BGer 5P.434/2005
 
BGer 5P.434/2005 vom 21.03.2006
Tribunale federale
{T 0/2}
5P.434/2005 /frs
Arrêt du 21 mars 2006
IIe Cour civile
Composition
M. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann et Hohl.
Greffier: M. Braconi.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Pierre-Bernard Petitat, avocat,
contre
Dame X.________,
intimée,
1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
art. 9 Cst. (mainlevée d'opposition),
recours de droit public contre l'arrêt de la 1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève du 3 novembre 2005.
Faits:
A.
Par jugement sur mesures protectrices de l'union conjugale rendu par défaut le 27 janvier 1992, le Tribunal de première instance du canton de Genève a condamné X.________ à verser à dame X.________, par mois et d'avance, allocations familiales non comprises, la somme de 3'000 fr. à titre de contribution à l'entretien de sa famille, ainsi qu'à payer le loyer de l'appartement conjugal. Par jugement du 11 octobre 1993, ce tribunal a déclaré irrecevable l'opposition tardive formée par X.________ contre cette décision.
B.
Le 9 mai 1994, X.________ a été déclaré en faillite. Le 24 mai 1996, l'Office des poursuites et des faillites de Genève/Rive-Droite a délivré à dame X.________ les actes de défaut de biens suivants:
- 32'115 fr.25 pour les pensions alimentaires dues de janvier 1992 à mai 1993;
- 33'752 fr.85 pour les pensions alimentaires dues de juin 1993 à mai 1994;
- 78'058 fr. pour les loyers dus de décembre 1992 à novembre 1993.
Chacun de ces actes mentionne que le failli conteste la créance.
C.
Sur réquisition de dame X.________, l'Office des poursuites de Genève a notifié le 18 février 2005 à X.________ un commandement de payer la somme de 143'926 fr.10, avec intérêts à 6 % dès le 27 janvier 1992; la rubrique «Titre et date de la créance, cause de l'obligation» dudit acte précise que ce montant correspond à des pensions alimentaires en faveur de l'enfant A.________ selon le jugement du Tribunal de première instance de Genève du 27 janvier 1992. Le poursuivi a fait opposition totale, non motivée.
Statuant le 7 juillet 2005, le Tribunal de première instance du canton de Genève a levé définitivement l'opposition à concurrence du capital en poursuite, sans intérêts.
Sur appel du poursuivi, la 1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève a, par arrêt du 3 novembre suivant, annulé cette décision et prononcé la mainlevée définitive à concurrence de 32'115 fr.25 et de 33'752 fr.85.
D.
Agissant par la voie du recours de droit public au Tribunal fédéral pour violation de l'art. 9 Cst., X.________ conclut à l'annulation de cet arrêt et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau dans le sens des considérants.
Des observations sur le fond n'ont pas été requises.
E.
Par ordonnance présidentielle du 29 novembre 1995, la requête d'effet suspensif du recourant a été rejetée.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 131 III 667 consid. 1 p. 668).
1.1 Déposé en temps utile contre un prononcé de mainlevée définitive de l'opposition rendu en dernière instance cantonale (ATF 120 Ia 256 consid. 1a p. 257; 98 Ia 527 consid. 1 p. 532), le recours est recevable sous l'angle des art. 84 al. 2, 86 al. 1, 87 et 89 OJ.
1.2 Sous réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce, le recours de droit public est de nature cassatoire et ne peut tendre qu'à l'annulation de la décision attaquée (ATF 131 I 291 consid. 1.4 p. 297; 131 III 334 consid. 6 p. 343). Le chef de conclusions tendant à la constatation de la violation de l'art. 9 Cst. est, partant, irrecevable.
2.
La Cour de justice a considéré que le commandement de payer notifié au recourant comprenait toutes les énonciations requises par l'art. 67 al. 1 LP; en particulier, il indiquait correctement le jugement du tribunal de première instance du 27 février (recte: janvier) 1992 comme titre de mainlevée et ne faisait à juste titre pas référence aux actes de défaut de biens, qui ne valaient pas titre de mainlevée (provisoire), faute pour le débiteur d'avoir reconnu dans le cadre de sa faillite les créances qui y sont incorporées. En outre, le recourant n'a pas excipé de son défaut de retour à meilleure fortune en formant opposition, de sorte qu'il est déchu du droit d'invoquer ce moyen. Enfin, les créances en poursuite étant constatées par des actes de défaut de biens dressés le 24 mai 1996, elles se prescrivent par 20 ans dès la délivrance de ces actes, conformément à l'art. 149a al. 1 LP.
Le recourant reproche, en substance, à la juridiction cantonale d'avoir appliqué arbitrairement la prescription de 20 ans, alors que les actes de défaut de biens détenus par l'intimée n'étaient pas évoqués dans le commandement de payer, ni même dans la requête de mainlevée en première instance. A son avis, il eût fallu appliquer l'art. 128 ch. 2 CO, qui prévoit une prescription de cinq ans pour les pensions alimentaires, ainsi que l'art. 134 al. 1 ch. 3 CO, qui suspend la prescription entre les époux; les créances alimentaires fondées sur les mesures protectrices de l'union conjugale seraient par conséquent prescrites depuis 2001, à savoir cinq ans après le prononcé du divorce le 7 février 1996.
2.1 De jurisprudence constante, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 131 I 57 consid. 2 p. 61; 129 I 8 consid. 2.1 p. 9); il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9; 126 III 438 consid. 3 p. 440); pour que la décision attaquée soit annulée, encore faut-il qu'elle se révèle arbitraire non seulement dans ses motifs, mais également dans son résultat (ATF 131 I 217 consid. 2.1 p. 219).
En vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit contenir, sous peine d'irrecevabilité (cf. ATF 123 II 552 consid. 4d p. 558), un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation. Dans un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les moyens expressément soulevés et présentés d'une façon claire et détaillée, le principe jura novit curia n'étant pas applicable (ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31). Le justiciable qui se plaint d'arbitraire (art. 9 Cst.) ne peut, dès lors, se contenter de critiquer la décision attaquée comme il le ferait en instance d'appel, où la juridiction supérieure jouit d'une libre cognition; en particulier, il ne saurait se contenter d'opposer sa thèse à celle de l'autorité cantonale, mais doit démontrer par une argumentation précise que cette décision se fonde sur une application de la loi ou une appréciation des preuves manifestement insoutenables (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495; 120 Ia 369 consid. 3a p. 373).
2.2 L'acte de défaut de biens (art. 149 et 265 LP) ne constitue qu'une déclaration officielle attestant que la procédure d'exécution forcée n'a pas conduit, totalement ou partiellement, au paiement de la créance; il n'emporte ni novation de la dette, au sens de l'art. 116 CO, ni création d'un rapport juridique nouveau qui viendrait doubler l'ancien et dont pourrait naître un droit d'action distinct (ATF 116 III 66 consid. 4a p. 68 et les arrêts cités; Huber, in: Basler Kommentar, n. 44/45 ad art. 149 et n. 8 ad art. 265 LP). Le poursuivant peut donc se prévaloir du titre de créance originaire (Jaeger/Walder/Kull/Kottmann, SchKG, 4e éd., n. 10 ad art. 149 LP), avec le privilège de collocation qui lui revient (ATF 80 III 20 consid. 2a p. 23); lorsque sa créance repose, comme ici, sur un jugement exécutoire, au sens de l'art. 80 LP, il est en droit de requérir la mainlevée définitive de l'opposition (Panchaud/Caprez, La mainlevée d'opposition, 2e éd., § 54 n. 7), sans être tenu de mentionner l'acte de défaut de biens comme titre de la créance (art. 67 al. 1 ch. 4 LP) dans la réquisition de poursuite (Huber, op. cit., n. 8 ad art. 265a LP; Jeandin, in: Commentaire romand, Poursuite et faillite, n. 5 ad art. 265a LP).
Autant que cette question ressortit bien à la compétence du juge de la mainlevée (cf. Panchaud/Caprez, op. cit., § 43 n. 7/8), la cour cantonale n'est pas tombée dans l'arbitraire en considérant que l'intimée avait procédé de façon régulière. C'est également en vain que le recourant soutient que, si les actes de défaut de biens avaient été mentionnés dans le commandement de payer, il aurait excipé de son non-retour à meilleure fortune, dès lors que l'acte de défaut de biens ne constitue pas un titre de créance indépendant (Huber, et Jeandin, ibid.). En outre, le commandement de payer informe expressément le débiteur que, s'il est poursuivi en raison d'une créance qui est demeurée totalement ou partiellement à découvert dans une faillite, il doit invoquer le défaut de retour à meilleure fortune dans l'opposition, sauf à être déchu du droit de faire valoir ce moyen (art. 75 al. 2 LP; FF 1991 III 1 ss, spéc. p. 73; cf. pour l'ancien droit: ATF 71 I 225 consid. 2 p. 230); or, le recourant ne conteste pas que les créances en poursuite ont été produites dans sa faillite et qu'elles n'y ont pas été entièrement couvertes.
2.3 En vertu de l'art. 149a al. 1 LP, la créance constatée par un acte de défaut de biens se prescrit par 20 ans à partir de la délivrance de cet acte. Lorsqu'il a été délivré, comme en l'occurrence, avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi (= 1er janvier 1997), la prescription court dès l'entrée en vigueur de celle-ci (art. 2 al. 5 Disp. fin. LP); elle échoit ainsi le 1er janvier 2017, et non pas le 24 mai 2016 comme l'affirme la cour cantonale (cf. Lorandi/Schwander, in: AJP 1996 p. 1467 ch. IV).
La disposition précitée posant une règle de droit matériel (cf. Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, n. 10 ad art. 149a LP), la prescription des créances (alimentaires) en poursuite est de vingt ans lors même que l'intimée ne s'est pas fondée sur les actes de défaut de biens après faillite, mais sur le jugement de mesures protectrices de l'union conjugale. Il s'ensuit que, en écartant l'exception de prescription du recourant, la juridiction cantonale n'a pas commis d'arbitraire.
3.
Vu ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable, aux frais de son auteur (art. 156 al. 1 OJ). L'intimée n'ayant pas été invitée à répondre, il n'y a pas lieu de lui allouer des dépens, dans la mesure où elle eût pu s'en voir accorder (à ce sujet: ATF 113 Ib 353 consid. 6b p. 356/357).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la 1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 21 mars 2006
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier: