BGer 2A.79/2005
 
BGer 2A.79/2005 vom 22.07.2005
Tribunale federale
{T 0/2}
2A.79/2005/ROC/svc
Arrêt du 22 juillet 2005
IIe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges Wurzburger, Juge présidant,
Müller et Yersin.
Greffière: Mme Rochat.
Parties
X.________,
recourant,
contre
Commission du barreau du canton de Genève,
rue des Chaudronniers 5, case postale 3079,
1211 Genève 3,
Tribunal administratif du canton de Genève,
Rue du Mont-Blanc 18, case postale 1956,
1211 Genève 1.
Objet
radiation du tableau des avocats,
recours de droit administratif contre l'arrêt
du Tribunal administratif du canton de Genève
du 21 décembre 2004.
Faits:
A.
X.________, né en 1953, exerce la profession d'avocat indépendant dans le canton de Genève, où il est inscrit au tableau des avocats depuis 1980.
Le 8 octobre 2001, Y.________ a déposé plainte pénale contre lui pour non versement de gains saisis, à concurrence de 1'396 fr.
Par ordonnance du 5 novembre 2001, le Procureur général du canton de Genève a reconnu X.________ coupable de détournement de valeurs patrimoniales mises sous main de justice, au sens de l'art. 169 CP, et l'a condamné à la peine d'un mois d'emprisonnement ferme. Il a notamment pris en considération le fait que l'intéressé avait déjà été condamné à trois reprises, à savoir:
- le 18 novembre 1998, à la peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis pendant trois ans pour violation de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants (LAVS; RS 831.10) et détournement de gains saisis;
- le 12 janvier 1999 à la peine d'un mois d'emprisonnement ferme, pour détournement de gains saisis, cette peine étant complémentaire à la précédente;
- le 6 juillet 2001, à la peine de deux mois d'emprisonnement ferme pour détournement de gains saisis.
B.
Le 4 février 2002, le Tribunal de police, statuant par défaut sur l'opposition de l'intéressé, a fixé la peine à deux mois d'emprisonnement; il a ensuite maintenu cette condamnation en l'assortissant toutefois d'un sursis avec délai d'épreuve pendant quatre ans, par jugement du 30 mai 2002. Ce jugement a été confirmé par la Chambre pénale de la Cour de justice, le 25 novembre 2002, puis par arrêt du Tribunal fédéral du 12 mai 2003 (1P.30/2003).
C.
Par décision du 11 novembre 2003, la Commission du barreau du canton de Genève a prononcé la radiation de X.________ du tableau des avocats genevois tant que l'inscription de sa dernière condamnation sera inscrite au casier judiciaire, car il ne remplissait plus la condition personnelle de l'art. 8 al. 1 lettre b de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA; RS 935.61).
Saisi d'un recours de X.________ contre cette décision, le Tribunal administratif l'a rejeté, par arrêt du 21 décembre 2004. Il a retenu en bref que, tant l'ancienne loi sur la profession d'avocat du 15 mars 1985, que les nouvelles dispositions légales entrées en vigueur le 1er juin 2002, subordonnaient l'inscription au registre des avocats à l'absence d'une condamnation pénale pour des faits incompatibles avec l'exercice de la profession, aussi longtemps que celle-là n'était pas radiée. Or cette exigence n'était pas remplie dans le cas du recourant et la radiation prononcée respectait le principe de la proportionnalité.
D.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, X.________ conclut à l'annulation de l'arrêt du Tribunal administratif du 21 décembre 2005. Ses arguments et ses moyens seront examinés ci-après dans la mesure utile.
Le Tribunal administratif et la Commission du barreau n'ont pas déposé d'observations et persistent dans les termes de leur décision respective.
Appelé à se déterminer en application de l'art. 110 al. 1 OJ, l'Office fédéral de la justice relève que les conditions d'inscription au registre des avocats doivent être remplies dès l'entrée en vigueur de la loi fédérale et renonce à se prononcer sur le fond.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Le présent recours est dirigé contre la décision de radiation du recourant du registre cantonal des avocats prise par l'autorité de surveillance en application de l'art. 9 LLCA et confirmée par le Tribunal administratif. Reposant sur le droit public fédéral, l'arrêt attaqué peut donc faire l'objet d'un recours de droit administratif (art. 97 al. 1 OJ, en relation avec l'art. 5 PA). Il y a lieu dès lors d'entrer en matière sur ce recours qui remplit les conditions de recevabilité des art. 98 ss OJ.
1.2 Le recours de droit administratif peut être formé pour violation du droit fédéral, y compris l'abus ou l'excès du pouvoir d'appréciation (art. 104 lettre a OJ). Le Tribunal fédéral vérifie d'office l'application du droit fédéral, sans être lié par les motifs invoqués par les parties (art. 114 al. 1 in fine OJ).
Lorsque, comme en l'espèce, le recours est dirigé contre la décision d'une autorité judiciaire, le Tribunal fédéral est lié par les faits constatés dans la décision, sauf s'ils sont manifestement inexacts ou incomplets ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de procédure (art. 104 lettre b et 105 al. 2 OJ).
1.3 A cet égard, le recourant reproche au Tribunal administratif d'avoir procédé à une constatation inexacte de faits pertinents, en ne tenant pas compte des paiements effectués en mains de ses créanciers les 2 et 4 février 2002, ainsi que d'une ordonnance de condamnation annulée par le Tribunal de police.
Ce grief est mal fondé, dès lors que Tribunal administratif a bien mentionné les pièces produites par le recourant, d'où il ressortait notamment qu'il avait remboursé sa dernière créancière le 4 février 2002, laquelle avait alors retiré sa plainte. Du moment que cette dette a été remboursée seulement le jour même de la première audience fixée devant le Tribunal de police à laquelle il ne s'était pas présenté et que la condamnation du Procureur général datait du 5 novembre 2001, il est sans pertinence que la juridiction cantonale ait retenu que le recourant avait honoré sa dette postérieurement à la condamnation pénale prononcée à son encontre. Quant à la dénonciation du Procureur général du 6 juillet 2001, annulée par le Tribunal de police le 12 novembre 2001, il ressort de la lettre de la Commission du barreau adressée le 22 janvier 2002 au Procureur général, que cette annulation est intervenue uniquement pour le motif que le recourant avait réglé sa dette. On ne voit dès lors pas en quoi celui-ci serait lésé parce que le Tribunal administratif n'a pas insisté sur des faits qui avaient donné lieu à une condamnation du Procureur général pour les mêmes raisons que la condamnation aujourd'hui litigieuse, avant d'être annulée par le Tribunal de police. Il faut en outre relever, à propos de sa dernière condamnation, que le recourant ne pouvait, dans le cadre de la procédure administrative, revenir sur son argumentation tendant à démontrer que les conditions de la répression prévue par l'art. 169 CP n'étaient pas réunies, du moment que ses créanciers n'avaient subi aucun dommage, puisqu'ils avaient été payés avant jugement, et que la saisie portait uniquement sur ses gains futurs. Comme l'a constaté le Tribunal fédéral dans son arrêt du 12 mai 2003 (1P.30/2003), ces critiques devaient en effet être soulevées par la voie du recours en nullité (consid. 1, non publié).
Le recours doit ainsi être rejeté en temps qu'il se fonde sur l'art. 104 lettre b OJ.
2.
Au regard de l'art. 104 lettre a OJ, le recourant se plaint d'une application rétroactive des dispositions de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats.
2.1 Selon l'art. 6 LLCA, l'avocat titulaire d'un brevet d'avocat cantonal qui entend pratiquer la représentation en justice doit demander son inscription au registre du canton dans lequel il a son adresse professionnelle (al. 1). L'autorité l'inscrit s'il remplit les conditions prévues aux art. 7 (conditions de formation) et 8 (conditions personnelles), de même qu'elle le radie d'office lorsque les conditions personnelles ne sont plus remplies (art. 9).
Cette procédure est applicable dès l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats et la loi cantonale sur la profession d 'avocat du 26 avril 2002 (LPAv; RSGE E 6 10), soit depuis le 1er juin 2002. A cette date, le recourant a été inscrit au tableau des avocats par la Commission du barreau, conformément à l'art. 21 al. 4 LPAv et 7 du règlement d'application de la LPAv du 5 juin 2002 (RSGE E 6 10.01). Il en résulte que sa radiation doit être examinée conformément aux nouvelles dispositions et non d'après la loi sur la profession d'avocat du 15 mars 1985 (aLPAv), même si les faits ayant conduit à sa condamnation sont antérieurs au 1er juin 2002. Il n'y a donc pas application rétroactive de la LLCA, de sorte que le Tribunal fédéral n'a pas à se demander si, comme pour une sanction disciplinaire, il y aurait lieu d'appliquer l'ancienne loi, selon le principe de la "lex mitior".
2.2 Au demeurant, il n'est pas contesté que le recourant a fait l'objet d'une condamnation pénale qui n'est pas radiée du casier judiciaire au sens de l'art. 8 al. 1 lettre b LLCA, condition déjà prévue par l'ancienne loi cantonale 24 lettre e aLPAv. La seule différence entre les deux dispositions portant sur la condamnation pour des faits "incompatibles avec l'exercice de la profession" (art. 8 al. 1 lettre b LLCA) ou "contraires à la probité et à l'honneur" (art. 24 lettre e aLPAv). Cette ancienne formulation correspondait pratiquement à celle de l'art. 8 al. 1 lette b LLCA qui implique que l'avocat donne des "garanties de sérieux et d'honorabilité", même si la notion de bonne réputation, jugée archaïque parce que certains cantons ne délivraient plus de certificats de bonnes moeurs, a été abandonnée lors de la conception de la nouvelle loi (voir Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 28 avril 1999, in FF 1999 vol. VI p. 5364/5365). Reste à déterminer si, comme le retient l'arrêt attaqué, la condamnation du recourant à deux mois d'emprisonnement avec sursis pendant quatre ans pour détournement de valeurs patrimoniales (art. 169 CP) est une condamnation pour des faits incompatibles avec l'exercice de la profession au sens de l'art. 8 al. 1 lettre b LLCA, dont le texte a été repris à l'art. 26 lettre c LPAv.
3.
3.1 Pour déterminer si une condamnation est ou non incompatible avec la profession d'avocat, il y a lieu de se fonder sur les actes concrets reprochés à l'intéressé, sans égard au fait qu'ils ont été commis dans l'exercice de sa profession ou dans le cadre de sa vie privée. Seuls entrent en ligne de compte les actes commis intentionnellement ou par négligence grave, soit les actes qui ne peuvent pas être considérés comme de légers manquements (Staehlin/Oetiker in Fehlmann/Zindel, Kommentar zum Anwaltsgesetz, n. 17 et 18 ad art. 8 p. 64). Les infractions doivent aussi être de nature à compromettre le rapport de confiance entre l'avocat et son client (Message précité, FF 1999 vol. IV p. 5365).
3.2 En l'espèce, il est constant que le recourant n'a pas respecté la retenue de 1'250 fr. par mois de l'Office des poursuites sur ses gains mensuels, qu'il avait lui-même estimés à 5'000 fr., et qu'il n'a fourni aucun document comptable permettant de démontrer que ses revenus 2001 avaient été surévalués. Le jugement sur appel de la Chambre pénale de la Cour de justice du 25 novembre 2002 a donc retenu que "l'appelant était en mesure de donner suite à la saisie de gains ordonnée par l'Office. En tant qu'avocat, de surcroît condamné pour les mêmes faits par le passé, il était conscient que son comportement portait préjudice à ses créanciers. Par conséquent, sa culpabilité est entière". Il faut en effet rappeler que l'encaissement pour des clients est une tâche essentielle de l'avocat qui est souvent appelé à manier des fonds avec l'obligation de rendre compte à ses mandants. Or, après l'ordonnance de condamnation du Procureur général du 5 novembre 2001, il s'est encore écoulé près de trois mois avant que sa cliente et créancière ne puisse être remboursée et retire sa plainte. Le recourant a donc fait passer ses besoins personnels avant ses obligations clairement établies. Compte tenu de ses précédentes condamnations pour détournement de gains saisis en novembre 1998 et janvier 1999, la troisième procédure pénale ouverte pour ce motif ayant été classée après remboursement, on ne saurait admettre qu'il s'agissait d'une situation exceptionnelle due à des difficultés financières passagères. Le fait que le recourant défende essentiellement des clients désargentés est sans pertinence au regard du respect des lois que l'on peut exiger de tout avocat. Contrairement à ce que soutient l'intéressé, il ne s'agit pas d'être élitiste, mais de permettre au client d'avoir une confiance totale en son mandataire.
Dans ces conditions, la gravité des faits correspond à la sanction qui ne paraît pas disproportionnée. En effet, même si celle-ci a des conséquences graves, le recourant ne sera exclu que des activités réservées aux avocats dans le cadre du monopole et pourra continuer à exercer une activité de conseiller juridique.
3.3 Il s'ensuit que le Tribunal administratif n'a pas violé le droit fédéral, ni abusé de son pouvoir d'appréciation, en retenant que les faits ayant entraîné la condamnation du recourant à deux mois d'emprisonnement avec sursis pendant quatre ans étaient incompatibles avec l'exercice de la profession d'avocat au sens de l'art. 8 al. 1 lettre b LLCA.
4.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté avec suite de frais à la charge du recourant (art. 156 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 2'500 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant, à la Commission du barreau du canton de Genève et au Tribunal administratif du canton de Genève, ainsi qu'au Département fédéral de justice et police.
Lausanne, le 22 juillet 2005
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le juge présidant: La greffière: