BGer H 192/2004
 
BGer H 192/2004 vom 06.06.2005
Eidgenössisches Versicherungsgericht
Tribunale federale delle assicurazioni
Tribunal federal d'assicuranzas
Cour des assurances sociales
du Tribunal fédéral
Cause
{T 7}
H 192/04
Arrêt du 6 juin 2005
IIIe Chambre
Composition
Mme et MM. les Juges Leuzinger, Présidente, Rüedi et Kernen. Greffière : Mme Gehring
Parties
1. A.________,
2. B.________,
3. C.________,
recourants, tous représentés par Me Michael Kroo, avocat, 32, route de Malagnou, 1208 Genève,
contre
Caisse cantonale genevoise de compensation, route de Chêne 54, 1208 Genève, intimée
Instance précédente
Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève
(Jugement du 21 septembre 2004)
Faits:
A.
A.a D.________, né en 1951, était affilié auprès de la Caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse). Il est décédé le 24 décembre 1998, laissant pour les années 1993 à 1998 une dette de cotisations personnelles s'élevant à 111'400 fr. 35.
Les héritiers du défunt ayant requis le bénéfice d'inventaire, un délai au 12 mars 1999 a été imparti aux créanciers pour produire leurs prétentions dans la succession. Par courriers datés du 24 février 1999 et du 6 mars 2000, la caisse a sollicité l'enregistrement d'une créance de 113'500 fr., respectivement de 120'419 fr. 25 à titre de productions provisoire et définitive. Le 16 juillet 2000, les héritiers ont renoncé au bénéfice d'inventaire et répudié la succession.
A.b Par décision du 12 avril 2001, la caisse a mis A.________, née en 1955, ainsi que C.________, née en 1979, et B.________, né en 1984, au bénéfice d'une rente de veuve et de deux rentes d'orphelin dès le 1er janvier 1999. Elle a compensé le montant total de ces prestations au 30 avril 2001, soit 84'192 fr., avec l'arriéré des cotisations personnelles impayées par le défunt.
Par décision du 8 mai 2002, elle a compensé le solde de ces cotisations avec le montant des rentes de veuve et d'orphelin dues aux intéressés pour la période courant du mois de juin 2001 au mois de février 2002, à savoir 27'208 fr. 35.
B.
A.________, C.________ et B.________ ont recouru contre ces décisions devant la Commission cantonale de recours en matière d'AVS/AI du canton de Genève (aujourd'hui : Tribunal cantonal des assurances sociales, Genève). Par jugement du 21 septembre 2004, la juridiction cantonale a ordonné la jonction des causes et rejeté les recours; en bref, elle a considéré que la créance de cotisations personnelles - qui ressortait de décisions entrées en force - n'était pas prescrite, que celle-ci se trouvait dans un rapport étroit avec les rentes servies aux intéressés et que le minimum vital de ceux-ci n'était pas touché par la compensation.
C.
A.________, C.________ et B.________ interjettent recours de droit administratif contre ce jugement, dont ils requièrent, sous suite de frais et dépens, l'annulation de même que celle des décisions litigieuses de la caisse, et concluent à ce que le montant de leurs rentes de veuve et d'orphelin ne soit pas compensé avec l'arriéré des cotisations personnelles de feu leur époux et père.
La caisse conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.
Considérant en droit:
1.
1.1 Le litige porte sur la compensation d'arriérés de cotisations personnelles avec les rentes de veuve et d'orphelin qui ont été allouées aux recourants pour la période courant du 1er janvier 1999 au mois de février 2002.
1.2 Comme en procédure cantonale, les recourants font valoir qu'ils ont répudié la succession, qu'ils n'ont pas hérité du défunt et que la créance de l'intimée n'a jamais été inscrite à l'inventaire. Dès lors, celle-ci ne pourrait opposer sa créance de cotisations aux rentes de survivants qu'elle leur doit et exercer la compensation.
2.
La décision litigieuse n'ayant pas pour objet l'octroi ou le refus de prestations d'assurance, le Tribunal fédéral des assurances doit se borner à examiner si les premiers juges ont violé le droit fédéral, y compris par l'excès ou par l'abus de leur pouvoir d'appréciation, ou si les faits pertinents ont été constatés d'une manière manifestement inexacte ou incomplète, ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de procédure (art. 132 en corrélation avec les art. 104 let. a et b et 105 al. 2 OJ).
3.
3.1 Sur le fond, le jugement entrepris expose de manière exacte et complète les dispositions légales et la jurisprudence applicables en l'espèce, de sorte qu'il suffit d'y renvoyer.
3.2 Il convient d'ajouter qu'en matière d'assurances sociales, à défaut d'une réglementation particulière (ATF 115 V 342 sv. consid. 2b), le principe de la compensation des créances de droit public est admis comme règle générale (ATF 128 V 228 consid. 3b et les références citées, 111 Ib 158 consid. 3; Rüedi, Allgemeine Rechtsgrundsätze des Sozialversicherungsprozesses, in : Walter R. Schluep et al. [éd.], Recht, Staat und Politik am Ende des zweiten Jahrtausends, Festschrift zum 60. Geburtstag von Bundesrat Arnold Koller, Berne 1993, p. 454 et note n° 16). Dans ce cas, les dispositions du code des obligations qui en fixent les conditions (art. 120 ss CO) sont applicables par analogie (ATF 128 V 228 consid. 2b; VSI 1994 p. 217 consid. 3).
Bien que la LPGA ne soit en l'espèce pas applicable ratione temporis (ATF 130 V 447 consid. 1.2.1, 129 V 4 consid. 1.2 et les arrêts cités), cette situation n'a pas été modifiée par son entrée en vigueur le 1er janvier 2003. La compensation reste réglée par les lois spéciales ou les principes généraux, sous réserve de l'art. 20 al. 2 LPGA, qui n'est pas en discussion ici (cf. Ueli Kieser, ATSG-Kommentar, Kommentar zum Bundesgesetz über den Allgemeinen Teil des Sozialversicherungsrechts vom 6. Oktober 2000, Zurich 2003, Remarques préliminaires, note 22; cf. ATF 125 V 323 consid. 5b/bb).
3.3 Selon l'art. 20 al. 2 let. a LAVS, peuvent être compensées avec des prestations échues, notamment, les créances découlant de la présente loi. Contrairement à la teneur littérale de cette disposition, la caisse de compensation a non seulement le droit mais aussi l'obligation, dans le cadre des prescriptions légales, de compenser des cotisations dues, frais de poursuites et autres frais administratifs avec des prestations échues (ATF 115 V 341 consid. 2a et les arrêts cités).
L'art. 20 al. 2 LAVS a créé, en matière de compensation, un régime bien adapté aux particularités des assurances sociales et notamment de l'AVS (ATF 115 V 341 consid. 2b). La possibilité de compenser des cotisations avec des prestations selon cet article s'écarte des dispositions du code des obligations. Ainsi, il a toujours été admis que l'art. 20 LAVS dérogeait dans une certaine mesure à la règle de la réciprocité des sujets de droits posées par l'art. 120 al. 1 CO et ne tenait pas compte des circonstances touchant au droit successoral (Michel Valterio, Commentaire de la loi sur l'assurance-vieillesse et survivants, tome II [Les prestations], Lausanne 1988, p. 237 sv.; Hans Michael Riemer, Berührungspunkte zwischen Sozialversicherungs- und Privatrecht, insbesondere die Bedeutung des Privatrechtes bei der Auslegung des Sozialversicherungsrechtes durch das Eidgenössische Versicherungsgericht, in : Mélanges pour le 75ème anniversaire du Tribunal fédéral des assurances, Berne 1992, p. 161, note de bas de page 95; Ueli Kieser, Bundesgesetz über die Alters- und Hinterlassenenversicherung, Zurich 2005, p. 153 sv. ad art. 20). La possibilité de compenser s'écarte de l'art. 120 al. 1 CO et des circonstances du droit successoral quand les créances opposées en compensation se trouvent en relation étroite, du point de vue de la technique d'assurance ou du point de vue juridique; dans ces situations, il n'est pas nécessaire que l'administré ou l'assuré soit en même temps créancier et débiteur de l'administration (ATF 130 V 510 consid. 2.4, 115 V 343 consid. 2b, 111 V 2 consid. 3a, 104 V 7 consid. 3b).
Une relation étroite de cette nature existe, par exemple, entre les cotisations personnelles dues par le père décédé et la rente d'orphelin de père (ATFA 1956 p. 190 consid. 1, 1961 p. 29 sv.). La faculté d'opérer la compensation a aussi maintes fois été affirmée en ce qui concerne les cotisations personnelles du mari décédé et la rente ou l'allocation unique revenant à sa veuve (ATFA 1969 p. 93, 1953 p. 285, 1951 p. 39). Une créance de cotisations à l'encontre d'un débiteur décédé peut aussi être compensée avec les rentes de survivants revenant à ses héritiers, quand bien même ceux-ci ont répudié la succession (ATFA 1969 p. 95 let. g, 1956 p. 190 consid. 1). Il a également été jugé admissible de compenser des cotisations personnelles dues par l'ancien mari décédé et produites dans la procédure de bénéfice d'inventaire, avec une rente de veuve revenant à la femme divorcée (ATF 115 V 341). De même, la moitié de la rente pour couple réclamée par l'épouse pouvait être compensée avec une créance en réparation du dommage (art. 52 LAVS) contre l'époux dans la mesure, bien entendu, où - comme dans les autres cas cités - il n'en résultait pas une atteinte au minimum vital des intéressés (ATF 107 V 72). En revanche, les créances de cotisations qui n'ont pas été portées à l'inventaire officiel de manière fautive, ne sont plus compensables (ATF 111 V 3).
4.
Les rentes de survivants, rente de veuve (art. 23 LAVS) et rente d'orphelin (art. 25 LAVS), sont calculées sur la base de la durée de cotisations et du revenu annuel moyen de la personne décédée, composé du revenu non partagé et des bonifications pour tâches éducatives ou d'assistance de la personne décédée (art. 33 LAVS). Sur ce point, les différentes modifications législatives apportées au calcul des rentes, particulièrement lors de la 10ème révision de l'AVS, n'ont rien changé. On doit dès lors reconnaître que les rentes versées par l'intimée aux recourants et les dettes du défunt envers elle se trouvent dans un rapport éminemment étroit. Aucun élément ne permet de s'écarter de la jurisprudence consacrée permettant la compensation, sous l'angle de la technique d'assurance ou du point de vue juridique.
La répudiation pure et simple de la succession du défunt par les héritiers ainsi que le retrait de la demande de bénéfice d'inventaire a empêché l'inscription de la créance de l'intimée à l'inventaire de la succession. Toutefois, la créance a été produite en temps utile dans cette procédure et continuera à être traitée dans le cadre de la faillite de la succession (art. 573 al. 1 CC; Gilliéron, Poursuite pour dettes, faillite et concordat, 2ème éd., p. 268). La créance n'a dès lors pas disparu et aucune faute ne peut être reprochée à l'intimée.
5.
Sur le vu de ce qui précède, le jugement entrepris n'est dès lors pas critiquable et le recours se révèle mal fondé.
6.
La procédure n'est pas gratuite, étant donné que le litige ne porte pas sur l'octroi ou le refus de prestations d'assurance (art. 134 OJ a contrario). Les recourants qui succombent, supporteront par conséquent les frais de la cause (art. 156 al. 1 OJ en liaison avec l'art. 135 OJ) et ne sauraient prétendre une indemnité de dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais de justice, d'un montant de 5'000 fr., sont mis à la charge des recourants et sont compensés avec l'avance de frais qu'ils ont versée.
3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des assurances sociales du canton de Genève et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 6 juin 2005
Au nom du Tribunal fédéral des assurances
La Présidente de la IIIe Chambre: La Greffière: