BGer 2A.520/2002
 
BGer 2A.520/2002 vom 17.06.2003
Tribunale federale
{T 1/2}
2A.520/2002/sch
Arrêt du 17 juin 2003
IIe Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Wurzburger, Président, Hungerbühler, Müller, Merkli et Seiler, Juge suppléant.
Greffier: M. Langone.
Parties
la société Entreprises Electriques Fribourgeoises (EEF), boulevard de Pérolles 25, 1700 Fribourg,
recourante, représentée par Maîtres Dominique Dreyer
et Markus Jungo, avocats, boulevard de Pérolles 7,
1700 Fribourg,
contre
Watt Suisse AG, 6032 Emmen, représentée par Me Marc Bernheim, avocat, Etude Staiger, Schwald & Roesle, Genferstrasse 24, 8002 Zurich,
Fédération des Coopératives Migros,
8000 Zurich, représentée par Me Ralph Schmid, avocat, Dufourstrasse 29, Case postale 1372, 8032 Zurich,
Commission de la concurrence,
Monbijoustrasse 43, 3003 Berne,
intimés,
Commission de recours pour les questions de concurrence, 3202 Frauenkappelen.
Objet
restrictions illicites à la concurrence,
recours de droit administratif contre la décision de la Commission de recours pour les questions de concurrence du 17 septembre 2002.
Faits:
A.
La société Entreprises électriques fribourgeoises (ci-après: EEF) était, selon l'art. 1er de l'ancienne loi fribourgeoise du 18 septembre 1998 sur les Entreprises électriques fribourgeoises (LEEF ou loi de 1998 sur les EEF; en vigueur du 1er avril 1999 au 31 janvier 2001), un établissement de droit public distinct de l'Etat, ayant qualité de personne morale. Par la loi du 19 octobre 2000 sur le statut des Entreprises électriques fribourgeoises et de leur Caisse de pensions (LSEEF ou loi de 2000 sur le statut des EEF; acceptée en votation populaire le 10 juin 2001 et entrée en vigueur le 1er janvier 2002), la société EEF a été transformée en société anonyme selon les art. 620 ss CO. Elle produit de l'électricité et exploite un réseau électrique dans le canton de Fribourg.
B.
La Fédération des Coopératives Migros (ci-après: Migros) possède des filiales dans le canton de Fribourg, notamment Estavayer Lait SA (ci-après: ELSA) à Estavayer-le-Lac et Micarna SA (ci-après: Micarna) à Courtepin. Ces deux sociétés sont approvisionnées en énergie électrique par EEF. En 1999, Migros a conclu (notamment pour ses sites de production sis dans le canton de Fribourg) un contrat de fourniture en énergie électrique avec Watt Suisse AG (ci-après: Watt). Les sociétés ELSA et Micarna ont résilié les contrats de livraison d'énergie qui les liaient à la société EEF d'une part et demandé d'autre part à cette dernière de faire transiter le courant électrique acheté à Watt par le réseau exploité par EEF. Celle-ci a toutefois rejeté cette dernière requête jusqu'à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi fédérale sur le marché de l'électricité.
Le 14 février 2000, Watt et Migros ont requis du secrétariat de la Commission de la concurrence d'ouvrir une enquête préalable et une enquête au sens des art. 26 et 27 LCart (RS 251) notamment à l'encontre de la société EEF. Migros a en outre demandé que EEF soit obligée de mettre son réseau électrique à la disposition du fournisseur d'énergie qui entend approvisionner en électricité les sites de production de Migros, soit ELSA, respectivement Micarna, moyennant une taxe d'utilisation du réseau de 31 fr. 60, respectivement 32 fr. 30 par MWh. Cette requête était motivée par le fait que EEF refusait de faire transiter sur son réseau l'énergie fournie par Watt, ce qui constituerait une pratique illicite de la part d'une entreprise ayant une position dominante au sens de l'art. 7 LCart. De plus, il n'existerait pas, dans ce secteur, un régime de marché de caractère étatique excluant, selon l'art. 3 al. 1 LCart, toute application de la loi sur les cartels. Des requêtes analogues ont été déposées à l'encontre d'Elektra Baselland (EBL) et du Service intercommunal de l'électricité SA (SIE).
Le secrétariat de la Commission de la concurrence a ouvert une enquête préliminaire (art. 26 LCart) et a donné l'occasion aux parties concernées de se déterminer. Par courrier du 10 avril 2000, EEF a soutenu que le législateur fribourgeois a établi un régime de marché particulier pour la distribution de l'électricité, ce qui excluait l'application de la loi sur les cartels, conformément à l'art. 3 al. 1 LCart. De plus, l'art. 7 LCart ne serait pas violé.
Les conclusions du rapport ayant été rendues le 9 juin 2000 à l'issue de l'enquête préliminaire (Droit et politique de la concurrence [DPC] 2000 p. 153 ss), le secrétariat de la Commission de la concurrence a ouvert une enquête d'entente avec un membre de la présidence de la commission (art. 27 LCart). Le 15 décembre 2000, le secrétariat précité a envoyé un projet de décision aux participants à l'enquête, conformément à l'art. 30 al. 2 LCart. Il était prévu de constater que la société EEF occupait une position dominante dans sa zone de distribution au sens de l'art. 4 al. 2 LCart et qu'elle violait l'art. 7 LCart en refusant de faire transiter l'électricité de Watt sur son réseau.
Par courrier du 22 février 2001, EEF a requis:
"- que les enquêtes à l'encontre des EEF, de EBL et de SIE soient jointes,
- qu'une décision au sens de l'art. 9 al. 1 PA soit rendue sur la compétence de la Commission de la concurrence, respectivement de son secrétariat, pour mener l'enquête en cours selon les art. 26 ss LCart,
- que la Commission de la concurrence communique aux EEF une copie de l'arrêt du Tribunal fédéral du 5 février 2001 dans l'affaire ISM/SMA (2A.430/ 2000) dès que celui-ci aura été notifié par le TF et qu'un délai de 10 jours soit alors imparti aux EEF pour compléter leur argumentation sur la question incidente de la compétence,
- que la procédure de l'enquête soit suspendue jusqu'à ce qu'une décision définitive et exécutoire soit rendue sur la compétence,
- qu'un nouveau délai soit imparti aux EEF pour déposer leur détermination sur la suite de la procédure au fond, le cas échéant, lorsque la décision définitive et exécutoire sur la compétence aura été rendue."
La société EEF faisait valoir que, vu la réglementation cantonale excluant le marché en cause de la concurrence conformément à l'art. 3 al. 1 LCart, la Commission de la concurrence ne serait pas compétente pour se prononcer. EEF disposerait d'un monopole institué par la loi pour l'approvisionnement de l'électricité. Le transport de l'électricité sur les réseaux serait réglé de manière exhaustive par les art. 43 et 44 de la loi fédérale du 24 juin 1902 concernant les installations électriques à faible et à fort courant (LIE; RS 734.0) ou par la loi sur le marché de l'électricité, de sorte que la Commission de la concurrence ne serait pas compétente. EEF a en outre requis des mesures d'instruction complémentaires en ce qui concerne l'interprétation du droit cantonal, fédéral et européen.
C.
Par décision du 5 mars 2001 (DPC 2001 p. 255), la Commission de la concurrence a rejeté l'ensemble des conclusions de EEF du 22 février 2001 (ch. 215/1) et constaté que EEF jouissait d'une position dominante au sens de l'art. 4 al. 2 LCart sur les marchés de la distribution régionale et supra-régionale et de la fourniture du courant électrique dans sa zone de distribution (ch. 215/2). Elle a encore constaté que, en ayant refusé de faire transiter l'électricité de Watt sur son réseau pour l'approvisionnement des sites d'ELSA à Estavayer-le-Lac et de Micarna à Courtepin à partir du 1er janvier 2000, la société EEF avait abusé et continuait d'abuser de sa position dominante au sens de l'art. 7 LCart (ch. 215/3).
La Commission de la concurrence a considéré qu'une jonction des causes ne se justifiait pas, puisque les trois entreprises EEF, EBL et SIE étaient actives dans trois cantons différents, ainsi que sur trois marchés de référence différents et pouvaient avoir des raisons différentes justifiant leur comportement. Une décision incidente sur la compétence de la Commission de la concurrence ne se justifiait plus au stade final de l'enquête, à la veille de la décision finale. La compétence de la Commission de la concurrence pour prendre sa décision résultait de l'art. 18 al. 3 LCart et n'était pas non plus restreinte par les art. 43 et 44 LIE. Cette compétence ne serait transférée à la Commission fédérale d'arbitrage prévue dans la loi sur le marché de l'électricité du 20 décembre 2000 qu'à partir de son entrée en vigueur. La société EEF avait une position dominante au sens de l'art. 4 al. 2 LCart. Au niveau fédéral, ni la la loi fédérale sur les installations électriques, ni la loi fédérale du 26 juin 1998 sur l'énergie (LEne ou loi fédérale sur l'énergie; RS 730.0) n'excluaient le marché en cause de la concurrence au sens de l'art. 3 al. 1 LCart et la loi sur le marché de l'électricité n'était pas encore entrée en vigueur. Au niveau cantonal, si la loi de 1998 sur les EEF prévoyait une obligation d'approvisionnement pour EEF, elle ne constituait cependant pas une base légale suffisante pour fonder un monopole pour la fourniture d'électricité. Un monopole de fait ne pouvait pas constituer une prescription réservée au sens de l'art. 3 al. 1 LCart. Il y avait comportement illicite au sens de l'art. 7 LCart lorsqu'une entreprise ayant une position dominante refusait, sans raisons objectives, de donner accès, contre une rémunération adéquate, à ses réseaux ou à d'autres infrastructures à une autre entreprise. Il n'existait pas non plus de motif justificatif à ce refus.
D.
La société EEF a recouru le 7 mai 2001 contre cette décision auprès de la Commission de recours pour les questions de concurrence (ci- après: la Commission de recours), en concluant principalement à ce que la décision de la Commission de la concurrence soit annulée et que la cause soit renvoyée à cette autorité afin qu'elle prenne une décision incidente sur sa compétence. Subsidiairement, EEF demandait que la décision attaquée soit annulée et qu'il soit constaté que la Commission de la concurrence n'était pas habilitée, en vertu de l'art. 3 LCart, à prendre une décision au sens de l'art. 30 LCart. Plus subsidiairement, EEF concluait à l'annulation de la décision et au renvoi de l'affaire à l'autorité inférieure afin que celle-ci lui octroie un nouveau délai pour s'exprimer sur le fond et qu'il soit constaté que la société EEF ne violait pas l'art. 7 LCart.
La Commission de recours a ordonné un échange d'écritures et a tenu une audience le 3 septembre 2002. EEF a présenté une demande de suspension motivée par l'imminence de la votation populaire fédérale du 22 septembre 2002 sur la loi sur le marché de l'électricité.
Par décision du 17 septembre 2002 (DPC 2002 p. 672 ss), la Commission de recours a rejeté la requête de suspension et le recours.
E.
Agissant le 18 octobre 2002 par la voie du recours de droit administratif, la société EEF demande, sous suite de frais et dépens, au Tribunal fédéral, principalement, d'annuler la décision du 17 septembre 2002 et, subsidiairement, d'annuler la décision attaquée et de renvoyer le dossier à la Commission de recours pour suite de la procédure.
La Commission de recours a renoncé à déposer une réponse. La Commission de la concurrence, Watt et Migros ont conclu au rejet du
recours. Dans sa réplique du 30 avril 2003, la société recourante a confirmé ses conclusions. Il a été renoncé à demander le dépôt d'une duplique.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Les décisions de la Commission de la concurrence prises sur la base du chapitre 4 de la loi sur les cartels sont de nature administrative. Les décisions prises sur recours par la Commission de recours pour les questions de concurrence peuvent faire l'objet d'un recours de droit administratif auprès du Tribunal fédéral (art. 97 al. 1 et 98 let. e OJ en relation avec l'art. 5 al. 1 PA; ATF 129 II 18 consid. 1.1; 127 III 219 consid. 1a). En tant qu'entreprise dont le comportement a été qualifié d'illicite par la décision attaquée, EEF a qualité pour recourir (art. 103 let. a OJ). Il convient donc d'entrer en matière sur le présent recours.
1.2 Le recours de droit administratif peut être formé pour violation du droit fédéral, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 104 OJ). La Commission de recours pour les questions de concurrence constitue une autorité judiciaire indépendante (art. 71c al. 1 PA; annexe 1 de l'ordonnance du 3 février 1993 concernant l'organisation et la procédure des commissions fédérales de recours et d'arbitrage [RS 173.31]; Paul Richli, Kartellverwaltungsverfahren, in Roland von Bühren/Lucas David [éd.], Schweizerisches Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, vol. V/2, Bâle 2000, p. 417 ss, 501 s.). Le Tribunal fédéral est donc lié par les faits constatés par la Commission de recours, sauf s'ils sont manifestement inexacts ou incomplets, ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de la procédure (art. 105 al. 2 OJ; ATF 129 II 18 consid. 1.2).
1.3 L'art. 7 LCart définit les pratiques illicites adoptées par les entreprises ayant une position dominante. Selon l'art. 8 LCart, les pratiques d'entreprises ayant une position dominante dont l'autorité compétente a constaté le caractère illicite peuvent être autorisées par le Conseil fédéral à la demande des entreprises concernées si, à titre exceptionnel, elles sont nécessaires à la sauvegarde d'intérêts publics prépondérants. Il s'agit là d'une exception de nature politique à l'idée de base de la loi fédérale sur les cartels: l'économie doit être en principe régie par la loi du marché. Une telle décision ne relève pas de la compétence des autorités de la concurrence mais de celle de l'autorité politique, soit le Conseil fédéral. Il n'incombe pas au Tribunal fédéral de tenir compte, dans le cadre de son examen de la légalité des décisions de la Commission de la concurrence, respectivement de la Commission de recours pour les questions de la concurrence, de tels motifs politiques justifiant le cas échéant une dérogation au principe de la concurrence (ATF 129 II 18 consid. 1.2).
1.4 Dans sa réplique, la recourante doute que les parties intimées aient encore un intérêt à la procédure, étant donné que ELSA et Micarna lui auraient demandé une offre pour un contrat de livraison d'électricité à partir du 1er février 2003. L'on ne saurait toutefois en déduire que la présente procédure est devenue sans objet, du moment que ELSA et Micarna n'ont pas d'autre choix que de continuer à s'approvisionner en électricité auprès de la recourante tant que la fourniture d'électricité par un tiers n'est de fait pas possible.
2.
2.1 La recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.) et de formalisme excessif. Elle expose que, par acte du 22 février 2001 adressé à la Commission de la concurrence, elle a demandé une décision incidente sur la compétence, ainsi qu'une suspension de la procédure sur le fond jusqu'à droit connu sur la décision sur la compétence. Elle ajoute qu'elle a sollicité différentes mesures d'instruction, et enfin, une autre occasion de s'exprimer sur la cause au fond. La Commission de la concurrence a cependant, par décision du 5 mars 2001, tranché le fond du litige sans lui avoir offert à nouveau la possibilité de se déterminer. Selon la recourante, c'est à tort que la Commission de recours a retenu qu'une éventuelle violation du droit d'être entendu pouvait de toute façon être réparée devant elle, étant donné que la Commission de recours n'aurait pas le même pouvoir d'examen que la Commission de la concurrence.
2.2 Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti à l'art. 29 al. 2 Cst. et aux art. 29 ss PA, comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuve pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 127 I 54 consid. 1b; 124 I 48 consid. 3a p. 51; 122 I 53 consid. 4a p. 55 et les références citées). Le droit d'être entendu porte avant tout sur les questions de fait. Les parties doivent éventuellement aussi être entendues sur les questions de droit lorsque l'autorité concernée entend se fonder sur des normes légales dont la prise en compte ne pouvait pas être raisonnablement prévue par les parties, lorsque la situation juridique a changé ou lorsqu'il existe un pouvoir d'appréciation particulièrement large (ATF 127 V 431 consid. 2b; 126 I 19 consid. 2c). En règle générale, le droit d'être entendu ne donne en revanche pas le droit de s'exprimer sur un projet de décision pris à l'issue d'une procédure d'instruction. L'art. 30 al. 2 LCart, prévoyant que les participants à l'enquête peuvent communiquer leur avis par écrit sur la proposition de décision, accorde ainsi des garanties supplémentaires par rapport au droit d'être entendu consacré par la Constitution ou la PA (Message du 23 novembre 1994 concernant la loi fédérale sur les cartels et autres restrictions de la concurrence, FF 1995 I 472 ss, p. 595; Stefan Bilger, Das Verwaltungsverfahren zur Untersuchung von Wettbewerbsbeschränkungen, Fribourg 2002, p. 275, 277).
2.3 En l'espèce, la Commission de la concurrence a envoyé un projet de décision à la recourante le 15 décembre 2000, conformément à l'art. 30 al. 2 LCart, et lui a donné l'occasion de se déterminer jusqu'au 22 janvier 2001. Le 22 janvier 2001, la recourante a sollicité une prolongation du délai jusqu'au 28 février 2001. Le 24 janvier 2001, la Commission de la concurrence a accordé une prolongation jusqu'au 22 février 2001, en indiquant qu'une deuxième prolongation ne pourrait être accordée que sur la base de motifs justifiés.
Par lettre du 22 février 2001, la recourante a notamment demandé de lui accorder un nouveau délai pour s'exprimer sur le fond. En même temps, la recourante s'est exprimée sur la portée de l'art. 3 LCart et du droit cantonal pertinent.
Celui qui, dans le cadre d'un délai fixé par l'autorité pour se déterminer sur le fond, sollicite des mesures de procédure, doit envisager que cette requête puisse être rejetée, tenir compte de cette éventualité et s'exprimer ainsi au moins sur le fond. Si une partie décide de ne se déterminer que sur une partie des points qui lui sont soumis dans un certain délai, cela ne lui permet pas de bénéficier d'un délai ultérieur pour s'exprimer sur le solde des questions posées, sans quoi il lui serait possible de retarder à loisir le déroulement de la procédure. Un droit à un nouveau délai pourrait tout au plus être admis si la partie pouvait, en vertu d'une pratique constante de l'autorité ou de circonstances concrètes particulières, considérer de bonne foi que l'autorité lui accorderait un nouveau délai pour s'exprimer sur le fond après un éventuel rejet des mesures de procédure requises.
2.4 En l'occurrence, la Commission de la concurrence a, par acte du 24 janvier 2001, clairement exprimé sa volonté de poursuivre rapidement la procédure en indiquant qu'une deuxième prolongation du délai n'était envisageable que sur la base de motifs justifiés. Dans ces conditions, la recourante ne pouvait pas partir de l'idée qu'une nouvelle prolongation de délai lui serait sans autre accordée pour compléter ses déterminations sur le fond. D'autant moins qu'elle avait déjà pu s'exprimer en détail sur le fond dans le cadre de l'enquête préliminaire et de l'enquête à trois reprises (les 10 avril 2000, 31 mai 2000 et 30 octobre 2000) et que les requêtes de procédure contenues dans l'acte du 22 février 2001 étaient manifestement infondées ou, du moins en partie, confinaient à la témérité. En particulier, on ne voit pas pourquoi la Commission de la concurrence aurait dû rendre une décision incidente susceptible de recours, alors que la recourante n'avait jamais contesté cette compétence en cours de procédure et qu'elle avait accepté sans réserve de participer à la procédure d'instruction. Certes, une autorité qui se tient pour compétente doit le constater dans une décision si une partie le conteste (art. 9 al. 1 PA). Pour des raisons d'économie de procédure, la compétence contestée est souvent constatée dans le cadre d'une décision incidente susceptible d'être attaquée séparément (art. 45 al. 2 let. a PA). Cela ne signifie toutefois pas que cette constatation doit obligatoirement faire l'objet d'une décision incidente. Il serait en tout cas contraire au principe d'économie de procédure de rendre une décision incidente séparée lorsque la compétence n'est contestée qu'à la fin de la procédure d'instruction et qu'un projet de décision finale a déjà été préparé. En l'espèce de surcroît, la recourante conteste la compétence de la Commission de la concurrence pour le seul motif que son comportement serait licite sur la base de l'art. 3 al. 1 LCart. Or, cette disposition légale n'a clairement pas trait à la compétence de la Commission de la concurrence, mais au champ d'application matériel des art. 7 et 30 LCart (cf. arrêt 2A.492/2002 du 17 juin 2003, consid. 4.3). Une décision incidente ne se justifiait donc pas.
A cela s'ajoute que la recourante s'est exprimée, en détail, dans son écriture du 22 février 2001, bien que concernant des mesures de procédure, sur la portée de l'art. 3 al. 1 LCart, respectivement du droit cantonal topique. La recourante n'indique de toute façon pas devant le Tribunal fédéral ce qu'elle aurait encore voulu dire sur le fond de l'affaire.
2.5 La Commission de la concurrence n'a ainsi pas violé le droit d'être entendu de la recourante. Point n'est donc nécessaire d'examiner si la prétendue violation du droit d'être entendu aurait pu être réparée devant la Commission de recours.
3.
Il convient tout d'abord d'examiner si le droit des cartels est, sur le principe, applicable aux entreprises d'approvisionnement en électricité et en particulier au transport et à la distribution de l'électricité sur un réseau tiers.
3.1 En Suisse, la production de courant électrique provenait - et provient encore aujourd'hui dans une large mesure - de la force hydraulique, dont le droit d'utilisation appartient aux collectivités publiques (cantons et communes). Ce droit d'utilisation ne peut être conféré à des privés que par le biais d'une concession (art. 76 al. 4 Cst.; art. 3 et 38 ss de la loi fédérale du 22 décembre 1916 sur l'utilisation des forces hydrauliques [LFH; RS 721.80]). Par ailleurs, la construction d'installations de transport et de distribution d'énergie implique de fait un large usage particulier du domaine public, qui ne peut également être accordé à un privé que par l'octroi d'une concession. C'est pourquoi le secteur suisse de l'électricité s'est développé en rapport étroit avec les pouvoirs publics. Nombre de centrales électriques sont des exploitations ou des établissements communaux ou cantonaux. D'autres sont des entreprises organisées selon le droit privé, mais sont aussi en partie la propriété des pouvoirs publics. Nombre d'entreprises exploitent aussi bien des usines de production que des installations de transport et de distribution d'énergie, alors que d'autres entreprises n'exploitent que ces dernières activités, mais sont alors en général sous une forme ou une autre liées à des producteurs d'énergie (à propos de la structure du marché de l'électricité, voir Message du 7 juin 1999 concernant la loi sur le marché de l'électricité, FF 1999 p. 6646 ss, 6655 ss; Judith Bischof, Rechtsfragen der Stromdurchleitung, Zurich 2002, p. 11 ss; Etienne Poltier, Les entreprises d'économie mixte, Zurich 1983, p. 55 ss; Dominik Strub, Wohlerworbene Rechte, insbesondere im Bereich des Elektrizitätsrechts, Fribourg 2001, p. 155 ss). Le rapport étroit existant entre les pouvoirs publics et le marché de l'électricité a conduit, en matière d'approvisionnement, à une situation qui exclut en grande partie une concurrence au niveau de la fourniture d'électricité aux consommateurs finaux: les cantons et les communes ont en règle générale octroyé les concessions pour l'utilisation de leur domaine public aux fins d'y construire des lignes électriques à une entreprise unique. Ainsi, seule cette dernière - ou l'entreprise propre du canton ou de la commune - peut construire et exploiter un réseau électrique. Les entreprises électriques tierces sont exclues de l'approvisionnement en raison de l'existence de ce monopole de fait et aussi de contrats de zone de distribution régionale exclusive conclus entre les différentes entreprises d'approvisionnement électrique (Bischof, op. cit., p. 12, 40 s.; Erwin Ruck, Schweizerisches Elektrizitätsrecht, Zurich 1964, p. 57 s.; Fritz Kilchenmann, Rechtsprobleme der Energieversorgung, JAB Sonderheft n. 1, 1991, p. 18 ss; Peter Rüegger, Rechtsprobleme der Verteilung elektrischer Energie durch öffentlichrechtliche Anstalten, Zurich 1991, p. 82 s., 147; Strub, op. cit., p. 165 s.). La jurisprudence, les législations cantonales et la doctrine considèrent généralement l'approvisionnement en électricité comme une tâche d'intérêt publique (cf. ATF 105 II 234 consid. 2; arrêt du Tribunal administratif du canton de Berne, in ZBl 72/1971 p. 88 ss; Bischof, op. cit., p. 12; Imboden/ Rhinow, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, 5e éd., Bâle 1976, n. 120, B/I, p. 839; Kilchenmann, op. cit., p. 31 s.; Rüegger, op. cit., p. 109 s., 148; Karin Sutter-Somm, Das Monopol im schweizerischen Verwaltungs- und Verfassungsrecht, Bâle 1989, p. 151 ss; Hans Martin Weltert, Die Organisations- und Handlungsformen in der schweizerischen Elektrizitätsversorgung, Zurich 1990, p. 263 ss), tâche qui pourrait aussi à certaines conditions faire l'objet d'un monopole de droit (cf. ATF 127 I 49 consid. 3b, où le Tribunal fédéral n'avait pas besoin de se prononcer sur l'admissibilité du monopole de droit). Même s'il n'existe aucun monopole de droit, la collectivité publique, qui assure l'approvisionnement en électricité sous la forme d'un service public, n'est pas tenue, d'après la jurisprudence, d'autoriser une entreprise électrique concurrente à utiliser son domaine public pour distribuer du courant; le monopole de fait permet donc, en vertu de la maîtrise du domaine public, d'exclure la concurrence (ATF 95 I 144 consid. 3 p. 148; 88 I 57 consid. 3 p. 64; 82 I 223 consid. 2 p. 228; 58 I 292 p. 298 ss; arrêt du Tribunal fédéral P.1432/1979 du 2 avril 1982, publié in ZBl 84/1983 p. 360, consid. 1a; voir aussi ATF 128 I 3 consid. 3b; 125 I 209 consid. 10b p. 222; Kilchenmann, op. cit., p. 19 s.; Sutter-Somm, op. cit., p. 154 s.; Weltert, op. cit., p. 178). Sous l'empire de l'ancienne loi du 20 décembre 1962 sur les cartels et organisations analogues (LCart 62; RO 1964 p. 53), le Tribunal fédéral avait refusé d'appliquer les dispositions (civiles) du droit des cartels aux entreprises électriques, étant donné que celles-ci exécutaient une tâche d'intérêt public et ce, quand bien même elles revêtaient la forme d'une société anonyme de droit privé (ATF 110 II 220 consid. 2). Le Tribunal fédéral reconnaît certes depuis un certain temps que la liberté du commerce et de l'industrie accorde un droit conditionnel à un usage accru du domaine public (ATF 126 I 133 consid. 4d, 250 consid. 2d/aa; 121 I 279 consid. 2a; 119 Ia 390 consid. 9 p. 404; 108 Ia 135 consid. 3; 101 Ia 473 consid. 5b). Une partie de la doctrine a voulu y voir la possibilité de mettre en cause l'idée selon laquelle l'Etat peut se fonder sur sa maîtrise du domaine public pour s'arroger un monopole de fait notamment en matière d'approvisionnement en énergie électrique (cf. Ricardo Jagmetti, Commentaire aCst, 1995, n. 32 ad art. 24quateraCst.; Charlesé-André Junod, Problèmes actuels de la constitution économique suisse, RDS 89/1970 II p. 591 s., 736 s.; Beat Krähenmann, Privatwirtschaftliche Tätigkeit des Gemeinwesens, Bâle 1987, p. 170 s.; Claude Ruey, Monopoles cantonaux et liberté économique, Lausanne 1988, p. 356; Sutter-Somm, op. cit., p. 156 s.). Dans la jurisprudence, cette conception ne s'est jusqu'à présent pas imposée (Weltert, op. cit., p. 181).
3.2
3.2.1 L'approvisionnement en électricité, en tant que tâche publique, ainsi que sa structure monopolistique, sont de plus en plus remis en cause sur les plans politique et économique. D'ailleurs, la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité (JOCE n° L 27, du 30 janvier 1997, p. 20 s.) oblige les Etats membres à prendre les mesures nécessaires pour garantir aux clients et aux producteurs d'électricité un accès non discriminatoire aux réseaux de distribution (cf. à ce propos, Bischof, op. cit., p. 7 s., 42 ss; Nicla Haefliger, Die Liberalisierung der Elektrizitätswirtschaft in der Europäischen Gemeinschaft, Berne 1997). Afin de procéder également en Suisse à une ouverture du marché de l'électricité comparable, l'Assemblée fédérale a adopté, le 15 décembre 2000, la loi sur le marché de l'électricité, soumise à référendum (LME; voir FF 2000 p. 5761). Cette loi avait comme but de créer les conditions d'un marché de l'électricité axé sur la concurrence (art. 1 al. 1 LME) et ainsi d'accroître le rendement de l'approvisionnement en courant par la concurrence (Message du 7 juin 1999 concernant la loi sur le marché de l'électricité, FF 1999 p. 6646 s., 6649 s.). A cette fin, il était prévu d'obliger l'exploitant d'un réseau à acheminer sur celui-ci, et de manière non discriminatoire, l'électricité des autres producteurs d'électricité également (art. 5 LME). L'ouverture du marché devait se faire par étapes (art. 27 LME). Une Commission fédérale d'arbitrage devait être instituée pour statuer sur les litiges concernant l'obligation d'acheminer l'électricité et la rétribution de l'acheminement (art. 15 et 16 LME). Cette réglementation spéciale et détaillée aurait eu pour effet, en tant que lex specialis, d'exclure l'application de la loi sur les cartels, ainsi que la compétence de la Commission de la concurrence dans le domaine de l'acheminement de l'électricité (FF 1999 p. 6687; Bischof, op. cit., p. 102 s., 105 s., 141; Evelyne Clerc, in Tercier/Bovet [éd.], Droit de la concurrence, Bâle 2002, n. 39 ad art. 7 LCart; Yannick Felley/Gilles Robert-Nicoud, Ouverture du marché de l'électricité, RDAF 2002 I p. 65 ss, 85 s.; Jacques Fournier, Vers un nouveau droit des concessions hydroélectriques, Fribourg 2002, p. 138 ss; Stefan Rechsteiner, Rechtsfragen des liberalisierten Strommarktes in der Schweiz, Zurich 2001, p. 140 s., 147; le même, Stromdurchleitung: Zum Verhältnis von Kartellrecht und EMG - eine Entgegnung, PJA 2000 p. 764 ss; contra Andras Palasthy, Die Verweigerung der Durchleitung von Strom nach dem Kartellgesetz [KG], PJA 2000 p. 298 ss, 306).
3.2.2 La loi sur le marché de l'électricité a cependant été rejetée en votation populaire du 22 septembre 2002 et n'est donc pas entrée en vigueur. Il se pose donc la question de savoir si, dans ces circonstances, la loi sur les cartels est applicable au domaine de l'acheminement de l'électricité ou si l'ouverture forcée du marché de l'électricité décidée par la Commission de la concurrence ne serait pas contraire à la volonté populaire exprimée le 22 septembre 2002. Selon l'art. 164 al. 1 Cst., toutes les dispositions importantes qui fixent des règles de droit doivent être édictées sous la forme d'une loi fédérale. On peut se demander si l'ouverture du marché de l'électricité ne s'éloigne pas trop du système légal existant et si elle ne constitue pas une décision si importante qu'elle ne pourrait être démocratiquement prise que par le législateur fédéral, et non par la Commission de la concurrence en application de la loi sur les cartels. Il a été ainsi tenu pour incertain, à la lumière du principe de la légalité, que l'obligation d'acheminement de l'électricité puisse être imposée sur la base de la loi sur les cartels nonobstant le rejet de la loi sur le marché de l'électricité (Christian Bovet, Aspects des économies de réseaux, in Auer/Delley/Hottelier/ Malinverni [éd.], Aux confins du droit; Essais en l'honneur du Professeur Morand, Bâle 2001, p. 491 ss, 507).
3.2.3 Dans sa prise de position au sujet des discussions sur l'ouverture du marché de l'électricité (CCSPr 1996 p. 147 ss), l'ancienne Commission des cartels avait déjà expressément omis de se prononcer sur la question de savoir si, dans le secteur de l'électricité, il existait un régime de marché de caractère étatique selon l'art. 44 al. 2 let. b de l'ancienne loi fédérale du 20 décembre 1985 sur les cartels et organisations analogues (LCart 85; RO 1986 p. 874). Elle avait néanmoins proposé à la Commission de la concurrence d'examiner si, et dans quelle mesure, la réserve concernant le régime de marché et de prix de caractère étatique (art. 3 LCart) pouvait trouver application et s'il existait des restrictions illicites à la concurrence sur le marché de l'électricité selon les art. 5 ss LCart (ibidem, p. 174 s.). Elle était donc partie de l'idée que - sous réserve des prescriptions particulières selon l'art. 3 al. 1 LCart - la loi sur les cartels était aussi applicable au marché de l'électricité.
3.2.4 Certains auteurs estiment qu'une libéralisation du marché de l'électricité imposée par les autorités de la concurrence serait peu judicieuse et praticable, étant donné que celles-ci ne pourraient intervenir que de manière ponctuelle et n'auraient pas la possibilité de fixer les conditions-cadre nécessaires (Bischof, op. cit., p. 166 ss; Roland von Büren, Das schweizerische Kartellrecht zwischen gestern und morgen, RJB 137/2001 p. 543 ss, 556 s.; Barbara Hübscher/Pierre Rieder, Die Bedeutung der "Essential facilities"-Doktrin für das schweizerische Wettbewerbsrecht, sic! 5/1997 p. 439 ss, 445; Felley/Robert-Nicoud, op. cit., p. 107; Fournier, op. cit., p. 52; Allen Fuchs, Öffnung des Strommarktes - Einige juristische Überlegungen, SZW Sondernummer 1999, p. 52 ss, 55 s.; Egbert F. J. Wilms, Schweizer Strommarkt im Umbruch, Kritische Betrachtungen, Coire/Zurich 2001, p. 38). Toutefois, selon la doctrine majoritaire publiée depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les cartels, le droit de la concurrence s'applique sans restriction aussi au domaine de l'électricité et à l'acheminement du courant électrique (Bischof, op. cit., p. 166 s.; Roberto Dallafior, in Homburger/Schmidhauser/Hoffet/ Ducrey, Kommentar zum schweizerischen Kartellgesetz vom 6. Oktober 1995, 2e livraison, Zurich 1997, n. 159 ad art. 7 LCart; Fournier, op. cit., p. 137 s.; Jagmetti, op. cit., n. 32 ad art. 24quater aCst.; Fritz Gygi/Paul Richli, Wirtschaftsverfassungsrecht, Berne 1997, p. 149; Brigitta Kratz, Zu den Rechtsbeziehungen der Elektrizitätsunternehmen mit den Endkunden - eine Momentaufnahme nach dem Nein zur EMG-Vorlage, PJA 2003 p. 342 ss, 353, 356; Palasthy, op. cit., p. 304; Rechsteiner, 2000, op. cit., p. 765; le même, 2001, op. cit., p. 147 s.; Markus Ruffner, Unzulässige Verhaltensweisen marktmächtiger Unternehmen, PJA 1996 p. 834 ss, 842; Katharina Schindler, Wettbewerb in Netzen als Problem der kartellrechtlichen Missbrauchsaufsicht, Berne 1998, p. 173 ss; Stefan Vogel, Der Staat als Marktteilnehmer, Zurich 2000, p. 194; Roger Zäch, Privatisierung und Wettbewerb in Wirtschaftsbereichen mit Netzstrukturen, Mélanges en l'honneur de Hangartner, Saint-Gall/Lachen 1998, p. 935 ss, 951; contra Fuchs, op. cit., p. 55 s.).
3.2.5 Compte tenu de l'historique de son développement structurel (voir plus haut consid. 3.1), l'approvisionnement en énergie a été longtemps considéré comme un domaine soustrait à la politique de la concurrence (Rolf H. Weber, Energie und Kommunikation, in Thürer/ Aubert/Müller [éd.], Verfassungsrecht der Schweiz, Zurich 2001, p. 943, 948). La loi actuelle sur les cartels de 1995 tend cependant, de manière plus marquée que les lois antérieures, à ce que les activités économiques étatiques soient aussi soumises aux règles de la concurrence (FF 1995 I 534 s.; ATF 127 II 32 consid. 3c; Jürg Borer, Kommentar zum schweizerischen Kartellgesetz, Zurich 1998, n. 5 ad art. 2 LCart et n. 2 ad art. 3 LCart; Bruno Schmidhauser, in Homburger/Schmidhauser/Hoffet/Ducret [éd.], op. cit., 1re livraison, Zurich 1996, n. 5 et 6 ad art. 3 LCart). Ainsi, elle s'applique tant aux entreprises de droit privé qu'aux entreprises de droit public (art. 2 al. 1 LCart) et donc en principe aussi aux entreprises publiques, en tout cas lorsque celles-ci ont une personnalité juridique propre (ATF 127 II 32 consid. 3c p. 41). La loi sur les cartels n'exclut pas le secteur de l'électricité de son champ d'application. Les entreprises d'approvisionnement en électricité, en particulier les opérateurs des réseaux, sont donc aussi soumises à la loi sur les cartels (cf. ATF 128 II 247; Dallafior, op. cit., n. 159 ad art. 7 LCart; Strub, op. cit., p. 154 s.).
Selon les principes généraux sur la validité des normes de droit, l'application de la loi sur les cartels au secteur de l'électricité ne saurait être exclue du seul fait qu'une loi spéciale - qui aurait voulu créer dans ce domaine un régime s'écartant de la loi sur les cartels - n'a finalement pas été adoptée. Au contraire, cette situation doit précisément conduire à appliquer la loi sur les cartels ainsi qu'il en va en l'absence d'une réglementation spéciale dérogatoire. Elle s'applique donc indépendamment de la LME. Selon ces principes, le marché de l'électricité demeure soumis à la loi sur les cartels, dès lors que la LME n'est pas entrée en vigueur.
3.2.6 Cette conclusion est en outre conforme à une interprétation historique. Dans son Message concernant la loi sur le marché de l'électricité, le Conseil fédéral a exposé que la question de savoir si et dans quelle mesure le refus opposé par un exploitant de réseau à l'acheminement devait être considéré comme un abus de position dominante au sens de l'art. 7 LCart, pouvant être sanctionné par la Commission de la concurrence, n'était pas encore résolue. L'évolution n'était pas connue et les conséquences d'une application éventuelle n'étaient pas prévisibles. L'ouverture du marché de l'électricité devait obéir à des règles claires. Les problèmes qu'elle poserait ne pouvaient être résolus par des décisions isolées de la Commission de la concurrence sur l'accès des tiers aux réseaux. Ce serait laisser sans réponse de nombreuses questions touchant par exemple à l'acheminement, qui devaient être réglées de manière adéquate dans la loi sur le marché de l'électricité (FF 1999 p. 1688). Le représentant du Conseil fédéral a également attiré l'attention du Parlement sur le fait que, sans la loi sur le marché de l'électricité, il existait le danger que le marché de l'électricité soit libéralisé par la loi sur les cartels, respectivement par des décisions ponctuelles de la Commission de la concurrence (BO 2000 CE p. 670). Le Conseil fédéral est ainsi parti de l'idée que la loi sur les cartels pourrait conduire à l'ouverture du marché de l'électricité et qu'une législation spéciale était nécessaire pour éviter une déréglementation incontrôlée et politiquement indésirable.
Il résulte aussi des recommandations du Conseil fédéral pour la votation populaire du 22 septembre 2002 qu'un "rejet de la loi ne permettrait pas de stopper l'ouverture du marché, mais aurait pour effet de livrer l'approvisionnement en électricité, vital pour la population et l'économie, aux aléas du marché libre". L'électricité est "un bien trop précieux pour la population et l'économie pour qu'on le livre à la loi du marché. Si l'Etat ne met pas en place des gardes-fou, la population risque de faire les frais d'une libéralisation sauvage et unilatérale" (p. 13 et 16).
Les citoyens devaient donc savoir qu'un rejet de la loi sur le marché de l'électricité n'empêcherait pas une libéralisation de l'approvisionnement de l'électricité, mais qu'il pourrait au contraire conduire à une libéralisation incontrôlée. Le rejet de cette loi par le peuple est donc intervenu en toute connaissance de cause. En l'absence d'une réglementation spéciale, ce sont alors les règles ordinaires sur la concurrence qui s'appliquent. Le rejet de la loi sur le marché de l'électricité ne peut pas avoir pour conséquence que l'accès de tiers au réseau de transport et de distribution électrique d'un concurrent ne puisse pas être imposé sur la base du droit des cartels. Que cela puisse poser des problèmes d'ordre pratique n'est pas un motif juridique valable pour exclure l'application de la loi sur les cartels. Pour le cas où ces problèmes auraient pour conséquence de menacer les intérêts publics prépondérants, entrerait alors en ligne de compte l'autorisation exceptionnelle (prévue par l'art. 8 LCart) qui ne pourrait pas être octroyée par les autorités de la concurrence ni, le cas échéant, contrôlée par le Tribunal fédéral, mais uniquement par le Conseil fédéral (voir plus haut consid. 1.3).
3.3
3.3.1 La loi sur les cartels est donc en principe applicable à l'acheminement du courant. Demeurent cependant réservées, selon l'art. 3 al. 1 LCart, les prescriptions qui, sur un marché, excluent de la concurrence certains biens ou services. En adoptant cette disposition, le législateur fédéral a reconnu que des prescriptions légales peuvent, pour des motifs politiques, exclure la concurrence dans un secteur donné (FF 1995 I 537 s.; Borer, op. cit., n. 1 ad art. 3 LCart; Rhinow/Schmid/ Biaggini, Öffentliches Wirtschaftsrecht, Bâle 1998, p. 449).
La loi mentionne en particulier deux sortes de réserves, à savoir les prescriptions qui établissent un régime de marché ou de prix de caractère étatique (art. 3 al. 1 let. a LCart) et celles qui chargent certaines entreprises de l'exécution de tâches publiques en leur accordant des droits spéciaux (let. b).
Les prescriptions qui établissent un régime de marché ou de prix de caractère étatique au sens de la lettre a) sont celles qui excluent presque totalement la concurrence dans un secteur donné; tel est le cas notamment des règles en matière agricole (FF 1995 I 539; Benoît Carron, in Tercier/Bovet, op. cit., n. 29 ss ad art. 3 LCart; Schmidhauser, op. cit., n. 8 ad art. 3 LCart; Roger Zäch, Schweizerisches Kartellrecht, Berne 1999, p. 127 s.), mais aussi dans le secteur de l'énergie (Rolf H. Weber, Einleitung, Geltungsbereich und Verhältnis zu anderen Rechtsvorschriften, in von Büren/David, op. cit., p. 1 ss, 47; Rolf H. Weber, Auf dem Weg zur Neustrukturierung der Elektrizitätsmärkte, Mélanges en l'honneur de Hangartner, Saint-Gall/Lachen 1998, p. 911 ss, 916 s.).
La lettre b) mentionne d'autres prescriptions qui prévoient une exception aux règles de la concurrence. Il doit s'agir de prescriptions légales qui confèrent à l'entreprise une position concurrentielle particulière (Rudolf Rentsch, Deregulierung durch Wettbewerbsrecht, Bâle 2000, p. 169; Schmidhauser, op. cit., n. 6 ad art. 3 LCart; Felix Uhlmann, Gewinnorientiertes Staatshandeln, Bâle 1997, p. 206; Zäch, 1999, op. cit., p. 128). Par droits spéciaux, on entend notamment des monopoles d'Etat et régales (Schmidhauser, op. cit., n. 6 ad art. 3 LCart; Zäch, 1999, op. cit., p. 128). La concurrence peut aussi être entravée de manière ponctuelle; cela n'implique pas que le domaine concerné soit totalement soustrait à l'application de la loi sur les cartels. Ainsi, dans la mesure où les entreprises concernées agissent en dehors du domaine exclu de la concurrence, elles doivent se comporter conformément aux principes de la concurrence (cf. FF 1995 I 540; Borer, op. cit., n. 5 ad art. 3 LCart; Rentsch, op. cit., p. 213; Uhlmann, op. cit., p. 206). Il faut donc distinguer entre le domaine d'activité étatique à caractère d'entreprise, soumis au droit de la concurrence, et le domaine relevant de la puissance publique, soustrait au droit de la concurrence (cf. ATF 127 II 32 consid. 3f; René Rhinow, Commentaire aCst., 1991, n. 206 ad art. 31bis aCst.; Rhinow/Schmid/Biaggini, op. cit., p. 389).
3.3.2 Selon les travaux préparatoires et une partie de la doctrine, l'art. 3 al. 1 LCart n'entre en ligne de compte que lorsque l'intention du législateur était d'exclure effectivement un secteur donné de la concurrence (FF 1995 I 539 s.; Bischof, op. cit., p. 160; Palasthy, op. cit., p. 304; Schmidhauser, op. cit., n. 13 ad art. 3 LCart). Selon les règles générales d'interprétation, qui sont aussi valables dans le droit de la concurrence, il ne faut pas comprendre par là que la volonté expresse du législateur historique d'exclure un domaine de la concurrence doit être absolument établie. On ne saurait l'exiger, ne serait-ce que parce qu'il existe des prescriptions qui ont été adoptées à une époque où le droit des cartels ne s'appliquait pas aux activités étatiques, si bien que le législateur ne pouvait soustraire délibérément un domaine à la concurrence. Il est donc suffisant - mais nécessaire - que le secteur concerné ne soit pas soumis au droit de la concurrence selon une interprétation ordinaire de la réglementation spéciale en cause (Carron, op. cit., n. 32 ad art. 3 LCart). Cela peut aussi résulter implicitement du fait que la loi contient des règles qui ne sont pas compatibles avec la concurrence (Borer, op. cit., n. 4 ad art. 3 LCart; Rentsch, op. cit., p. 179).
3.3.3 La volonté du législateur était, en révisant la loi sur les cartels en 1995, de renforcer les critères d'appréciation notamment en ce qui concerne les entreprises publiques par rapport à l'ancien droit et de ne laisser place que de manière plus restrictive à la réserve de l'art. 3 al. 1 LCart (FF 1995 I 537; Borer, op. cit., n. 2 et 5 ad art. 3 LCart; Schmidhauser, op. cit., n. 3-7 ad art. 3 LCart). Il est par ailleurs conforme aux fondements constitutionnels de l'économie (art. 94 al. 4 et 96 al. 1 Cst.) d'admettre de manière plutôt restrictive une exclusion de la concurrence; celle-ci n'est admissible que sur la base d'une législation claire ordonnant ou autorisant un comportement anticoncurrentiel (Marc Amstutz, Neues Kartellgesetz und staatliche Wettbewerbsbeschränkungen, PJA 1996 p. 883 ss, 887; Carron, op. cit., n. 35 ad art. 3 LCart; Rentsch, op. cit., p. 176 s., 209; Vogel, op. cit., p. 188). Le simple fait d'attribuer une tâche à l'Etat ou à une entreprise étatique ne signifie encore pas que le domaine en cause soit exclu de la concurrence (FF 1995 I 540; Schmidhauser, op. cit., n. 6 ad art. 3 LCart). Il est important de déterminer si les prescriptions spéciales accordent un espace de liberté aux entreprises concernées ou si elles veulent leur prescrire d'agir par voie de décision et de manière non concurrentielle (ATF 127 II 32 consid. 3c-e; Carron, op. cit., n. 35 ad art. 3 LCart; Clerc, op. cit., n. 99 ad art. 7 LCart).
3.3.4 Une prescription excluant un domaine de la concurrence au sens de l'art. 3 al. 1 LCart peut émaner non seulement d'une autorité fédérale, mais encore d'une autorité cantonale (voire communale - FF 1995 I 539; Bischof, op. cit., p. 160, 162; Carron, op. cit., n. 22 ad art. 3 LCart; Schmidhauser, op. cit., n. 10 ad art. 3 LCart), encore faut-il, dans ce dernier cas, que la réglementation en cause entre dans la sphère de compétence du canton et ne soit pas contraire au droit supérieur; elle doit en particulier être conforme à la liberté économique (art. 27 Cst. en relation avec l'art. 36 Cst. ainsi qu'art. 94 al. 4 Cst.), ce qui ne va pas de soi s'agissant d'un monopole de droit pour l'acheminement de l'électricité.
Il convient donc d'examiner s'il existe sur le plan fédéral (consid. 4) ou sur le plan cantonal (consid. 5) des prescriptions qui excluent le secteur de l'électricité de la concurrence au sens de l'art. 3 al. 1 LCart.
4.
4.1
4.1.1 Selon les art. 43 al. 2 et 44 let. b LIE (RS 734.0) - dans leur nouvelle teneur selon le ch. I 8 de la loi fédérale du 18 juin 1999 sur la coordination et la simplification des procédures de décision, en vigueur depuis le 1er janvier 2000 (ci-après: loi sur la coordination; RO 1999 p. 3071, 3092, 3124) -, le département compétent peut accorder au preneur d'énergie un droit d'expropriation pour le transport d'énergie électrique sur les réseaux d'approvisionnement et de distribution existants.
4.1.2 On ne peut pas déduire de cette réglementation une réserve au sens de l'art. 3 al. 1 LCart. Le droit d'expropriation pour le transport d'énergie électrique a été introduit dans la loi en relation avec la loi fédérale du 20 juin 1930 sur l'expropriation (LEx; RS 711) et a pour but de permettre le transport d'énergie électrique par le biais de réseaux tiers, sans qu'il faille construire à cette fin des réseaux électriques parallèles indésirables pour des motifs d'ordre économique et tirés de la protection de la nature (Heinz Hess/Heinrich Weibel, Das Enteignungsrecht des Bundes, Commentaire, vol. II, Berne 1986, p. 218). Cette disposition n'autorise cependant pas un accès illimité des tiers au réseau (Kilchenmann, op. cit., p. 18). Elle n'a manifestement pas pour but d'exclure la concurrence, mais au contraire de rendre celle-ci possible; elle poursuit donc le même but que celui visé par la décision attaquée. Certes, il n'a pratiquement jamais été fait usage d'un tel droit d'expropriation par le passé (FF 1999 p. 6706 s.). Mais cela ne permet en tout cas pas d'exclure l'application de la loi sur les cartels. Il n'est d'ailleurs pas interdit au législateur de mettre à disposition de nouveaux instruments dans le cadre d'une nouvelle loi afin d'atteindre des buts qu'il s'était déjà fixés par d'autres lois plus anciennes mais qu'il n'a pas pu atteindre par les moyens qui y avaient été initialement prévus. Comme on l'a vu plus haut, l'art. 3 al. 1 LCart ne réserve que les prescriptions qui excluent la concurrence. Les art. 43 et 44 LIE n'appartiennent pas à ce genre de prescriptions (voir également Bischof, op. cit., p. 161 s.; Rentsch, op. cit., p. 201 s.).
4.1.3 Selon l'art. 46 al. 3 LIE (dans sa version originelle, RO 19 p. 252), lorsque la cojouissance du droit d'utiliser le domaine public communal pour la distribution de l'énergie était demandée, la commune pouvait, aux fins de protéger ses intérêts légitimes, la refuser ou la subordonner à des conditions restrictives. Cette disposition n'instituait pas en faveur des communes un monopole de droit fédéral, mais leur donnait simplement le droit de s'opposer à l'utilisation du domaine public par voie d'expropriation (Salis/Burckhardt, Schweizerisches Bundesrecht, vol. 2, Frauenfeld 1930, n. 422 p. 83; Krähenmann, op. cit., p. 75). L'art. 46 al. 3 LIE représentait une exception au droit d'expropriation prévu par l'art. 43 al. 2 LIE et permettait aux communes, mais pas aux cantons, de protéger leurs réseaux d'approvisionnement électrique contre leur utilisation par des tiers (Hess/Weibel, op. cit., p. 221 ss; Ruck, op. cit., p. 59 s., 96). Ainsi, les monopoles de fait communaux pour la distribution de l'électricité pouvaient être protégés de la concurrence (Georg Müller/Peter Hösli, Einführung in das Energierecht der Schweiz, Baden 1994, p. 33; Rüegger, op. cit., p. 146; Weltert, op. cit., p. 177 s., 182). L'art. 46 al. 3 LIE a cependant été abrogé par la loi sur la coordination, partant aussi l'exception qu'il contenait.
4.2
4.2.1 D'après l'art. 10 LFH, les propriétaires des forces hydrauliques qui vendent de l'énergie électrique sont tenus de soumettre au département compétent, à sa demande, les conventions par lesquelles ils s'interdisent la vente d'énergie dans une zone
déterminée. Le Département peut en ordonner la modification si elles sont contraires à l'intérêt public. Cette disposition s'applique par analogie aux intermédiaires.
4.2.2 Cette disposition légale suppose donc la présence de contrats limitant les zones de distribution, partant en reconnaît l'existence (Krähenmann, op. cit., p. 74; Ruck, op. cit., p. 57). Elle ne garantit cependant pas de manière absolue l'existence de tels contrats, mais veut au contraire pouvoir les modifier pour le cas où l'exclusion du marché irait à l'encontre de l'intérêt public. Cette disposition n'a de plus en pratique pas d'importance (Kilchenmann, op. cit., p. 20). L'art. 10 LFH ne peut donc pas être considéré comme une réserve au sens de l'art. 3 al. 1 LCart.
4.3
4.3.1 En vertu de l'art. 4 al. 2 de la loi sur l'énergie du 26 juin 1998 (LEne; RS 730.0), l'approvisionnement énergétique relève des entreprises de la branche énergétique. La Confédération et les cantons instaurent les conditions générales permettant à ces entreprises d'assumer leur tâche de manière optimale dans l'optique de l'intérêt général. Selon l'art. 5 LEne, un approvisionnement sûr implique une offre d'énergie suffisante et diversifiée ainsi qu'un système de distribution techniquement sûr et efficace (al. 1); un approvisionnement économique repose sur les forces du marché, la vérité des coûts et la compétitivité avec l'étranger, ainsi que sur une politique énergétique coordonnée sur le plan international (al. 2); un approvisionnement compatible avec les impératifs de l'environnement implique une utilisation mesurée des ressources naturelles, le recours aux énergies renouvelables et la prévention des effets gênants ou nuisibles pour l'homme et l'environnement (al. 3). L'art. 7 al. 1 LEne précise que les entreprises chargées de l'approvisionnement énergétique de la collectivité sont tenues de reprendre les surplus d'énergie produite de manière régulière par les producteurs indépendants sous une forme adaptée au réseau (cf. aussi art. 20 de la loi fribourgeoise du 9 juin 2000 sur l'énergie qui concrétise l'art. 7 LEne).
4.3.2 La loi fédérale sur l'énergie suppose donc qu'il y ait des entreprises publiques chargées de l'approvisionnement énergétique. Elle ne prescrit cependant pas un approvisionnement énergétique étatique qui exclurait toute concurrence, mais au contraire, contient - vu notamment le devoir de reprendre les surplus d'énergie prévu à l'art. 7 LEne - des prescriptions qui visent à introduire plus de rapports et de coordination entre les divers acteurs du marché de l'énergie et donc à limiter les monopoles (Jagmetti, op. cit., n. 33 ad art. 24quater aCst.). La loi fédérale sur l'énergie ne contient donc pas non plus de réserve au sens de l'art. 3 al. 1 LCart (Bischof, op. cit., p. 161; Rentsch, op. cit., p. 202).
4.4 D'après l'art. 19 al. 1 et 2 LAT (RS 700), la collectivité doit équiper les zones à bâtir de conduites pour l'alimentation en énergie. Par énergie, on entend surtout l'électricité (Rüegger, op. cit., p. 94 s.; André Jomini, Commentaire LAT, Zurich 1999, n. 31 ad art. 19 LAT; voir aussi Jagmetti, op. cit., n. 31 ad art. 24quater aCst.; Weltert, op. cit., p. 268). Le droit de l'aménagement du territoire repose sur le fait que jusqu'à présent, l'équipement adapté pour l'alimentation en électricité est dans une large mesure réalisé par les entreprises appartenant aux pouvoirs publics (voir plus haut consid. 3.1; cf. ATF 127 I 49; Kratz, op. cit., p. 344), mais n'impose pas une telle structure. En revanche, la collectivité a bien l'obligation d'équiper une zone à bâtir. En règle générale, elle doit veiller à l'installation d'un réseau de transport (Weltert, op. cit., p. 271 s.). Cependant, cette obligation n'est déjà de par la loi pas exclusivement dévolue à la collectivité publique (cf. art. 19 al. 3 LAT). Même si l'on voulait y voir un monopole pour l'équipement en conduites de raccordement, on ne saurait en déduire une obligation incombant à la collectivité (Weltert, op. cit., p. 272) et en tout cas pas un monopole pour la fourniture d'électricité. La loi sur l'aménagement du territoire ne contient ainsi pas non plus une clause d'exclusion de la concurrence au sens de l'art. 3 al. 1 LCart.
4.5 En résumé, il ne résulte pas du droit fédéral que l'approvisionnement en électricité constitue une tâche étatique et qu'il existe pour la collectivité publique une obligation d'approvisionnement, étant précisé que l'art. 32 LME, qui aurait prescrit une telle obligation d'approvisionner, n'est pas entré en vigueur (Bischof, op. cit., p. 24 s.; Jagmetti, op. cit., n. 31 ad art. 24quater aCst.; Strub, op. cit., p. 151). Il n'y a donc aucune réglementation fédérale qui, au sens de l'art. 3 al. 1 LCart, exclurait la concurrence dans le domaine en question.
5.
Il convient ensuite d'examiner si le droit cantonal contient une telle clause d'exclusion de concurrence.
5.1 Comme le relève à juste titre la recourante, la compétence attribuée à la Confédération par l'art. 91 al. 1 Cst. pour légiférer sur le transport et la livraison de l'électricité est une compétence législative concurrente (René Schaffhauser, St. Galler Kommentar zur BV, 2002, n. 3 ad art. 91 Cst.). La Confédération n'ayant jusqu'à présent pas fait usage d'une telle compétence, les cantons demeurent encore compétents pour légiférer sur la fourniture et la distribution d'électricité.
Cela n'exclut certes pas l'application de la loi sur les cartels. Comme déjà dit plus haut, les activités économiques réglementées sur le plan cantonal sont également soumises à la LCart dans la mesure où il n'existe aucune réserve au sens l'art. 3 al. 1 LCart. Il convient donc d'examiner si le droit cantonal fribourgeois contient une telle clause d'exclusion de concurrence en faveur de la recourante.
5.2 Selon l'art. 104 let. a OJ, le Tribunal fédéral ne peut revoir, dans le cadre d'un recours de droit administratif, que l'application du droit fédéral qui englobe notamment les droits constitutionnels du citoyen. Comme l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.) fait partie des droits constitutionnels, le Tribunal fédéral peut aussi vérifier si le droit cantonal a été appliqué de manière arbitraire. Dans ces conditions, l'application du droit cantonal ne peut être revue que sous l'angle restreint de l'arbitraire.
Il convient cependant de tenir compte des particularités du cas d'espèce: le champ d'application du droit fédéral est restreint par le droit cantonal qui, au sens de l'art. 3 al. 1 LCart, exclut la concurrence. Une fausse application du droit cantonal pertinent aurait pour effet de faire échec à l'application du droit fédéral. Si le Tribunal fédéral se limitait à examiner le droit cantonal sous l'angle restreint de l'arbitraire, le contrôle du champ d'application du droit fédéral serait également limité à l'arbitraire, ce qui serait contraire à l'art. 104 let. a OJ.
En fait, c'est essentiellement pour des raisons tenant à la structure de l'Etat fédéral, pour autant que cela ne résulte pas déjà de la nature du grief soulevé (interdiction de l'arbitraire), que le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral est limité à l'arbitraire: les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n'est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération (art. 3 Cst.). Le Tribunal fédéral n'applique en principe pas le droit cantonal, mais examine seulement si son application est compatible avec le droit supérieur (art. 189 Cst.). Il n'y a plus de raisons de limiter le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral à l'arbitraire lorsque, comme en l'espèce, ce ne sont pas les cantons eux-mêmes, mais une autorité fédérale (Commission de la concurrence) qui doit se prononcer sur le sens et la portée du droit cantonal. Si le Tribunal fédéral limitait ici son pouvoir d'examen à l'arbitraire, cela aurait pour conséquence qu'une autorité fédérale pourrait restreindre la marge de manoeuvre cantonale par une application - fausse mais non arbitraire - du droit cantonal, sans possibilité de contrôle par le Tribunal fédéral.
Pour ces raisons, le Tribunal fédéral doit examiner librement l'application du droit cantonal dans le cadre de l'art. 3 al. 1 LCart.
5.3 Il se pose la question de l'application du droit dans le temps. Lorsque la Commission de la concurrence a rendu sa décision, c'était la loi de 1998 sur les EEF qui était en vigueur, tandis que c'est la loi de 2000 sur le statut des EEF qui était - et est toujours - en vigueur au moment du prononcé de la décision de la Commission de recours.
5.3.1 Il ressort de la décision attaquée de la Commission de recours (consid. 6.3c/aa p. 20) que c'est le droit en vigueur au moment où la décision attaquée a été rendue qui est en principe applicable, à moins qu'une modification postérieure des règles de droit ne soit de nature à justifier une révocation de l'acte attaqué. L'examen de la nouvelle législation cantonale ne conduisait pas à la révocation de la décision de la Commission de la concurrence, mais corroborait plutôt la thèse de cette autorité. Par la suite, la Commission de recours n'a examiné le litige que sous l'empire de l'ancienne législation en vigueur jusqu'à fin 2001. La recourante invoque l'ancienne loi de 1998 sur les EEF, tandis que les parties intimées estiment applicable la loi de 2000 sur le statut des EEF. Dans sa réplique, la recourante fait valoir que le canton de Fribourg a l'intention d'adopter une nouvelle loi sur l'approvisionnement en énergie électrique (LAEE); un projet de loi a été adopté le 29 avril 2003 par le Conseil d'Etat et sera traité probablement en été 2003 par le Grand Conseil. Cette loi prévoit d'exclure l'accès des tiers au marché de l'électricité.
5.3.2 Selon la doctrine et la jurisprudence, en l'absence d'une disposition légale transitoire, la légalité d'un acte administratif doit en principe être examinée selon le droit en vigueur au moment où il a été édicté et un changement de loi intervenu au cours d'une procédure de recours devant un tribunal administratif n'a donc pas à être pris en considération. Un tel principe souffre une exception lorsqu'une application immédiate du nouveau droit s'impose pour des motifs impératifs, notamment lorsque les nouvelles dispositions ont été adoptées pour des raisons d'ordre public ou pour la sauvegarde d'intérêts publics prépondérants (ATF 127 II 306 consid. 7c; 126 II 522 consid. 3b/aa; 120 Ib 317 consid. 2b; 119 Ib 103 consid. 5; 112 Ib 39 consid. 1c p. 42; Häfelin/Müller, Allgemeines Verwaltungsrecht, 4e éd., Zurich 2002, p. 66 s), en particulier dans le domaine de la protection de l'environnement (ATF 123 II 359 consid. 3; 115 Ib 347 consid. 2c p. 355; 112 Ib 39 consid. 1c p. 43 s.). Pour une autorisation ayant un caractère durable ou pour l'examen d'un comportement ayant des conséquences dans le futur, les autorités de recours peuvent appliquer le nouveau droit si la révocation de l'autorisation octroyée est justifiée par le changement de loi (Häfelin/Müller, op. cit., p. 67 n. 327). Il n'y a pas lieu d'annuler une décision lorsqu'elle n'est pas conforme à l'ancien droit, mais qu'une décision identique devrait être prise sur la base du nouveau droit (ATF 127 II 306 consid. 7c; 126 II 522 consid. 3b/aa; 120 Ib 317 consid. 2b; Merkli/Aeschlimann/Herzog, Kommentar zum Bernischen VRPG, Berne 1997, n. 8 ad art. 25 VRPG).
5.3.3 Dans sa décision du 5 mars 2001, la Commission de la concurrence n'a ni délivré une autorisation, ni émis des injonctions concrètes, mais a simplement constaté que la recourante avait abusé et continuait d'abuser de sa position dominante au sens de l'art. 7 LCart. Cette constatation se réfère tant au passé qu'au futur. Si on examine la légalité de la décision du 5 mars 2001 uniquement à la lumière du droit en vigueur à l'époque, la Commission de la concurrence pourrait alors immédiatement, en cas d'annulation de cette décision, rendre une nouvelle décision sur la base du nouveau droit. Il se justifie donc d'examiner l'application de l'art. 3 al. 1 LCart, aussi bien à la lumière de l'ancien que du nouveau droit.
Contrairement à l'opinion de la recourante, les éventuelles futures modifications législatives n'ont pas à être prises en considération. En effet, un effet anticipé du droit futur est en principe exclu. A cela s'ajoute qu'en l'espèce, le projet d'une nouvelle loi cantonale sur l'approvisionnement en énergie électrique (LAEE) n'a pas encore été examiné par le Grand Conseil. Il est donc incertain si, quand et sous quelle forme, cette loi entrera en vigueur.
5.4 Il convient d'examiner tout d'abord la situation juridique sur la base de la loi de 1998 sur les EEF.
5.4.1 La loi de 1998 sur les EEF avait abrogé la loi du 9 mai 1950 sur les Entreprises électriques fribourgeoises, laquelle avait remplacé une loi de 1915. Selon cette loi de 1950, EEF était un établissement de droit public ayant pour but principal la production et la distribution de l'énergie électrique. Pour atteindre ce but, EEF avait le droit de disposer de la force des eaux courantes appartenant au canton (art. 2 al. 1 de la loi de 1950). EEF assurait l'approvisionnement dans la plus grande partie du canton de Fribourg ainsi que dans quelques régions limitrophes; les relations entre EEF et les autres cantons ou les autres entreprises électriques cantonales étaient régies par des conventions (Nicole Zimmermann, Les EEF et le Développement économique, un siècle de collaboration, Fribourg 1990, p. 48 ss).
Lors de la révision totale de 1998, le législateur cantonal voulait prévoir une étape intermédiaire pour affronter, à moyen terme, les défis à venir dans la perspective de la prochaine ouverture du marché de l'électricité. Les modifications concrètes se limitaient à des nouveautés sur le plan de l'organisation, de manière à laisser la plus grande souplesse possible aux organes de la société EEF pour son organisation interne (Message du 18 août 1998 in Bulletin officiel des séances du Grand Conseil du canton de Fribourg [ci-après: BO/FR], septembre 1998, p. 765 et 768). Le commissaire du gouvernement prévoyait une révision encore plus fondamentale de cette loi dans un délai d'un à deux ans par une refonte totale de la loi de 1950 sur les EEF mais une fois connu le contenu définitif du projet de la loi fédérale sur le marché de l'électricité (BO/FR 1998 p. 888, intervention du rapporteur et du commissaire).
Il n'était pas dans l'intention du législateur de 1998 de modifier fondamentalement la structure et les tâches confiées à EEF. Il a simplement été relevé qu'il fallait séparer très clairement le secteur production et distribution d'électricité d'un côté et le secteur installations d'un autre côté afin que les installateurs privés ne soient pas pénalisés (BO/FR 1998 p. 890 s., interventions Haymoz, rapporteur et commissaire).
5.4.2 Conformément à l'art. 1er LEEF, EEF est un établissement de droit public distinct de l'Etat, ayant qualité de personne morale. Elle a pour but principal la production, la commercialisation et la distribution de l'énergie électrique (art. 2 al. 1 LEEF). Elle assure l'approvisionnement en énergie électrique du territoire desservi (art. 2 al. 2 LEEF). Pour atteindre ses buts, EEF dispose des forces hydrauliques du canton conformément à la législation spéciale (art. 3 al. 1 LEEF). L'utilisation du domaine public cantonal par EEF est réglée par la loi sur le domaine public (art. 9 LEEF). Le Grand Conseil a la haute surveillance de EEF (art. 10 al. 1 LEEF). Il approuve le bilan et le rapport de gestion (art. 10 al. 2 LEEF). Le Conseil d'Etat approuve le règlement général, les conventions relatives à la délimitation des zones de distribution d'électricité et les statuts de la Caisse de pensions (art. 11 al. 2 LEEF). EEF est dirigée par un conseil d'administration, qui est composé de onze membres, dont quatre sont nommés par le Grand Conseil et doivent être députés; quatre sont nommés par le Conseil d'Etat, un par le personnel de EEF et deux par cooptation (art. 17 al. 1 LEEF). Le conseil d'administration arrête notamment la politique tarifaire, en particulier les tarifs généraux de fourniture d'électricité sur le territoire desservi (art. 21 al. 3 let. h LEEF).
L'utilisation du domaine public est réglée dans la loi fribourgeoise du 4 février 1972 sur le domaine public (LDP/FR). Le chapitre 4 de cette loi s'intitule «Utilisation du domaine public»; sa section A (art. 18-26 LDP/FR) traite des «Dispositions générales et administratives», dont l'art. 20 prévoit que l'usage privatif d'une chose du domaine public consiste en son utilisation exclusive et durable, qui est soumis à concession. La section C «Dispositions relatives aux eaux publiques» (art. 40-57 LDP/FR) contient des dispositions relatives aux eaux publiques. Dans leur version initiale en vigueur jusqu'à fin 2001, les art. 55 et 56 LDP/FR, sous la note marginale «Utilisation de la force hydraulique», avaient la teneur suivante:
-:-
-:-
"Art. 55
Le droit d'utiliser l'eau pour la production d'énergie est soumis à concession.
Art. 56
1 Sont réservées les prescriptions de la loi fédérale sur l'utilisation des forces hydrauliques et le droit de monopole des Entreprises électriques fribourgeoises.
2 En particulier, la concession peut être refusée si les Entreprises électriques fribourgeoises sont à même de fournir l'énergie que le requérant projette de produire."
5.4.3 La Commission de recours a exposé que la LEEF réglait seulement les relations entre le canton et la recourante, mais pas les relations entre celle-ci et les consommateurs ou les tiers. Les tarifs édictés par la recourante réglaient uniquement le prix de l'énergie fournie par la recourante; mais cela ne constituait pas une réglementation sur les prix de caractère étatique, d'autant que ce tarif n'était approuvé par aucune autorité cantonale. L'obligation d'approvisionnement n'était régie par aucune réglementation réservée au sens de l'art. 3 LCart, étant donné qu'elle ne fondait aucun droit d'exclusivité. Un monopole de fait ne suffisait pas pour exclure la concurrence.
La recourante fait au contraire valoir qu'elle dispose d'une concession pour l'utilisation exclusive des forces hydrauliques dans le canton de Fribourg. En contrepartie, elle a une obligation d'approvisionnement et utilise son réseau de distribution à cette fin. Les conventions relatives à la répartition des réseaux de distribution sont soumises à l'approbation du Conseil d'Etat. Il ne lui appartient donc pas d'accorder aux parties intimées le droit de faire transiter leur énergie sur ledit réseau.
5.4.4 Contrairement à l'avis de la Commission de recours, le fait que la LEEF règle avant tout les relations entre le canton et la recourante (mais pas expressément les relations avec des tiers) n'exclut pas d'emblée que la concurrence puisse être écartée au sens de l'art. 3 al. 1 LCart. Une réserve au sens de cette disposition peut aussi résulter du fait que l'Etat accorde à une entreprise une position juridique particulière, par exemple une position monopolistique (cf. aussi ATF 127 II 32 consid. 3c). Cela a donc pour effet indirect que les tiers ne peuvent pas jouir de ces mêmes droits et donc ne peuvent pas exercer de concurrence. La question est toutefois de savoir si le droit cantonal fribourgeois reconnaît à la recourante une telle position juridique.
5.4.5 Les tarifs d'électricité fixés par l'Etat peuvent en principe constituer un régime de prix de caractère étatique au sens de l'art. 3 al. 1 let. a LCart (Weber, 1998, op. cit., p. 916). Tel n'est cependant pas le cas en l'espèce. Même si l'on partait de l'idée que les tarifs de EEF sont des tarifs de caractère étatique au motif que le conseil d'administration de EEF est composé d'une majorité de membres nommés par les autorités cantonales, de tels tarifs ne seraient cependant valables que pour l'énergie fournie par la recourante, mais pas pour l'énergie qui serait éventuellement livrée par des tiers. La recourante relève qu'il n'y a précisément aucune autre entreprise qui fournit l'électricité dans son secteur de distribution. Mais cela ne permettrait de parler de réglementation exhaustive de prix à caractère étatique pour l'ensemble des prix de l'électricité que si la recourante disposait, à la lumière de l'art. 3 al. 1 LCart, d'un monopole pour la fourniture de l'électricité. Il convient donc de résoudre cette question.
5.4.6 Selon l'art. 3 al. 1 LEEF, la recourante dispose des forces hydrauliques du canton de Fribourg, conformément à la législation spéciale. La loi de 1998 sur les EEF se réfère ainsi à la loi sur le domaine public. L'ancien art. 56 al. 1 LDP/FR ne conférait pas en lui-même un monopole à la recourante, mais le présupposait, sans que la base légale n'en soit établie. L'ancien art. 56 al. 2 LDP/FR prévoyait un droit préférentiel en faveur de la recourante, mais n'excluait pas que des concessions pour l'utilisation des forces hydrauliques puissent être octroyées à des tiers. Même si l'on voulait voir dans cette disposition un monopole de droit en faveur de la recourante, celui-ci ne pourrait porter que sur l'utilisation des forces hydrauliques du canton de Fribourg. Or cela ne saurait créer un monopole de droit pour la livraison de l'électricité aux consommateurs finaux, l'électricité livrée dans le canton de Fribourg pouvant aussi provenir d'autres sources que des forces hydrauliques fribourgeoises.
Il n'existe pas non plus un monopole de droit en faveur de la recourante pour l'utilisation du domaine public. L'art. 9 LEEF se réfère de nouveau à la loi sur le domaine public en ce qui concerne l'utilisation du domaine public cantonal par la recourante. Cette loi prévoit à son art. 20 que l'usage privatif d'une chose du domaine public est soumise à concession, mais ne contient aucune disposition selon laquelle la concession pour la construction d'un réseau électrique peut être accordée uniquement à la recourante.
En résumé, il n'existe en tout cas aucun monopole de droit expressément prévu en faveur de la recourante pour la livraison d'énergie électrique.
5.4.7 Il n'est cependant pas contesté que la recourante dispose dans le domaine de l'approvisionnement d'un monopole de fait en matière de transport et de distribution d'énergie électrique (décision de la Commission de la concurrence du 5 mars 2001, ch. 115-117). Se pose la question de savoir si cela suffit à exclure le secteur en question de la concurrence selon l'art. 3 al. 1 LCart.
La doctrine en la matière est d'avis qu'un simple monopole de fait est insuffisant et qu'un monopole de droit est exigé (Bischof, op. cit., p. 162 s.; Clerc, op. cit., n. 104 ad art. 7 LCart; Fournier, op. cit., p. 130 s.; Palasthy, op. cit., p. 304).
Certes, le monopole de fait de la collectivité publique pour l'utilisation du domaine public repose aussi sur une base juridique en tant que l'art. 664 CC prévoit expressément que le domaine public est soumis à la haute police de l'Etat. Ce monopole de fait ne nécessite pas une base légale supplémentaire (ATF 125 I 209 consid. 10b, c et d; Pierre Moor, Droit administratif, vol. III, Berne 1992, p. 393 ss; Ruey, op. cit., p. 363 s.; Strub, op. cit., p. 228; Weltert, op. cit., p. 178) et permet également de restreindre l'activité économique des privés sur le domaine public (ATF 125 I 209 consid. 10c et d). Nonobstant l'art. 664 CC, la liberté économique confère un droit conditionnel à l'usage accru du domaine public (ATF 127 I 84 consid. 4b; 126 I 133 consid. 4d; 121 I 279 consid. 2a), droit que les collectivités publiques doivent accorder en respectant le principe de l'égalité et de manière à ce que les effets soient les plus neutres possible du point de vue de la concurrence (ATF 121 I 279 consid. 4a; 108 Ia 135 consid. 3 p. 137; cf. aussi ATF 128 I 136 consid. 4). On ne saurait déduire de la haute police de l'Etat sur le domaine public une clause dérogatoire à la concurrence au sens de l'art. 3 al. 1 LCart (cf. aussi ATF 126 I 250 consid. 2d/cc).
Il pourrait en aller autrement si l'utilisation du domaine public avait été concédée de manière exclusive à une entreprise particulière dans un but déterminé. En pareil cas, la position monopolistique résultant d'une décision quant à l'utilisation du domaine public ne serait pas de pur fait, car la concession d'utilisation privative du domaine public est un acte juridique et ne fonde pas seulement une position de fait mais aussi un statut juridique (Kilchenmann, op. cit., p. 15; Ruck, op. cit., p. 57 s.; Strub, op. cit., p. 230 ss, 284 s.). Se pose ainsi la question de savoir si, par "prescription" au sens de l'art. 3 al. 1 LCart, il faut entendre une norme générale et abstraite ou s'il peut s'agir aussi d'un acte administratif, notamment d'une concession.
La doctrine semble plutôt exiger un acte législatif général et abstrait (Carron, op. cit., n. 20 ad art. 3 LCart; Rentsch, op. cit., p. 171 ss, 209) et est d'avis qu'une concession pour une utilisation privative du domaine public ne confère pas une situation de monopole au sens de l'art. 3 al. 1 LCart (Bischof, op. cit., p. 164; Rentsch, op. cit., p. 202 s.). Le secrétariat de la Commission de la concurrence a néanmoins qualifié de prescription au sens de l'art. 3 al. 1 LCart un contrat de droit administratif conclu entre une ville et une association de médecins relatif à la mise sur pied d'un service d'urgences assuré par les médecins (DPC 1998 p. 198, ch. 18 p. 202; contra Rentsch, op. cit., p. 172, 192 s.).
Il faut encore préciser ceci. Un acte administratif (décision, contrat, y compris en particulier une concession) doit se fonder sur une base légale qui peut être conçue de manière large et conférer à l'autorité un large pouvoir d'appréciation. Dans la mesure où cette base légale exige ou autorise de manière claire une exclusion de la concurrence, un acte administratif qui concrétise cette loi peut suffire à exclure le secteur y relatif de la concurrence (Carron, op. cit., n. 33 ad art. 3 LCart; voir aussi DPC 1998 p. 198, ch. 18 p. 202, selon lequel le contrat en question sert à l'exécution d'une tâche légale attribuée à la ville). Une concession pour l'utilisation privative du domaine public n'implique pas nécessairement dans tous les cas un monopole de fait implicite au regard de l'art. 3 al. 1 LCart. Au contraire, une réglementation spécifique peut accorder de manière explicite un droit d'utilisation exclusif à une entreprise déterminée dans le but d'exclure la concurrence. Il convient donc de toujours examiner l'ensemble de la législation en la matière pour pouvoir déterminer si un monopole de fait est basé sur une intervention étatique qui a pour objet d'exclure la concurrence (Rentsch, op. cit., p. 214).
Encore faudrait-il que l'octroi d'un monopole d'usage privé en faveur d'une seule entreprise pour la construction de lignes électriques sur le domaine public soit compatible avec le droit fédéral, ce qui ne va pas de soi.
5.4.8 Même si l'on estimait que la recourante dispose d'un monopole pour l'utilisation privative du domaine public et que ce monopole soit déterminant au sens de l'art. 3 al. 1 LCart, on ne saurait admettre sans autre que les règles légales en cause tendent à exclure de la concurrence le domaine de la livraison de courant électrique. Le monopole existe en effet uniquement pour l'usage du domaine public en vue de la construction et de l'exploitation du réseau électrique, mais pas forcément pour l'utilisation dudit réseau de distribution. Ainsi, par exemple, le monopole d'affichage résultant de la haute police de la collectivité publique sur son domaine public (ATF 125 I 209 consid. 10c et d) ne signifie nullement que seule la collectivité publique puisse faire de la publicité sur les emplacements qu'elle gère; au contraire, des supports doivent être mis à disposition pour la publicité privée (cf. ATF 127 I 84 consid. 4b). De la même manière, la construction et l'exploitation de lignes électriques d'une part et la livraison de courant et l'utilisation de ce réseau pour l'acheminement de l'énergie électrique d'autre part, peuvent aussi être considérées comme deux choses distinctes. Certes, il existait jusqu'à maintenant un monopole de fait pour l'approvisionnement en faveur de la recourante. Ce monopole ne résulte toutefois ni de la loi, ni du droit d'utilisation (privative) du domaine public. Ce droit ne supprime donc pas la possibilité que les réseaux construits par la recourante puissent être utilisés par des tiers privés pour la livraison d'énergie.
5.4.9 Se pose en outre la question de savoir si la tâche d'approvisionnement en électricité dévolue par la loi à la recourante exclut la concurrence.
Selon la doctrine, l'attribution par un canton ou une commune d'une tâche d'approvisionnement, par exemple en eau, gaz ou électricité, est parfois considérée comme un cas d'application de l'art. 3 al. 1 LCart (Roland von Büren/Eugen Marbach, Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, 2e éd., Berne 2002, p. 243; Schmidhauser, op. cit., n. 10 ad art. 3 LCart; Weber, 2000, op. cit., p. 47; Zäch, 1999, op. cit., p. 128). Un tel mandat légal ne conduit toutefois pas automatiquement à une exclusion de la concurrence (Bischof, op. cit., p. 162 s.; Fournier, op. cit., p. 137 s.; Rentsch, op. cit., p. 202; voir aussi dans un autre contexte Hans Rudolf Trüeb, Der so genannte Service Public, ZBl 103/2002 p. 225 ss., 237). Dans ce contexte, les autorités inférieures ont mentionné le domaine des télécommunications, où la concession pour le service universel liée à l'obligation de fournir des prestations correspondantes à l'ensemble de la population (art. 14 ss LTC [RS 784.10]) n'exclut pas la concurrence en dehors de cette concession (art. 4 ss LTC; ATF 125 II 293 consid. 4f). La Poste également a une obligation légale de fournir, dans le domaine du service universel, des prestations en dehors des services réservés, mais ne dispose pas pour autant d'un monopole (art. 2-4 LPO [RS 783.0]).
Le simple fait de charger une entreprise d'une tâche d'intérêt public ne justifie une dérogation légale à la concurrence que si ce mandat légal est lié à un monopole, comme par exemple dans le cas de la Société suisse de radiodiffusion et télévision (art. 26 ss LRTV [RS 784.40]; Rentsch, op. cit., p. 212; Zäch, 1999, op. cit., p. 129) ou s'il doit raisonnablement être interprété comme un monopole. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré comme un monopole l'obligation pour la collectivité publique d'éliminer les déchets urbains selon l'art. 31b al. 1 LPE (RS 814.01 - ATF 126 II 26 consid. 3a p. 30; 125 II 508 consid. 5b). Une clause d'exclusion de la concurrence peut aussi résulter d'un mandat légal lorsqu'il n'existe aucun monopole. Ainsi, le domaine de l'enseignement public n'est pas soumis aux règles de la concurrence: les établissements scolaires pourraient certes être entièrement exploités comme des entreprises au sens de l'art. 2 al. 1 LCart; l'Etat ne dispose en effet d'aucun monopole pour l'exploitation des établissements scolaires. Il est toutefois admissible que les établissements scolaires publics soient financés au moyen des impôts et par là que les offreurs privés soient lésés. Cela ne vaut pas seulement pour l'enseignement de base qui doit être gratuit selon l'art. 19 Cst., ce qui nécessite l'engagement de fonds publics, mais aussi pour la formation supérieure. Dès lors, il peut résulter de la législation topique que l'Etat offre un enseignement à un prix qui ne couvre pas ses charges, c'est-à-dire à un prix qui ne correspond pas au prix du marché libre (ATF 123 I 254 consid. 2b/bb). Ce but légal ne pourrait pas être atteint si les établissements d'enseignement public étaient soumis à la loi sur les cartels. Il en va de même dans le domaine de la santé où les hôpitaux publics sont financés partiellement par des fonds publics, ce qui entrave l'accès des hôpitaux privés à la concurrence ou son exercice, mais cela a été voulu par le législateur, si bien que les art. 5 et 7 LCart ne sont pas applicables (DPC 1998. p. 562, ch. 12 ss p. 564/565; DPC 1999 p. 184, consid. 6 p. 197; RAMA 4/1997 p. 257, consid. 11.2 p. 268; Clerc, op. cit., n. 102 ad art. 7 LCart; Margareta Lauterburg, Gesundheits- und Versicherungsmärkte - kartellrechtliche Fragen in der Praxis der Wettbewerbsbehörde, in Hürlimann/Poledna/Rübel [éd.], Privatisierung und Wettbewerb im Gesundheitsrecht, Zurich 2000, p. 101 ss, 111 s.).
En l'absence de règles claires, le critère essentiel doit être celui de savoir si la soumission d'un secteur donné à la loi sur les cartels ferait obstacle à l'accomplissement de la tâche d'intérêt public impartie par la loi à une entreprise (DPC 1998 p. 198, ch. 18-20 p. 202; Clerc, op. cit., n. 103 ad art. 7 LCart).
5.4.10 Selon l'art. 2 LEEF, la recourante s'est vu confier le mandat légal d'assurer l'approvisionnement en énergie électrique du territoire desservi. Avec la recourante, on peut admettre qu'il s'agit là d'une tâche d'intérêt général. La manière dont la recourante doit mener à bien sa mission n'est cependant pas réglée par la loi. Il résulte cependant de la loi de 1998 sur les EEF que la recourante doit au moins veiller à ce qu'il existe des réseaux de transport et de distribution d'énergie dans le territoire desservi et que les consommateurs soient approvisionnés en courant électrique. Cela ne signifie cependant pas forcément que seule la recourante peut fournir de l'électricité au moyen du réseau installé et exploité par elle. Elle admet elle-même qu'elle ne produit qu'environ la moitié de l'énergie électrique qu'elle livre. Elle doit s'approvisionner en courant électrique auprès de tiers et le revendre à ses clients. Il serait ainsi tout aussi bien possible que les producteurs tiers vendent directement leur énergie aux clients et qu'ils utilisent à cet effet les installations de la recourante.
La recourante n'explique pas pourquoi cela ne serait pas possible. Elle fait simplement valoir qu'elle doit conclure avec ses fournisseurs des contrats de longue durée afin de pouvoir garantir l'approvisionnement. Elle s'est donc engagée à acheter de l'électricité pour une longue période, si bien qu'elle ne pourrait revendre qu'avec peine cette électricité si des tiers pouvaient fournir directement les consommateurs. La vente au détail ne serait donc pas compatible avec la tâche d'intérêt public qui lui a été conférée. Un approvisionnement général et direct des clients par des tiers mettrait en péril cette tâche.
Cette argumentation n'est cependant pas convaincante. Contrairement aux exemples précités concernant la formation et la santé, l'obligation d'approvisionnement en électricité impartie par la loi n'est pas liée à une réduction de prix étatique motivée par des motifs d'ordre de politique sociale, diminution qui en soi n'est pas un instrument du marché. Les consommateurs paient en principe pour l'électricité un prix qui couvre les charges. On ne voit donc pas pourquoi ce prix ne serait pas formé selon les lois du marché libre, ce qui suppose que les autres producteurs de courant électrique aient la possibilité de livrer du courant.
Certes, si les tiers ont accès au marché, cela pourra conduire les clients de la recourante à s'adresser à d'autres producteurs, partant entraîner une diminution de la quantité d'électricité vendue par la recourante. Mais chaque vendeur est confronté à ce genre de problème. Cela n'est en tout cas pas une raison suffisante pour exclure la concurrence.
Il est notoire que les entreprises d'approvisionnement en électricité ont conclu avec les producteurs d'électricité des conventions de longue durée, en particulier pour disposer d'une réserve d'énergie suffisante. La loi n'impose cependant pas cela à la recourante, mais cela résulte de sa propre estimation de l'état d'approvisionnement. L'approvisionnement sûr en électricité dans l'intérêt général peut cependant aussi être garanti par le fait que différents producteurs puissent livrer leur énergie électrique par le biais du réseau exploité par la recourante. La loi sur les cartels postule que l'approvisionnement de la population n'est pas assuré au mieux par la conclusion de contrats de longue durée avec un établissement se trouvant en situation de monopole, mais par la concurrence entre plusieurs offreurs (cf. aussi art. 5 al. 2 LEne; voir plus haut consid. 4.3.1). Dans le domaine de l'approvisionnement en électricité peuvent éventuellement exister des circonstances particulières qui sont de nature à conduire à une autre conclusion (nécessité d'investissements de départ importants pour la construction des installations de production et du réseau de distribution, nécessité d'avoir une capacité de réserve suffisante eu égard à la possibilité de stockage limité avec de grandes variations de la demande et effets importants dus au goulot d'étranglement en matière d'approvisionnement; cf. FF 1999 p. 6675 ss). Il n'est pas totalement exclu que, dans certaines conditions du marché particulières, aucun fournisseur ne soit prêt ou en mesure de livrer de l'électricité. En pareilles circonstances, il pourrait exister un besoin d'approvisionnement en électricité qui ne serait pas assuré par les lois du marché. De telles considérations d'ordre politique pourraient éventuellement justifier l'exclusion de la concurrence. Mais, selon la conception qui est à la base de la loi sur les cartels, elles ne seraient déterminantes que si elles avaient été concrétisées dans des prescriptions adoptées par les pouvoirs publics en vertu de l'art. 3 al. 1 LCart. Or, comme on l'a vu plus haut, il n'existe pas de telles prescriptions dans la loi de 1998 sur les EEF.
La recourante se réfère à l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C-475/99, Rec. 2001, p. I-8089. Dans cet arrêt (point 61), la Cour a justifié l'extension d'un monopole pour le secteur du transport urgent de malades à celui du transport non urgent de malades (rentable) par le fait que cela permettait à l'entreprise d'assurer sa mission d'intérêt général, touchant au transport urgent de malades, dans des conditions d'équilibre économique. La possibilité qu'auraient les concurrents de se concentrer, dans les services de transports non urgents, sur des trajets plus lucratifs, pourrait porter atteinte à la viabilité économique du service du transport urgent (non rentable) et par conséquent mettre en cause la qualité et la fiabilité dudit service.
Il est vrai que la recourante emploie les bénéfices provenant de la vente d'énergie pour financer la construction et l'entretien de son réseau électrique. Cela est d'ailleurs habituel compte tenu de la structure historique du réseau d'électricité qui a existé jusqu'à présent. Avec l'accès des tiers au réseau, le subventionnement ("Quersubventionierung") du secteur de la production par le secteur de la distribution d'énergie (ou vice versa) serait pratiquement impossible, ce qui peut avoir des effets sur le calcul du prix de l'électricité par les entreprises d'électricité (Strub, op. cit., p. 274 ss).
Cela n'exclut cependant pas l'accès de tiers au réseau. Il n'est pas contesté que la partie intimée (Watt Suisse AG) doit payer une redevance pour l'utilisation du réseau. Elle s'est expressément déclarée prête à le faire. Si cette rétribution est fixée de manière à couvrir les frais, l'accès des tiers au réseau n'aura pas de répercussions financières pour le propriétaire du réseau (Strub, op. cit., p. 287 s.). Il ne s'agit donc pas d'une question de principe quant à l'accès au réseau, mais du montant de la redevance à payer pour que les frais du réseau électrique puissent être couverts (voir ci-dessous consid. 6.5.9). Il n'est pas établi que la tâche d'approvisionnement confiée par la loi ne pourrait plus être remplie si les tiers avaient accès au réseau de la recourante.
Dans ces circonstances, le mandat légal d'approvisionnement contenu dans la la loi de 1998 sur les EEF n'implique pas un droit exclusif en faveur de la recourante à fournir de l'énergie électrique aux consommateurs finaux.
Pour le cas où l'intérêt public à un approvisionnement sûr en électricité serait effectivement compromis par l'accès au réseau de tiers, le Conseil fédéral pourrait toujours intervenir en autorisant une dérogation au principe de la concurrence au sens de l'art. 8 LCart. Le Tribunal fédéral n'a toutefois pas à se prononcer là-dessus (consid. 1.3).
5.4.11 Contrairement à l'avis de la recourante, on ne peut pas voir une exclusion de la concurrence au sens de l'art. 3 al. 1 LCart dans le fait que les conventions relatives à la délimitation des zones de distribution d'électricité sont soumises pour approbation au Conseil d'Etat (art. 11 al. 2 let. b et art. 21 al. 3 let. i LEEF). De telles conventions délimitent les zones d'approvisionnement, ainsi que le territoire du réseau et du mandat d'approvisionnement de la recourante, mais cela n'exclut pas les tiers de l'acheminement de l'électricité. On ne voit pas dans quelle mesure la recourante aurait besoin de l'approbation du Conseil d'Etat pour cela.
5.5 La loi de 2000 sur le statut des EEF entrée en vigueur le 1er janvier 2002 contient encore moins une clause d'exclusion de la concurrence que la loi de 1998 sur les EEF.
5.5.1 En adoptant la loi de 2000 sur le statut des EEF, le législateur cantonal fribourgeois voulait, comme déjà prévu dans le cadre des travaux préparatoires de la loi de 1998, assurer à EEF une meilleure position concurrentielle dans la perspective de la prochaine ouverture du marché de l'électricité (Message du 5 juin 2000, BO/FR 2000 p. 971; Séance du Grand Conseil, BO/FR 2000 p. 1238 ss, intervention du rapporteur et du commissaire). Dans ce but, EEF a été transformée en une société anonyme de droit privé (art. 1 LSEEF). L'Etat reste néanmoins l'actionnaire majoritaire (art. 2 al. 2 LSEEF).
Les buts de la nouvelle société anonyme correspondent pour l'essentiel à ceux énumérés à l'art. 2 LEEF (BO/FR 2000 p. 972; art. 2 des Statuts EEF). La tâche publique d'approvisionnement n'est cependant plus mentionnée dans la loi. La volonté expresse du législateur était de supprimer le monopole de EEF dans la perspective de la libéralisation du marché de l'électricité (BO/FR 2000 p. 974). En séance du Grand Conseil, la transformation en société anonyme de droit privé a été refusée par une minorité, sans que celle-ci ne cherche toutefois à recréer une situation de monopole (BO/FR 2000 p. 1242, intervention Moret). Ainsi, même si l'on voulait voir l'existence d'un monopole de EEF selon l'ancienne loi de 1998 sur les EEF du point de vue du droit des cartels, cela a été expressément supprimé par la loi de 2000 sur le statut des EEF.
5.5.2 La loi sur le domaine public a été modifiée en même temps que la loi de 2000 sur les EEF (art. 8 LSEEF). Selon l'art. 55 al. 2 LDP/FR:
"Les Entreprises électriques fribourgeoises disposent, contre paiement d'une redevance, d'une concession réglée par convention pour l'utilisation des forces hydrauliques du canton pour la production d'énergie."
L'art. 56 LDP/FR (voir plus haut consid. 5.4.2) a été abrogé.
Si la concession en faveur de EEF est maintenue dans la loi, tel n'est plus le cas pour le monopole (BO/FR 2000 p. 973 s.). En outre, la concession se réfère exclusivement à l'utilisation des forces hydrauliques et non à l'utilisation du réseau électrique ou du domaine public. Et il est encore moins question d'un monopole de droit en rapport avec la livraison et la distribution d'énergie.
5.5.3 Il ressort des travaux préparatoires que le législateur fribourgeois voulait s'adapter notamment à la loi fédérale sur le marché de l'électricité par la création d'une nouvelle structure de EEF. Cependant, l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi cantonale n'a nullement été subordonnée à l'entrée en vigueur de la loi sur le marché de l'électricité; la révision de la loi n'a pas été motivée uniquement par la loi sur le marché de l'électricité mais par la libéralisation générale du marché. Il a été fait en particulier référence à la situation juridique dans l'Union européenne en mentionnant le mot "eurocompatibilité" (BO/FR 2000 p. 974), bien que le législateur fribourgeois ne fût pas obligé de s'aligner sur la réglementation de l'Union européenne en matière de marché de l'électricité. Ce n'est donc pas seulement en rapport avec la loi sur le marché de l'électricité mais de sa propre initiative que le canton de Fribourg a supprimé le monopole de EEF, si tant est qu'un tel monopole ait existé selon la loi de 1998 sur les EEF. Dans ces conditions, il n'y a aucune raison de déduire une clause d'exclusion de concurrence selon le droit des cartels du rejet de la loi sur le marché de l'électricité par le peuple.
5.6 En résumé, il n'existe dans la législation cantonale actuelle aucune prescription au sens de l'art. 3 al. 1 LCart excluant l'application de la loi sur les cartels.
5.7 Comme déjà mentionné plus haut (consid. 5.3.3), le projet de la nouvelle loi sur l'approvisionnement en énergie électrique (LAEE) préparé par le Conseil d'Etat n'est pas applicable en l'espèce. Si cette loi devait expressément instaurer - ce qui est visiblement prévu - un monopole de droit en faveur de la recourante, il va de soi qu'un changement de situation juridique ne pourra se produire qu'au moment de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi et qu'il y aura donc lieu d'apprécier à nouveau cette situation à la lumière de l'art. 3 al. 1 LCart.
Pour le surplus, on peut se demander sérieusement si et dans quelle mesure le canton de Fribourg a la possibilité d'instituer un monopole de droit en faveur de la recourante pour la livraison d'électricité. Il se pose en effet la question de savoir si un tel monopole serait justifié par un intérêt public et proportionné au but visé (art. 27 Cst. en relation avec l'art. 36 Cst.). Point n'est cependant besoin ici de trancher cette délicate question.
6.
Il convient ensuite de déterminer si les instances inférieures ont admis avec raison que le comportement de la recourante violait l'art. 7 LCart.
6.1 Selon l'art. 7 al. 1 LCart, les pratiques d'entreprises ayant une position dominante sont réputées illicites lorsque celles-ci abusent de leur position et entravent ainsi l'accès d'autres entreprises à la concurrence ou son exercice, ou désavantagent les partenaires commerciaux. Conformément à l'art. 7 al. 2 let. a LCart, est en particulier réputé illicite le refus d'entretenir des relations commerciales (p. ex. refus de livrer ou d'acheter des marchandises).
Les conditions d'application de l'art. 7 LCart sont: qu'il existe une entreprise au sens de l'art. 2 al. 1 LCart (consid. 6.2), qu'il s'agisse d'une entreprise dominant le marché au sens de l'art. 4 al. 2 LCart (consid. 6.3), qu'elle entrave l'accès aux autres entreprises à la concurrence ou son exercice ou encore désavantage les partenaires commerciaux (consid. 6.4) et enfin, que cela résulte d'un abus de sa position dominante (consid. 6.5).
6.2 Il est manifeste et incontesté que la recourante constitue, en tant que société juridiquement et économiquement indépendante, une entreprise au sens de l'art. 2 al. 1 LCart (cf. ATF 127 II 32 consid. 3d p. 43).
6.3
6.3.1 Par entreprise dominant le marché, on entend une entreprise qui est à même, en matière d'offre ou de demande, de se comporter de manière essentiellement indépendante par rapport aux autres participants au marché (art. 4 al. 2 LCart), notamment lorsque ceux-ci n'ont raisonnablement aucune autre alternative que d'avoir des relations commerciales avec cette entreprise (von Büren/Marbach, op. cit., p. 274 s.; Roger Zäch, Verhaltensweisen marktbeherrschender Unternehmen, in von Büren/David, 2000, op. cit., p. 137 ss, 172). Le point de savoir si une entreprise domine ou non le marché doit toujours être apprécié en rapport avec un marché matériellement et géographiquement déterminant.
6.3.2 L'autorité intimée a admis que la recourante avait une position dominante sur le marché déterminant de la distribution supra-régionale et régionale de l'électricité dans sa zone de distribution régionale au sens de l'art. 4 al. 2 LCart, parce que EEF est pratiquement seule sur le marché et a la maîtrise de fait sur les infrastructures de transport du courant électrique nécessaires à l'approvisionnement des consommateurs.
6.3.3 La recourante fait valoir qu'elle ne peut pas avoir une position dominante, étant donné qu'il n'existe aucun marché de la distribution d'électricité puisque chaque zone est desservie par un seul opérateur. Ce n'est que par une législation fédérale telle que la loi sur le marché de l'électricité que l'on pourrait en fait créer un tel marché. L'accès des tiers au réseau devrait en outre absolument être prévu par une législation. La recourante fait ensuite valoir que la distribution locale et la vente au détail sont nécessaires à son activité et ne sont pas détachables de sa mission d'intérêt public. L'usage exclusif des forces hydrauliques lui aurait été confié afin de lui permettre d'exercer sa mission d'approvisionnement. L'ouverture du marché aux tiers devrait être accompagnée d'une obligation d'approvisionnement réglée par le droit fédéral. Autrement, l'intervention des autorités de la concurrence empêcherait l'accomplissement de la mission d'intérêt public.
Ces critiques se recoupent dans une large mesure avec les griefs qui ont déjà été traités, soit ceux en relation avec l'art. 3 al. 1 LCart (voir ci-dessus consid. 5.4). Etant donné, comme on l'a vu, qu'une clause d'exclusion au sens de l'art. 3 al. 1 LCart n'existe pas, l'activité en cause est soumise à la loi sur les cartels. Lorsqu'il n'existe aucune concurrence entre les concurrents, cela peut justement constituer une situation illicite au sens de l'art. 7 LCart. Cela ne saurait exclure l'application de cette disposition légale, mais justifie au contraire une intervention des autorités de la concurrence et l'adoption de mesures appropriées afin que la concurrence soit rétablie.
6.3.4 La recourante ne conteste en principe pas, à juste titre, que le marché déterminant du point de vue objectif et géographique est l'acheminement de l'énergie électrique dans la zone de distribution de l'exploitant du réseau (cf. aussi Bischof, op. cit., p. 149 ss). La recourante ne conteste pas non plus qu'elle est seule à livrer de l'électricité dans sa zone d'approvisionnement.
Les autres offreurs n'ont pratiquement aucune autre alternative que d'utiliser un réseau pour fournir du courant électrique (Hübscher/Rieder, op. cit., p. 441) et ne peuvent pas en livrer faute de réseau propre. La recourante peut ainsi se comporter de manière indépendante par rapport aux autres offreurs et jouit ainsi d'une position dominante (art. 4 al. 2 LCart; Bischof, op. cit., p. 153 s.; Kilchenmann, op. cit., p. 51).
6.4
6.4.1 La recourante ne conteste pas qu'elle a refusé l'accès de son réseau à la partie intimée Watt. Elle entrave ainsi l'accès à la concurrence et son exercice.
Elle fait certes valoir que Watt ne serait pas entravée, parce qu'elle n'a pas établi qu'elle était à même, par les réseaux situés en amont, d'accéder au réseau supra-régional de EEF. Et l'accès à ces réseaux supérieurs serait une condition indispensable pour que Watt puisse accéder aux installations de la Migros situées à Estavayer-le-Lac et Courtepin. Le refus d'accès au réseau de EEF pourrait donc tout au plus être considéré comme illicite si la Commission de la concurrence avait constaté que la partie intimée Watt était raccordée aux réseaux situés en amont. Mais tel ne serait pas le cas jusqu'à présent. Les parties intimées n'auraient jusqu'à maintenant pas cherché à accéder à ces réseaux. Par conséquent, même si le Tribunal fédéral rejetait le présent recours, les parties intimées ne seraient pas en mesure d'accéder au réseau de la recourante. La recourante ne pourrait ainsi pas se voir reprocher d'entraver la concurrence.
Il est vrai que Watt doit aussi utiliser des réseaux situés en amont pour approvisionner les sites de la Migros et qu'un tel accès n'existe pas encore. Cela ne signifie cependant pas que les parties intimées ne seraient pas entravées dans l'exercice de la concurrence par le comportement de la recourante. Elles sont tenues de lever tous les obstacles qui les empêchent d'accéder au réseau de la recourante. Mais un obstacle à la concurrence ne saurait être justifié par le fait que les autres empêchements n'ont éventuellement pas (encore) été supprimés.
Du reste, les instances inférieures ont souligné que la recourante n'avait jamais laissé entendre qu'elle autoriserait l'accès de son réseau aussitôt que Watt serait capable d'acheminer le courant jusqu'à la limite du réseau de distribution de EEF. La recourante ne le conteste pas, mais s'oppose par principe à l'accès de son réseau à des tiers. Ce procédé doit être considéré comme abusif.
6.4.2 La recourante fait en outre valoir que Migros ne serait pas affectée dans sa capacité de concurrence parce que EEF serait prête à lui livrer l'énergie aux mêmes conditions que celles offertes par Watt. Ses prix ne seraient donc pas abusifs.
Cette objection est cependant mal fondée. La liberté économique et la libre concurrence impliquent aussi le libre choix de ses partenaires commerciaux. Selon les circonstances, celui qui est contraint de se fournir auprès d'un partenaire déterminé peut être entravé dans sa liberté contractuelle, même si ce partenaire accorde les mêmes conditions que le partenaire qu'il aurait choisi. Car il peut exister d'autres motifs pour entretenir des relations commerciales avec un autre partenaire.
6.5
6.5.1 Selon l'art. 7 al. 1 LCart, le simple fait qu'une entreprise dominant le marché entrave l'accès d'autres entreprises à la concurrence et son exercice n'est pas illicite. Encore faut-il que l'entreprise dominant le marché limite de façon abusive la liberté d'action de ses concurrents (FF 1995 I 564).
Les pratiques énumérées à titre d'exemple à l'art 7 al. 2 LCart ne sont pas automatiquement illicites; elles ne sont illicites que si elles répondent aux critères généraux de l'abus formulé à l'art. 7 al. 1 LCart (FF 1995 I 565; Borer, op. cit., n. 4 ad art. 7 LCart; Clerc, op. cit., n. 109 ad art. 7 LCart; Zäch, 1999, op. cit., p. 194; le même, Kontrolle des Verhaltens marktbeherrschender Unternehmen, in Christian Meier-Schatz [éd.], Das neue Kartellgesetz, Berne 1998, p. 117 ss, 137).
La pratique d'une entreprise en position dominante est en principe illicite lorsque, sans aucune justification objective, elle entrave l'accès d'autres entreprises à la concurrence ou l'exercice de celle-ci (FF 1995 I 564; Bischof, op. cit., p. 155; Borer, op. cit., n. 9 ad art. 7 LCart; von Büren/Marbach, op. cit., p. 279; Clerc, op. cit., n. 61 s. et 79 ss ad art. 7 LCart; Dallafior, op. cit., n. 36 s. ad art. 7 LCart; Zäch, 2000, op. cit., p. 188). Une stratégie envers les autres concurrents doit se révéler inéquitable en ce sens que, par exemple, d'après les circonstances, la volonté d'exclure un concurrent est manifeste (FF 1995 I 564 s.); tel est également le cas lorsque les autres concurrents sont empêchés d'accéder à un marché (Borer, op. cit., n. 12 ad art. 7 LCart), c'est-à-dire lorsque le comportement a un objectif qui est contraire à la concurrence (Zäch, 2000, op. cit., p. 186 s.).
Suivant l'exemple de la théorie dite "Essential facility" élaborée aux Etats-Unis (Bischof, op. cit., p. 131 ss; Schindler, op. cit., p. 3 ss) et discutée aussi dans l'Union européenne (Schindler, op. cit., p. 35 ss), la doctrine suisse qualifie un comportement d'abusif lorsqu'une entreprise en position dominante dispose seule des équipements ou des installations indispensables à la fourniture d'une prestation et qu'elle refuse, sans raison objective, de les mettre à disposition aussi de ses concurrents. Encore faut-il que les concurrents n'aient aucune solution de remplacement, si bien que le refus incriminé est de nature à exclure toute concurrence (FF 1995 I 565 s.; Bischof, op. cit., p. 129 ss; Borer op. cit., n. 12 ad art. 7 LCart; Clerc, op. cit., n. 124 ss ad art. 7 LCart; Dallafior, op. cit., n. 105 ss ad art. 7 LCart; Hübscher/Rieder, op. cit., p. 440 ss; Schindler, op. cit., p. 192 s., 195; Ruffner, op. cit., p. 841; Zäch, 1998, op. cit., p. 139). D'après la doctrine, cette théorie s'applique en particulier aux réseaux électriques, qui se trouvent en situation de monopole de fait; il est en effet pratiquement impossible de construire un réseau parallèle et concurrent notamment pour des raisons financières, si bien que les concurrents sont obligés d'utiliser les réseaux existants. Car sinon aucune concurrence ne serait possible (Bischof, op. cit., p. 141 s., 155 s., 165 s.; Borer, op. cit., n. 12 ad art. 7 LCart; von Büren/Marbach, op. cit., p. 280 s.; Schindler, op. cit., p. 77, 88, 91 ss, 122; Vogel, op. cit., p. 194; Zäch, 1999, op. cit., p. 223; le même, 2000, op. cit., p. 204 s.; le même, Netzstrukturen, op. cit., p. 951).
6.5.2 La Commission de la concurrence a considéré (décision du 5 mars 2001, ch. 175) qu'il faut partir d'un comportement illicite au sens de l'art. 7 LCart lorsqu'une entreprise en position dominante refuse, sans raisons justificatives objectives, de donner accès, contre une rémunération adéquate, à ses réseaux ou à d'autres infrastructures à une autre entreprise, dès lors que, sans cet accès, celle-ci ne serait pas en mesure, pour des motifs de fait ou de droit, d'exercer une activité sur le marché situé en aval et que ce marché n'est pas exposé à une concurrence efficace.
La Commission de recours a retenu pour sa part que le refus opposé par la recourante à Watt de faire transiter le courant sur son réseau empêchait cette dernière d'exercer la concurrence sur le marché aval, ce qui constituait un cas d'entrave illicite au sens de l'art. 7 al. 1 LCart, dans la mesure où un tel refus n'était pas justifié par des motifs objectifs. Or, une telle justification faisait défaut.
6.5.3 La motivation des autorités inférieures, qui est conforme à l'avis de la doctrine, est convaincante. La recourante veut manifestement empêcher Watt d'accéder au marché en question. Watt ne peut pas livrer de courant électrique sans utiliser le réseau de la recourante parce que - ce qui n'est du reste pas contesté par celle-ci - pour des raisons juridiques et économiques, il n'est pratiquement pas possible pour Watt de construire elle-même un réseau de transport parallèle. La recourante utilise sa position de fait dominante, qu'elle tire de son réseau de transport, pour ne pas devoir s'ouvrir à la concurrence. Son comportement est donc directement dirigé contre une possible instauration de la concurrence et exclut, dans le résultat, toute concurrence entre les fournisseurs d'énergie. Ce comportement doit donc être qualifié d'abusif, dans la mesure où il ne peut pas être justifié par des motifs objectifs.
6.5.4 Une entreprise peut refuser d'entretenir des relations commerciales avec un partenaire pour des motifs objectifs d'ordre commercial (FF 1995 I 566; Dallafior, op. cit., n. 37 ad art. 7 LCart; Roger Groner, Missbrauchsaufsicht über marktbeherrschende Unternehmen - quo vadis?, in recht 20/2002 p. 63 ss, 69; Ruffner, op. cit., p. 838; Zäch, 2000, op. cit., p. 188; le même, 1998, op. cit., p. 132), soit pour des raisons d'efficacité au niveau de l'entreprise (Schindler, op. cit., p. 117 s.), ou encore pour obtenir une prestation ayant le meilleur rapport qualité/prix pour le consommateur (Groner, op. cit., p. 65 s.). S'agissant de l'utilisation du réseau, le manque de capacité disponible du réseau constitue également une motivation objective (cf. art. 5 al. 3 LME; Bischof, op. cit., p. 157; Schindler, op. cit., p. 115 ss). Car l'obligation d'acheminer l'électricité d'un tiers aussi en cas de capacités insuffisantes ou inexistantes du réseau porterait atteinte au propriétaire du réseau qui serait empêché de l'utiliser pour desservir sa propre clientèle; cela comporterait une restriction de la propriété, qui nécessiterait une base légale supplémentaire (Fuchs, op. cit., p. 59; cf. aussi Jagmetti, op. cit., n. 34 ad art. 24quater aCst). Mais la recourante n'a pas invoqué un manque de capacité de son réseau ou d'autres problèmes techniques pour ne pas ouvrir son réseau à des tiers.
6.5.5 La recourante soutient que l'accomplissement de sa mission d'intérêt public serait mis en péril par l'accès de Watt au réseau, dans la mesure où l'électricité qu'elle vend aux sites de la Migros dans l'aire couverte par son réseau représenterait environ 4 % de l'énergie totale qu'elle livre, soit une proportion considérable. Cela ne constitue toutefois pas un motif objectif d'ordre commercial justifiant une pratique réputée illicite par l'art. 7 LCart. Le simple fait qu'une entreprise en position dominante perde une part de marché à la suite de l'arrivée de nouveaux concurrents ne saurait être considéré comme une raison pour exclure la concurrence. Au contraire, c'est précisément le but du droit des cartels que les parts de marché relatives des différents offreurs puissent subir des modifications par le biais de la concurrence.
6.5.6 La recourante fait ensuite valoir que Watt et la Migros auraient amené les sociétés ELSA et Micarna à rompre les contrats d'approvisionnement que celles-ci avaient conclus avec EEF, ce qui constituerait un acte de concurrence déloyale au sens de l'art. 4 LCD (RS 241). Il serait donc contraire au sens et à l'esprit du droit des cartels que les autorités de la concurrence puissent admettre, voire favoriser, un comportement déloyal.
Selon l'art. 4 let. a LCD, agit de façon déloyale celui qui incite un client à rompre un contrat en vue d'en conclure un autre avec lui. Mais l'on ne peut parler de rupture de contrat au sens de cette disposition que lorsqu'un contrat est violé (ATF 122 III 469 consid. 8a; 114 II 91 consid. 4a/bb p. 99). Micarna et ELSA ont résilié leur contrat de fourniture en bonne et due forme. La résiliation d'un contrat, qui est conforme aux clauses contractuelles, ne constitue donc pas une violation du contrat, mais au contraire, l'utilisation d'un droit prévu par le contrat. En l'espèce, il n'y a pas de violation de l'art. 4 LCD.
6.5.7 La recourante critique ensuite le fait que Migros abuse de sa puissance sur le marché.
Selon les propres indications de la recourante, la part du courant acquis par Migros représente environ 4 % de la totalité de ses livraisons. Compte tenu déjà de cette faible part, on ne peut pas dire que Migros occupe une position dominante sur ce marché (Herbert Wohlmann, Bekämpfung des Missbrauchs von Marktmacht, RSDA, Sondernummer 1996, p. 22 ss, 24), même si, pour juger de cette question, il y a lieu de poser des critères différents selon que l'entreprise se trouve dans la position de l'acheteur ou dans celle du vendeur. Du reste, on ne voit pas en quoi le comportement de Migros serait abusif. Le simple souhait de changer de fournisseur ne saurait être qualifié d'abusif au sens de l'art. 7 LCart. La recourante ne fait pas valoir que Migros aurait essayé d'obtenir de EEF des prix ou des conditions commerciales inéquitables au sens de l'art. 7 al. 2 let. c LCart. En fait, cette disposition vise les cas d'exploitation où une entreprise impose des prix sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie (Borer, op. cit., n. 16 ad art. 7 LCart; Dallafior, op. cit., n. 113 ss ad art. 7 LCart; Zäch, 2000, op. cit., p. 213 s.). Le simple fait d'essayer d'obtenir des conditions plus favorables que précédemment ne constitue pas encore un abus.
6.5.8 Depuis le rachat de Watt par NOK autorisé par la Commission de la concurrence (DPC 2002 p. 348 ss), NOK dispose, selon les informations fournies par la recourante, d'une part de marché de 41 % de la totalité de l'approvisionnement en électricité en Suisse. Même s'il fallait y voir une position dominante, cela ne constituerait pas encore une violation de l'art. 7 LCart. Car le simple fait qu'une entreprise occupe une position dominante n'est pas illicite aussi longtemps que cette position n'est pas utilisée de manière abusive au sens de l'art. 7 LCart (FF 1995 I 564; Dallafior, op. cit., n. 30 ad art. 7 LCart; Wohlmann, op. cit., p. 22). La recourante n'allègue pas l'existence d'un abus ni en quoi il consisterait. De toute façon, à supposer que Watt ait une position dominante (quoique sur une autre aire de marché), cela ne constitue pas un motif objectif et suffisant qui permettrait à la recourante d'interdire l'accès à son marché.
6.5.9 Enfin, la recourante affirme qu'en dehors de la loi sur le marché de l'électricité qui a été rejetée, il n'existerait aucune réglementation sur la formation des prix et sur les autres conditions pour l'utilisation du réseau. Elle ne pourrait pas négocier les prix avec Watt, étant donné qu'elles se trouvent toutes les deux dans un rapport de concurrence.
Les relations commerciales peuvent ne pas procéder de la libre volonté des partenaires. C'est toujours le cas lorsque, sur la base de l'art. 7 al. 2 let. a LCart, l'obligation d'entretenir des relations commerciales est imposée par les autorités de la concurrence à l'encontre de la volonté de l'entreprise en position dominante. A défaut, cette disposition resterait lettre morte. A vrai dire, la fixation du prix équitable pour l'utilisation d'un réseau peut soulever de grandes difficultés (Borer, op. cit., n. 12 ad art. 7 LCart; Hübscher/Rieder, op. cit., p. 441). Les autorités inférieures n'ont - contrairement aux conclusions initiales de la Migros - pas fixé elles-mêmes un prix pour l'utilisation du réseau, mais ont considéré qu'il s'agissait d'une question de droit civil entre EEF et la Migros.
En principe, il est vrai qu'il incombe aux parties de se mettre d'accord sur un prix équitable. Dans le cadre de la loi sur le marché de l'électricité, ont été élaborés des principes sur le calcul de la rétribution de l'acheminement de l'électricité (art. 6 LME; voir FF 1999 p. 6669 ss, 6708 s.). Ces critères peuvent, malgré le refus de la loi sur le marché de l'électricité, être repris pour la détermination du prix pour l'obligation d'acheminement reposant sur le droit des cartels. Si une entreprise en position dominante imposait un prix inéquitable, une nouvelle procédure pourrait être ouverte sur ce point devant les autorités de la concurrence (art. 7 al. 2 let. c et 26 ss LCart).
7.
En conclusion, le recours est mal fondé et doit donc être rejeté. Succombant, la recourante doit supporter les frais de procédure (art. 156 al. 1 en relation avec les art. 153 et 153a OJ). Obtenant gain de cause, les parties intimées, toutes représentées par un mandataire professionnel, ont droit à des dépens (art. 159 al. 2 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours de droit administratif est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 8'000 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
Il est mis à la charge de la recourante:
3.1 une indemnité de 4'000 fr. à verser à Watt Suisse AG à titre de dépens,
3.2 une indemnité de 4'000 fr. à verser à la Fédération des Coopératives Migros à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, à la Commission de la concurrence et à la Commission de recours pour les questions de concurrence.
Lausanne, le 17 juin 2003
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: