BGer 6S.89/2003
 
BGer 6S.89/2003 vom 05.05.2003
Tribunale federale
{T 0/2}
6S.89/2003 /viz
Arrêt du 5 mai 2003
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Kolly et Mme Pont Veuthey, Juge suppléante.
Greffière: Mme Kistler.
Parties
A.A.________,
recourant, représenté par Me Mauro Poggia, avocat,
rue De-Beaumont 11, 1206 Genève,
contre
Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, case postale, 1014 Lausanne.
Objet
faux dans les titres,
pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal cantonal vaudois, Cour de cassation pénale, du 14 août 2002.
Faits:
A.
Par jugement du 18 avril 2002, le Tribunal de police de l'arrondissement de La Côte a condamné A.A.________, pour faux dans les titres, à la peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans.
Statuant le 14 août 2002, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a confirmé le jugement de première instance.
B.
En résumé, les faits à la base de cette condamnation sont les suivants:
B.a A.A.________, né en 1950, a été salarié dans différentes branches du groupe bancaire Y.________ pendant une quinzaine d'années. En janvier 1999, il a déposé une demande de prise en charge à 100 % par l'assurance-invalidité, dès lors qu'il souffrait, notamment, de lombalgies, cruralgies et de douleurs à la hanche gauche.
Le 17 septembre 1999, la Fondation de Prévoyance des sociétés du groupe Y.________ (ci-après: la Fondation) s'est adressée à l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: Office AI), avançant que A.A.________ "pratiquerait le golf et participerait plus ou moins régulièrement à des compétitions au Golf du club X.________, dont il est membre". Elle ajoutait qu'elle n'était évidemment pas en mesure de déterminer si cette pratique était compatible avec l'affection dont souffrait A.A.________.
B.b C'est dans ces circonstances que, le 25 septembre 1999, à la demande de A.A.________, la direction du club X.________ a fait l'attestation suivante:
"Par ces lignes, nous attestons que Monsieur A.A.________ n'a participé à aucune compétition dans notre club pendant les saisons 1997 et 1998. "
Le conseil de A.A.________ a transmis cette attestation à l'Office AI. Le directeur du club a admis qu'il avait pu se montrer négligent et n'avait pu que se fonder sur les déclarations de A.A.________, puisque les renseignements de l'attestation ne concordaient pas avec les pièces que détenait le club de golf. Celles-ci établissaient en effet que A.A.________ avait participé à plusieurs compétitions, soit en 1997 à une compétition individuelle et à cinq compétitions par équipe et en 1998, à neuf compétitions par équipe.
B.c Par lettre du 4 octobre 1999, l'Office AI s'est adressé comme suit au club X.________:
"La personne citée en marge est membre du golf et participe régulièrement à des entraînements et tournois sur votre terrain. Selon des renseignements dignes de foi, M. A.A.________ aurait participé le 1er août 1999 à un départ interne et le 12 septembre 1999 à une compétition Cartier. Nous vous saurions gré de bien vouloir nous confirmer l'engagement de M. A.A.________ aux différentes compétitions, étant entendu que notre assurance se réserve le droit de confronter les témoignages requis pour l'instruction du dossier de notre assuré."
Le directeur du club X.________ a préparé le projet suivant de réponse daté du 8 octobre 1999, lequel comprend en pied de page notamment la note manuscrite "lettre proposée à M. A.A.________ après discussion avec lui, j'attends sa réponse pour l'envoi":
"En référence à votre lettre du 4 octobre 1999 concernant notre membre A.A.________, en qualité de golfeur, nous vous signalons que nous ne donnons aucune information sur nos membres; mais avec l'autorisation de Monsieur A.A.________ à titre confidentiel, nous pouvons vous confirmer que celui-ci a fait équipe avec Madame B.A.________, le 12 septembre 1999, à la Compétition Cartier.
D'autre part, nous ne pouvons pas vous dire que Monsieur A.A.________ participe régulièrement à des entraînements et tournois sur le Golf du club X.________, et nous vous serions gré de nous préciser ce que vous entendez par un départ interne le 1er août."
L'attestation finale, datée du 22 octobre 1999 et signée par le directeur du club X.________, a la teneur suivante:
"Par la présente, nous faisons suite à votre courrier du 4 courant.
En tant qu'association sportive privée, nous avons pour politique de refuser systématiquement toute demande de renseignements concernant l'un ou l'autre de nos membres.
Toutefois, compte tenu du cas particulier et avec l'accord de Monsieur A.A.________, nous vous confirmons volontiers que celui-ci figure dans nos registres pour l'année golfique 1999, en qualité de membre actif et que celui-ci était inscrit aux compétitions organisées les 1er août et 12 septembre 1999, pour cette dernière en qualité de coéquipier de son épouse, Madame B.A.________. "
L'instruction a permis d'établir que A.A.________ avait participé à huit compétitions par équipe et à deux compétitions individuelles entre le 1er janvier et le 22 octobre 1999.
B.d Par décision du 21 janvier 2002, l'Office AI a rejeté la demande de prestations AI de A.A.________. Il a constaté que celui-ci ne souffrait ni d'une atteinte physique, ni d'une atteinte psychique diminuant sa capacité de travail.
C.
A.A.________ forme un pourvoi en nullité au Tribunal fédéral. Invoquant une violation de l'art. 251 CP, il conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal.
D. Le Ministère public du canton de Vaud conclut au rejet du pourvoi.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application du droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base exclusive de l'état de fait définitivement arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1 let. b PPF). Le raisonnement juridique doit se fonder sur les faits retenus dans la décision attaquée, dont le recourant ne peut s'écarter.
Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne peut aller au-delà des conclusions du recourant (art. 277bis PPF). Celles-ci, qui doivent être interprétées à la lumière de leur motivation, circonscrivent les points litigieux (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66).
2.
Le recourant conteste sa condamnation pour faux dans les titres (art. 251 CP).
L'article 251 CP vise non seulement la création d'un titre faux ou la falsification d'un titre (faux matériel), mais aussi l'établissement d'un titre mensonger (faux intellectuel). Il y a création d'un titre faux lorsqu'une personne fabrique un titre dont l'auteur réel ne coïncide pas avec l'auteur apparent, alors que le faux intellectuel vise l'établissement d'un titre qui émane de son auteur apparent, mais qui est mensonger dans la mesure où son contenu ne correspond pas à la réalité (ATF 126 IV 65 consid. 2a p. 67).
Il est généralement admis qu'un simple mensonge écrit ne constitue pas un faux intellectuel. La confiance que l'on peut avoir à ne pas être trompé sur la personne de l'auteur est plus grande que celle que l'on peut avoir à ce que l'auteur ne mente pas par écrit; pour cette raison, la jurisprudence exige, dans le cas du faux intellectuel, que le document ait une crédibilité accrue et que son destinataire puisse s'y fier raisonnablement. Une simple allégation, par nature sujette à vérification ou discussion, ne suffit pas; il doit résulter des circonstances concrètes ou de la loi que le document est digne de confiance, de telle sorte qu'une vérification par le destinataire n'est pas nécessaire et ne saurait être exigée (ATF 126 IV 65 consid. 2a p. 67; 125 IV 17 consid. 2a/aa p. 23; 123 IV 61 consid. 5b p. 64).
3.
L'attestation du 22 octobre 1999, qui est une réponse à la lettre du 4 octobre 1999 de l'Office AI, ne doit pas être analysée séparément, mais en rapport avec cette dernière. Contrairement à ce que soutient l'autorité cantonale, la lettre de l'Office AI est ambiguë; il n'est pas évident que le qualificatif "différentes" ne se limite pas aux deux compétitions dont l'Office AI avait déjà connaissance et pour lesquelles il demandait simplement une confirmation. La réponse du club X.________ qui mentionne que le recourant a effectivement participé aux deux compétitions mentionnées, sans affirmer que le recourant n'aurait pas participé à d'autres compétitions, ne contient rien d'inexact; elle se contente de répondre aux questions qui ont été posées. Elle ne saurait en conséquence être qualifiée de mensongère. Le pourvoi doit donc être admis sur ce point, et l'arrêt cantonal doit être annulé dans la meure où il qualifie de mensongère l'attestation du 22 octobre 1999.
4.
L'attestation du 25 septembre 1999 certifie, pour sa part, de manière générale, que le recourant n'a participé à aucune compétition en 1997 et 1998. Cette attestation constate un fait mensonger dans la mesure où le recourant avait en fait effectué six compétitions en 1997, neuf en 1998 et dix en 1999. Il s'agit dès lors de déterminer si ce document mensonger constitue ou non un faux intellectuel.
4.1 Selon l'autorité cantonale, le club de golf serait investi, en tant que tiers, d'une mission de confiance impliquant un devoir d'objectivité, et l'attestation qu'il a établie le 25 septembre 1999 présenterait une garantie objective de véracité, et ce d'autant plus qu'elle était destinée - ce que le club de golf et le recourant savaient - à un organisme officiel. Par ce raisonnement, l'autorité cantonale se réfère à la conception développée par Ferrari et Corboz, qui admettent le faux intellectuel chaque fois que l'on se trouve dans une "relation triangulaire" et que le tiers dont le titre émane n'est pas intéressé à l'affaire (Corboz, Le faux dans les titres, RJB 131 (1995) p. 534 ss, spéc. 573 ss; Les infractions en droit suisse, volume II, Berne 2002, p. 210 ss; Pierre Ferrari, La constatation fausse - le mensonge écrit, RPS 112 (1994) p. 153 ss, p. 167 ss). Selon ces auteurs, la participation de plusieurs personnes aux faits faussement attestés confèrent en effet au document aussi bien un caractère probant accru qu'une capacité objectivement accrue pour le tiers destinataire, d'être convaincu.
4.2 La conception de Ferrari et de Corboz n'est cependant pas suivie par la jurisprudence, qui est plus restrictive et n'admet le faux intellectuel que si des circonstances objectives confèrent au titre une crédibilité particulière. Selon la jurisprudence, tel est notamment le cas lorsque le titre émane d'une personne revêtant une certaine qualité ou que des dispositions légales comme les art. 958 ss CO relatifs au bilan définissent son contenu (ATF 126 IV 65 consid. 2 a p. 67 s.); de simples faits découlant de l'expérience générale de la vie, tels que la confiance qu'inspire habituellement telle ou telle déclaration écrite, ne suffisent pas, quand bien même, dans la vie des affaires, on s'attend généralement à ce qu'elle soit exacte (ATF 122 IV 25 consid. 2; ATF 122 IV 332 consid. 2b; ATF 121 IV 131 consid. 2c; ATF 120 IV 122 consid. 4c).
4.2.1
Dans des cas de "rapport triangulaire", le Tribunal fédéral a reconnu l'existence d'un faux intellectuel lorsque l'auteur avait un devoir légal de contrôle ou de renseigner, ce qui donnait à sa déclaration une garantie objective de véracité. C'est ainsi qu'il a retenu le faux intellectuel vis-à-vis d'un grossiste qui avait désigné de la viande d'antilope africaine comme du gibier européen, au motif que celui-ci avait le devoir légal déjà au stade du commerce en gros de déclarer correctement le gibier pour protéger les consommateurs (ATF 119 IV 289 consid. 4c p. 295 s.). Il a également estimé que l'architecte qui avait le mandat de contrôler le décompte final par rapport à la fortune du maître de l'ouvrage selon les art. 153-156 de la norme SIA 118 se rendait coupable de faux intellectuel dans les titres en approuvant les factures surfaites des entrepreneurs (ATF 119 IV 54 consid. 2d/dd p. 58 s.). Dans un autre cas, il a jugé coupable de faux intellectuel le médecin qui avait établi une feuille de maladie mensongère et qui avait fait valoir pour lui ou pour son patient des prestations auprès de la caisse-maladie, en raison du rapport de confiance particulier existant entre le médecin et la caisse-maladie (ATF 117 IV 165 consid. 2c p. 169 ss avec renvoi à l'ATF 103 IV 178, p. 184 ss). Enfin, le faux intellectuel a été admis dans le cas de celui qui exerçait une fonction dirigeante dans une banque en tant que gérant de fortune, cela en relation avec les clients dont il s'occupait, en particulier à cause de la législation spéciale et des contrôles spécifiques auxquels sont soumises les banques (ATF 120 IV 361 consid. 2c p. 363 s.).
4.2.2 En revanche, le Tribunal fédéral a nié la qualité de faux intellectuel dans toute une série de cas, où l'auteur du titre n'avait aucune obligation légale de donner des renseignements exacts. Il n'a ainsi pas retenu le faux intellectuel dans le cas d'un garagiste qui avait établi une facture fictive à l'intention de son client pour justifier une prétention envers une assurance privée. Il explique que la compagnie d'assurance était certes en droit d'attendre que le document en question ne soit pas falsifié, mais elle n'avait pas de raison de croire qu'il reflétait exactement la réalité des faits; il eût fallu, pour qu'une telle confiance soit justifiée, des circonstances particulières, par exemple que le document se présente comme un extrait de bilan ou qu'une garantie spéciale s'y attache (ATF 117 IV 35 consid. 2 p. 39). Dans un autre cas, le Tribunal fédéral a dénié la qualité de faux intellectuel à des décomptes de salaires que l'employeur avait établi au nom d'une personne qui n'était pas le travailleur véritable au motif que ceux-ci ne bénéficiaient d'aucune crédibilité particulière. Il a précisé qu'il était à cet égard sans importance que l'auteur ait mal agi au regard du droit des assurances sociales et du droit fiscal (ATF 118 IV 363 consid 2b p. 365 s.; dans le même sens voir arrêt non publié du 1er novembre 2000, 6S.375/2000). Enfin, dans un arrêt non publié, le Tribunal fédéral a nié le caractère de faux intellectuel aux documents que l'employeur avait remis à la caisse de chômage pour l'examen du droit à l'indemnité et le calcul de celle-ci au motif que le devoir de communication et d'information de l'employeur n'était qu'une incombance, à savoir un simple devoir de collaboration sans véritable caractère obligatoire, et que la caisse de chômage devait examiner l'ensemble des circonstances, en demandant, le cas échéant, d'autres documents (voir arrêt non publié du 16 août 2001 du Tribunal fédéral, 6S.655/2000).
5.
Au vu de cette jurisprudence, il convient également de nier toute garantie de véracité particulière à l'attestation du 25 septembre 1999. Il convient en premier lieu de relever que l'attestation n'a pas été demandée directement par l'Office AI, mais qu'elle a été requise par le recourant lui-même. En second lieu, la procédure d'instruction de caractère informelle de l'Office AI n'offre aucune garantie particulière et, en tant que personne qui fournit de simples renseignements, le directeur du golf n'avait aucun devoir légal de répondre. En effet, selon la réglementation sur l'assurance-invalidité, l'Office AI, qui est chargé de réunir les renseignements et les pièces nécessaires pour déterminer les prestations auxquelles l'assuré a droit, peut s'adresser à l'assuré, à son employeur et à ses proches, ainsi qu'aux organismes d'assistance, lesquels sont tenus de fournir gratuitement des renseignements véridiques (art. 69 ss du règlement sur l'assurance-invalidité, RAI; RS 831.201) et pourront se voir infliger des sanctions en cas de mauvaise collaboration (art. 89 RAI qui renvoie aux art. 205 à 214 du règlement sur l'assurance vieillesse et survivants, RS 831.101). Il n'a en revanche pas la compétence d'entendre, de manière générale, des témoins. Il ne peut interroger des tiers (autres que ceux précités) qu'à titre de renseignement; il n'a donc sur ces derniers aucun moyen de coercition et ceux-ci ne sont pas tenus de répondre (cf. Stéphane Blanc, La procédure administrative en assurance-invalidité, thèse Fribourg 1999, p. 119, 140 s.). En tant que simple particulier qui fournit des renseignements, le directeur du golf n'avait ainsi aucune position particulière et ses déclarations ne revêtaient donc aucune garantie accrue de véracité. En conséquence, le pourvoi doit être admis, l'attestation du 25 septembre 1999 ne pouvant être qualifiée de faux intellectuel.
Cela ne signifie pas pour autant que le recourant n'a pas commis d'infraction. Dans la mesure où il a donné des renseignements inexacts, il tombe sous le coup des dispositions pénales de la loi fédérale sur l'assurance l'assurance-invalidité (RS 831.20; art. 70 LAI qui renvoie aux art. 87 à 91 de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, RS 831.10).
6.
Au vu de ce qui précède, le pourvoi doit être admis, l'arrêt attaqué doit être annulé et le dossier, renvoyé à l'autorité cantonale pour une nouvelle décision.
Vu l'issue du pourvoi, il ne sera pas perçu de frais et une indemnité de dépens sera allouée au recourant pour la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 278 al. 3 PPF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le pourvoi est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité cantonale.
2.
Il n'est pas perçu de frais.
3.
La Caisse du Tribunal fédéral versera une indemnité de 3'000 francs au recourant.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Ministère public du canton de Vaud et au Tribunal cantonal vaudois, Cour de cassation pénale.
Lausanne, le 5 mai 2003
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: