BGer 2P.261/2002
 
BGer 2P.261/2002 vom 08.08.2003
Tribunale federale
{T 0/2}
2P.261/2002 /mks
Arrêt du 8 août 2003
IIe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges Wurzburger, Président,
Hungerbühler, Müller, Yersin et Merkli.
Greffier: M. Addy
Parties
Consortium X.________,
recourant, représenté par Me Christophe Schwarb, avocat, rue du Bassin 6, case postale 3112, 2001 Neuchâtel 1,
contre
E.________ SA,
intimé, représenté par Me Marc Lorenz, avocat,
rue du Trésor 9, case postale 544, 2001 Neuchâtel 1,
Commission de construction SIS-PCN-juges d'instruction, Ville de La Chaux-de-Fonds, Service juridique, 2300 La Chaux-de-Fonds,
Tribunal administratif du canton de Neuchâtel, case postale 3174, 2001 Neuchâtel 1.
Objet
art. 9 et 29 Cst. (adjudication de travaux d'électricité),
recours de droit public contre la décision du Tribunal administratif du canton de Neuchâtel du 9 octobre 2002.
Faits:
A.
Représentés par une commission de construction mixte réunissant des membres de chacune des entités, la Ville de La Chaux-de-Fonds et l'Etat de Neuchâtel (ci-après: le pouvoir adjudicateur) ont mis en soumission par la voie d'une procédure d'appel d'offres ouverte la construction d'un nouveau bâtiment destiné à abriter le Service d'intervention et de secours des Montagnes neuchâteloises, la Police cantonale neuchâteloise et l'office des juges d'instruction. Le coût du projet était estimé à 18'700'000 fr. et les offres devaient être déposées auprès d'un bureau d'architectes.
L'ouverture des soumissions concernant les travaux d'électricité (soit le lot no 3, devisé à 1'478'100 fr.) a eu lieu le 18 juillet 2002; elle a débouché sur le classement suivant (les quatre premiers sur dix):
1er E.________ SA, Neuchâtel 1'106'608 fr.
2e soumissionnaire 2, Neuchâtel 1'164'100 fr. 18
3e soumissionnaire 3, Neuchâtel 1'195'650 fr. 07
4e Consortium X.________, La Chaux-de-Fonds 1'279'045 fr. 85
Par décision du 4 septembre 2002, le pouvoir adjudicateur a adjugé le lot no 3 à l'entreprise E.________ SA (ci-après citée: l'adjudicataire).
B.
Consortium X.________ (ci-après cité: le Consortium), a recouru contre la décision d'adjudication. Il a demandé au Tribunal administratif du canton de Neuchâtel (ci-après: le Tribunal administratif) d'accorder l'effet suspensif à son recours, d'annuler la décision attaquée et de renvoyer la cause au pouvoir adjudicateur pour nouvelle décision. Il a fait valoir que l'entreprise adjudicataire n'était pas indépendante du pouvoir adjudicateur, car son capital-actions était détenu à 47,8 % par la société I.________ SA dans laquelle l'Etat de Neuchâtel et la Ville de La Chaux-de-Fonds avaient des participations. Par ailleurs, le Consortium critiquait le fait que K.________, conseiller communal à La Chaux-de-Fonds et vice-président du conseil d'administration d'I.________ SA, avait présidé la commission de construction mixte qui avait procédé à l'adjudication. Il dénonçait en outre une entente illicite entre le soumissionnaire 2 et l'adjudicataire. Enfin, il soutenait que ce dernier devait être exclu de la procédure d'adjudication, car il ne remplissait pas les critères d'aptitude au sens de l'art. 21 lettre a de la loi cantonale neuchâteloise du 23 mars 1999 sur les marchés publics (ci-après citée: LcMP), du fait qu'il n'avait à son service qu'une seule personne du métier, en violation de l'art. 10 de l'ordonnance fédérale du 7 novembre 2001 sur les installations électriques à basse tension (OIBT; RS 734.27).
Invitée à se déterminer sur le recours, la commission de construction a précisé que le classement des soumissionnaires établi à l'ouverture des offres était erroné, car il ne tenait compte que du prix de celles-ci; or, après prise en considération des autres critères d'évaluation, le classement par points était le suivant:
1er E.________ SA, Neuchâtel 114 points
2e soumissionnaire 3, Neuchâtel 109 points
3e Consortium X.________, La Chaux-de-Fonds 101 points
4e soumissionnaire 2, Neuchâtel 98 points
La commission de construction mixte a conclu au «rejet» du recours; elle a notamment soutenu que le Consortium n'avait pas la qualité pour recourir, faute d'intérêt pratique à l'admission du recours: en effet, même si les griefs élevés contre l'adjudicataire étaient admis, le marché ne lui reviendrait de toute façon pas, mais irait au soumissionnaire arrivé en deuxième position dans le classement, soit le soumissionnaire 3. Pour la même raison, l'adjudicataire a conclu principalement à l'irrecevabilité du recours; subsidiairement, il en a proposé le rejet.
Par arrêt du 9 octobre 2002, le Tribunal administratif a déclaré irrecevable le recours, faute pour le recourant de disposer d'un intérêt pratique à son admission, vu son troisième rang au classement des soumissionnaires.
C.
Agissant par la voie du recours de droit public, le Consortium demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt précité du Tribunal administratif sous suite de frais et dépens. Il se plaint d'arbitraire (art. 9 Cst.) et de déni de justice formel (art. 29 al. 1 Cst.).
Le Tribunal administratif se réfère aux considérants de son arrêt et conclut au rejet du recours; la commission de construction propose également de rejeter le recours dans la mesure où il est recevable, tandis que l'adjudicataire a renoncé à se déterminer.
D.
Le 20 janvier 2003, le Consortium a informé le Tribunal fédéral qu'il avait saisi le Tribunal administratif d'une demande tendant à obtenir la révision de l'arrêt attaqué, car le soumissionnaire 3, deuxième du classement, avait entre-temps déposé son bilan; le Consortium tenait par conséquent pour caduque l'argumentation des juges cantonaux consistant à lui dénier la qualité pour recourir en raison de son troisième rang au classement.
Par arrêt du 19 février 2003, le Tribunal administratif a rejeté la demande de révision, au motif que le fait invoqué, postérieur au prononcé de l'arrêt soumis à révision, ne pouvait pas être pris en considération.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 128 I 177 consid. 1 p. 179, 46 consid. 1a p. 48; 128 II 66 consid. 1 p. 67 et les références).
1.1 Formé pour violation des droits constitutionnels (art. 84 al. 1 lettre a OJ), le présent recours de droit public n'est en principe recevable, en vertu des art. 86 al. 1 et 87 OJ, qu'à l'encontre des décisions qui, comme en l'espèce, sont prises en dernière instance cantonale (cf. art. 45 LcMP), et revêtent un caractère final (c'est-à-dire mettent fin à la procédure, par opposition aux décisions préjudicielles ou incidentes).
1.2 En vertu de l'art. 88 OJ, le recours de droit public exige en principe un intérêt juridique actuel et pratique à l'annulation de la décision attaquée, respectivement à l'examen des griefs soulevés. L'intérêt au recours doit encore exister au moment où statue le Tribunal fédéral, lequel se prononce sur des questions concrètes et non théoriques (ATF 127 III 41 consid. 2b p. 42; 125 I 394 consid. 4a p. 397; 125 II 86 consid. 5b p. 97 et les références citées). Cette exigence vaut aussi lorsqu'est invoqué, comme en l'espèce, un déni de justice formel: en ce cas, le recourant doit au moins justifier d'un intérêt actuel à ce que son grief (formel) soit examiné; cet intérêt s'apprécie en fonction des effets et de la portée d'une éventuelle admission du recours (cf. ATF 118 Ia 488 consid. 2a p. 492).
En l'espèce, il apparaît que le pouvoir adjudicateur a conclu le contrat avec l'adjudicataire après que la juridiction cantonale a refusé d'accorder l'effet suspensif au recours. Cela n'a toutefois pas d'importance. Le Consortium dispose en effet d'un intérêt juridiquement protégé, et cela même après la conclusion du contrat, qui consiste alors à faire constater l'illicéité de la décision d'adjudication afin de pouvoir, le cas échéant, agir en dommages-intérêts contre l'adjudicateur (cf. ATF 125 II 86 consid. 5b p. 97).
1.3 Pour le surplus, déposé en temps utile dans les formes prescrites par la loi, le recours est recevable (cf. art. 89 et 90 OJ), sous réserve que les griefs soulevés répondent aux exigences de motivation découlant de l'art. 90 al. 1 lettre b OJ.
2.
2.1 Selon la jurisprudence rendue en application de l'art. 90 al. 1 lettre b OJ, l'acte de recours doit, à peine d'irrecevabilité, contenir un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés et préciser en quoi consiste la violation. Lorsqu'il est saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'a donc pas à vérifier de lui-même si l'arrêt entrepris est en tous points conforme au droit et à l'équité. Il n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours. Le recourant ne saurait se contenter de soulever de vagues griefs ou de renvoyer aux actes cantonaux (ATF 125 I 71 consid. 1c p. 76; 115 Ia 27 consid. 4a p. 30; 114 Ia 317 consid. 2b p. 318). En outre, dans un recours pour arbitraire fondé sur l'art. 9 Cst., l'intéressé ne peut se contenter de critiquer l'arrêt attaqué comme il le ferait dans une procédure d'appel où l'autorité de recours peut revoir librement l'application du droit. Il doit préciser en quoi cet arrêt serait arbitraire, ne reposerait sur aucun motif sérieux et objectif, apparaîtrait insoutenable ou heurterait gravement le sens de la justice (cf. ATF 128 I 295 consid. 7a p. 312; 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités).
2.2 Invoquant les art. 9 et 29 al. 1 Cst., le recourant soutient que la décision attaquée "restreint de manière arbitraire le cercle des soumissionnaires évincés pouvant recourir contre la décision d'adjudication au vu de l'intérêt digne de protection qui leur est reconnu et qui découle directement de l'AIMP (Accord intercantonal du 25 novembre 1994 sur les marchés publics; RS 172.056.4)." Il se plaint donc d'un déni de justice formel qui se confond, en l'espèce, avec le grief tiré de la violation de l'interdiction de l'arbitraire. C'est dans cette mesure seulement qu'il sera entré en matière sur le recours, car les autres moyens soulevés en procédure cantonale que le recourant rappelle céans (manque d'indépendance du pouvoir adjudicateur, entente illicite entre certains soumissionnaires, défaut d'un critère d'aptitude...) portent sur le fond du litige et ne sont donc pas recevables dans le cadre d'un recours formé contre une décision d'irrecevabilité (cf. ATF 126 II 377 consid. 8d p. 395 et les arrêts cités).
3.
Après avoir constaté que le recourant n'avait invoqué aucun vice de procédure, les premiers juges ont considéré que, même s'il fallait écarter du marché l'adjudicataire et le soumissionnaire 2 en raison des griefs invoqués par le Consortium, ce dernier "ne se verrait pas pour autant attribuer le marché, qui reviendrait tout naturellement au soumissionnaire placé en seconde position, c'est-à-dire au soumissionnaire 3". Ils en ont inféré que, faute de disposer d'un intérêt pratique à l'annulation de l'adjudication, le Consortium n'avait pas la qualité pour recourir au sens de l'art. 32 de la loi neuchâteloise du 27 juin 1979 sur la procédure et la juridiction administratives (ci-après citée: LPJA), applicable en vertu du renvoi de l'art. 41 LcMP.
Le recourant réfute ce raisonnement. Il rappelle qu'en instance cantonale, il a certes mis en cause l'aptitude de l'adjudicataire à mener à bien les travaux qui lui ont été adjugés, mais a également invoqué des vices touchant le déroulement de la procédure d'adjudication elle-même. Or, fait-il valoir, des irrégularités de nature procédurale doivent pouvoir être soumises au contrôle du juge par n'importe quel soumissionnaire évincé, indépendamment de son classement au terme de la procédure d'adjudication et de ses chances d'emporter le marché. Il ajoute que ces dernières sont, quoi qu'il en soit, bien réelles, puisqu'il est placé en troisième position et qu'il n'est pas exclu, en cas d'annulation de l'adjudication, que la situation se présente sous un autre jour lors de la nouvelle évaluation des offres: ainsi, le soumissionnaire arrivé en deuxième position pourrait refuser le marché ou ne plus réunir certaines conditions (en raison, par exemple, d'une restructuration ou - comme la chose s'est vérifiée en l'espèce - à la suite d'une faillite), sans compter que, de son côté, l'adjudicateur pourrait souhaiter modifier "certains aspects du marché". A l'appui de son point de vue, il cite la jurisprudence de la Commission de recours en matière de marchés publics ainsi que des arrêts cantonaux et des avis de doctrine.
4.
4.1 Notion fondamentale de la procédure contentieuse, la qualité pour recourir ne fait pas l'objet d'une réglementation particulière dans l'Accord intercantonal sur les marchés publics (cf. la section 5 de l'AIMP; Galli/Moser/Lang, Praxis des öffentlichen Beschaffungsrechts, Zurich/Bâle/Genève 2003, p. 327; Zufferey/Maillard/Michel, Droit des marchés publics: Présentation générale, éléments choisis et code annoté, Fribourg 2002, p. 133/134; Robert Wolf, Die Beschwerde gegen Vergabeentscheide - Eine Übersicht über die Rechtsprechung zu den neuen Rechtsmitteln, in: ZBl 2003/104, p. 1 ss, 11). Il revient donc aux cantons d'en définir librement les contours et le contenu, dans les limites et le respect des principes et des objectifs fixés par l'Accord intercantonal, au nombre desquels figure notamment la volonté de soumettre la procédure d'adjudication à un contrôle juridictionnel (cf. art. 15 al. 1 AIMP; cf. Evelyne Clerc, L'ouverture des marchés publics: Effectivité et protection juridique, Fribourg 1997, p. 472 ss). Cet objectif est également clairement exprimé à l'art. XX ch. 6 de l'Accord sur les marchés publics conclu à Marrakech le 15 avril 1994 et entré en vigueur pour la Suisse le 1er janvier 1996 (RS 0.632.231.422; ci-après-cité: AMP).
4.2 A l'art. 41 LcMP, le législateur neuchâtelois a prévu de régler la procédure et les voies de recours en matière de marchés publics en renvoyant d'une manière générale, sous réserve de dispositions particulières, à la loi sur la procédure et la juridiction administrative. L'art. 32 lettre a LPJA dispose que la qualité pour recourir appartient à toute personne touchée par la décision et ayant un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée. Comme dans la plupart des cantons (cf. Pierre Moor, Droit administratif, vol. II, Berne 2002, p. 626/627), cette disposition présente une teneur quasiment identique à l'art. 103 lettre a OJ qui règle la qualité pour former un recours de droit administratif devant le Tribunal fédéral. Le Tribunal administratif interprète d'ailleurs la notion d'intérêt digne de protection en s'inspirant de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral en application de l'art. 103 lettre a OJ (cf. l'arrêt attaqué, p. 3).
Le Tribunal fédéral examine en principe librement l'interprétation et l'application des dispositions concordataires par les autorités cantonales (cf. ATF 115 Ia 212 consid. 2a; 112 Ia 75 consid. 1b et les références citées); cela vaut notamment, en matière de marchés publics, pour ce qui concerne les règles assurant la régularité de la procédure d'adjudication (cf. ATF 125 II 86 consid. 6 p. 98). Par conséquent, même si la qualité pour recourir relève du droit cantonal de procédure (cf. supra consid. 4.1) dont le Tribunal fédéral ne peut revoir l'application que sous l'angle restreint de l'arbitraire, c'est librement qu'il peut en contrôler la conformité avec la finalité des principes et des règles applicables en matière de marchés publics.
4.3 Doctrine et jurisprudence sont divisées sur la possibilité de subordonner, au titre de l'intérêt digne de protection, la qualité pour recourir du soumissionnaire évincé à l'exigence d'avoir une chance d'emporter le marché en cas d'admission du recours.
Selon Clerc (op. cit., p. 525 et 531), sauf à vider de son sens la protection juridictionnelle en matière de marchés publics, le soumissionnaire évincé qui souhaite recourir contre une décision d'adjudication n'a pas à démontrer qu'il emporterait le marché s'il était admis ou réadmis à participer à la procédure; cet auteur estime en effet que l'intéressé a un intérêt suffisant à demander l'annulation de la décision attaquée, car il obtient le rétablissement de ses chances s'il est (ré-)intégré dans la procédure d'adjudication. Galli/Moser/Lang (op. cit., p. 330) vont dans le même sens, en considérant que le soumissionnaire évincé est plus que quiconque touché par la décision d'adjudication, ce qui lui confère un intérêt suffisant pour recourir, indépendamment de ses chances d'obtenir le marché; ces dernières nécessitent un examen matériel du litige qui, selon les auteurs précités, ne doit pas se faire déjà au stade de la qualité pour recourir. Carron/Fournier (in: La protection juridique dans la passation des marchés publics, Fribourg 2002, p. 62/63) arrivent aux mêmes conclusions, avec l'argumentation suivante:
"La qualité pour agir n'est pas soumise à la condition supplémentaire de l'utilité du sort du recours pour le recourant. Celui-ci n'a pas à démontrer que le marché lui aurait été attribué sans la violation alléguée. En d'autres termes, la qualité pour agir ne dépend pas d'un lien de causalité entre la violation alléguée et l'absence d'adjudication au recourant. En effet, l'application d'une telle règle pourrait conduire à limiter arbitrairement le nombre des recourants potentiels à ceux qui auraient eu une chance, voire une certitude, d'obtenir l'attribution du marché. L'autorité de recours devrait alors, au stade de la qualité pour recourir, examiner si le recourant avait une chance suffisante de se voir attribuer le marché en l'absence de l'illégalité alléguée. Cet examen aurait pour première conséquence de rendre irrecevable tous les recours où la violation alléguée ne serait pas causale, c'est-à-dire où la violation n'aurait pas modifié le résultat de l'adjudication en ce qui concerne le recourant. La deuxième difficulté tient au fardeau de la preuve. Compte tenu du grand pouvoir d'appréciation dont dispose le pouvoir adjudicateur dans le choix de l'offre économiquement la plus avantageuse, il serait exagérément difficile pour le recourant de démontrer qu'il aurait obtenu l'adjudication sans la violation alléguée. Si, à l'inverse, il appartenait à l'adjudicateur de démontrer que le recourant n'aurait pas obtenu l'adjudication même sans la violation, il serait ensuite extrêmement difficile à l'autorité de recours d'exercer son contrôle sans répéter elle-même l'adjudication, c'est-à-dire en substituant son pouvoir d'appréciation à celui de l'adjudicateur."
Zufferey/Maillard/Michel (op. cit., p. 134) sont d'un autre avis; ils estiment que le soumissionnaire évincé doit rendre vraisemblable ses chances d'obtenir le marché et d'accomplir la prestation adjugée en cas d'annulation de l'adjudication, ajoutant que tel ne sera a priori pas le cas s'il a été classé en cinquième ou sixième position dans la procédure contestée; ces auteurs précisent cependant que la compétitivité du recourant n'a par contre plus d'influence sur sa qualité pour recourir dès l'instant où il invoque un vice de la procédure. Wolf (op. cit., p. 11 ss) défend une position voisine et considère que les chances du soumissionnaire évincé d'emporter le marché doivent s'apprécier à la lumière des griefs invoqués, y compris lorsque ceux-ci sont de nature formelle. Ainsi, le soumissionnaire classé seulement en quatrième position n'a pas qualité pour recourir, selon cet auteur, à moins qu'il ne soutienne qu'une évaluation correcte des offres laisse apparaître que la sienne est la meilleure ou qu'il n'invoque un vice grave qui impose qu'on reprenne la procédure à son début. En revanche, le soumissionnaire évincé qui se contente de critiquer l'attribution du marché à l'adjudicataire, sans élever de griefs contre le classement des autres soumissionnaires mieux placés que lui, n'a pas la qualité pour recourir, et cela même si ces derniers n'ont pas recouru. Contrairement à la Commission fédérale de recours en matière de marchés publics (ci-après: la Commission fédérale), qui considère que les soumissionnaires évincés qui n'ont pas recouru ne sont en principe plus en lice pour une nouvelle adjudication (cf. Galli/Moser/Lang, op. cit., p. 370/371 et les références citées sous ch. 1450), Wolf soutient en effet qu'une fois l'annulation de l'adjudication prononcée et l'affaire renvoyée au pouvoir adjudicateur, ce dernier peut très bien, après avoir corrigé le vice, réévaluer les offres, y compris celles des soumissionnaires qui n'ont pas recouru, et par conséquent adjuger le marché au soumissionnaire arrivé en deuxième ou en troisième position.
Quant aux juridictions cantonales, leur pratique est variable: certaines, à l'image de la Commission fédérale, entrent en matière sur les recours sans égard aux chances du recourant d'obtenir le marché en cas d'annulation de l'adjudication (notamment Vaud et le Valais; cf. Etienne Poltier, Les marchés publics: premières expériences vaudoises, in: RDAF 2000 I p. 297 ss, p. 322; Galli/Moser/Lang, op. cit., p. 330), tandis que d'autres déclarent irrecevables de tels recours faute d'intérêt pratique à leur admission (notamment Argovie, Schwyz et Zurich, cf. Wolf, op. cit., p. 12 n. 61).
4.4 En tant que telle, l'exigence d'un intérêt actuel et pratique (et personnel) comme condition à la recevabilité des recours en matière de marchés publics n'est pas critiquable. Elle traduit le souci, également partagé par le Tribunal fédéral, de limiter le contrôle judiciaire aux recours qui sont de nature à éliminer un préjudice ou à apporter au justiciable un avantage de nature économique, idéale ou matérielle, par opposition aux recours qui posent des questions purement théoriques ou qui sont formés en vue de sauvegarder l'intérêt général (cf. ATF 123 II 376 consid. 2 p. 378/379 et les références; Kölz/Häner, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, Zurich 1998, p. 193 ss). La fonction du juge n'est en effet pas de faire de la doctrine (Moor, op. cit., p. 642). Outre qu'elle répond à des préoccupations pratiques évidentes, une telle approche est également en accord avec l'exigence, prévue à l'art. XX ch. 2 et 8 AMP, de soumettre les contestations en matière de marchés publics à des procédures efficaces et rapides (cf. Poltier, op. cit., p. 320): elle permet en effet d'éviter que n'importe quel soumissionnaire évincé ne puisse recourir et retarder l'adjudication du marché - qui est justement le but ultime d'une telle procédure (cf. Denis Esseiva, in: DC 4/2000, p. 132).
On ne saurait donc, sans autre examen, taxer d'arbitraire la solution des premiers juges et suivre les auteurs qui récusent par principe l'idée que l'accès au juge puisse être conditionné, en matière de marchés publics, à l'exigence que le recourant ait une chance d'obtenir le marché. A cet égard, l'objection selon laquelle l'annulation de la décision d'adjudication représente déjà un intérêt suffisant, car elle rétablit les chances du soumissionnaire évincé d'être réintégré dans la procédure, n'emporte pas la conviction.
En effet, selon la nature et la gravité du vice affectant la décision annulée, le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu de reprendre la procédure à son début; autant que possible, il y renoncera même afin d'épargner les deniers publics et de ne pas retarder inutilement la procédure lorsque le vice peut être réparé de manière simple, par exemple en procédant à une nouvelle appréciation de l'offre économiquement la plus avantageuse (cf. Clerc, op. cit., p. 558). Par conséquent, sous réserve des cas où sont invoquées des irrégularités particulièrement graves, leur réparation pourra la plupart du temps se faire sans avoir à reprendre la procédure à son début (cf. Wolf, op. cit., p. 26). L'on voit par là que l'annulation de la décision attaquée ne garantit pas au soumissionnaire d'être réintégré - avec toutes ses chances - dans la procédure d'adjudication, si bien que la seule perspective d'obtenir une telle annulation ne suffit pas toujours pour justifier d'un intérêt digne de protection; du moins les juridictions cantonales peuvent-elles sans arbitraire en juger de la sorte dans certaines situations. Ainsi en est-il lorsque le soumissionnaire évincé en raison d'un défaut d'aptitude se limite à critiquer l'appréciation des offres: parce qu'il n'a en principe aucune chance d'obtenir le marché même en cas d'admission de son recours, la qualité pour recourir pourra - sauf exceptions - lui être déniée; il en va de même du soumissionnaire évincé dont l'offre est nettement moins avantageuse que celle de ses concurrents: à moins qu'il n'invoque des motifs propres à bouleverser le classement ou qui justifient de reprendre la procédure à son début - avec le dépôt de nouvelles soumissions -, ses chances d'emporter le marché seront le plus souvent nulles et son recours pourra en principe être déclaré irrecevable.
4.5 Il reste que, comme le relève une partie de la doctrine, du seul fait de sa participation à la procédure d'adjudication, le soumissionnaire évincé acquiert une position privilégiée dans cette procédure: ayant engagé du temps et de l'argent, il est plus touché par la décision d'adjudication que ne peut l'être, par exemple, un concurrent qui n'aurait pas soumissionné, et son intérêt à obtenir un contrôle judiciaire de la procédure et, le cas échéant, l'annulation du marché, ne se confond pas avec la poursuite d'un intérêt général. Cette considération doit inciter le juge à ne pas faire preuve d'une trop grande rigueur dans l'examen de l'utilité pratique que présenterait l'admission du recours pour le soumissionnaire. Une certaine souplesse s'impose aussi en raison du pouvoir d'appréciation qui revient à l'autorité d'adjudication: hors les cas où la solution apparaît évidente, le juge s'abstiendra donc, autant que faire se peut, de préjuger de la décision à prendre, ne serait-ce également que parce que les besoins de l'adjudicateur peuvent évoluer (cf. Zufferey/Maillard/Michel, op. cit., p. 143) ou que d'autres changements peuvent intervenir du côté des soumissionnaires qui sont de nature à influencer la question de l'utilité pratique du recours, comme par exemple la restructuration ou la faillite de l'un d'eux (ibid., p. 134/135).
4.6 En l'espèce, le Consortium s'est notamment plaint du fait que le capital-actions de l'entreprise adjudicataire était pour une large part en mains de la société I.________ SA (239 sur 500, soit 47,8 %), elle-même en partie détenue par le pouvoir adjudicateur, soit l'Etat de Neuchâtel (26,52 %) et la Ville de La Chaux-de-Fonds. Il a également critiqué le fait que K.________, conseiller communal à La Chaux-de-Fonds et vice-président du conseil d'administration d'I.________ SA, avait présidé la commission de construction qui avait adjugé le marché. Ce faisant, le Consortium a donc contesté un point essentiel concernant le déroulement de la procédure, soit l'indépendance et l'impartialité du pouvoir adjudicateur (sur le problème de la récusation en matière de marchés publics, cf. Galli/Moser/Lang, op. cit., p. 251 ss; Zufferey/Maillard/Michel, op. cit., p. 262/263; Christian Bovet in: DC 4/2000, p. 133). Or, c'est là un grief qui, mettant en cause la composition et la compétence de l'autorité administrative ainsi que les droits de partie de l'administré (cf. art. 29 al. 1 Cst.), est par essence de nature formelle (cf. ATF 127 I 128 consid. 4 p. 130 ss; Moor, op. cit., p. 236 ss) et doit en principe conduire le juge à admettre la qualité pour recourir du soumissionnaire évincé sans égard à sa compétitivité, comme le préconise la doctrine unanime précitée à l'exception de Wolf (op. cit., p. 14).
C'est par conséquent de manière arbitraire que le Tribunal administratif a refusé d'entrer en matière sur le recours au motif que le Consortium n'avait pas soulevé de vices de procédure. Sa décision est d'autant moins soutenable en l'occurrence que le recourant s'est classé en troisième position dans l'adjudication, soit à un rang qui, sauf à vider de sa substance la protection juridictionnelle en matière de marchés publics, n'autorise normalement pas à conclure à l'absence de chances d'emporter le marché. Par ailleurs, le Consortium accusait sur le deuxième un retard qui n'apparaissait pas d'emblée insurmontable (8 points sur un total de 109), compte tenu notamment du large pouvoir d'appréciation reconnu à l'autorité d'adjudication. Enfin, même s'il n'était pas connu des premiers juges lorsqu'ils ont statué, on ne saurait non plus totalement passer sous silence le fait que le soumissionnaire arrivé en deuxième position a depuis lors déposé son bilan.
5.
Il suit de ce qui précède que, bien fondé, le recours doit être admis et la décision attaquée annulée.
Succombant dans une procédure d'adjudication où ils interviennent comme pouvoirs adjudicateurs, l'Etat de Neuchâtel et la Ville de La-Chaux-de-Fonds doivent supporter les frais de justice - solidairement entre eux (cf. art. 156 al. 7 OJ) -, car leur intérêt pécuniaire est en cause (art. 156 al. 2 OJ a contrario; cf. arrêt du 31 mai 2000 dans la cause 2P.342/1999 consid. 6 reproduit in: Zbl 2001 p. 312 ss, 319). Ils verseront par ailleurs une indemnité de dépens au Consortium, qui obtient gain de cause (art. 159 al. 1 OJ; eod. loc.).
Ayant renoncé à se déterminer sur le recours, la société E.________ SA, qui n'a pas pris de conclusions, est dispensée du paiement des frais de justice; elle n'est pas non plus tenue au versement de dépens (cf. ATF 125 II 86 consid. 8 p. 103).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable et la décision du Tribunal administratif du canton de Neuchâtel du 9 octobre 2002 est annulée.
2.
Les frais de justice, d'un montant de 2'000 fr., sont mis à la charge du canton de Neuchâtel et de la Ville de La Chaux-de-Fonds, solidairement entre eux.
3.
Le canton de Neuchâtel et la Ville de La Chaux-de-Fonds sont débiteurs, solidairement entre eux, d'une indemnité de dépens de 2'000 fr. en faveur du Consortium X.________.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, à la Commission de construction SIS-PCN-juges d'instruction et au Tribunal administratif du canton de Neuchâtel.
Lausanne, le 8 août 2003
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: