BGer 6S.295/2003
 
BGer 6S.295/2003 vom 10.10.2003
Tribunale federale
{T 0/2}
6S.295/2003/sch
Arrêt du 10 octobre 2003
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Kolly.
Greffier: M. Denys.
Parties
D.________,
E.________,
enfants mineurs agissant par leur mère C.________,
recourants, représentés par Me Jean Lob, avocat,
rue du Lion d'Or 2, case postale 3133, 1002 Lausanne,
contre
X.________,
intimé, représenté par Me Stefano Fabbro, avocat,
rue du Progrès 1, case postale 1015, 1701 Fribourg,
Objet
Indemnité pour tort moral,
pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal cantonal vaudois, Cour de cassation pénale, du 17 mars 2003.
Faits:
A.
X.________ a fait la connaissance de Y.________ dans le deuxième trimestre 2000. Il lui a indiqué qu'il souhaitait faire venir en Suisse son beau-frère, lequel, comme militant du PKK, devait instamment quitter la Turquie. Y.________ s'est vanté de pouvoir faire passer quelqu'un de Roumanie en Suisse pour 5'000 francs. X.________ lui a remis ce montant, qui provenait des quelques économies de son épouse. Le passage a tardé à se faire car Y.________ a également décidé, moyennant 6'000 DM, de faire passer deux neveux d'un Kurde domicilié à Genève, du nom d'A.________. Y.________ s'est rendu en Roumanie le 22 juillet 2000 pour prendre en charge les trois personnes qu'il s'était promis d'amener en Suisse. Le groupe a été arrêté au début du mois d'août en Autriche et refoulé.
Le 1er septembre 2000, A.________ a obtenu le remboursement de l'argent versé pour ses neveux. Le 23 septembre 2000, il a prévenu X.________ que Y.________ était revenu en Suisse. Le même matin, à 11 h 15, X.________ a pris contact avec Y.________ pour exiger le remboursement du montant versé. Ils ont convenu de se rencontrer l'après-midi dans un café à Lausanne. Y.________ est venu au rendez-vous accompagné de son frère B.________. La discussion a rapidement viré à la dispute. Y.________ a proposé à X.________ de quitter l'établissement public et de se rendre dans un endroit plus calme pour poursuivre la discussion. C'est ainsi que les deux hommes, suivis à quelque distance par B.________, qui avait été invité à ne pas se mêler de la conversation, se sont engagés dans un chemin très peu fréquenté. Alors que les deux hommes discutaient de manière animée, X.________ a sorti une arme à feu. Il était particulièrement énervé. Il a tiré en direction des jambes de Y.________, qui lui faisait face. Touché à la cuisse, celui-ci s'est affaissé sur le sol, la balle causant une fracture ouverte du fémur. A la suite du tir, X.________ est redescendu le chemin sur une quarantaine de mètres et s'est alors trouvé face à B.________. X.________ a vu en lui un obstacle à sa fuite et un témoin potentiel. D'instinct, sans autre réflexion, il a repris son arme en main et, rapidement, a tiré en pleine poitrine de B.________. Touché au thorax, ce dernier est décédé à l'hôpital le jour même d'une importante hémorragie causée par la balle.
B.________ était l'époux de C.________. Deux enfants sont issus de cette union, D.________, né en 1996, et E.________, né en 1998. Ce dernier est victime d'un handicap moteur-cérébral; il est tétraplégique. Avant les faits, la vie familiale était harmonieuse.
B.
Par jugement du 28 août 2002, le Tribunal criminel de l'arrondissement de Lausanne a condamné X.________, pour meurtre, lésions corporelles simples qualifiées et infraction à la loi fédérale sur les armes, à douze ans de réclusion, sous déduction de six cent nonante-six jours de détention préventive, et a ordonné son expulsion du territoire suisse pour dix ans avec sursis durant cinq ans. Le tribunal a par ailleurs alloué diverses prétentions civiles, dont, au titre du tort moral, 30'000 francs à C.________, 15'000 francs à D.________ et 5'000 francs à E.________ .
C.
Par arrêt du 17 mars 2003, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a, sur le plan pénal, admis le recours du Ministère public et rejeté celui de X.________. Elle a condamné celui-ci, pour meurtre, lésions corporelles simples qualifiées et infraction à la loi fédérale sur les armes, à quinze ans de réclusion, sous déduction de la détention préventive subie, et à quinze ans d'expulsion du territoire suisse avec sursis durant cinq ans. Sur le plan civil, plus particulièrement du tort moral, elle a alloué 45'000 francs à C.________, 15'000 francs à D.________ et 15'000 francs à E.________, ces montant portant intérêts à 5% l'an dès le 23 septembre 2000. D.________ et E.________ avaient conclu à l'allocation de 40'000 francs chacun à titre de réparation morale.
D.
En ce qui concerne leurs conclusions civiles pour tort moral, D.________ et E.________, agissant par l'entremise de leur mère, se pourvoient en nullité au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 17 mars 2003. Ils concluent à sa réforme en ce sens qu'il leur est à chacun alloué 30'000 francs pour tort moral. Ils sollicitent par ailleurs l'assistance judiciaire.
Invité à répondre et, le cas échéant, à déposer un pourvoi joint, X.________ a conclu au rejet du pourvoi, renonçant à déposer des observations et se référant à l'arrêt attaqué.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le pourvoi en nullité interjeté porte uniquement sur les conclusions civiles en tort moral jugées par la Cour de cassation vaudoise. Le pourvoi en nullité est ouvert, à l'exclusion du recours en réforme, pour se plaindre de la décision civile rendue dans le cadre de la procédure pénale, lorsque, comme en l'espèce, les conclusions civiles ont été jugées en même temps que l'action pénale (art. 271 al. 1 PPF; ATF 128 IV 137 consid. 2a p. 139). Si le Tribunal fédéral n'est pas saisi en même temps de l'action pénale et qu'un recours en réforme sans égard à la valeur litigieuse n'est pas possible (cf. art. 45 OJ), le pourvoi sur l'action civile n'est recevable que pour autant que celle-ci atteigne la valeur litigieuse requise pour un recours en réforme (art. 271 al. 2 PPF), soit 8'000 francs (art. 46 OJ). En l'espèce, les conclusions civiles litigieuses en instance cantonale dépassent largement cette valeur minimale.
2.
Les recourants soutiennent que l'arrêt attaqué viole l'art. 47 CO.
2.1 Selon cette disposition, "le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles ou, en cas de mort d'homme, à la famille une indemnité équitable à titre de réparation morale".
L'ampleur de la réparation morale dépend avant tout de la gravité des souffrances physiques ou psychiques consécutives à l'atteinte subie par la victime et de la possibilité d'adoucir sensiblement, par le versement d'une somme d'argent, la douleur morale qui en résulte. Sa détermination relève du pouvoir d'appréciation du juge. En raison de sa nature, l'indemnité pour tort moral, qui est destinée à réparer un dommage ne pouvant que difficilement être réduit à une simple somme d'argent, échappe à toute fixation selon des critères mathématiques, de sorte que son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites; l'indemnité allouée doit toutefois être équitable. Le juge en proportionnera donc le montant à la gravité de l'atteinte subie et évitera que la somme accordée n'apparaisse dérisoire à la victime; s'il s'inspire de certains précédents, il veillera à les adapter aux circonstances actuelles pour tenir compte de la dépréciation de la monnaie.
La fixation de l'indemnité pour tort moral est une question d'application du droit fédéral, que le Tribunal fédéral examine donc librement. Dans la mesure où cette question relève pour une part importante de l'appréciation des circonstances, le Tribunal fédéral intervient, certes avec retenue, notamment si l'autorité cantonale a mésusé de son pouvoir d'appréciation en se fondant sur des considérations étrangères à la disposition applicable, en omettant de tenir compte d'éléments pertinents ou encore en fixant une indemnité inéquitable parce que manifestement trop faible ou trop élevée; toutefois, comme il s'agit d'une question d'équité - et non pas d'une question d'appréciation au sens strict, qui limiterait son pouvoir d'examen à l'abus ou à l'excès du pouvoir d'appréciation -, il examine librement si la somme allouée tient suffisamment compte de la gravité de l'atteinte ou si elle est disproportionnée par rapport à l'intensité des souffrances morales causées à la victime (ATF 129 IV 22 consid. 7.2 p. 36/37).
2.2 Il est établi en l'espèce que l'intimé a causé la mort du père des recourants, l'ayant abattu d'un coup de feu pour faciliter sa fuite. L'intimé a été mis au bénéficie d'une responsabilité très légèrement diminuée pour cet acte. Ce nonobstant, sa faute apparaît comme particulièrement grave. Il est incontestable qu'en raison de la mort de leur père, les recourants peuvent prétendre à une réparation morale (ATF 117 II 50 consid. 3b/bb p. 57 ss).
Le litige porte exclusivement sur la mesure des indemnités allouées. A cet égard, toute comparaison avec d'autres affaires doit intervenir avec prudence, puisque le tort moral touche aux sentiments d'une personne déterminée dans une situation donnée et que chacun réagit différemment face au malheur qui le frappe. Cela étant, une comparaison n'est pas dépourvue d'intérêt et peut être, suivant les circonstances, un élément utile d'orientation (cf. ATF 125 III 269 consid. 2a p. 274).
Dans de récentes décisions rendues en instance cantonale, les indemnités allouées à l'enfant d'un parent décédé en cas d'homicide intentionnel se situent régulièrement entre 20'000 et 30'000 francs (cf. Klaus Hütte/Petra Ducksch, Die Genugtuung, Eine tabellarische Übersicht über Gerichtsentscheide, 3ème éd., état mars 2003, affaires jugées entre 1998-2000: IV/5 à IV/13; affaires jugées depuis 2001: IV/1 à IV/5). S'agissant plus spécifiquement de l'indemnisation d'enfants en bas âge, le Tribunal fédéral a admis l'allocation d'un montant de 20'000 francs à un enfant dont le père était gravement handicapé (ATF 117 II 50 consid. 4b p. 63). Cet arrêt précise que les souffrances que ressentira l'enfant seront à tout le moins égales à celles qu'il éprouverait si son père était décédé (consid. 3a/bb p. 59); une réduction de l'ordre de 30% ayant été opérée en raison de la faute concomitante du père décédé (consid. 4a/bb p. 62), l'indemnité de 20'000 francs arrêtée par le Tribunal fédéral correspond sans ce motif de réduction à une indemnité d'environ 30'000 francs allouée pour des douleurs morales assimilées à celles qui auraient été consécutives à un décès. Par ailleurs, à l'égard d'un enfant né deux mois après le décès de son père à la suite d'un accident du travail, le Tribunal fédéral a jugé que l'allocation d'un montant de 20'000 francs pour tort moral ne violait pas le droit fédéral (arrêt 4C.343/1996 du 11 juin 1997, consid. 5, non publié à l'ATF 123 III 280). Le Tribunal fédéral a également considéré comme conforme d'allouer 20'000 francs à chacun des enfants, âgés respectivement de cinq et trois ans au moment des faits, dont la mère avait été poignardée sur son lieu de travail par un cambrioleur. Le Tribunal fédéral a relevé qu'un tel montant était légèrement inférieur à ceux accordés dans les cas comparables les plus récents, mais qu'il se justifiait car il s'agissait de petits enfants, qui ignoraient les circonstances de la mort de leur mère, et dont le père s'était rapidement remarié (arrêt non publié 6S.101/1998 du 30 mars 1998, consid. 2b).
En l'espèce, le montant de 15'000 francs accordé à chacun des recourants apparaît trop faible pour pouvoir encore être qualifié d'équitable. La faute de l'intimé est grave et aucune faute concomitante ne peut être mise à la charge du défunt. Selon les constatations cantonales, l'enfant D.________, âgé alors de quatre ans, a durement ressenti la perte de son père et suit une thérapie. En outre, pour chacun des recourants, le fait de grandir sans leur père pèsera sur leur vie. Que l'enfant E.________, âgé de deux ans lors des faits, souffre d'un handicap moteur-cérébral ne diminue en rien, bien au contraire, l'importance de la perte affective et éducative liée à la disparition de son père. La Cour de cassation vaudoise a d'ailleurs souligné l'importance du soutien parental pour un enfant dans cette situation. Il y a lieu de réformer l'arrêt attaqué en ce sens que l'indemnité pour tort moral de chaque enfant est portée à 25'000 francs, montant équitable qui tient raisonnablement compte de l'évolution des indemnités allouées récemment et des circonstances concrètes.
3.
Les recourants ont conclu à l'allocation de 30'000 francs chacun. Ils obtiennent gain de cause dans une mesure importante. L'art. 278 al. 3 PPF prévoit que le Tribunal fédéral verse une indemnité à la partie qui obtient gain de cause; le cas échéant, la partie qui succombe peut être tenue à compensation. Ce système vaut aussi lorsque le pourvoi porte uniquement sur le plan civil, l'art. 278 al. 3 PPF ne prévoyant alors pas d'exception. Les recourants recevront donc une indemnité de la part de la Caisse du Tribunal fédéral. Leur requête d'assistance judiciaire n'a ainsi plus d'objet.
L'intimé a certes conclu au rejet du pourvoi mais a renoncé à déposer des observations. Il ne sera pas perçu de frais, ni demandé de compensation à l'intimé pour l'indemnité versée aux recourants (art. 278 al. 3 3ème phrase PPF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le pourvoi est partiellement admis.
2.
L'arrêt attaqué est réformé en ce sens que les recourants obtiennent chacun une indemnité pour tort moral de 25'000 francs, avec intérêts à 5% l'an dès le 23 septembre 2000.
3.
Il n'est pas perçu de frais.
4.
La Caisse du Tribunal fédéral versera aux recourants une indemnité de 2'000 francs à titre de dépens.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Ministère public du canton de Vaud et au Tribunal cantonal vaudois, Cour de cassation pénale.
Lausanne, le 10 octobre 2003
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: