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Original
 
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4P.39/2007 /ech
Arrêt du 10 juillet 2007
Ire Cour de droit civil
Composition
MM. et Mmes les Juges Corboz, Président, Klett, Rottenberg Liatowitsch, Kolly et Kiss.
Greffière: Mme Cornaz.
Parties
Banque X.________,
recourante, représentée par Me Gilles Robert-Nicoud,
contre
Y.________, intimé, représenté par Me Elie Elkaim,
Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois, Palais de justice de l'Hermitage, route du Signal 8,
1014 Lausanne.
Objet
art. 9 Cst. (procédure civile),
recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre
des recours du Tribunal cantonal vaudois
du 29 novembre 2006.
Faits :
A.
Le 29 mai 1996, Y.________, citoyen anglais domicilié en Angleterre, et la Banque X.________ (ci-après: BCV) ont conclu un contrat de crédit lombard, crédit dans lequel l'emprunteur donne des avoirs réalisables en nantissement à la banque: X.________ accordait un tel crédit pour une valeur maximale de cinq millions de dollars américains, couplé avec un acte de gage et de cession générale en sa faveur. Le contrat prévoyait notamment qu'en cas de baisse du marché monétaire et du marché des actions, Y.________ s'engageait à compléter les garanties immédiatement, à première réquisition de la banque et dans les vingt-quatre heures (« on our first demand and within 24 hours »), de façon à respecter les coefficients de marge en vigueur (proportion entre les actifs en garantie et les montants mis à disposition par la banque), ou à faire l'apport de fonds complémentaires; à défaut, la banque se réservait le droit, entre autres, de réaliser à sa convenance tout ou partie des garanties fournies afin de régulariser la situation. En garantie du crédit, Y.________ a transféré en dépôt chez X.________ un portefeuille de titres.
Ultérieurement, il a ajouté des titres "Brazil Repackaged Bonds" d'une valeur nominale d'un million et demi de marks allemands. Ces titres étaient des "obligations repackagées", c'est-à-dire un emprunt synthétique (ou structuré) lié à un titre de référence, en l'espèce des obligations d'État brésiliennes. Ces titres ne bénéficiaient pas d'un marché très liquide. Émis par une société créée pour la circonstance et basée aux îles Caïmans, ils étaient distribués par un consortium bancaire en Allemagne. La banque A.________ Ltd., par un contrat de garantie et de swap, garantissait les paiements dus par l'émetteur en vertu des conditions d'émission. Entre les 6 et 10 août 1998, les titres "Brazil Repackaged Bonds" ont été négociés à la bourse de Francfort à un cours variant entre 87 % et 88,75 % de la valeur faciale.
B.________, à Londres, avait les pouvoirs de gérer les comptes de Y.________. Ce dernier et X.________ avaient en outre passé un contrat de dépôt, mais n'étaient en revanche pas liés par un contrat de gestion de fortune.
Le 17 août 1998, la crise russe, due à la décision du gouvernement russe de laisser flotter le rouble et de décréter un moratoire sur le service de la dette intérieure et sur le remboursement des dettes des entreprises et banques envers les créanciers étrangers, a entraîné une baisse des marchés boursiers. Invité à reconstituer sa marge, Y.________ a versé le 18 août 1998 la somme de 50'000 livres sterling à X.________. Les jours suivants, X.________, d'entente avec Y.________, a vendu divers titres de ce dernier.
Le 26 août 1998, 80'000 titres "Brazil Repackaged Bonds" ont été échangés à la bourse de Francfort au cours de 60 %. Le 28 août 1998, la banque A.________ Ltd. a informé X.________ qu'il y avait de fortes chances qu'elle ait recours à la clause de "kick out" pour les "Brazil Repackaged Bonds", c'est-à-dire à une clause de résiliation du contrat de swap qui l'autorisait à dénoncer l'emprunt synthétique de manière anticipée et à le rembourser à une valeur réduite, correspondant au montant résultant de la liquidation des titres sous-jacents à la valeur de marché, après indemnisation de tous les créanciers et paiement de tous les frais et commissions. A cette date, la banque émettrice du titre l'estimait à 13 % de sa valeur faciale. Le même jour, sans instruction de Y.________ ou de son représentant B.________, X.________ a vendu l'intégralité des titres "Brazil Package Bonds" à la société émettrice au prix offert par celle-ci hors bourse, soit 195'000 marks allemands correspondant à 13 % de la valeur faciale. Cette opération servait, elle aussi, a reconstituer la marge.
A partir du 30 octobre 1998, X.________ a vendu de nouveaux titres de Y.________ afin de reconstituer la marge. Ces titres étaient également des produits dérivés. Le 4 septembre 1998, à la bourse de Francfort, 190'000 titres "Brazil Package Bonds" ont été négociés au cours de 38 %. Entre les 4 et 21 septembre 1998, ces titres y ont été négociés à un cours entre 35 % et 40 %.
B.
Le 29 septembre 1999, Y.________ a ouvert action devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois contre X.________, notamment en paiement de 800'000 fr. avec intérêt à 7 % dès le 7 juin 1999 du fait d'opérations exécutées sans autorisation. X.________ a conclu au rejet et, reconventionnellement, au paiement de 819'353 fr. 74 avec des intérêts différenciés. Suite à une transaction judiciaire partielle, seule la conclusion de Y.________ portant sur le versement de 800'000 fr. restait litigieuse.
Par jugement du 29 novembre 2005, la Cour civile a condamné X.________ à payer à Y.________ la somme de 595'012 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 9 juin 1999. En résumé, elle a jugé que la responsabilité contractuelle de X.________ était engagée pour le dommage causé à Y.________ par la vente des titres "Brazil Repackaged Bonds": d'une part, la banque n'avait pas respecté la procédure stricte prévue dans le contrat, soit essayer de contacter Y.________ ou son représentant et attendre un délai de vingt-quatre heures pour lui permettre de renflouer son portefeuille ou de verser des fonds supplémentaires, avant de réaliser des titres; d'autre part, la vente de ces titres, plutôt que d'autres obligations détenues par Y.________, était une mauvaise opération, car même lors de la culmination de la crise à fin août 1998, ils valaient en "fair value" plus de 50 % de leur valeur faciale, et en outre, leur vente ne permettait pas de reconstituer la marge.
Par arrêt du 29 novembre 2006, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours de X.________, qui se plaignait notamment de ce que la Cour civile avait écarté les témoignages de C.________ et D.________, ses ancien ou actuel employés, ainsi que de B.________, le représentant londonien de Y.________. Elle a en particulier estimé le moyen soulevé contre le refus d'entendre les témoins infondé; pour le surplus, elle a relevé qu'il était douteux que le prétendu arbitraire dans l'appréciation des preuves ait pu influer sur le jugement, dès lors que pour retenir la responsabilité de la banque, la Cour civile lui avait imputé un comportement fautif consistant en une absence de justification dans le choix des titres vendus, aboutissant à une opération dont il n'était pas démontré qu'elle était propre à reconstituer la marge; or, il s'agissait d'une question de droit qui ne pouvait être examinée que dans le cadre du recours en réforme.
C.
Parallèlement à un recours en réforme contre le jugement de la Cour civile, X.________ (la recourante) interjette le présent recours de droit public au Tribunal fédéral contre l'arrêt de la Chambre des recours. Invoquant l'art. 9 Cst., elle conclut à l'annulation du jugement du 29 novembre 2006, avec suite de frais et dépens.
Y.________ (l'intimé) propose le rejet du recours, sous suite de frais et dépens. Pour sa part, la Chambre des recours renonce à déposer une réponse au recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
La loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est entrée en vigueur le 1er janvier 2007 (RO 2006, 1242). L'acte attaqué ayant été rendu avant cette date, la procédure reste régie par l'OJ (art. 132 al. 1 LTF).
2.
Conformément à la règle de l'art. 57 al. 5 OJ, il convient de traiter le recours de droit public avant le recours en réforme.
3.
3.1 Exercé pour violation de droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ), par la recourante qui est personnellement touchée par la décision attaquée, de sorte que la qualité pour recourir doit lui être reconnue (art. 88 OJ), et dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ), le recours de droit public soumis à l'examen du Tribunal fédéral est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 89 al. 1 OJ) et dans la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ).
3.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31, 258 consid. 1.3 p. 262). Par ailleurs, il se fonde sur l'état de fait tel qu'il a été retenu dans l'arrêt attaqué, à moins que la partie recourante n'établisse que l'autorité cantonale a constaté les faits de manière inexacte ou incomplète en violation de la Constitution fédérale (ATF 118 Ia 20 consid. 5a).
4.
Invoquant l'art. 9 Cst., la recourante se plaint d'une violation de l'interdiction de l'arbitraire en relation avec le refus des autorités cantonales de prendre en considération les témoignages de C.________, D.________ et B.________ sur la question de savoir si, le 28 août 1998, elle avait atteint ou tenté d'atteindre l'intimé ou son représentant avant de vendre les titres "Brazil Repackaged Bonds".
4.1 D'après la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité; il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable; pour que cette décision soit annulée, encore faut-il qu'elle se révèle arbitraire, non seulement dans ses motifs, mais aussi dans son résultat (ATF 132 III 209 consid. 2.1).
Dans la mesure où l'arbitraire est invoqué en relation avec l'établissement des faits, il convient de rappeler que le juge dispose d'un large pouvoir lorsqu'il apprécie les preuves. La partie recourante doit ainsi expliquer dans quelle mesure le juge a abusé de son pouvoir d'appréciation et, plus particulièrement, s'il a omis, sans aucune raison sérieuse, de prendre en compte un élément de preuve propre à modifier la décision attaquée, s'il s'est manifestement trompé sur son sens et sa portée ou encore si, en se fondant sur les éléments recueillis, il en a tiré des constatations insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1).
4.2 En l'espèce, la Cour civile a exposé que, de manière générale, elle écarterait les témoignages de C.________ et D.________, ancien et actuel employés de la recourante, eu égard aux relations professionnelles de l'actuel employé avec celle-ci et du fait que tous deux avaient participé à l'élaboration de la procédure. Il en irait de même pour le témoin B.________, ancien représentant de l'intimé auprès de la recourante, dès lors qu'il était impliqué dans le contexte de fait litigieux. En définitive, la cour ne retiendrait ces témoignages que dans la mesure où ils seraient corroborés par des pièces et lorsque la déposition des deux premiers et du troisième seraient identiques.
La Chambre des recours a considéré que les motifs essentiels qui avaient conduit cette autorité à écarter les dépositions étaient la participation des deux premiers témoins à l'élaboration de la procédure, d'une part, et la relation de travail entre ces deux témoins et la recourante au moment des faits litigieux, d'autre part. L'existence de liens étroits et personnels entre un témoin et une partie (contrat de travail entre eux et préparation commune de la procédure judiciaire) constituait une raison objective de ne pas tenir une déposition pour probante. Cela était d'autant plus vrai que les employés pourraient voir leur employeur se retourner contre eux en raison de leur responsabilité dans le déroulement des opérations dont ils étaient alors chargés. Dès lors, la Cour civile avait donné les motifs de sa conviction et permis à la recourante de contester ceux-ci en toute connaissance de cause. Il n'y avait donc pas d'appréciation arbitraire de la preuve. Les premiers juges n'avaient pas non plus commis d'arbitraire en écartant la déposition de B.________, représentant de l'intimé. Certes, ils auraient pu en retenir seulement les éléments qui venaient conforter la position de la partie dont ce n'était pas le témoin; mais dans le cadre de leur pouvoir d'appréciation, les premiers juges pouvaient aussi écarter en bloc une telle déposition sans commettre arbitraire.
4.3 L'existence de liens professionnels entre un témoin et une partie est un élément à considérer dans l'appréciation des déclarations faites par ce témoin. Il n'exclut pas de tenir compte du témoignage, le cas échéant en faisant preuve de circonspection, mais il peut aussi justifier, selon les circonstances, de ne pas le retenir. Écarter un tel témoignage n'est pas nécessairement insoutenable.
Pour ce qui concerne les témoins C.________ et D.________, les motifs en soi défendables retenus dans l'arrêt attaqué ne sont pas mis en cause par les objections de la recourante. Cette dernière relève que dans les jours qui ont suivi la crise russe, elle a procédé à des appels de marge; cela n'a toutefois jamais été contesté et ne signifie pas qu'un tel appel a eu lieu ou a été sérieusement tenté le 28 août 1998, avant la vente des titres "Brazil Repackaged Bonds"; ce point n'est de toute façon pas pertinent pour juger de la crédibilité des deux témoins. La recourante relève que le témoin peut être amené à prêter serment et risque des poursuites pénales en cas de faux témoignage; mais cela ne garantit malheureusement pas que tous les témoins disent la vérité. Contrairement à ce qu'affirme enfin la recourante, il ne peut pas être exclu que les deux témoins C.________ et D.________, en charge du dossier de l'intimé, puissent, à tort ou à raison, craindre de s'exposer à subir des désavantages si la recourante perdait le procès.
Au demeurant, la recourante ne démontre pas en quoi les témoignages pourraient être déterminants. Sur la question centrale, les réponses des deux témoins ne sont guère précises et partiellement contradictoires. En effet, le témoin C.________ a déclaré: "On n'a pas réussi à atteindre M. B.________. On a dû essayer de le contacter à plusieurs reprises. Ce n'est pas moi qui ai essayé de joindre M. B.________. Cela a dû être fait soit par M. D.________ soit par Mlle E.________", tandis que, pour sa part, le témoin D.________ a affirmé: "C'est sans doute tant M. C.________ que moi-même qui avons vainement tenté d'atteindre M. B.________. Je ne pense pas que nous ayons essayé d'atteindre M. B.________ par fax".
Quant au témoignage de B.________, les motifs pour l'écarter sont également soutenables. En outre, la recourante ne démontre pas en quoi ce témoignage lui serait favorable. En particulier, le fait que le témoin a admis qu'il y avait eu des appels de marge ne signifie pas que tel a été le cas le 28 août 1998; le témoin l'a nié, en précisant que ce jour-là, il était à Londres et donc atteignable.
4.4 En définitive, le recours doit être rejeté.
5.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de la recou-rante.
3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des par-ties et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois.
Lausanne, le 10 juillet 2007
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: