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Original
 
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1A.228/2006 /col
Arrêt du 11 décembre 2006
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président,
Aemisegger et Reeb.
Greffier: M. Kurz.
Parties
A.________,
recourante, représentée par Me Salvatore Aversano, avocat,
contre
Juge d'instruction du canton de Genève,
case postale 3344, 1211 Genève 3,
Cour de justice du canton de Genève,
Chambre d'accusation, case postale 3108,
1211 Genève 3.
Objet
Entraide judiciaire internationale en matière pénale avec la France,
recours de droit administratif contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du 18 septembre 2006.
Faits :
A.
Le 13 juillet 2006, un Juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Paris a adressé à la Suisse une commission rogatoire, dans le cadre d'une information contre inconnu pour abus de biens sociaux au préjudice du club de football X.________. Selon les déclarations d'un ancien joueur, diverses malversations avaient été commises lors de la conclusion ou de la reconduction de contrats (augmentation de la commission des agents de joueurs, emplois fictifs et fourniture de contrats "image"). L'enquête vise plus particulièrement quatre transferts de joueurs au club Y.________ (alors détenu par le groupe C.________); le recours à de nombreux intermédiaires, dont la société B.________, au Liechtenstein, aurait conduit à une flambée injustifiée des prix. Le magistrat requérant désire élucider les conditions financières de ces transferts et connaître la destination réelle des fonds. Il demande l'ensemble de la documentation bancaire relative aux comptes de la société B.________ auprès de A.________, dès le 1er janvier 2001, ainsi que les justificatifs des opérations portant sur plus de 15'000 euros.
B.
Par ordonnance du 8 novembre 2005, le Juge d'instruction du canton de Genève est entré en matière et a ordonné la saisie, auprès de A.________, des documents requis. Une perquisition a eu lieu et un employé de A.________ a été entendu. Le 16 décembre 2005, le mandataire de A.________ a requis notamment l'audition de l'ayant droit de B.________. Le Juge d'instruction lui répondit que le tri des documents n'était pas terminé. Une note explicative a été fournie le 7 février 2006 par le mandataire de A.________. Le même jour, le Juge d'instruction l'informa des pièces qu'il envisageait de transmettre, soit 24 cartons et classeurs sur les 46 saisis, après un tri opéré le 18 janvier précédent à l'occasion d'une visite du magistrat requérant. Le 6 mars 2006, A.________ et B.________ ont rectifié sur certains points leur note explicative et se sont opposées à la transmission de 300 documents environ, dont les pièces antérieures à 2001 ainsi que onze transactions sans rapport avec les faits décrits. Certaines pièces manquaient parmi celles remises en consultation.
Par ordonnance du 23 mars 2006, le Juge d'instruction a décidé de transmettre les 24 cartons et classeurs précités, selon inventaire. Ces documents portaient sur la circulation des fonds liés aux transferts de certains joueurs.
C.
Par ordonnance du 18 septembre 2006, la Chambre d'accusation genevoise a déclaré irrecevable le recours formé par B.________, pour défaut de qualité, et rejeté celui interjeté par A.________. Le Juge d'instruction aurait certes dû rendre une décision incidente formelle autorisant le magistrat requérant à participer au tri des pièces; toutefois, une telle décision n'aurait pas pu être attaquée avant la clôture de la procédure car, compte tenu de l'engagement écrit du magistrat de ne pas utiliser les informations avant une décision de transmission, il n'y avait pas de risque de préjudice irréparable. La recourante avait pu participer au tri des pièces, ce qui satisfaisait à son droit d'être entendue. Les pièces manquantes lui avaient été communiquées après la décision de clôture, de sorte qu'elle avait pu s'exprimer à ce sujet durant la procédure de recours. Quoique succincte, la décision de clôture était suffisamment motivée. Le principe de la proportionnalité était respecté car l'enquête portait sur des contrats conclus entre 1998 et 2003. S'agissant des onze opérations litigieuses, la recourante indiquait les motifs et destinataires des versements, mais non la provenance des fonds.
D.
A.________ forme un recours de droit administratif. Elle conclut principalement à l'annulation des décisions du Juge d'instruction et de la Chambre d'accusation, et au renvoi de la cause au Juge d'instruction afin qu'il permette à la recourante de participer au tri des pièces et rende une nouvelle décision dûment motivée. Subsidiairement, elle demande que certaines pièces soient exclues de la transmission, soit celles qui sont antérieures à 2001, celles qui portent sur des mouvements inférieurs à 15'000 euros et environ 250 documents spécialement désignés, relatifs à onze opérations spécifiques.
La Chambre d'accusation se réfère aux considérants de son ordonnance. Le Juge d'instruction et l'Office fédéral de la justice concluent au rejet du recours
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recours de droit administratif est interjeté en temps utile contre une décision confirmée par l'autorité cantonale de dernière instance, relative à la clôture de la procédure d'entraide judiciaire (art. 80f de la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale - EIMP, RS 351.1). La recourante a qualité pour recourir, en tant que détentrice des documents saisis, soumise à une mesure de perquisition (art. 80h let. b EIMP et 9a let. b OEIMP).
2.
La recourante se plaint d'une violation de l'art. 65a EIMP. Elle reproche au Juge d'instruction de ne pas avoir rendu de décision autorisant la présence du magistrat requérant, alors que ce dernier n'avait pas présenté de requête formelle dans ce sens. L'autorité étrangère aurait ainsi pris connaissance de l'ensemble des pièces saisies, dont une partie totalement étrangère à son enquête; il en résulterait un dommage irréparable pour la recourante.
2.1 Comme l'a reconnu la Chambre d'accusation, la procédure suivie par le Juge d'instruction viole indéniablement les règles de l'entraide judiciaire. En effet, la participation des fonctionnaires étrangers aux actes d'entraide doit dans tous les cas faire l'objet d'une requête de l'autorité étrangère, puis d'une décision incidente dûment notifiée.
2.2 Un tel vice ne saurait toutefois justifier l'annulation de la décision de clôture. En effet, la recourante admet elle-même que les conditions matérielles d'une participation du magistrat étranger paraissaient réunies. En outre, à supposer qu'une décision incidente ait été rendue à ce sujet, la recourante n'aurait sans doute pas pu recourir. En effet, un recours incident n'est possible qu'en présence d'un préjudice irréparable (art. 80e let. b ch. 2 EIMP). Or, selon la jurisprudence constante, la présence de fonctionnaires étrangers ne cause pas, ipso facto, un dommage immédiat et irréparable au sens de l'art. 80e let. b EIMP (cf. ATF 128 II 211 consid. 2.1 p. 215/216, 353 consid. 3 p. 254). Il faut pour cela que la personne touchée démontre que la mesure qu'elle critique lui cause un tel dommage et en quoi l'annulation de la décision attaquée ne le réparerait pas (ATF 128 II 211 consid. 2.1 p. 215/216). Le risque que le magistrat étranger puisse prendre connaissance de renseignements sans pertinence pour son enquête est inhérent à sa participation aux actes d'entraide et ne suffit pas pour admettre l'existence d'un préjudice irréparable. Il doit exister un risque supplémentaire d'utilisation prématurée, dans l'Etat requérant, des informations recueillies en Suisse. En l'occurrence, un tel risque n'est pas démontré puisque le Juge d'instruction de Paris a renoncé par écrit à toute utilisation prématurée des renseignements. Par conséquent, la recourante n'aurait certainement pas pu s'opposer à une décision incidente fondée sur l'art. 65a EIMP.
2.3 On ne voit pas, au demeurant, en quoi la venue du magistrat étranger aurait porté à la recourante un préjudice qui se retrouverait dans la décision de clôture. Au contraire, c'est vraisemblablement grâce à la présence de ce magistrat que plus de la moitié des pièces saisies en main de la recourante a pu être écartée de la transmission. En définitive, les irrégularités dénoncées par la recourante ne sauraient justifier à elles seules une annulation de la décision de clôture. Dans son résultat, l'ordonnance attaquée ne viole pas, sur ce point, le droit fédéral.
3.
La recourante invoque ensuite son droit d'être entendue. Elle reproche au Juge d'instruction de ne pas l'avoir informée de la venue du magistrat requérant, puis de ne pas lui avoir donné l'occasion de participer au tri des pièces, malgré ses nombreuses propositions dans ce sens. Alors que la recourante avait demandé des éclaircissements concernant des pièces manquantes, le Juge d'instruction s'était contenté de rendre sa décision de clôture. Cette dernière ne comportait d'ailleurs aucune motivation à propos des objections soulevées par la recourante. Ces violations du droit d'être entendue n'auraient pas été réparées devant la Chambre d'accusation, puisque le défaut de motivation de l'ordonnance de clôture n'a pas été reconnu.
3.1 En ce qui concerne le défaut d'information relative à la présence du magistrat étranger, le grief n'a pas de portée propre par rapport à l'argumentation, traitée ci-dessus (consid. 2), relative à l'absence de décision. Il doit être rejeté dans la même mesure.
3.2 Les exigences légales et jurisprudentielles relatives à la procédure de tri des documents ont été rappelées dans le détail par la cour cantonale. Après un premier tri, l'autorité d'exécution doit inventorier les pièces qu'elle envisage de transmettre et impartir au détenteur un délai pour faire valoir, pièce par pièce, ses arguments à l'encontre de la transmission. Elle rend ensuite une décision de clôture soigneusement motivée (ATF 130 II 14 consid. 4.3-4.4 pp 16-18). Ces exigences ont, pour l'essentiel, été respectées dans le cas d'espèce. La recourante s'est fait remettre les documents d'exécution et a disposé d'un délai pour présenter ses objections. Si certaines pièces ne figuraient pas dans ce premier lot de documents, l'irrégularité a pu être réparée après le prononcé de la décision de clôture et dans le cadre de la procédure de recours cantonal; la recourante ne se plaint pas de n'avoir pas disposé de suffisamment de temps pour prendre connaissance des pièces et se déterminer à leur propos dans son recours à la Chambre d'accusation. Contrairement à ce qu'elle soutient, son droit de participer au tri des documents n'implique pas la possibilité d'être entendue personnellement; il ne doit pas non plus nécessairement s'exercer en présence de l'autorité requérante ou de l'autorité d'exécution; la possibilité de se déterminer par écrit est suffisante (ATF 130 II 14 consid. 4.4 p. 18). Ce premier grief doit donc être écarté.
3.3 La recourante se plaint également de la motivation, selon elle insuffisante, de la décision de clôture. La Chambre d'accusation a considéré que le Juge d'instruction avait rejeté implicitement les objections de la recourante, mais ses raisons n'en seraient pas connues.
Comme cela est relevé ci-dessous, la décision de clôture ne répond nullement aux objections de la recourante et ne peut être considérée comme "soigneusement motivée" au sens de la jurisprudence précitée. Un tel défaut de motivation pouvait toutefois, lui aussi, être réparé par l'autorité de recours: cette dernière disposait d'un plein pouvoir d'examen, et la recourante, qui connaissait précisément l'étendue de l'entraide, pouvait reprendre l'intégralité de ses motifs d'opposition. Pour sa part, la cour cantonale a émis quelques motifs à l'appui de la transmission, en relevant que les contrats de transferts avaient été conclus entre 1998 et 2003, et que, s'agissant des onze opérations litigieuses, la recourante en indiquait les raisons, mais ne disait rien sur la provenance des avoirs concernés; il n'était donc pas exclu que les documents en question présentent une certaine pertinence, la recourante ayant admis l'intervention de B.________ et de deux autres sociétés dans au moins trois transferts de joueurs. La Chambre d'accusation ne dit rien, en revanche à propos des opérations portant sur un montant inférieur à 15'000 euros, dont les justificatifs ne sont pourtant pas visés par la demande d'entraide. Il apparaît ainsi que le défaut de motivation imputable au Juge d'instruction n'a été qu'imparfaitement réparé en instance cantonale.
A cela s'ajoute que, d'un point de vue matériel, la décision attaquée prête également le flanc à la critique.
3.4 Comme cela est rappelé par la cour cantonale, le principe de la proportionnalité empêche d'une part l'autorité requérante de demander des mesures inutiles à son enquête et, d'autre part, l'autorité d'exécution d'aller au-delà de la mission qui lui est confiée (ATF 121 II 241 consid. 3a).
3.5 En l'occurrence, la demande d'entraide tend, pour ce qui concerne B.________, à la remise des documents bancaires durant la période comprise entre le 1er janvier 2001 et le jour de la demande, ainsi que des pièces justificatives pour les opérations d'un montant supérieur à 15'000 euros. Il apparaît ainsi que la décision de clôture va au-delà de l'entraide requise puisque la documentation transmise remonte à 1998 et qu'il n'y a pas de limite quant au montant des transactions. En dépit des objections soulevées sur ces points, le Juge d'instruction n'a pas justifié une telle extension. La cour cantonale s'est pour sa part fondée sur les dates de conclusion et d'exécution des contrats de transferts, considérant que les quelques pièces concernées s'inscrivaient dans le cadre élargi de la commission rogatoire. Il n'en demeure pas moins que le magistrat requérant connaissait lui aussi la date de ces contrats et a expressément renoncé à requérir, pour ce qui concerne B.________, des renseignements antérieurs à 2001. La limitation aux opérations de plus de 15'000 euros procède également d'un choix délibéré, tenant compte de l'importance des montants en jeu.
Il est certes possible que le Juge d'instruction de Paris ait découvert des pièces susceptibles de l'intéresser à l'occasion de sa venue en Suisse, et qu'il en ait lui-même requis la production. Un tel procédé n'est toutefois pas admissible, car il permettrait au magistrat étranger d'obtenir une entraide complémentaire, en motivant le cas échéant directement sa démarche auprès de l'autorité d'exécution, sans avoir à présenter de demande correspondante et sans permettre aux ayants droit de se prononcer en connaissance de cause sur l'utilité de ces renseignements supplémentaires. La décision de clôture doit par conséquent être annulée dans la mesure où elle porte sur des documents antérieurs au 1er janvier 2001, et sur les justificatifs relatifs à des opérations de moins de 15'000 euros.
3.6 Dans ses observations du 6 mars 2006, la recourante a fourni une liste de onze opérations de débit selon elle sans rapport avec l'objet de la demande d'entraide. Elle décrivait la nature de ces opérations (versement de dividendes, salaires, commissions prêts, achat d'oeuvre d'art, parts de bénéfices, etc.) et affirmait que leur révélation à l'autorité requérante était propre à causer aux bénéficiaires un dommage irréparable. Tout en se déclarant prête à le faire, la recourante n'a toutefois pas fourni l'identité des bénéficiaires de ces versements. En outre, elle n'expliquait pas - et ne le fait pas non plus dans son recours de droit administratif - en quoi consistaient les risques encourus, alors que cela est déterminant dans le cadre de la pesée des intérêts à laquelle l'autorité d'entraide doit procéder. Enfin, il apparaît que ces diverses opérations portent sur des montants considérables (jusqu'à 3 millions d'US$); la remise d'une documentation bancaire comportant des lacunes importantes rendrait sans doute bien plus difficile l'appréciation de la gestion du compte à laquelle l'autorité requérante devra se livrer. Au demeurant, les risques évoqués par la recourante peuvent certainement être prévenus par le principe de la spécialité, rappelé dans la décision de clôture. Le grief doit sur ce point être écarté.
4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être admis partiellement. La décision de clôture et l'ordonnance de la Chambre d'accusation doivent être annulées en tant qu'elles portent sur la transmission des documents relatifs aux opérations antérieures au 1er janvier 2001, et des justificatifs relatifs aux opérations de moins de 15'000 euros. Le recours est rejeté pour le surplus. Conformément aux art. 156 et 159 OJ, un émolument judiciaire réduit est mis à la charge de la recourante, et une indemnité de dépens, elle aussi réduite, lui est allouée, à la charge du canton de Genève. Compte tenu de cette issue, la cause doit être renvoyée à la Chambre d'accusation pour nouvelle décision sur les frais et dépens de l'instance cantonale.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis partiellement. L'ordonnance de la Chambre d'accusation du 18 septembre 2006 et la décision de clôture du 23 mars 2006 sont annulées en tant qu'elles autorisent la transmission à l'autorité requérante des documents relatifs aux opérations antérieures au 1er janvier 2001 et des justificatifs relatifs aux opérations portant sur moins de 15'000 euros. Le recours est rejeté pour le surplus.
2.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
Une indemnité de dépens de 1000 fr. est allouée à la recourante, à la charge du canton de Genève.
4.
La cause est renvoyée à la Chambre d'accusation pour nouvelle décision sur les frais et dépens de l'instance cantonale.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, au Juge d'instruction et à la Chambre d'accusation de la Cour de justice du canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice (B 156 635).
Lausanne, le 11 décembre 2006
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: