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Original
 
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 1/2}
1P.60/2006 /col
Arrêt du 15 juin 2006
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président,
Aemisegger, Aeschlimann, Reeb et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.
Parties
Commune d'Arzier, 1273 Arzier,
Commune de Morges, 1110 Morges,
Commune de Pizy, 1174 Pizy,
Commune de Saint-Cergue, 1264 Saint-Cergue,
recourantes, représentées par Me Alain Thévenaz, avocat,
contre
Département des infrastructures du canton de Vaud, 1014 Lausanne, représenté par Me Jean Jacques Schwaab, avocat,
Tribunal administratif du canton de Vaud,
avenue Eugène-Rambert 15, 1014 Lausanne.
Objet
délimitation de tronçons de routes cantonales en traversée de localité,
recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud du 21 décembre 2005.
Faits:
A.
L'art. 7 de la loi vaudoise sur les routes, du 10 décembre 1991 (LRou, RS/VD 725.01), prévoit que les routes nationales et cantonales sont propriété du canton, et que les routes communales et les routes cantonales en traversée de localité sont la propriété des communes territoriales. Selon l'art. 20 LRou, l'entretien des routes (qui comprend, selon l'art. 4 du règlement d'application - RLRou, RS/VD 725.01.1 -, la maintenance et le renouvellement des ouvrages et installations visés à l'art. 2 de la loi) incombe à l'Etat pour les routes cantonales hors traversées des localités, et aux communes territoriales dans les autres cas. Dans la traversée des localités, les dépenses de construction, de correction et d'entretien des routes cantonales sont à la charge des communes (art. 56 al. 1 LRou). Des subventions sont possibles pour les travaux de construction et de correction (art. 56 al. 2 LRou). Selon l'art. 3 al. 4 LRou, les tronçons de routes cantonales en traversée de localité sont délimités par le Département des infrastructures (ci-après: le département), après consultation des communes.
L'art. 1er RLRou, en vigueur jusqu'au 23 décembre 2004, prévoyait que la délimitation des routes cantonales en traversée de localité faisait l'objet d'un procès-verbal comprenant un plan d'ensemble et des extraits du plan cadastral. Ces limites de traversée étaient indépendantes de l'emplacement des signaux d'indication de début et de fin de localité de l'ordonnance sur la signalisation routière (OSR, RS 741.21). La délimitation était révisée périodiquement suivant l'évolution de l'urbanisation.
B.
Dans le cadre des mesures d'assainissement prévues par l'art. 165 de la Constitution vaudoise (Cst./VD), le Grand Conseil a, le 21 septembre 2004, adopté un décret portant sur une modification de la LRou, prévoyant notamment que les routes cantonales en traversée de localité étaient propriété des communes jusqu'au panneau d'entrée de localité tel que défini par la LCR, et que l'entretien des routes appartenait à leur propriétaire. La votation populaire, au cours de laquelle les électeurs devaient choisir entre cette modification législative et une augmentation du coefficient de l'impôt cantonal, n'a toutefois pas eu lieu, le Tribunal fédéral ayant, sur recours de droit public, annulé le décret du Grand Conseil (ATF 131 I 126).
Le 24 décembre 2004, le Conseil d'Etat vaudois a modifié le RLRou en abrogeant notamment son art. 1er. Le Conseil d'Etat a considéré qu'une modification de la loi n'était pas nécessaire, puisque c'était au département qu'il appartenait de déterminer les tronçons de routes en traversée de localité.
Le 16 février 2005, le département a adressé aux municipalités une lettre faisant état des modifications réglementaires. Les procès-verbaux de traversées étaient annulés, et la traversée de localité correspondrait désormais aux panneaux d'entrée et de sortie de localités tels que définis par l'OSR, ce qui constituait un critère logique, objectif et garantissant l'égalité de traitement entre les communes. Les nouveaux tronçons seraient transmis aux communes sans travaux de remise en état. Les participations croisées communes/Etat, selon les art. 54-58 LRou, seraient en principe maintenues; pour les travaux en traversée, le moratoire décidé par le Conseil d'Etat resterait en vigueur. Les communes étaient invitées à se déterminer.
Par lettre du 14 mars 2005, la Municipalité de Morges s'est opposée au transfert de route qui impliquait une extension de son réseau de 2710 m. Elle exigeait une remise en état préalable de certains tronçons.
Par lettre du 15 mars 2005, la Municipalité de Pizy s'est opposée à la mesure prévue; le tronçon concerné (1692 m) était d'une longueur disproportionnée par rapport à l'importance de la localité.
Par lettre du 21 mars 2005, la Municipalité de Saint-Cergue s'est elle aussi opposée au transfert en relevant que le hameau de la Cure devait ainsi supporter 600 m supplémentaires de route.
Par lettre du 22 mars 2005, la Municipalité d'Arzier - Le Muids s'est également opposée au transfert. L'attribution à la commune passait de 226 m à 2208 m; il s'agissait d'une route à grand trafic pour laquelle la commune ne pouvait assurer l'entretien.
C.
Par une série de décisions des 15 juin, 10 août (pour les quatre communes précitées) et 14 septembre 2005, le département a fait savoir aux communes concernées que les procès-verbaux de traversée étaient annulés et que les traversées de localités correspondaient désormais (à l'exception de quelques communes) aux panneaux d'entrée et de sortie de localités. Le transfert avait lieu sans remise en état préalable. Après modification de la signalisation, les tronçons transférés avaient été réduits à 926 m pour la commune de Pizy, et à 324 m pour celle de Saint-Cergue. Le nouveau critère était indépendant du trafic, du nombre d'habitants de la commune et de sa capacité financière.
D.
Trente municipalités ont recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif vaudois. Par arrêt du 21 décembre 2005, après avoir déclaré deux recours irrecevables et joint les causes, le Tribunal administratif a rejeté tous les recours et maintenu les décisions attaquées, fixant leur entrée en vigueur au 1er janvier 2006. Le département était compétent pour délimiter les traversées de localités, et les communes ne disposaient d'aucune autonomie dans ce domaine. La modification législative, non entrée en vigueur, n'empêchait pas de procéder par voie réglementaire. Faute de critères légaux pour la délimitation des traversées de localités, les travaux préparatoires de la LRou ne permettaient pas de conclure à une limitation du pouvoir d'appréciation du département. Le critère choisi par ce dernier, consacré dans d'autres domaines connexes, n'était pas critiquable. Rien ne permettait d'exiger une remise en état préalable des tronçons transférés aux communes. Celles-ci pouvaient demander un déplacement des panneaux d'entrée et de sortie de localité, dans le cadre de la procédure prévue par l'OSR.
E.
Les communes d'Arzier, Morges, Pizy et Saint-Cergue (laquelle a par ailleurs formé un recours de droit administratif traité séparément) forment un recours de droit public contre ce dernier arrêt. Elles se plaignent de ne pas avoir pu répliquer aux arguments présentés par le département en réponse à leurs recours, ce qui les aurait notamment empêchées de produire un avis de droit; le Tribunal administratif aurait aussi omis de tenir compte des circonstances locales propres à chaque commune recourante. Elles se plaignent aussi d'une application arbitraire de l'art. 138 Cst./VD et de l'art. 3 al. 4 LRou. Elles concluent à l'annulation de l'arrêt cantonal et des décisions du département. Elles demandent l'effet suspensif.
Le Tribunal administratif propose d'écarter le recours. Le Département conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable, en relevant notamment que le grief relatif à l'autonomie communale n'avait pas été soulevé par les recourantes en instance cantonale.
L'effet suspensif a été accordé par ordonnance présidentielle du 1er mars 2006
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 130 I 312 consid. 1 p. 317; 130 II 249 consid. 2 p. 250, 302 consid. 3 p. 303/304, 306 consid. 1.1 p. 308 et les arrêts cités).
2.
Les recourantes agissent par la voie du recours de droit public en relevant que les décisions du département les toucheraient comme n'importe quel particulier, puisqu'elles deviennent propriétaires des tronçons transférés et que leur responsabilité pourrait se trouver engagée de ce fait (art. 58 CO); elles se prévalent également de l'autonomie que leur reconnaît le droit cantonal dans la gestion du domaine public et du patrimoine communal.
2.1 Selon l'art. 88 OJ, le recours de droit public est ouvert aux particuliers et aux collectivités lésés par des arrêtés ou des décisions qui les concernent personnellement ou qui sont d'une portée générale. Le recours de droit public est conçu pour la protection des droits constitutionnels (art. 84 al. 1 lettre a OJ). De tels droits ne sont reconnus en principe qu'aux citoyens, à l'exclusion des collectivités publiques qui n'en sont pas titulaires. Cette règle s'applique aux cantons, aux communes et à leurs autorités, qui agissent en tant que détentrices de la puissance publique.
La jurisprudence considère toutefois qu'il y a lieu de faire deux exceptions pour les communes et autres corporations de droit public. La première est admise lorsque la collectivité n'intervient pas en tant que détentrice de la puissance publique, mais qu'elle agit sur le plan du droit privé ou qu'elle est atteinte dans sa sphère privée de façon identique ou analogue à un particulier, notamment en sa qualité de propriétaire de biens frappés d'impôts ou de taxes, ou d'un patrimoine financier ou administratif. Une seconde exception est admise en faveur des communes lorsque, par la voie du droit public, elles se plaignent d'une violation de leur autonomie (art. 50 Cst.) ou d'une atteinte à leur existence ou à l'intégrité de leur territoire garanties par le droit cantonal. Les collectivités concernées peuvent aussi se prévaloir, à titre accessoire, de la violation de droits constitutionnels lorsque ces moyens sont en relation étroite avec la violation de leur autonomie (ATF 131 I 91 consid. 1 p. 93; 129 I 313 consid. 4.1 p. 318; 125 I 173 consid. 1b p. 175; 121 I 218 consid. 2a et les arrêts cités).
2.2 Les recourantes ne sauraient soutenir que les transferts de tronçons routiers opérés par le département les concerneraient comme n'importe quel particulier. En effet, si les tronçons en traversée de localité deviennent propriété des communes (art. 7 LRou), ils n'appartiennent pas pour autant au patrimoine administratif ou financier, mais sont du domaine public (cf. art. 1 LRou) dont la construction, l'entretien et l'usage est soumis en particulier au droit cantonal. Les communes concernées sont donc touchées en tant que détentrices de la puissance publique, soumises à l'obligation d'entretien qui incombe à l'Etat.
2.3 Dans la mesure où elles dénoncent une violation de leur autonomie communale, les recourantes ont qualité pour agir par la voie du recours de droit public. Déterminer si, dans un domaine juridique particulier, les communes jouissent effectivement d'une autonomie, n'est pas une question de recevabilité, mais de fond (ATF 128 I 3 consid. 1c p. 7; 124 I 223 consid. 1b p. 226 et les références citées).
2.4 L'art. 50 al. 1 Cst. dispose que l'autonomie communale est garantie dans les limites fixées par le droit cantonal. Selon la jurisprudence, une commune bénéficie de la protection de son autonomie dans les domaines que le droit cantonal ne règle pas de manière exhaustive, en lui laissant une liberté de décision relativement importante. L'existence et l'étendue de l'autonomie communale dans une matière concrète sont déterminées essentiellement par la constitution et la législation cantonales (ATF 128 I 3 consid. 2a p. 8; 124 I 223 consid. 2b p. 226-227 et les arrêts cités). Lorsqu'elle est reconnue autonome dans un domaine spécifique, une commune peut se plaindre, par la voie du recours de droit public, d'un excès ou d'un abus du pouvoir d'appréciation ou d'une fausse application par l'autorité cantonale des normes de droit cantonal et communal régissant le domaine en cause. L'autonomie communale est également violée lorsque le canton empiète à tort dans un domaine protégé de celle-là par l'adoption, notamment, de normes générales et abstraites qui limitent ou suppriment une compétence communale ou qui règlent une question relevant de cette autonomie (cf. ATF 122 I 279 consid. 8c p. 291; 120 Ia 203 consid. 2a p. 204; 119 Ia 214 consid. 3a p. 218 et les arrêts cités). Les communes peuvent en outre jouir d'une autonomie protégée dans l'application du droit cantonal, si celui-ci leur laisse une liberté de décision relativement importante. Il faut toutefois que l'exécution, en première instance, des dispositions cantonales leur soit confiée et que la nature du domaine à régler se prête à une réglementation propre de la part des différentes communes (ATF 119 Ia 214 consid. 3b p. 219).
2.5 Selon l'art. 138 al. 1 Cst./VD, les communes assument, outre les tâches propres qu'elles accomplissent volontairement, celles que la loi ou la Constitution leur attribuent. Selon l'art. 139 Cst./VD, les communes vaudoises disposent d'autonomie en particulier dans la gestion du domaine public et du patrimoine communal (let. a) et en matière d'aménagement local du territoire (let. d). Cette disposition constitutionnelle a notamment pour but d'éviter au Tribunal fédéral de rechercher dans l'ensemble du droit cantonal si les communes disposent, dans un certain domaine, de pouvoirs de décision importants (Haldy, L'organisation territoriale et les communes, in: La Constitution vaudoise du 14 avril 2003, Berne 2004, p. 291-310, 295).
2.6 Les décisions du département rendues les 15 juin, 10 août et 14 septembre 2005 portent uniquement sur la délimitation des tronçons de routes en traversée de localité. Les compétences générales des communes, s'agissant de la gestion du domaine public et de l'aménagement local du territoire, n'enlèvent rien au fait que, s'agissant spécifiquement de l'acte préalable de délimitation des tronçons de routes cantonales en traversée de localité, la compétence appartient exclusivement au département cantonal selon l'art. 3 al. 4 LRou. Les communes auront certes la gestion de ces tronçons supplémentaires (art. 3 al. 4 LRou), mais, selon le droit cantonal, elles n'ont aucun droit de déterminer librement, ou de participer à l'acte de détermination de ces tronçons, lequel appartient à l'autorité cantonale. Dans ce cadre, les communes ne disposent que d'un droit d'être entendues, qui a pu être exercé en l'occurrence. L'augmentation des charges d'entretien, qui découle de l'accroissement des tronçons concernés, aura certes une incidence sur les finances des communes, mais cela ne leur permet pas pour autant de se prévaloir de leur autonomie (cf. arrêt 2P.203/2004 du 1er décembre 2005). En effet, celle-ci ne peut être invoquée en matière de subventions ou de charges financières décidées par le canton (ATF 113 Ia 336 consid. 1b p. 339). Il n'en va différemment que lorsque la commune se plaint d'une violation de son droit à l'existence, soit lorsque la mesure litigieuse aurait pour effet de déséquilibrer complètement ses finances, au point de compromettre son existence même (ATF 115 Ia consid. 5d/aa p. 54; cf. aussi ATF 131 I 91 consid. 1 p. 93 concernant le droit à l'existence). Les recourantes n'allèguent toutefois rien de tel.
2.7 Le grief de violation de l'art. 50 Cst. doit par conséquent être rejeté, et les moyens tirés du droit d'être entendu et de l'interdiction de l'arbitraire n'ont pas à être examinés.
3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public est rejeté. Conformément à l'art. 156 al. 2 OJ, il n'est pas perçu d'émolument judiciaire. Selon l'art. 159 al. 2 OJ, il n'est pas alloué de dépens aux autorités qui obtiennent gain de cause, que celles-ci agissent par leurs propres services ou - comme l'a fait le département en l'occurrence - par un avocat indépendant.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours de droit public est rejeté.
2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire, ni alloué de dépens.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des recourantes et du Département des infrastructures du canton de Vaud, ainsi qu'au Tribunal administratif du canton de Vaud.
Lausanne, le 15 juin 2006
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: