arrêt de la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève du 10 avril 2007.
Faits :
A.
A partir du 13 août 2001, X.________ SA a engagé Y.________ en qualité d'employée de commerce et de secrétaire, pour un salaire mensuel brut fixé en dernier lieu à 5'860 fr. et payable treize fois l'an.
En décembre 2003, deux employés de X.________ SA, A.________ et B.________, ont donné leur congé. Le 10 février 2004, ils ont constitué une société dont l'activité correspondait à celle de X.________ SA.
Au mois d'avril 2004, un collaborateur de X.________ SA a avisé sa direction que Y.________ transmettait des informations à A.________ et B.________. Durant l'absence de celle-ci pour cause de vacances au début mai 2004, la direction a fait récupérer les courriers électroniques envoyés ou reçus depuis l'ordinateur de son lieu de travail.
Le 19 mai 2004, X.________ SA a déposé plainte pénale contre Y.________, A.________ et B.________ pour violation de la LCD et de l'art. 273 CP. Le 1er juin 2004, une perquisition a été effectuée au domicile de la première et l'ordinateur qui s'y trouvait a été séquestré.
Par lettre du 2 juin 2004, X.________ SA a licencié Y.________ avec effet immédiat.
Le 16 août 2005, le Procureur général a classé la procédure pénale, estimant que Y.________ n'avait divulgué aucun secret ou information confidentielle. Sur recours, la Chambre d'accusation a confirmé cette décision par ordonnance du 19 octobre 2005.
B.
Le 10 juin 2004, Y.________ avait saisi la juridiction des prud'hommes du canton de Genève d'une action tendant au paiement, par X.________ SA, de la somme de 33'745 fr. 55 avec intérêt à 5 % l'an dès le même jour, correspondant au salaire des mois de mai et juin 2004 (2 x 5'860 fr.), à deux mois de préavis (2 x 5'860 fr.), à une indemnité pour vacances non prises en nature équivalant à un mois de salaire (5'860 fr.), à la part du treizième salaire (3'906 fr. 65) et à une indemnité destinée à compenser des ponts effectués à l'avance (538 fr. 90). Ultérieurement, elle a demandé en plus 35'160 fr. à titre d'indemnité pour licenciement immédiat injustifié correspondant à six mois de salaire et 7'500 fr. d'indemnité pour tort moral. Le montant total de ses prétentions s'élevait ainsi à 76'405 fr. 55.
X.________ SA a reconnu devoir le paiement du salaire jusqu'au 1er juin 2004, les vacances correspondant à cinq mois en 2004 ainsi que la part correspondante du treizième salaire, et a conclu au rejet de l'action pour le surplus.
En cours de procédure, la Caisse V.________ (depuis lors Caisse W.________) est intervenue en qualité de créancière subrogée à concurrence de 3'707 fr. 50, correspondant aux allocations versées à Y.________ en juillet et août 2004.
Par jugement du 7 juillet 2006, le Tribunal des prud'hommes a condamné X.________ SA à payer à Y.________ d'une part la somme brute de 34'396 fr. 85 à titre de salaire de mai à août 2004, de part du treizième salaire, de solde de vacances et de compensation de ponts, sous déduction de la somme nette de 3'707 fr. 50 due à la Caisse W.________, d'autre part une indemnité nette de 3'500 fr., les deux montants avec intérêt à 5 % l'an dès le 10 juin 2004. Le Tribunal a en outre condamné X.________ SA à payer à la Caisse W.________ la somme nette de 3'707 fr. 50. En substance, il a considéré qu'il n'y avait pas de justes motifs de licenciement immédiat. Il a constaté que l'existence d'infractions pénales imputables à Y.________ n'avait pas été établie. Il a retenu que celle-ci avait manqué à son devoir de fidélité envers X.________ SA en organisant un rendez-vous pour ses anciens collègues dans le cadre de leurs démarches pour créer une entreprise concurrente, mais a estimé que ce comportement était certes regrettable, mais de minime importance et ne justifiant en aucun cas une résiliation avec effet immédiat. Sans trancher la question, le Tribunal a par ailleurs estimé fort douteux que le licenciement immédiat, à supposer qu'il ait reposé sur de justes motifs, soit intervenu en temps utile.
Statuant sur appel de X.________ SA et appel incident de Y.________ par arrêt du 10 avril 2007, la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes a confirmé le jugement du 7 juillet 2006 et débouté les parties de toutes autres conclusions. En bref, elle a jugé, sans se prononcer sur les motifs de résiliation, que la signification de la résiliation était de toute façon tardive.
C.
X.________ SA (la recourante) interjette le présent recours en matière civile au Tribunal fédéral. Elle conclut à ce qu'il lui soit donné acte qu'elle reconnaît devoir à Y.________ la somme de 10'340 fr. 30 et à ce que celle-ci soit déboutée de toutes autres conclusions.
Y.________ (l'intimée Y.________) propose le rejet du recours et la confirmation de l'arrêt attaqué, avec suite de dépens. Pour sa part, la Caisse W.________ (l'intimée Caisse W.________) n'apporte aucune observation complémentaire.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Comme la décision attaquée a été rendue après l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007 (RO 2006, 1242), de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110), le recours est régi par le nouveau droit (art. 132 al. 1 LTF).
2.
2.1 Exercé par la recourante, qui a partiellement succombé dans ses conclusions libératoires (art. 76 al. 1 LTF), et dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 75 al. 1 LTF) dans une affaire dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 15'000 fr. déterminant dans les causes de droit du travail (art. 74 al. 1 let. a LTF), le présent recours en matière civile est en principe recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 45 al. 1 et 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.
2.2 Saisi d'un recours en matière civile, le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). La partie recourante ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire (Message concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, ci-après: Message, FF 2001 p. 4000 ss, spéc. p. 4135) -, ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF, en particulier de l'interdiction constitutionnelle de l'arbitraire (art. 97 al. 1 LTF), ce qu'il lui appartient de démontrer le cas échéant (cf. art. 42 al. 1 LTF).
En l'espèce, la recourante introduit des faits nouveaux - par exemple que la police lui aurait demandé de ne pas signifier le congé avant qu'elle ait pu procéder à la perquisition au domicile de son ancienne collaboratrice - sans démontrer ni même alléguer que les conditions permettant au Tribunal fédéral de corriger l'état de fait seraient remplies. Il n'en sera donc pas tenu compte et il sera statué sur la seule base des faits ressortant de l'arrêt attaqué.
3.
3.1 L'employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs. Doivent notamment être considérées comme tels toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (art. 337 al. 1 et 2 CO).
Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive. Les faits invoqués à l'appui d'un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement immédiat; si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s'il a été répété malgré un avertissement. Par manquement du travailleur, on entend en règle générale la violation d'une obligation découlant du contrat de travail, mais d'autres incidents peuvent aussi justifier une résiliation immédiate. Une infraction pénale commise au détriment de l'employeur constitue, en principe, un motif justifiant le licenciement immédiat du travailleur. Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). A cet effet, il prendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l'importance des manquements (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 31).
La partie qui résilie un contrat de travail en invoquant de justes motifs ne dispose que d'un court délai de réflexion pour signifier la rupture immédiate. Un délai général de deux à trois jours ouvrables de réflexion est présumé approprié; un délai supplémentaire n'est accordé à celui qui entend résilier le contrat que lorsque les circonstances particulières du cas concret exigent d'admettre une exception à la règle (ATF 130 III 28 consid. 4.4 p. 34).
3.2 En l'espèce, la cour cantonale a estimé que la résiliation était tardive, au motif que celle-ci aurait dû être notifiée durant le mois de mai 2004 et pas seulement le 2 juin 2004, jour suivant la perquisition policière qui n'avait rien révélé de neuf.
Pour l'essentiel, la recourante objecte qu'elle ne pouvait pas procéder au licenciement plus tôt, afin d'éviter de provoquer la méfiance de l'intimée Y.________ avant la perquisition. L'objection est justifiée. La recourante, après enquête interne, a déposé plainte pénale le 19 mai 2004 et, dans ce cadre, elle a sollicité une perquisition chez son ancienne collaboratrice. Prononcer à ce moment-là un licenciement immédiat, qui doit être motivé par écrit si le travailleur le demande, était, comme le soutient la recourante, effectivement susceptible d'éveiller, le cas échéant, la méfiance de l'intimée Y.________ et de l'inciter à supprimer des moyens de preuve avant que la police ne les saisisse chez elle. Or, dans une telle situation, on ne saurait exiger de l'employeur qu'il prenne le risque de susciter la perte de moyens de preuve pour les justes motifs de licenciement immédiat, alors qu'il supporte le fardeau de la preuve de ces motifs (art. 8 CC). La recourante se trouvait ainsi dans une situation particulière permettant de reporter la signification du licenciement. Il a été prononcé sans tarder le jour suivant celui de la perquisition et donc à temps.
La cour cantonale relève dans ce contexte que la perquisition n'a pas apporté d'éléments nouveaux. Cela est toutefois sans pertinence pour la question de savoir si la recourante était en droit d'attendre que la perquisition ait eu lieu avant de prononcer le licenciement.
3.3 L'unique reproche finalement retenu à l'encontre de l'intimée Y.________ est d'avoir organisé un rendez-vous pour ses anciens collègues dans le cadre de leurs démarches en vue de créer une entreprise concurrente. Le Tribunal des prud'hommes, seul à s'être prononcé sur les motifs de licenciement, a considéré que ce manquement au devoir de fidélité était peu grave. Cette appréciation ne prête pas flanc à la critique. Pour le surplus, aucune autre faute n'a été constatée. En particulier, aucune infraction pénale commise au détriment de la recourante n'a été établie. Dans ces circonstances, il ne peut qu'être constaté que celle-ci n'a pas démontré de manquement particulièrement grave de son ancienne collaboratrice justifiant un licenciement immédiat. Que la recourante pouvait de bonne foi suspecter de graves violations du devoir de fidélité au moment où elle a donné le congé immédiat importe peu à cet égard. En effet, cela ne change rien au fait qu'elle supporte le fardeau de la preuve et qu'elle n'a finalement pas apporté la preuve d'un tel comportement.
3.4 C'est donc à bon droit que le licenciement immédiat de l'intimée Y.________ a été considéré comme injustifié. La recourante ne critiquant pour le surplus pas les divers montants alloués à son ancienne collaboratrice, le recours doit être rejeté.
4.
Comme la valeur litigieuse, calculée selon les prétentions à l'ouverture de l'action (ATF 115 II 30 consid. 5b p. 41; cf. Message, p. 4103), dépasse le seuil de 30'000 fr., le montant de l'émolument judiciaire est fixé selon le tarif ordinaire (art. 65 al. 3 let. b LTF) et non réduit (art. 65 al. 4 let. c LTF). Compte tenu de l'issue du litige, les frais sont mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Celle-ci versera en outre à l'intimée Y.________ une indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF). Il n'y a en revanche pas lieu d'allouer des dépens à l'intimée Caisse W.________ (cf. art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à l'intimée Y.________ une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.
Lausanne, le 20 août 2007
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La juge présidant: La greffière: