BGer 4C.77/2006
 
BGer 4C.77/2006 vom 25.07.2006
Tribunale federale
{T 0/2}
4C.77/2006 /ech
Arrêt du 25 juillet 2006
Ire Cour civile
Composition
M. et Mmes les juges Corboz, président, Kiss et Romy, juge suppléante.
Greffier: M. Thélin.
Parties
Syndicat intercommunal de l'anneau d'athlétisme du Littoral neuchâtelois,
demandeur et recourant, représenté par Me Claire-Lise Oswald,
contre
X.________ S.p.A,
défenderesse et intimée, représentée par
Me Jämes Dällenbach.
Objet
contrat d'entreprise; garantie de l'entrepreneur
recours en réforme contre le jugement rendu le
24 janvier 2006 par la Ire Cour civile du Tribunal
cantonal du canton de Neuchâtel.
Faits:
A.
Le Syndicat intercommunal de l'anneau d'athlétisme du Littoral neuchâtelois est une collectivité de droit public cantonal qui a pour but la construction et l'exploitation d'un anneau d'athlétisme à Colombier. Par ses représentants, il a passé divers contrats qui avaient pour objet les travaux de construction de cette installation. L'un d'eux a été conclu par écrit le 14 juin 1990 avec X.________ S.p.A., une société italienne active dans l'industrie des matières plastiques; en contrepartie d'un prix fixé à 613'270 fr., celle-ci s'engageait à fournir et mettre en place le revêtement synthétique de la piste d'athlétisme. Ce contrat était pourvu d'une clause de garantie ainsi rédigée:
X.________ S.p.A. accorde une garantie totale ... contre tous défauts de fabrication, pose, usure et qualité des matériaux, colle, etc.
La pose sera exécutée exclusivement par le personnel de X.________ S.p.A tandis que le marquage sera fait par une société spécialisée, de notre confiance.
...
X.________ S.p.A. s'engage à réparer ou à changer le revêtement présentant des défectuosités, aux conditions énumérées ci-dessus et lorsque ces défauts seront directement imputables aux responsabilités de X.________ S.p.A et reconnus comme tels par un expert du secteur.
...
La garantie ne couvre pas toute malfaçon de la construction du caisson, affaissement, infiltration d'eau ou tous dégâts dus à des produits chimiques, ou bien un entretien impropre, ou un usage pour lequel le matériel n'est pas destiné, faible consistance de la sous-couche, ou construction erronée ou affaissements du caisson soit au-dessous que adjacent à la piste, défaillance de la part d'autres contractants à respecter les détails techniques et les normes requises.
...
Les travaux ont pris fin en septembre 1990. Le 14 avril 2000, en raison de cloques et de fissures qui apparaissaient sporadiquement dans le revêtement de la piste, le Syndicat a saisi le juge compétent d'une requête de preuve à futur tendant à faire constater la nature et la cause de ces défauts. La requête était dirigée notamment contre X.________ S.p.A. Elle a abouti à un rapport d'expertise déposé le 23 septembre 2000. Sans succès, X.________ S.p.A. a exigé le retrait de ce rapport et la mise en oeuvre d'un autre expert; la Cour de cassation civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel a rejeté son recours le 16 juillet 2001.
Le 4 juillet 2001, le Syndicat a publié un appel d'offres pour la réfection des installations d'athlétisme et de football, y compris la piste synthétique; les travaux étaient prévus en septembre et octobre 2001. Le 30 juillet 2001, après examen des lieux et étude des documents d'appel d'offre, X.________ S.p.A. a communiqué au Syndicat que le matériel demandé ne correspondait pas à ce qui avait été fourni à l'origine et qu'elle ne pouvait donc pas présenter d'offre. Le Syndicat a adjugé le marché à d'autres entreprises réunies en consortium et il a signé un contrat le 20 septembre 2001, pour des travaux à achever au plus tard le 15 juin 2002 mais si possible avant fin 2001.
Insatisfaite des conditions dans lesquelles la première expertise avait été réalisée, X.________ S.p.A. en a obtenu une nouvelle, également dans le cadre d'une procédure de preuve à futur qu'elle a ouverte par requête du 30 août 2001. Le second expert a déposé son rapport principal le 20 décembre 2001; répondant à des questions du Syndicat, il a déposé un rapport complémentaire le 28 mars 2002.
B.
Le 28 septembre 2001, le Syndicat a ouvert action contre X.________ S.p.A devant le Tribunal cantonal. Sa demande tendait au paiement de 935'965 fr.70 avec intérêts au taux de 5% par an dès le 23 septembre 2000. Cette somme devait couvrir le coût partiel d'un nouveau revêtement, par 900'000 fr., et les frais de preuve à futur pour le solde.
Contestant toute obligation, la défenderesse a conclu au rejet de la demande.
La Ire Cour civile du Tribunal cantonal a statué le 24 janvier 2006; elle a donné gain de cause à la défenderesse. Selon son prononcé, la garantie promise par cette partie, en cas de défaut de l'ouvrage, ne conférait à l'autre partie que le droit de demander une réparation, à l'exclusion de toute autre prétention telle que la réduction du prix ou le versement de dommages-intérêts. Le syndicat demandeur n'avait pas requis la défenderesse de procéder à la réparation et, en faisant refaire l'ouvrage par des tiers, il avait renoncé à son droit. Le Tribunal cantonal n'a pas déterminé si les cloques et fissures du revêtement avaient leur origine dans un éventuel défaut du radier ou caisson sous-jacent.
C.
Agissant par la voie du recours en réforme, le demandeur requiert le Tribunal fédéral d'annuler ce prononcé et de renvoyer la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision.
La défenderesse conclut au rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recours est formé par une partie qui a succombé dans ses conclusions. Il est dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal suprême (art. 48 al. 1 OJ), dans une contestation civile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ). Déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ), il est en principe recevable.
Le recours en réforme peut être exercé pour violation du droit fédéral, à l'exclusion des droits constitutionnels et du droit cantonal (art. 43 al. 1 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faits constatés dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste ou qu'il soit nécessaire de compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 63 al. 2, 64 OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2 p. 106, 136 consid. 1.4 p. 140). Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte; pour le surplus, les critiques que cette partie dirige contre l'administration des preuves sont irrecevables (art. 55 al. 1 let. c; mêmes arrêts).
En l'occurrence, sur de très nombreux points, le demandeur se réfère aux pièces du dossier plutôt qu'aux constatations du Tribunal cantonal. Sur l'un d'eux seulement, il argue d'une inadvertance manifeste mais en réalité, il met en doute l'appréciation des preuves concernées (cf. ATF 121 IV 104 consid. 2b p. 106). Le Tribunal fédéral n'entre donc pas en matière sur ces moyens.
2.
Compte tenu que l'une des parties - la défenderesse - n'a pas d'établissement en Suisse, le Tribunal fédéral doit déterminer d'office le droit qui est applicable à la cause selon le droit international privé suisse (ATF 118 II 83 consid. 2b p. 85; 130 III 417 consid. 2 p. 421). Le Tribunal cantonal a appliqué le droit suisse sans s'être prononcé explicitement sur ce point; il a cependant constaté que sa compétence à raison du lieu était fondée sur une élection de for insérée dans le contrat. Cela n'a pas été contesté par les parties, toutes deux assistées de mandataires professionnels. Il ne leur a donc pas échappé que le litige comportait un élément d'extranéité. Dans leurs mémoires au Tribunal fédéral, tant le demandeur que la défenderesse se réfèrent exclusivement au droit suisse. On peut ainsi admettre que les parties ont eu conscience de la question du droit applicable et qu'elles ont eu la volonté de résoudre cette question par une élection de droit en faveur du droit suisse (art. 116 al. 2 LDIP; ATF 119 II 173 consid. 1b p. 175; 130 III 417 consid. 2.2.1 p. 422). La cause est donc soumise au droit suisse.
3.
Il est constant que les parties se sont liées par un contrat d'entreprise, que la défenderesse a livré l'ouvrage convenu et que celui-ci s'est révélé défectueux.
L'art. 368 al. 1 CO prévoit que si l'ouvrage livré est défectueux au point que le maître ne peut pas en faire usage, ou ne peut pas être équitablement contraint de l'accepter, il a le droit de le refuser. Le contrat est alors résolu et le maître a le droit d'exiger la restitution de ce qu'il a déjà payé, avec intérêts au taux légal selon l'art. 73 al. 1 CO, dès le paiement (François Chaix, Commentaire romand, ch. 23 à 25 ad art. 368 CO; Peter Gauch et Benoît Carron, Le contrat d'entreprise, Zurich 1999, p. 440 ch. 1535).
En cas de défaut moins important, l'art. 368 al. 2 CO autorise le maître à exiger la réparation de l'ouvrage aux frais de l'entrepreneur, si la réparation est possible sans dépense excessive, ou à réduire le prix en proportion de la moins-value. Si le maître a choisi la réparation et que l'entrepreneur se trouve en demeure de la réaliser, le maître peut lui fixer ou lui faire fixer un délai convenable pour l'exécution; à l'expiration de ce délai, si la réparation n'est pas accomplie, il peut en charger un tiers et se faire rembourser les frais par l'entrepreneur. L'art. 366 al. 2 CO, visant en principe les défauts qui se révèlent pendant le cours des travaux déjà, est applicable ici par analogie (ATF 107 II 50 consid. 3 p. 55; voir aussi ATF 116 II 305 consid. 4a p. 324 in fine); le droit du maître au remboursement des frais a cependant aussi été déduit directement de l'art. 368 al. 2 CO (ATF 96 II 351 consid. 2b et 2c p. 353).
Cette réglementation appartient au droit dispositif et les parties peuvent valablement convenir que le maître aura seulement le droit d'exiger la réparation de l'ouvrage, sans pouvoir le refuser ni en faire réduire le prix (ATF 110 II 52 consid. 4 p. 53; 116 II 305 consid. 3a p. 311). Le maître ne peut plus élever aucune prétention s'il s'est lié par une telle convention et qu'il a confié la réparation à un tiers au lieu de la réclamer à l'entrepreneur (ATF 116 II 450 consid. 2b/bb p. 453/454).
Le Tribunal cantonal a jugé que le contrat du 14 juin 1990 comportait précisément une clause excluant le refus de l'ouvrage ou la réduction du prix, en tant que la défenderesse s'était seulement engagée « à réparer ou à changer le revêtement présentant des défectuosités » selon les modalités de la réalisation initiale. Il a aussi jugé que le demandeur était déchu de toute prétention après qu'il avait fait réparer l'ouvrage par des tiers sans avoir préalablement invité la défenderesse à le réparer elle-même dans un délai convenable. Selon ses constatations, la défenderesse a gratuitement et périodiquement, durant plusieurs années, réparé les fissures et les cloques du revêtement. En août 1999, les parties ont prévu une procédure destinée à élucider la question des responsabilités, comportant le recours à un expert neutre. Sans attendre l'issue de cette procédure conventionnelle, le demandeur a introduit sa requête de preuve à futur du 14 avril 2000. Alors que la validité de l'expertise consécutive à cette requête était encore l'objet d'une contestation devant l'autorité de recours compétente, le demandeur a publié son appel d'offres du 4 juillet 2001. Dans ce comportement, le Tribunal cantonal voit une renonciation au moins implicite au droit de réclamer à la défenderesse une réparation définitive de l'ouvrage.
4.
Le demandeur ne conteste pas l'interprétation de la clause de garantie présente dans le contrat. Il admet n'avoir pas invité la défenderesse à installer un revêtement présentant la stabilité et la résistance voulues. Selon son argumentation, l'attitude de cette partie dénotait le refus de procéder aux travaux nécessaires et, de plus, ladite partie s'était révélée incapable d'aboutir à un résultat satisfaisant; dans cette situation, à son avis, il était en droit de confier directement les travaux à des tiers, sans s'adresser à la défenderesse, puis d'exiger d'elle, ensuite, le remboursement des frais.
L'incompétence ou l'incapacité de la défenderesse ressort prétendument de ce que cette partie a effectué plusieurs réparations sans parvenir à un résultat durable. Selon le jugement dont est recours, ces réparations sont intervenues dans le cadre de travaux de d'entretien ou de suivi et elles n'avaient pas pour but de prévenir l'apparition de nouvelles fissures ou cloques; les travaux nécessaires à cette fin ne pouvaient être envisagés qu'après élucidation des causes du défaut et le recours à un expert neutre, convenu dès août 1999, était précisément destiné à renseigner les parties à ce sujet; par conséquent, le résultat des premières réparations n'autorisait pas le demandeur à dénier l'aptitude de la défenderesse. Cette appréciation est pertinente et elle mérite l'adhésion du Tribunal fédéral.
Le demandeur soutient que le refus de répondre à l'appel d'offres du 4 juillet 2001 dénotait le refus de procéder à une réparation durable de l'ouvrage. Il est cependant constaté que d'après les documents de cette procédure, la nouvelle piste synthétique devait être réalisée dans une technique fondamentalement différente de celle utilisée à l'origine. Dans ces conditions, conformément à l'opinion du Tribunal cantonal, l'appel d'offres ne tendait pas à une réparation de l'ouvrage initial ni à son remplacement par un ouvrage semblable; il s'agissait au contraire d'un autre ouvrage et la défenderesse n'avait donc, pour ce motif déjà, aucune obligation contractuelle de présenter une offre.
Enfin, le demandeur se réfère à une déclaration du directeur de la défenderesse qui a été interrogé en qualité de témoin: « ils m'ont demandé si on pouvait réparer; j'ai dit que c'était exclu ». Le Tribunal cantonal a apprécié l'ensemble du témoignage et il a jugé que sur cette base, on ne pouvait pas constater un refus de la défenderesse de satisfaire à ses obligations. Ici en particulier, le demandeur use d'un moyen irrecevable au regard de l'art. 63 al. 2 OJ.
Il n'est pas nécessaire d'examiner si, au regard de l'art. 366 al. 2 CO, le maître peut se dispenser de fixer - ou de faire fixer - un délai de réparation à l'entrepreneur et recourir directement aux prestations d'un tiers, en vue d'en imputer les frais à son cocontractant, lorsque ce dernier apparaît d'emblée incapable d'effectuer la réparation ou qu'il s'y refuse catégoriquement (Chaix, op. cit., ch. 15 ad art. 366 CO; Gauch/Carron, op. cit., p. 508 ch. 1827; Alfred Koller, Das Nachbesserungsrecht im Werkvertrag, 2e éd., Zurich 1995, p. 53 ch. 147 et 148). De toute manière, aucune de ces deux hypothèses ni aucune de celles textuellement prévues par cette disposition n'était réalisée lorsque le demandeur a fait exécuter les travaux par d'autres entreprises, de sorte que ce plaideur n'est pas autorisé à réclamer le remboursement des frais. Par ailleurs, la garantie convenue ne lui conférait aucune autre prétention. C'est donc à bon droit que le Tribunal cantonal a rejeté sa demande en se dispensant d'élucider l'origine du défaut.
5.
Le recours en réforme se révèle privé de fondement, dans la mesure où les griefs présentés sont recevables. A titre de partie qui succombe, le demandeur doit acquitter l'émolument judiciaire et les dépens à allouer à la partie qui obtient gain de cause.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2.
Le demandeur acquittera un émolument judiciaire de 11'000 fr.
3.
Le demandeur acquittera une indemnité de 13'000 fr. à verser à la défenderesse à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et au Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.
Lausanne, le 25 juillet 2006
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: