Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4C.76/2003 /ech
Arrêt du 2 juin 2003
Ire Cour civile
Composition
MM. les juges Corboz, président, Walter et Favre.
Greffière: Mme de Montmollin
Parties
A.________,
défendeur et recourant, représenté par Me Peter Schaufelberger, avocat, place Benjamin-Constant 2, case postale 3673, 1002 Lausanne,
contre
B.________,
demandeur et intimé.
Objet
contrat de travail; applicabilité d'une CCT
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 5 février 2003.
Faits:
A.
Par contrat de travail du 10 octobre 1996, A.________ a engagé B.________ en qualité d'ouvrier boulanger pour une durée indéterminée à compter du 21 octobre 1996. En dernier lieu, le salaire mensuel brut atteignait 3 650 fr. Le contrat a pris fin le 31 octobre 2001, à l'initiative du travailleur.
B.
Par requête du 28 février 2002, B.________ a assigné A.________ devant le Tribunal des prud'hommes de Lausanne en paiement de 12 131 fr. 65. Il s'agissait de salaire pour des jours non compensés et des heures de nuit ainsi que d'une gratification pro rata temporis, ces deux dernières prétentions se fondant sur la Convention collective de travail de la boulangerie-pâtisserie-confiserie artisanale suisse (ci-après: la CCT). Le défendeur a conclu au rejet de la demande. Reconventionnellement, il a réclamé au travailleur des dommages-intérêts à raison de 20 000 fr.
Par jugement du 24 mai 2002, le Tribunal des prud'hommes a condamné A.________ à payer à B.________ 12 131 fr. 65, sous déduction des charges légales et conventionnelles, avec intérêts à 5 % l'an dès le 1er mars 2002. La Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois a confirmé cette décision par arrêt du 5 février 2003. Les deux instances ont considéré que le travailleur pouvait se prévaloir de la CCT.
C.
Contestant l'applicabilité de la CCT, A.________ recourt en réforme au Tribunal fédéral pour violation des art. 18 et 356 ss CO . Ses conclusions tendent au rejet de la demande.
B.________ n'a pas produit de mémoire de réponse au recours.
La cour cantonale se réfère à ses considérants.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Selon les constatations souveraines de la cour cantonale (art. 63 al. 2 OJ), les parties sont toutes deux membres d'une association signataire de la CCT (teneur des 1er janvier 1997 et 1er janvier 2001), le demandeur de l'Association X.________, le défendeur de l'Association Y.________. Le contrat de travail ne renvoie pas à la CCT.
L'art. 5 de la CCT stipule ce qui suit:
"Personnel de production
1. La présente CCT est applicable à tous les employés de sexe masculin ou féminin (...) qui travaillent dans la production en tant que boulangers, boulangers-pâtissiers ou pâtissiers-confiseurs qualifiés, pour autant qu'ils soient en possession d'un certificat fédéral de capacité correspondant.
(...)
6. Les autres employés ne sont soumis à la CCT que moyennant un accord particulier écrit. Ceci concerne plus précisément:
a. les membres de la famille du propriétaire de l'entreprise;
b. les employés ayant terminé un préapprentissage (...), les manoeuvres, les employés qui suivent un préapprentissage, les stagiaires, les étrangers titulaires d'une autorisation de séjour de courte durée, et les employés qui ne peuvent se prévaloir que d'une certaine pratique professionnelle.
(...)"
Le demandeur est titulaire d'une attestation fédérale de formation élémentaire d'ouvrier en boulangerie-pâtisserie, délivrée au terme d'une formation de deux ans. D'après les constatations des premiers juges, auxquelles se réfère la cour cantonale, il effectuait le même travail que ses collègues, qu'ils soient ou non au bénéfice d'un certificat fédéral de capacité (ci-après: CFC). La cour cantonale considère que l'exigence d'un CFC posée par l'art. 5 CCT doit se comprendre en fonction de la systématique de la réglementation conventionnelle: celle-ci distingue clairement entre les travailleurs au bénéfice d'une formation professionnelle et ceux qui ne le sont pas, seuls les premiers étant concernés par la CCT. L'attestation de formation élémentaire d'ouvrier en boulangerie-pâtisserie dont dispose le demandeur constitue une attestation officielle, selon la loi fédérale sur la formation professionnelle (art. 49 al. 4 première phrase LFPr, RS 412.10), certifiant l'enseignement professionnel suivi, la durée et la fréquentation de celui-ci (art. 49 al. 3 et 4, deuxième phrase LFPr). De l'avis de la cour cantonale, une telle attestation professionnelle suffit à justifier l'application de la CCT, d'autant que les parties sont toutes deux membres d'associations professionnelles signataires de la CCT.
2. Pour le défendeur, cette manière de voir se heurte à la teneur claire de la CCT.
A l'appui de son recours, il fait valoir que la loi ou le contrat s'interprète d'abord par sa lettre et que ce n'est que si le texte n'est pas absolument clair et que plusieurs interprétations pourraient être possibles que le juge doit rechercher la portée de la norme ou le sens de la déclaration de volonté selon le principe de la confiance. En l'occurrence, il soutient que l'art. 5 CCT, par sa référence à la titularité d'un CFC, ne laisse précisément planer aucun doute quant au champ d'application personnel de la convention, rappelant que selon l'art. 43 al. 1 LFPr, "quiconque a réussi l'examen final et achevé l'apprentissage conformément au contrat reçoit le certificat de capacité qui l'autorise à se dénommer professionnel qualifié". Il ajoute que l'art. 5 al. 6 CCT démontre que les auteurs de la convention n'ont pas perdu de vue l'existence de catégories différentes de personnes dans la même branche professionnelle puisqu'ils ont expressément réservé la possibilité d'une adhésion individuelle par un contrat écrit pour toutes les personnes qui ne répondent pas aux exigences définissant le champ d'application personnel de la CCT.
Se référant à l'art. 49 LFPr, le défendeur relève que l'attestation délivrée au demandeur concerne une formation élémentaire devant donner aux jeunes gens l'habileté et les connaissances nécessaires à l'utilisation de procédés simples de fabrication ou de travail, dans le but de pouvoir passer d'une entreprise à une autre, mais qu'elle ne constitue aucunement une formation professionnelle en tant que telle. Comme il n'y a eu aucun accord écrit entre les parties qui aurait pu entraîner l'application de la CCT à leurs relations, que celles-ci ne se sont jamais référées à la CCT au cours de leurs rapports contractuels, que l'employeur n'a jamais opéré de déduction à titre de contribution CCT et qu'il a toujours précisé que les gratifications étaient versées à bien plaire, la CCT serait inapplicable.
3.
Selon la doctrine dominante et la jurisprudence, il faut distinguer, pour déterminer les règles applicables à l'interprétation d'une convention collective de travail, entre les clauses obligationnelles, qui régissent les droits et obligations réciproques des parties contractantes et qui doivent être interprétées comme les contrats, des clauses normatives qui règlent directement les rapports entre les employeurs et les travailleurs et qui suivent les principes valant en matière d'interprétation des lois (ATF 127 III 318 consid. 2a) - le cas des dispositions semi-normatives, sans intérêt pour le présent litige, étant réservé, de même que celui des décisions d'extension (cf. Tercier, Les contrats spéciaux, 3e éd., n° 3727 ss; Stöckli, Commentaire bernois, n° 62 ad art. 356 CO).
Les dispositions fixant le champ d'application des conventions collectives de travail rentrent difficilement dans le schéma qu'on vient de décrire (Stöckli, Der Inhalt des Gesamtarbeitsvertrages, p. 19). Cela n'a en définitive pas une grande importance. Il ne faut pas surestimer la différence entre les deux méthodes d'interprétation; en effet, bien qu'ayant une fonction de loi, les clauses normatives trouvent leur fondement dans le contrat, de sorte que la volonté des parties à la convention collective est un élément d'interprétation plus important que celle du législateur dans l'interprétation des lois (Schönenberger/ Vischer, op cit., n° 110 ad art. 356 CO; arrêt 4C.46/1993 du 06.10.93, consid. 3) Quant aux clauses obligationnelles, si leur interprétation suppose, en bonne règle (art. 18 CO), d'abord la recherche de la volonté réelle des parties avant la mise en oeuvre du principe de la confiance pour une interprétation objective selon la bonne foi (art. 2 CC), on doit souligner la place restreinte laissée à la volonté subjective des parties (cf. ATF 122 III 176 consid. 5c; Kramer, Commentaire bernois, n° 111 ss ad art. 1 CO).
Qu'il s'agisse de l'interprétation d'une norme légale ou d'une clause contractuelle selon le principe de la confiance, on doit partir en premier lieu du texte à examiner. A cet égard, le défendeur a raison. Mais un texte même clair et sans ambiguïté peut ne pas correspondre à son sens véritable. L'interprétation purement littérale est ainsi proscrite, si des raisons sérieuses permettent de penser que la teneur du texte litigieux ne reflète pas son vrai sens, eu égard par exemple au but poursuivi par le législateur ou par les parties, ou à la relation de la disposition considérée avec d'autres prescriptions (ATF 128 V 108 consid. 4b/aa; 127 III 318 consid. 2b; 129 III 118 consid. 2.5; 127 III 444 consid. 1b).
La cour cantonale n'a pas méconnu ces principes en l'occurrence. Si l'art. 5 al. 1 CCT fait expressément référence à la titularité d'un CFC pour décrire comment il faut entendre l'adjectif "qualifié" à propos des employés soumis à la convention sans autre formalité, l'énumération, à l'art. 5 al. 6 CCT, des travailleurs pour lesquels un accord particulier écrit est nécessaire montre que sont visés des employés sans formation ou alors en cours de formation (personnes ayant terminé un préapprentissage, en cours de préapprentissage, stagiaires, étrangers titulaires d'une autorisation de séjour de courte durée, ou employés ne pouvant se prévaloir que d'une certaine pratique professionnelle). Or l'attestation de formation élémentaire dont le demandeur se prévaut suppose le suivi d'un enseignement comportant tant des branches techniques que de culture générale, sur une durée de un à deux ans. Si le succès de cette formation n'est pas constaté par un examen, comme pour un CFC, l'autorité s'assure néanmoins de l'atteinte du but de la formation par une inspection du poste de travail et par un entretien avec l'école professionnelle fréquentée (art. 49 LFPr; 40 à 42 OFPr). Dans ces circonstances, en jugeant que l'attestation professionnelle obtenue par le demandeur justifiait l'application de la CCT, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral.
4.
Le défendeur ne remet pas en question la manière dont la Chambre des recours vaudoise a appliqué la CCT pour allouer au demandeur ses prétentions relatives à la rémunération de son travail de nuit ou concernant sa gratification. Il n'y a pas lieu de revenir sur ces points. Pour le reste, l'arrêt cantonal n'est pas critiqué.
5.
Le recours doit être rejeté. La procédure est gratuite ( art. 343 al. 2 et 3 CO ). Le demandeur n'a pas procédé par l'entremise d'un avocat ni allégué d'autres frais particuliers pour sa défense devant le Tribunal fédéral, si bien qu'il n'a pas droit à une indemnité de dépens (art. 159 OJ; ATF 115 II 30 consid. 5c).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 2 juin 2003
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: