BGer 4A_171/2007
 
BGer 4A_171/2007 vom 15.08.2007
Tribunale federale
{T 0/2}
4A_171/2007
Arrêt du 15 août 2007
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges Klett, juge présidant, Rottenberg Liatowitsch et Kolly.
Greffier: M. Carruzzo.
Parties
X.________ SA,
recourante, représentée par Me François Logoz,
contre
Banque Y.________ SA,
intimée,
Z.________,
intimée, représentée par Me Philippe Preti.
Objet
garantie bancaire; mesures provisionnelles,
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 4 janvier 2007 par la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Faits :
A.
A.a Par contrat du 30 décembre 2002, X.________ SA (ci-après: X.________), à ..., s'est engagée à fournir à la société de droit français Z.________ (ci-après: Z.________) et à monter une installation industrielle de déchiquetage, de malaxage et de pompage à livrer clés en main à ... (France). En vertu d'une clause de ce contrat, l'entreprise suisse devait fournir à sa cocontractante une garantie bancaire à première demande d'un montant correspondant à 15% du prix du marché. La garantie couvrait les défauts matériels ainsi que le non-respect de l'engagement pris par X.________ quant à une disponibilité technique de l'installation de 90% au cours de la deuxième année d'exploitation.
Le 15 décembre 2003, la succursale de Lausanne de la Banque Y.________ SA (ci-après: la Banque) a émis, sur ordre de X.________, une "garantie de performance" qu'elle a adressée à Z.________ et dont le texte comporte notamment les passages suivants:
"Vous avez conclu avec [X.________] un contrat portant sur la fourniture et le montage d'équipements concernant le projet ... pour un montant total de EUR 2'413'100.- (hors étude). Le bon fonctionnement de ces équipements doit être assuré par une garantie bancaire représentant 15% du montant total du contrat.
Cela étant, d'ordre de [X.________], nous Y.________, ..., nous engageons irrévocablement par la présente à vous verser à première réquisition et sans opposer une quelconque exception ou objection, tout montant jusqu'à concurrence de la somme maximale de:
EUR 361'966,50 (...)
contre votre confirmation écrite que le montant réclamé est exigible et que [X.________] n'a pas rempli ses obligations contractuelles de mise en service et/ou ses obligations contractuelles de garantie.
Cette confirmation doit nous parvenir au plus tard le 31 décembre 2005; à défaut, cette garantie de performance s'éteindra sans autre.
...
La présente obligation de paiement sera régie et interprétée conformément au droit matériel suisse (soit sans considération du droit privé international). En cas de litige au sujet de cette garantie, les tribunaux ordinaires de Lausanne seront compétents."
A.b L'installation, objet du contrat, a été livrée en décembre 2003. Depuis lors, Z.________ s'est plainte régulièrement auprès de X.________ des défauts affectant cette installation et de l'impossibilité d'atteindre le taux de disponibilité technique de 90%.
Par lettre du 7 novembre 2005, X.________, tout en incriminant un entretien insuffisant, a proposé à Z.________ de procéder à une série de travaux sur l'installation, devisés à 13'800 €. Les travaux effectués n'ont apparemment pas permis de remédier à tous les défauts dénoncés par Z.________.
A.c Le 20 décembre 2005, Z.________ a requis le paiement partiel de la garantie bancaire à concurrence de 300'000 €. Le même jour, X.________ l'a mise en demeure de retirer l'appel à cette garantie en raison de son caractère abusif et du dommage qu'il lui causait.
B.
Le 30 décembre 2005, X.________ a déposé une requête de mesures provisionnelles en demandant qu'interdiction fût faite à la Banque de payer un quelconque montant à Z.________ du chef de la garantie de performance. L'intimée a conclu au rejet de la requête, alors que la Banque s'en est remise à justice.
Par ordonnance de mesures provisionnelles du 13 février 2006, le Juge instructeur de la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a rejeté ladite requête.
Statuant par arrêt du 25 août 2006, sur appel de X.________, la Cour civile a confirmé cette ordonnance.
X.________ a interjeté un recours en nullité que la Chambre des recours a rejeté par arrêt du 4 janvier 2007.
C.
Le 18 mai 2007, X.________ a formé un recours en matière civile. Elle conclut principalement à ce que l'arrêt de la Chambre des recours soit réformé en ce sens que le recours en nullité dirigé contre l'arrêt sur appel rendu par la Cour civile est admis, ledit arrêt annulé et la cause renvoyée à cette autorité pour nouvelle décision dans le sens des considérants de l'arrêt fédéral. A titre subsidiaire, X.________ requiert l'annulation de l'arrêt attaqué et le renvoi de la cause à l'autorité intimée pour nouvelle décision dans le sens des considérants de l'arrêt fédéral.
Z.________ (ci-après: l'intimée) conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable. La Banque s'en remet, pour sa part, à l'appréciation du Tribunal fédéral. Quant à la Chambre des recours, elle se réfère aux motifs énoncés dans l'arrêt attaqué.
Par décision du 14 juin 2007, le président de la Ire Cour de droit civil a accordé l'effet suspensif au recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Comme la décision attaquée a été rendue après l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007 (RO 2006, 1242), de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110), le recours est régi par le nouveau droit (art. 132 al. 1 LTF).
2.
2.1
La décision entreprise, rendue dans le cadre d'une procédure de mesures provisionnelles distincte, qu'elle clôt, est une décision finale au sens de l'art. 90 LTF (cf. arrêt 4A_88/2007 consid. 1.1; Fabienne Hohl, Le recours en matière civile selon la Loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005, in Les recours au Tribunal fédéral, Genève 2007, p. 71 ss, 86 in fine; Denis Tappy, Le recours en matière civile, in La nouvelle loi sur le Tribunal fédéral, Urs Portmann (éd.), CEDIDAC, Lausanne 2007, p. 51 ss, 77 in limine). Elle a été prise par une autorité cantonale de dernière instance (art. 75 al. 1 LTF) dans une affaire pécuniaire dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF). Formé par la partie qui a requis sans succès le prononcé de la mesure litigieuse (art. 76 al. 1 LTF), le présent recours en matière civile est recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.
2.2 En vertu de l'art. 98 LTF, dans le cas des recours formés contre des décisions portant sur des mesures provisionnelles, seule peut être invoquée la violation des droits constitutionnels. Le Tribunal fédéral n'examine la violation de ces droits que si un grief s'y rapportant a été invoqué et motivé par le recourant (art. 106 al. 2 LTF).
3.
La recourante, invoquant l'art. 9 Cst., soutient que l'arrêt attaqué est arbitraire à plus d'un titre.
D'après la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable; pour que cette décision soit annulée, encore faut-il qu'elle se révèle arbitraire, non seulement dans ses motifs, mais aussi dans son résultat (ATF 132 III 209 consid. 2.1). Dans la mesure où l'arbitraire est invoqué en relation avec l'établissement des faits, il convient de rappeler que le juge dispose d'un large pouvoir lorsqu'il apprécie les preuves. La partie recourante doit ainsi démontrer dans quelle mesure le juge a abusé de son pouvoir d'appréciation et, plus particulièrement, s'il a omis, sans aucune raison sérieuse, de prendre en compte un élément de preuve propre à modifier la décision attaquée, s'il s'est manifestement trompé sur son sens et sa portée ou encore si, en se fondant sur les éléments recueillis, il en a tiré des constatations insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1).
C'est à la lumière de cette jurisprudence qu'il conviendra de rechercher si la décision cantonale est entachée d'arbitraire ou non.
4.
4.1 Lorsqu'une garantie indépendante est délivrée, le garant doit honorer son engagement sans égard à un éventuel litige relatif au contrat de base, aussitôt après l'appel du bénéficiaire, si les conditions de mise en jeu, telles que précisées dans la lettre d'engagement, sont réunies. Le garant appelé à exécuter son engagement ne peut donc opposer au bénéficiaire d'autres exceptions que celles tirées du contrat de garantie et ne peut exiger de lui d'autres justifications que celles que stipulait, le cas échéant, ce contrat. Une garantie indépendante n'est cependant jamais totalement "dégagée" du contrat de base. Son caractère abstrait ou autonome trouve certaines limites, entre autres dans la loi; l'indépendance de la dette résultant d'un contrat de garantie cesse lorsque son bénéficiaire s'en prévaut au mépris manifeste des règles de la bonne foi (art. 2 CC). Dans la mesure où l'abus de droit du bénéficiaire est évident pour la banque, celle-ci a non seulement le droit de lui refuser le paiement, mais elle en a également l'obligation à l'égard du donneur d'ordre (ATF 122 III 321 consid. 4a et les références).
Pour éviter de porter atteinte au principe de l'indépendance de la garantie bancaire, l'abus de droit doit être manifeste (arrêt 4P.5/2002 du 8 avril 2002, publié in SJ 2003 I 95 consid. 5 et les auteurs cités). En d'autres termes, le refus de paiement d'une telle garantie, au motif que le bénéficiaire y fait appel de manière abusive, doit rester exceptionnel (Carlo Lombardini, Droit bancaire suisse, p. 315 s., n. 94 ss).
4.2 Il y a lieu d'examiner, en fonction des seuls griefs formulés par la recourante, si l'autorité intimée a gravement méconnu ces principes jurisprudentiels, que ce soit dans leur compréhension même, dans leur application au cas concret ou encore dans la constatation des faits pertinents pour leur mise en oeuvre.
4.3
4.3.1 Dans un premier moyen, la recourante reproche à la cour cantonale de n'avoir pas constaté que l'intimée ferait un appel abusif à la garantie litigieuse, du fait qu'elle aurait elle-même provoqué les défauts dont elle exige réparation en n'entretenant pas ou pas suffisamment l'installation qui lui avait été livrée. Selon la recourante, ce défaut d'entretien serait attesté par les dépositions de deux témoins - A.________ et B.________ - dont le dire serait corroboré par sa lettre du 7 novembre 2005.
Tel qu'il est présenté, ce premier moyen, dont la recevabilité est des plus douteuses, tombe manifestement à faux. Mis à part le fait qu'elle n'a pas trait à la garantie litigieuse, mais au contrat de base, la critique de la recourante ne comporte, en effet, qu'une motivation lacunaire. S'agissant, en particulier, des témoignages de A.________ et B.________, la recourante n'en cite aucun passage, se bornant à affirmer qu'ils attesteraient l'existence d'un lien de causalité entre le mauvais entretien de l'installation litigieuse et les défauts dont se plaint l'intimée. Quoi qu'il en soit, il n'y avait rien d'insoutenable à dénier toute force probante à des déclarations émanant, respectivement, du directeur et d'un employé de la recourante, si elles n'étaient pas corroborées par d'autres éléments de preuve. Or, à cet égard, la Chambre des recours a retenu sans arbitraire que la lettre adressée le 7 novembre 2005 à l'intimée par la recourante ne suffisait pas à étayer les déclarations des témoins dès lors qu'elle reflétait uniquement l'avis de son auteur.
4.3.2 La recourante fait encore valoir que la Cour civile, statuant comme instance d'appel, aurait dû appliquer le droit français, choisi par les parties, et constater que, selon les clauses pertinentes du contrat de base interprétées au regard de ce droit, l'intimée n'était pas au bénéfice d'une créance exigible, si bien qu'elle ne pouvait pas faire appel à la garantie de performance sans violer les règles de la bonne foi. En s'abstenant de le faire, la juridiction d'appel aurait violé gravement l'art. 116 LDIP. Quant à la Chambre des recours, elle aurait refusé arbitrairement de traiter le moyen que la recourante avait soulevé de ce chef dans son recours en nullité.
L'argumentation de la recourante a trait aux conditions matérielles d'octroi des mesures provisionnelles requises. Selon l'autorité intimée, le moyen y relatif est irrecevable dans le cadre d'un recours en nullité au sens de l'art. 444 al. 1 du Code de procédure civile vaudois (arrêt attaqué, consid. 9). La recourante n'indique pas en quoi la Chambre des recours aurait fait une application arbitraire de cette disposition. Plus précisément, elle ne démontre pas que l'autorité intimée aurait restreint de manière insoutenable son pouvoir d'examen, tel qu'il découle du droit de procédure civile vaudois, en ne traitant pas ce moyen. Soutenir, comme elle le fait, que le refus d'entrer en matière sur celui-ci revenait à avaliser une application arbitraire de la loi n'est pas une façon correcte de poser le problème. Il va, en effet, de soi que, si une autorité de recours, par une application défendable du droit de procédure du canton concerné, estime ne pas pouvoir se prononcer sur un grief qui lui est soumis, elle ne saurait ensuite se voir reprocher par le recourant d'avoir couvert une violation du droit matériel commise par l'autorité précédente.
Insuffisamment motivé, le grief examiné est, partant, irrecevable.
4.3.3 En dernier lieu, la recourante allègue l'existence d'une disproportion manifeste entre le montant appelé de la garantie (300'000 €) et le dommage prétendument subi par l'intimée, lequel ne saurait excéder 176'000 €, à son avis, dès lors qu'un témoin a évalué à 45'000 € au maximum le coût de réparation des défauts et que l'intimée estime elle-même à 171'000 € le montant maximal de ses prétentions en rapport avec la garantie de disponibilité de l'installation litigieuse. Aussi la Chambre des recours aurait-elle versé dans l'arbitraire, selon la recourante, pour n'avoir pas admis le moyen qu'elle avait soulevé relativement à cette disproportion.
Il est exact qu'un appel à une garantie bancaire peut être abusif suivant les circonstances. Il en va ainsi, notamment, en cas de disproportion manifeste entre le montant réclamé au titre de la garantie et celui du dommage subi par le créancier (arrêt 4P.44/2005 du 21 juin 2005, consid. 4.2.1 in fine; pour d'autres références, cf. François Logoz, La protection de l'exportateur face à l'appel abusif à une garantie bancaire, thèse Lausanne 1991, p. 141 s. et p. 156). Le fardeau de la preuve du caractère abusif de l'appel à la garantie incombe au donneur d'ordre (Jürgen Dohm, Les garanties bancaires dans le commerce international, Berne 1986, n. 241).
Dans son arrêt sur appel du 25 août 2006, la Cour civile, après avoir examiné les divers éléments de preuve versés au dossier cantonal, a jugé que, étant donné le très grand nombre d'interventions réalisées sur l'unité de broyage et les pertes d'exploitation qu'elles ont entraînées, il n'est pas possible d'exclure que le dommage subi par l'intimée "avoisine le montant appelé en garantie" (p. 18 in medio). Selon la Chambre des recours, ce raisonnement est dénué de tout arbitraire et l'on ne saurait par conséquent reprocher à l'autorité d'appel d'avoir considéré que la recourante n'avait pas rendu vraisemblable une totale disproportion entre le dommage subi par l'intimée et la somme réclamée au titre de la garantie de performance. Semblable opinion n'a rien d'insoutenable, contrairement à l'avis de la recourante. Celle-ci perd de vue que rien de définitif n'a encore été établi quant à l'ampleur du dommage dont l'intimée pourra exiger réparation, le cas échéant, après qu'il aura été fixé au terme d'une procédure probatoire complète. En ce qui concerne plus particulièrement le coût des réparations de l'installation litigieuse, le simple fait de proposer sa propre estimation, telle qu'elle figure dans la lettre du 7 novembre 2005, de même que celle, déjà plus élevée, d'un témoin, ne suffit manifestement pas à faire apparaître comme insoutenable la conclusion que la Cour civile a tirée de son appréciation des preuves dont elle disposait et que la Chambre des recours a refusé à bon droit de taxer d'arbitraire. Au demeurant, il n'est même pas certain que l'on puisse qualifier de tel le fait d'admettre l'existence d'une disproportion manifeste entre le montant appelé en garantie (300'000 €) et celui des prétentions de l'intimée, tel qu'il est proposé par la recourante (176'000 €), d'autant moins que ce dernier ne résulte que d'une estimation. On rappellera, à ce propos, que, dans l'arrêt fédéral invoqué par l'intéressée, la bénéficiaire de la garantie bancaire s'était vu reprocher un abus de droit manifeste, parce qu'elle y avait fait appel pour un montant représentant près du quintuple de ce qu'elle estimait elle-même lui être encore dû (arrêt 4P.44/2005, précité, consid. 4.2.2). De ce point de vue, la présente affaire n'a rien de commun avec celle qui a donné lieu à ce précédent.
Ce dernier moyen est ainsi voué à l'échec.
5.
Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires seront mis à la charge de la recourante. Celle-ci devra également verser à Z.________ une indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 2 LTF). En revanche, elle n'aura pas à indemniser la Banque, cette dernière n'ayant pas déposé de réponse.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 6'000 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à Z.________ une indemnité de 7'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 15 août 2007
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La juge présidant: Le greffier: