BGer 5C.290/2005
 
BGer 5C.290/2005 vom 21.03.2006
Tribunale federale
{T 0/2}
5C.290/2005 /frs
Arrêt du 21 mars 2006
IIe Cour civile
Composition
Mmes et M. les Juges Nordmann, juge présidant,
Escher et Marazzi.
Greffier: M. Abrecht.
Parties
X.________, (époux),
défendeur et recourant, représenté par Me Daniel Perren, avocat,
contre
Dame X.________, (épouse),
demanderesse et intimée, représentée par Me Karin Etter, avocate,
Objet
divorce,
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 14 octobre 2005.
Faits:
A.
X.________, né le 12 janvier 1939, et dame X.________, née le 20 février 1941, se sont mariés le 20 février 1965. Ils ont eu une fille, aujourd'hui majeure et indépendante financièrement.
Par jugement du 19 septembre 1989, le Tribunal de première instance de Genève a prononcé la séparation de corps et de biens des époux X.________, en donnant acte aux parties de ce qu'elles avaient liquidé leur régime matrimonial et en entérinant l'engagement du mari de verser à son épouse une contribution d'entretien de 1'300 fr. par mois pendant la durée de la séparation. Le mari s'est régulièrement acquitté de ce montant, qu'il a réduit à 1'000 fr. par mois, en accord avec son épouse, dès le mois de juin 1998. Il a cessé toute contribution dès le mois de janvier 2004.
B.
B.a Le 21 décembre 2004, l'épouse a saisi le Tribunal de première instance de Genève d'une demande unilatérale en divorce, assortie d'une requête de mesures provisoires. Elle a conclu au prononcé du divorce et, citant dans ses écritures tant l'art. 124 CC que l'art. 125 CC, a réclamé une pension mensuelle de 500 fr. dès le 1er janvier 2004. À l'appui de sa position, elle a fait valoir que son budget était déficitaire depuis que son mari avait cessé de lui verser une contribution. Le mari s'est déclaré d'accord avec le prononcé du divorce, mais a contesté toute obligation de verser une contribution à son épouse, que ce soit sur mesures provisoires ou sur le fond.
Par jugement du 9 juin 2005, le Tribunal de première instance a prononcé le divorce (chiffre 1 du dispositif), a condamné le mari à verser à l'épouse une contribution d'entretien, fondée sur l'art. 125 CC, de 500 fr. par mois dès le 1er janvier 2004 (chiffre 2), a donné acte aux parties de ce qu'elles avaient liquidé leur régime matrimonial (chiffre 3), a compensé les dépens (chiffre 4) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (chiffre 5).
B.b En substance, le Tribunal a retenu que le divorce pouvait être prononcé, les parties vivant séparées depuis 1989. Les revenus de l'épouse, constitués d'une rente AVS de 1'756 fr. et d'une rente LPP de 336 fr., se montaient à 2'092 fr. par mois, alors que son minimum vital représentait 2'538 fr. Le mari percevait une rente AVS de 1'823 fr. par mois et avait touché un capital LPP de 253'827 fr., ce qui correspondait à une rente mensuelle de 1'244 fr.; ses revenus se montaient donc à 3'067 fr. par mois, alors que son minimum vital représentait 2'520 fr. par mois.
Examinant la situation des époux sous l'angle de l'art. 125 CC, le Tribunal a constaté que l'épouse, qui était à la retraite et ne pouvait pas améliorer sa situation, avait un découvert de 446 fr. alors que le mari disposait d'un solde positif de 547 fr. La pension réclamée de 500 fr. par mois était dès lors équitable. Elle était due dès le 1er janvier 2004, date à laquelle le mari avait cessé ses versements. Compte tenu de la solution ainsi retenue sur le fond, il ne se justifiait pas de prononcer des mesures provisoires.
C.
C.a Le mari a appelé de ce jugement devant la Cour de justice du canton de Genève. Il faisait en bref valoir que ses charges (correspondant à celles retenues par le premier juge) devaient être majorées de 20% conformément à la jurisprudence; en outre, les charges de l'épouse avaient diminué en raison de son déménagement en cours d'instance d'appel à A.________, où elle pouvait bénéficier d'un logement, de primes d'assurance maladie et d'impôts moins élevés.
Statuant par arrêt du 14 octobre 2005, la Chambre civile de la Cour de justice a confirmé le jugement de première instance, sous réserve de la précision que la rente de 500 fr. par mois due dès le 1er janvier 2004 l'était à titre d'indemnité équitable au sens de l'art. 124 CC et non à titre de contribution d'entretien au sens de l'art. 125 CC. Les dépens d'appel ont été compensés, eu égard à l'issue du litige et à la qualité des parties.
C.b En substance, la Cour de justice a considéré que l'épouse avait fondé ses prétentions non seulement sur l'art. 125 CC, mais également sur l'art. 124 CC. Cette dernière disposition pouvait trouver application en l'espèce dans la mesure où un cas de prévoyance était déjà survenu, les deux époux ayant atteint l'âge légal de la retraite. Dès lors, il fallait en premier lieu examiner si la prétention de l'épouse était fondée au regard de l'art. 124 CC, avant d'examiner le cas échéant la cause sous l'angle de l'art. 125 CC.
En l'espèce, le mari disposait d'un capital LPP correspondant à une rente mensuelle de 1'244 fr., alors que la rente LPP de l'épouse représentait 336 fr. par mois. Un partage schématique par moitié aurait ainsi conduit à allouer à l'épouse, à titre d'indemnité équitable, une rente mensuelle de 790 fr. Le paiement d'une telle rente aurait toutefois conduit à entamer le minimum vital du mari, qui ne disposait que de 547 fr. après couverture de ses charges incompressibles.
En définitive, la solution du premier juge pouvait donc être approuvée, étant précisé qu'il ne se justifiait pas, sous l'angle de l'art. 124 CC, de majorer de 20% les charges incompressibles du mari. Par ailleurs, comme la rente de 500 fr. par mois allouée dès le 1er janvier 2004 représentait une indemnité équitable au sens de l'art. 124 CC et non une contribution d'entretien au sens de l'art. 125 CC, la diminution éventuelle des charges de l'épouse consécutive à son déménagement à A.________ était sans incidence.
D.
Agissant par la voie du recours en réforme au Tribunal fédéral, le mari conclut avec suite de dépens à la réforme de cet arrêt en ce sens qu'il ne doit aucune rente à son ex-épouse. L'épouse conclut avec suite de dépens au rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
L'arrêt attaqué tranche une contestation civile portant sur des droits de nature pécuniaire, et les droits contestés dans la dernière instance cantonale atteignent manifestement une valeur, calculée conformément à l'art. 36 al. 5 OJ, d'au moins 8'000 fr., comme le défendeur l'expose dans son mémoire de recours. Formé en temps utile contre une décision finale prise par un tribunal suprême d'un canton et qui ne peut pas être l'objet d'un recours ordinaire de droit cantonal, le recours en réforme est donc recevable au regard des art. 46, 48 al. 1 et 54 al. 1 OJ.
2.
2.1 Le défendeur reproche d'abord à la cour cantonale d'avoir violé l'art. 124 CC en retenant de manière erronée que l'indemnité équitable était due dès le 1er janvier 2004, soit un an avant le dépôt de la demande de divorce, et non depuis l'entrée en force du jugement de divorce. Or le paiement d'une indemnité équitable au sens de l'art. 124 CC ferait partie des effets du divorce, qui ne peuvent se manifester que postérieurement à celui-ci. Il s'ensuivrait que lorsqu'une indemnité équitable est allouée sous la forme d'une rente, celle-ci n'est due qu'à partir de l'entrée en force du jugement de divorce (cf. ATF 131 III 1).
Le défendeur fait ensuite grief à la cour cantonale d'avoir commis plusieurs erreurs, constituant autant de violations de l'art. 124 CC, dans les méthodes et bases de calcul qu'elle a adoptées. En premier lieu, si l'on admet que l'indemnité équitable puisse être calculée en divisant par deux les rentes additionnées, il faudrait déduire du résultat de ce calcul, soit de 790 fr. (cf. lettre C.b supra), le montant de la rente LPP perçue par la demanderesse, soit 336 fr., si bien que la rente due par le défendeur au titre de l'art. 124 CC ne serait que de 454 fr. Ce raisonnement serait toutefois encore incomplet. En effet, si l'on adopte la méthode de la cour cantonale, consistant à partager les rentes et non les prestations de sortie, il conviendrait de prendre en compte la valeur actuelle de la rente du défendeur à la date du divorce, valeur qui compte tenu des montants déjà prélevés représenterait une rente mensuelle de 1'125 fr., si bien que la rente due par le défendeur au titre de l'art. 124 CC ne serait que de 394 fr. En outre, la cour cantonale n'aurait à tort pas pris en compte la diminution des charges de la demanderesse consécutive à son déménagement à A.________. Enfin, le refus de majorer de 20% les charges incompressibles du mari sous l'angle de l'art. 124 CC serait contraire à la jurisprudence, qui protégerait le minimum vital élargi du débirentier (ATF 131 III 1 consid. 6).
2.2 Lorsque l'un des époux au moins est affilié à une institution de prévoyance professionnelle et qu'aucun cas de prévoyance n'est survenu, chaque époux a droit à la moitié de la prestation de sortie de son conjoint calculée pour la durée du mariage (art. 122 CC). Une indemnité équitable est due lorsqu'un cas de prévoyance est déjà survenu pour l'un des époux ou pour les deux ou que les prétentions en matière de prévoyance professionnelle acquises durant le mariage ne peuvent être partagées pour d'autres motifs (art. 124 al. 1 CC). Dès qu'un époux touche des prestations, un partage n'est plus possible et seule une indemnité équitable peut être fixée conformément à l'art. 124 al. 1 CC (ATF 130 III 297 consid. 3.3.1 et les références citées).
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il faut lors de la fixation de l'indemnité équitable prendre en considération l'option de base du législateur à l'art. 122 CC, à savoir que les avoirs de prévoyance accumulés pendant le mariage doivent en principe être partagés par moitié entre les époux; toutefois, il ne saurait être question de fixer schématiquement, sans tenir compte de la situation économique concrète des parties, une indemnité qui corresponde dans son résultat à un partage par moitié des avoirs de prévoyance; il convient au contraire de tenir compte de façon adéquate de la situation patrimoniale après la liquidation du régime matrimonial, ainsi que des autres éléments de la situation économique concrète des époux après le divorce (ATF 131 III 1 consid. 4.2; 129 III 481 consid. 3.4.1; 127 III 433 consid. 3). On peut procéder en deux étapes, en ce sens que le tribunal calcule d'abord le montant de la prestation de sortie au moment du divorce, respectivement au moment de la survenance du cas de prévoyance, et qu'il adapte ensuite ce montant aux besoins concrets des parties en matière de prévoyance (ATF 131 III 1 consid. 4.2; 129 III 481 consid. 3.4.1). Si le cas de prévoyance est survenu de nombreuses années avant le divorce, il ne faut pas fixer le montant de la rente en se fondant sur les principes de l'art. 122 CC (partage par moitié d'un avoir de prévoyance hypothétique); dans un tel cas, ce sont surtout les besoins concrets de prévoyance des deux époux qui sont déterminants (ATF 131 III 1 consid. 5 et 6).
2.3 En l'espèce, il résulte des constatations de fait de l'arrêt attaqué, qui lient le Tribunal fédéral en instance de réforme (art. 63 al. 2 OJ), que les deux époux ont déjà atteint l'âge de la retraite de l'AVS, qu'ils touchent des rentes AVS d'un montant comparable [mari 1'823 fr., épouse 1'756 fr.] et que leurs charges incompressibles respectives sont quasi identiques [mari 2'520 fr., épouse 2'538 fr.] (cf. lettre B.b supra). Dans ces conditions, il n'apparaît pas critiquable en soi de fixer l'indemnité équitable due à la demanderesse pour couvrir ses besoins concrets de prévoyance de telle manière que les ressources provenant du deuxième pilier soient réparties à parts égales entre les conjoints. Il sied en effet de rappeler que la prévoyance professionnelle constituée pendant le mariage est destinée à couvrir les besoins de prévoyance des deux époux, raison pour laquelle le législateur a prévu qu'en cas de divorce, elle soit partagée entre eux, en principe par moitié (art. 122 CC; cf. ATF 127 III 257 consid. 3.2). Le défendeur ne s'en prend d'ailleurs pas au principe d'un partage par moitié des prestations LPP, mais conteste les bases sur lesquelles la cour cantonale a effectué son calcul et la manière dont elle l'a effectué (cf. consid. 2.1 supra).
2.4 Contrairement à ce que soutient le défendeur, il n'existe aucun motif de s'écarter du montant de 1'244 fr. correspondant à la conversion en rente mensuelle du capital LPP (253'827 fr.) touché par le défendeur; ce montant conserve toute sa pertinence et les sommes déjà prélevées ne l'affectent pas dans la mesure où elles entraient dans les prévisions de la conversion en rente du capital initial. Les ressources LPP additionnées des époux représentent donc bien 1'580 fr. (1'244 fr. + 336 fr.). Toutefois, comme le défendeur l'expose avec raison (cf. consid. 2.1 supra), un partage par moitié de ces ressources doit conduire à allouer à la demanderesse une rente mensuelle de 454 fr., de manière que les parties disposent en fin de compte d'un solde identique de 790 fr. (soit pour le défendeur 1'244 fr. - 454 fr., et pour la demanderesse 336 fr. + 454 fr.).
Le versement d'une rente mensuelle de 454 fr. n'entame pas le minimum vital du défendeur, puisqu'il lui laisse un disponible de 93 fr. après couverture de ses charges incompressibles (1'823 fr. [rente AVS] + 790 fr. - 2'520 fr. [charges]). Contrairement à ce que soutient le défendeur, la jurisprudence du Tribunal fédéral ne prescrit nullement, dans un tel cas, d'augmenter de 20% le minimum vital élargi, soit le minimum vital de base du droit des poursuites (art. 93 LP) auquel sont ajoutées les dépenses non strictement nécessaires (arrêt non publié 5P.103/2004 du 7 juillet 2004, consid. 5.1.1). L'ATF 131 III 1 consid. 6 invoqué par le défendeur se réfère au contraire clairement au minimum vital élargi du droit des poursuites. Quant à la demanderesse, une rente de 454 fr. lui permettra juste de couvrir ses charges incompressibles (1'756 fr. [rente AVS] + 336 fr. [rente LPP] + 454 fr. - 2'538 fr. [charges] = 8 fr.). Même si ces charges devaient avoir légèrement diminué ensuite de son déménagement à A.________, la répartition par moitié des ressources LPP des parties n'en demeurerait pas moins équitable.
2.5 Il résulte de ce qui précède que le défendeur doit être astreint à payer à la demanderesse, à titre d'indemnité équitable au sens de l'art. 124 CC, une rente mensuelle viagère de 454 fr. Le défendeur soutient devant le Tribunal fédéral que le paiement d'une telle indemnité fait partie des effets du divorce et ne peut être dû que postérieurement à celui-ci (cf. consid. 2.1 supra). Toutefois, devant la Cour de justice, le défendeur avait contesté uniquement le calcul de la rente mensuelle allouée par le premier juge. Il n'avait en revanche pas contesté la date de la prise d'effet de son obligation de payer une rente pour le cas où celle-ci serait maintenue, si bien qu'il ne saurait le faire aujourd'hui pour la première fois devant le Tribunal fédéral (cf. art. 55 al. 1 let. b in fine OJ).
3.
En définitive, le recours doit être partiellement admis et l'arrêt attaqué réformé en ce sens que le chiffre 2 du dispositif du jugement de première instance (cf. lettre B.a supra) est annulé et que le défendeur est condamné à verser à la demanderesse, par mois et d'avance, à compter du 1er janvier 2004, une rente viagère de 454 fr. à titre d'indemnité équitable au sens de l'art. 124 CC. Cela étant, il n'y a pas lieu de modifier la décision de la juridiction cantonale de compenser les dépens d'appel (cf. art. 159 al. 6 OJ).
Comme le défendeur n'obtient que très partiellement gain de cause, il se justifie de répartir les frais de la procédure fédérale entre les parties à raison de trois quarts pour le défendeur et d'un quart pour la demanderesse (art. 156 al. 3 OJ), et d'allouer des dépens réduits dans la même proportion (art. 159 al. 3 OJ). Compte tenu de ce que les dépens dus à la demanderesse doivent être réduits d'un quart à 1'500 fr. et ceux dus au défendeur réduits de trois quarts à 500 fr., le défendeur versera en définitive à la demanderesse, à titre de dépens réduits, le solde non compensé de 1'000 fr.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est partiellement admis et l'arrêt attaqué est réformé en ce sens que le chiffre 2 du dispositif du jugement rendu le 9 juin 2005 par le Tribunal de première instance de Genève est annulé et que le défendeur est condamné à verser à la demanderesse, par mois et d'avance, à compter du 1er janvier 2004, une rente viagère de 454 fr. à titre d'indemnité équitable au sens de l'art. 124 CC.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du défendeur à raison des trois quarts et à la charge de la demanderesse à raison d'un quart.
3.
Le défendeur versera à la demanderesse un montant de 1'000 fr. à titre de dépens réduits.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 21 mars 2006
Au nom de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
La juge présidant: Le greffier: