BGer 1P.745/2006
 
BGer 1P.745/2006 vom 26.01.2007
Tribunale federale
{T 0/2}
1P.745/2006 /col
Arrêt du 26 janvier 2007
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président,
Reeb et Eusebio.
Greffier: M. Parmelin.
Parties
la société A.________,
recourante, représentée par Me Frédéric G. Olofsson, avocat,
contre
Département des constructions et des technologies de l'information de la République et canton de Genève, rue David Dufour 5, case postale 22,
1211 Genève 8,
Tribunal administratif de la République et canton de Genève, rue du Mont-Blanc 18, case postale 1956,
1211 Genève 1.
Objet
changement d'affectation d'immeubles soumis à la loi
sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation; remise en état des lieux,
recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif de la République et canton de Genève du
3 octobre 2006.
Faits:
A.
A.________ est une société anonyme constituée en 1991, dont le but est le commerce de produits, l'achat, la vente, la location et la gérance d'immeubles, ainsi que l'exploitation de meublés et d'hôtels. Elle exploite une résidence hôtelière à l'enseigne "Y.________" dans les immeubles sis aux nos 1, 3 et 7bis de la rue Dizerens, à Genève. Elle loue également 17 appartements à la journée en tant que résidences meublées pour des prix variant entre 126 fr. et 221 fr., selon leur capacité, dans l'immeuble sis au n° 12 de la rue Maunoir, à Genève.
Le 4 mai 2005, le Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement de la République et canton de Genève, devenu par la suite le Département des constructions et des technologies de l'information (ci-après: le Département), a invité A.________ à se déterminer sur l'exploitation non autorisée des immeubles précités sous forme de résidences hôtelières.
A.________ a répondu par courriers des 15 juin et 14 juillet 2005. Elle indiquait que les 13 appartements dont elle est propriétaire sur les 15 que compte l'immeuble sis au n° 1 de la rue Dizerens sont loués en tant que résidences meublées depuis son acquisition en mars 1996; elle déclarait ignorer l'usage fait des locaux par l'ancien propriétaire, mais supposait qu'ils étaient affectés à des bureaux dès lors que le bâtiment était mentionné comme tel au registre foncier et qu'il avait l'apparence de bureaux lorsqu'elle en a pris possession. S'agissant de l'immeuble sis au n° 12 de la rue Maunoir, elle expliquait que depuis son acquisition en 1997, les précédents administrateurs de la société avaient peu à peu aménagé les locaux vacants pour les exploiter sous la forme d'appartements meublés, alors que le bâtiment était exploité par l'ancien propriétaire en tant qu'immeuble locatif.
Par décision du 23 septembre 2005, le Département a ordonné à A.________ de rétablir, dans un délai de six mois, une situation conforme au droit en réaffectant à des fins d'habitation (location non meublée) l'ensemble des logements concernés des immeubles sis aux nos 1 et 7bis de la rue Dizerens ainsi que de l'immeuble sis au n° 12 de la rue Maunoir.
Statuant par arrêt du 3 octobre 2006, le Tribunal administratif de la République et canton de Genève (ci-après: le Tribunal administratif ou la cour cantonale) a partiellement admis le recours formé par A.________ contre cette décision qu'il a annulée en tant qu'elle concernait l'immeuble sis au n° 7bis de la rue Dizerens. Il l'a rejeté pour le surplus.
B.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt qui violerait le principe de la bonne foi et la garantie de la propriété consacrés aux art. 9 et 26 al. 1 Cst.
Le Tribunal administratif se réfère à son arrêt. Le Département conclut au rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
L'arrêt attaqué ayant été rendu avant le 1er janvier 2007, la loi fédérale d'organisation judiciaire du 26 décembre 1943 (OJ) demeure applicable à la présente procédure, conformément à l'art. 132 al. 1 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005.
2.
Dirigé contre une décision exclusivement fondée sur le droit cantonal autonome, le recours de droit public est seul ouvert. La recourante est personnellement touchée dans ses intérêts juridiquement protégés par l'arrêt du Tribunal administratif du 3 octobre 2006 qui la contraint de réaffecter à des fins d'habitations les appartements qu'elle exploite sous la forme de résidences meublées dans les immeubles sis au n° 1 de la rue Dizerens et au n° 12 de la rue Maunoir, à Genève. Partant, elle a qualité pour agir selon l'art. 88 OJ. Formé en temps utile contre une décision finale prise en dernière instance cantonale, le recours est recevable au regard des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
3.
Aux termes de l'art. 2 al. 1 de la loi genevoise sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (LDTR), cette loi s'applique notamment à tout bâtiment situé dans l'une des zones de construction prévues par l'art. 19 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, du 4 juin 1987 (let. a) et comportant des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l'habitation (let. b). En vertu de l'art. 7 LDTR, nul ne peut, sous réserve de l'octroi d'une dérogation au sens de l'art. 8, changer l'affectation de tout ou partie d'un bâtiment au sens de l'art. 2, occupé ou inoccupé. A teneur de l'art. 3 al. 3 LDTR, par changement d'affectation, on entend toute modification, même en l'absence de travaux, qui a pour effet de remplacer des locaux à destination de logements par des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel. Sont également assimilés à des changements d'affectation le remplacement de locaux à destination de logements par des résidences meublées ou des hôtels (let. a) et le remplacement de résidences meublées ou d'hôtels par des locaux commerciaux, lorsque ces résidences ou ces hôtels répondent aux besoins prépondérants de la population (let. b).
En l'espèce, il est établi que les appartements dont la recourante est propriétaire dans l'immeuble sis au n° 12 de la rue Maunoir étaient affectés au logement lorsqu'elle en a pris possession et qu'ils étaient de ce fait soumis à la LDTR. En les exploitant sous la forme de résidences meublées sans avoir requis et obtenu préalablement une autorisation en ce sens de la part du Département, elle a procédé à un changement d'affectation illicite. De même, il ressort du dossier que les appartements de l'immeuble sis au n° 1 de la rue Dizerens étaient à l'origine voués à l'habitation, sous réserve du rez-de-chaussée et des combles. La recourante soutient qu'ils étaient affectés à l'usage de bureaux lors de leur acquisition. Il importe peu que ce changement d'affectation soit le fait non pas de A.________, mais du précédent propriétaire. L'affectation à l'usage de bureaux du bâtiment litigieux ne saurait en effet avoir pour conséquence de le soustraire à la LDTR et ne liait pas le Département dans la mesure où elle ne résulte pas d'une autorisation délivrée par celui-ci; en revanche, cette question peut avoir de l'importance dans l'appréciation de la proportionnalité de l'ordre de remise en état, s'agissant de savoir si la recourante était ou non de bonne foi (cf. arrêt 1P.273/2006 du 28 juillet 2006 consid. 3.4 et 3.5). C'est d'ailleurs sous cet angle que A.________ développe son argumentation.
4.
4.1 L'ordre de remise en état litigieux repose sur l'art. 129 let. e de la loi genevoise sur les constructions et les installations diverses (LCI), applicable par renvoi de l'art. 44 LDTR, qui permet au département d'ordonner la remise en état, la réparation, la modification, la suppression ou la démolition d'une construction ou d'une installation non conforme aux prescriptions de ladite loi, aux règlements qu'elle prévoit ou aux autorisations délivrées en application de ces dispositions légales ou réglementaires. Cette disposition reconnaît ainsi une certaine marge d'appréciation à l'autorité dans le choix de la mesure adéquate pour rétablir une situation conforme au droit, dont elle doit faire usage dans le respect des principes de la proportionnalité, de l'égalité de traitement et de la bonne foi, et en tenant compte des divers intérêts publics et privés en présence (cf. Christine Ackermann Schwendener, Die klassische Ersatzvornahme als Vollstreckungsmittel des Verwaltungsrechts, thèse Zurich 2000, p. 62). C'est ainsi qu'il peut être renoncé à une remise en état des lieux, lorsque la violation est de peu d'importance, lorsque cette mesure n'est pas compatible avec l'intérêt public ou encore lorsque le propriétaire a pu croire de bonne foi qu'il était autorisé à édifier ou à modifier l'ouvrage et que le maintien d'une situation illégale ne se heurte pas à des intérêts publics prépondérants (ATF 111 Ib 213 consid. 6 p. 221 et les arrêts cités).
4.2 Lors de sa constitution en propriété par étages en novembre 1984, l'immeuble sis au n° 1 de la rue Dizerens était voué à un usage commercial au rez-de-chaussée et à des appartements de trois pièces aux étages supérieurs, les combles étant affectés à des greniers, comme cela résulte du cahier de répartition des locaux établi à cette date. En revanche, il était mentionné comme bureaux au registre foncier en mars 2005 selon l'extrait produit par la recourante. Cette affectation correspondait, selon elle, à l'état des locaux lors de leur acquisition en mars 1996. En dépit des investigations entreprises auprès du registre foncier, il n'a pas été possible de déterminer la date de cette inscription et la transaction qui en a été la cause. La cour cantonale a néanmoins estimé que A.________ n'était pas de bonne foi parce que l'indication de l'affectation du bâtiment comme bureaux au registre foncier ne revêtait aucune valeur constitutive et que la recourante aurait dû, en faisant preuve du minimum d'attention que l'on est en droit d'exiger d'un professionnel de l'immobilier, prendre tous les renseignements utiles complémentaires auprès des autorités compétentes afin de s'assurer de l'affectation réelle de l'immeuble.
La recourante conteste cette motivation. Elle soutient qu'elle était en droit de se fier à l'affectation de bureaux indiquée à l'état descriptif de l'immeuble au registre foncier lorsqu'elle en a fait l'acquisition. Exiger en outre de sa part qu'elle vérifie à cette occasion la conformité des indications mentionnées au registre foncier en consultant les archives de l'Office cantonal de la population dépasserait le devoir de diligence de tout acheteur de se renseigner sur l'objet qu'il acquiert.
Comme le relève la cour cantonale, la foi publique attachée au registre foncier ne s'étend pas aux indications figurant à l'état descriptif, telle que la mention de l'affectation des bâtiments (ATF 119 II 216 consid. 3 p. 218; 106 II 341 consid. 1a p. 342; 105 Ia 219 consid. 2 p. 221; Daniela Bänziger-Compagnoni, Die Oeffentlichkeit des Grundbuches, thèse Zurich 1993, p. 71; Henri Deschenaux, Le registre foncier, Traité de droit privé suisse, vol. V/II, 2, 1983, p. 54); l'extrait du registre foncier versé au dossier le précisait d'ailleurs expressément. Cela ne signifie pas pour autant que cette inscription serait dépourvue de toute portée, s'agissant de déterminer si l'acquéreur était ou non de bonne foi, en particulier lorsque la destination réelle de l'immeuble lors de son acquisition correspond à celle indiquée dans l'état descriptif du bâtiment mentionné au registre foncier (cf. arrêt 1P.273/2006 précité). En pareil cas, on ne saurait exiger de l'acquéreur qu'il se renseigne plus avant sur l'exactitude de l'indication figurant au registre foncier, notamment en consultant les archives de l'Office cantonal de la population.
En l'occurrence, la recourante soutient précisément que l'affectation du bâtiment en bureaux indiquée au registre foncier correspondait à l'état dans lequel elle a trouvé les locaux lors de son acquisition. Si cette affirmation devait se révéler exacte, elle pourrait se prévaloir de sa bonne foi. Les investigations entreprises auprès du registre foncier n'ont pas permis de déterminer la date de cette inscription et, partant, de réfuter les déclarations de A.________. La cour cantonale ne pouvait pas simplement en déduire que l'immeuble avait toujours été dévolu à l'habitation et qu'il s'agissait d'une indication erronée. Cette motivation est contraire au principe suivant lequel la bonne foi est présumée. Pour le surplus, le Tribunal fédéral n'a pas à examiner en première instance si les éléments évoqués par le Département dans ses observations sont de nature à infirmer les affirmations de A.________ selon lesquelles l'immeuble était affecté à l'habitation lorsqu'elle en a fait l'acquisition. Il appartiendra au Tribunal administratif de se prononcer à ce propos, le cas échéant après avoir complété l'instruction, par exemple en se faisant remettre une copie de l'acte de vente ou en interpellant le précédent propriétaire des lieux sur l'affectation des locaux au moment de la vente. L'arrêt attaqué doit par conséquent être annulé en tant qu'il porte sur l'immeuble sis au n° 1 de la rue Dizerens.
4.3 La recourante ne conteste en revanche pas avoir exploité sans autorisation l'immeuble sis au n° 12 de la rue Maunoir sous la forme de résidences meublées alors qu'il était précédemment affecté à l'habitation et était inscrit comme tel au registre foncier lors de son acquisition, de sorte qu'elle ne peut pas se prévaloir de sa bonne foi. Elle tient néanmoins l'ordre de remise en état pour disproportionné. Elle prétend que les appartements offerts à la location sous forme de résidences meublées pour des périodes de longue durée répondraient à un besoin atypique, mais prépondérant en logements dans une ville à vocation internationale telle que Genève et que leur affectation en résidences meublées respecte le but de la loi dans la mesure où ils servent non pas à l'hébergement temporaire d'une clientèle touristique ou de passage, mais à l'habitation d'employés de multinationales et aux fonctionnaires des organisations internationales. Par ailleurs, elle estime que la remise en état immédiate des lieux porterait une atteinte excessive à ses intérêts. Elle aurait dû être autorisée à poursuivre l'exploitation de l'immeuble sous sa forme actuelle aussi longtemps qu'elle en est propriétaire, conformément à la solution retenue par la cour cantonale dans un arrêt rendu le 14 décembre 2004 en la cause ATA/966/2004.
Le Tribunal fédéral a certes admis qu'il existait un intérêt public à préserver un nombre suffisant de résidences meublées et d'hôtels à Genève, dans la mesure où ces établissements servent de maisons d'habitation répondant aux besoins prépondérants de la population et pas simplement de lieu de séjour temporaire (ATF 111 Ia 23 consid. 4b p. 29). Il est cependant douteux que les appartements exploités par la recourante sous la forme de résidences meublées, par les loyers pratiqués et par les personnes auxquelles ils s'adressent, satisfassent à cette exigence (cf. Mémorial des séances du Grand Conseil, séance du 21 avril 1983, p. 1245; voir aussi l'arrêt du Tribunal administratif du 31 août 1994 paru à la SJ 1994 p. 532). Cette question peut demeurer indécise car même si la création d'appartements meublés destinés aux fonctionnaires des organisations internationales et aux employés de multinationales ayant leur siège à Genève devait répondre à une demande, elle ne saurait se faire au détriment de logements qui répondent aux besoins prépondérants de la population, conformément au texte clair de l'art. 3 al. 3 let. a LDTR.
Pour le surplus, l'ordre de remise en état des lieux échappe à toute critique. La recourante a soustrait à l'habitation 17 appartements de deux à trois pièces entrant dans la catégorie de logements où sévit la pénurie. Elle est l'auteur du changement d'affectation et ne peut se prévaloir de sa bonne foi. Certes, dans l'arrêt auquel se réfère A.________ (ATA/966/2004), le Tribunal administratif a renoncé à exiger une remise immédiate en état des lieux malgré la mauvaise foi du propriétaire et a différé cette mesure au départ de celui-ci. Il a tenu pour décisif le fait que les appartements en cause n'étaient pas disponibles sur le marché locatif lors de leur acquisition et que le recourant les avaient acquis pour y vivre avec sa famille au su de l'autorité, de sorte que les travaux de transformation litigieux n'avaient pas eu pour effet de soustraire des logements répondant aux besoins prépondérants de la population. La recourante ne se trouve pas dans une situation comparable puisque les appartements litigieux sont destinés non pas à son propre usage ou à celui de ses membres, mais à la location de tiers; par ailleurs, il n'est pas établi que les logements en cause étaient indisponibles sur le marché locatif avant que A.________ ne s'en porte acquéreur. L'atteinte portée en l'espèce à la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation par le changement d'affectation illicite est donc importante. L'ordre de remise en état immédiat des lieux ne cause pas de préjudice grave à la recourante qui peut aisément réaffecter les locaux à des fins d'habitation en enlevant les meubles qui les garnissent. Le fait qu'elle percevra un loyer moindre, mais conforme à ce qu'elle aurait été en droit de réclamer si elle avait continué à exploiter les appartements sous une forme traditionnelle, ne constitue pas une circonstance propre à s'opposer à la remise en état des lieux.
Le recours est donc mal fondé en tant qu'il porte sur la réaffectation des logements dont la recourante est propriétaire dans l'immeuble sis au n° 12 de la rue Maunoir.
5.
Vu l'issue du recours, il y a lieu de mettre un émolument judiciaire partiel à la charge de la recourante (art. 156 al. 1 OJ), dans la mesure où les frais de justice ne peuvent être exigés du canton de Genève (art. 156 al. 2 OJ); ce dernier versera en revanche des dépens réduits à A.________, qui obtient partiellement gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est partiellement admis et l'arrêt rendu le 3 octobre 2006 par le Tribunal administratif de la République et canton de Genève est annulé en tant qu'il porte sur l'immeuble sis au n° 1 de la rue Dizerens, à Genève. Le recours est rejeté pour le surplus.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
Une indemnité de 1'000 fr. est allouée à la recourante à titre de dépens, à la charge du canton de Genève.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, ainsi qu'au Département des constructions et des technologies de l'information et au Tribunal administratif de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 26 janvier 2007
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: