BGer 4C.373/2002
 
BGer 4C.373/2002 vom 18.03.2003
Tribunale federale
{T 0/2}
4C.373/2002 /ech
Arrêt du 18 mars 2003
Ire Cour civile
Composition
MM. les Juges Corboz, président, Walter et Favre.
Greffière: Mme de Montmollin
Parties
X.________ Inc.,
demanderesse et recourante, représentée par Me Olivier Péclard, avocat, rue St-Victor 12, case postale 473, 1211 Genève 12,
contre
la banque Y.________ SA,
défenderesse et intimée, représentée par Me Michel Amaudruz, avocat, Poncet, Turrettini, Amaudruz, Neyroud & Ass, rue de Hesse 8-10, case postale 5715, 1211 Genève 11.
Objet
contrat d'assignation; acceptation
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 11 octobre 2002.
Faits:
A.
A une date non précisée, sur mandat de A.________, ayant droit économique de la société B.________ Ltd, la banque Y.________, a émis en faveur de la compagnie d'aviation C.________ une garantie bancaire de 300 000 UK£ dont l'échéance était le 28 février 1995.
Fin 1994, le groupe E.________ a accepté de prêter 300 000 UK£ à B.________ Ltd. Le remboursement devait intervenir sur un compte ouvert auprès de la banque D.________, au nom de X.________ Inc., grâce aux fonds libérés à l'échéance de la garantie fournie par la banque Y.________.
Le 14 décembre 1994, A.________ a fourni à la banque Y.________, sur demande du groupe E.________, un projet de lettre qu'il voulait que la banque adresse à X.________ Inc. et qui confirmait la cession par la banque à X.________ Inc. des 300 000 UK£ détenues en espèces par la banque à titre de contrepartie de la garantie en faveur de C.________. La banque Y.________ a refusé d'envoyer ce courrier, expliquant qu'elle ne voulait pas assumer d'engagement propre.
Par fax du même jour, A.________ a donné à la banque Y.________ l'ordre de transférer la somme de 300 000 UK£ sur le compte de X.________ Inc. dès que la garantie en faveur de C.________ aurait été libérée.
Le 19 décembre 1994, sur demande de E.________, qui souhaitait qu'elle confirme à la banque D.________ que X.________ Inc. serait la bénéficiaire des 300 000 UK£ provenant de la libération de la garantie bancaire en faveur de C.________, la banque Y.________ a attesté par fax qu'elle était en possession d'un ordre de A.________ de transférer à X.________ Inc. la somme de 300 000 UK£ aussitôt que C.________ aurait libéré la garantie bancaire.
En février 1995, A.________ a annulé son ordre de virement du 14 décembre 1994.
En conséquence, la banque Y.________ n'a pas versé à X.________ Inc. les 300 000 UK£ provenant de la libération de la garantie en faveur de C.________.
A la suite de sa demande de renseignements sur le déroulement de l'opération, la banque D.________ a été informée de la révocation de l'ordre le 31 juillet 1995.
B.
Estimant que le courrier faxé le 19 décembre 1994 par la banque Y.________ constituait un engagement de la part de celle-ci à lui verser 300 000 UK£, X.________ Inc. a assigné, par acte du 20 décembre 1996, la banque Y.________ en paiement de 624 000 fr. (contre-valeur de 300 000 UK£) avec intérêts devant le Tribunal de première instance du canton de Genève, sollicitant également la mainlevée de l'opposition formée par la banque Y.________ à un commandement de payer que la demanderesse lui avait fait préalablement notifier. Le tribunal a rejeté l'action par jugement du 18 juin 2001. Sur appel de la demanderesse, la Cour de justice du canton de Genève a confirmé cette décision dans un arrêt du 11 octobre 2002. En substance, les juridictions cantonales ont considéré que l'ordre de paiement donné le 14 décembre 1994 par A.________ à la banque Y.________ constituait une assignation au sens des art. 466 ss CO, qui avait été valablement révoquée en février 1995, et que le fax du 19 décembre 1994 ne pouvait s'interpréter comme un engagement propre de la banque assignée à verser les 300 000 UK£. Les autorités cantonales ont également jugé que les conditions d'une responsabilité précontractuelle, délictuelle ou fondée sur la confiance n'étaient pas réalisées.
C.
X.________ Inc. recourt en réforme au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 11 octobre 2002. Invoquant la violation des art. 2 CC, 41, 466, 467, 468 et 470 CO, elle conclut à la condamnation de la banque Y.________ à lui verser 624 000 fr. avec intérêts à 6 % dès le 16 décembre 1994 ainsi qu'à la mainlevée définitive de l'opposition formée le 30 juillet 1996 par la banque, siège principal, au commandement de payer dans la poursuite n° 96/2475.
La défenderesse invite le Tribunal fédéral à rejeter le recours et à confirmer l'arrêt attaqué.
La cour cantonale ne formule pas d'observations.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le litige présente des éléments d'extranéité. Avec raison, les parties ne contestent toutefois ni la compétence des tribunaux genevois - la défenderesse étant une société suisse possédant une succursale à Genève -, ni l'application du droit suisse - la banque assignée ayant son établissement en Suisse (ATF 127 III 553 consid. 2a à 2d et les références).
2.
L'acte de recours s'écarte sur de nombreux points des constatations de fait retenues en dernière instance cantonale. Lorsqu'il est saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral est cependant lié par les faits tels qu'ils sont exposés dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuves n'aient été violées, qu'il n'y ait lieu à rectification de constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il ne faille compléter les constatations de fait de l'autorité cantonale parce que celle-ci a considéré à tort des faits régulièrement allégués comme sans pertinence (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a), toutes exceptions qu'il appartient au recourant de faire valoir expressément et précisément. En l'occurrence, la demanderesse ne remplit pas cette dernière exigence, de sorte qu'il n'est pas possible de tenir compte de l'état de fait qu'elle présente ni des arguments qu'elle soulève sur la base de constatations ne ressortant pas de la décision attaquée.
3.
Dans un premier moyen, la demanderesse invoque la violation des art. 466 ss CO. Elle soutient que le fax du 19 décembre 1994 devait, selon les règles de la bonne foi, s'interpréter non comme une simple information, mais comme un engagement de l'assignée à exécuter l'ordre de transfert selon l'art. 468 al. 1 CO, si bien que l'assignant ne pouvait valablement révoquer l'assignation au mois de février 1995 en vertu de l'art. 470 al. 2 CO.
3.1 Par l'assignation, l'assigné est autorisé à remettre à l'assignataire, pour le compte de l'assignant, une somme d'argent ou d'autres fongibles que l'assignataire peut percevoir en son propre nom (art. 466 CO). Le cas échéant, l'assigné ne sera engagé envers l'assignataire qu'après lui avoir notifié son acceptation (art. 468 al. 1 CO). L'acceptation suppose donc une manifestation de volonté - expresse ou par actes concluants - adressée à l'assignataire. L'assigné assume alors une dette nouvelle, décrite généralement comme abstraite (ATF 127 III 553 consid. 2e/bb; 92 II 335 consid. 3). Tant que l'assigné n'a pas notifié son acceptation à l'assignataire, l'art. 470 al. 2 CO permet à l'assignant de révoquer son assignation; ce dernier ne peut renoncer à ce droit (ATF 122 III 237 consid. 3c confirmé in ATF 127 III 553 précité, consid. 2e/aa).
A l'instar des autres déclarations de volonté, l'acceptation doit être comprise dans le sens que le destinataire pouvait et devait lui donner selon les règles de la bonne foi (théorie de la confiance). On part du texte de la déclaration, que l'on examine ensuite dans son contexte; on prend également en considération toutes les circonstances qui ont accompagné ou précédé la manifestation de volonté (ATF 128 III 265 consid. 3a; 127 III 444 consid. 1b). Le Tribunal fédéral revoit librement l'interprétation donnée par la cour cantonale, qui constitue une question de droit; il reste néanmoins lié par les constatations de l'instance précédente sur le contenu de la manifestation de volonté et les circonstances entourant son expression, qui sont des points de fait (ATF 128 III 212 consid. 2b/bb; 126 III 375 consid. 2e/aa; 124 III 363 consid. 5a; 123 III 165 consid. 3a).
3.2 La cour cantonale s'est fondée sur une jurisprudence récente du Tribunal fédéral rappelant que selon les usages commerciaux, la simple remise d'une copie d'un document traduit un souci d'information, mais ne permet pas de déduire la volonté de prendre un engagement distinct; dans cette même décision, il est souligné que lorsque la banque assignée n'est pas provisionnée, il est peu vraisemblable que celle-ci prenne un engagement abstrait dont on ne verrait pas le fondement économique (ATF 127 III 553 consid. 2e/bb). Cela étant, la cour a considéré que le texte du fax du 19 décembre 1994 ne permettait pas de considérer ce document comme une communication manifestant expressément la volonté de la défenderesse de s'engager à l'égard de la banque D.________, respectivement de la demanderesse. Dans un deuxième temps, la cour a jugé que l'envoi de ce fax ne pouvait pas non plus, au vu de l'ensemble des circonstances, constituer une attitude concluante de la part de l'assignée qui aurait permis de retenir un engagement propre: le 19 décembre 1994, la banque n'avait aucune certitude que la garantie bancaire serait libérée à son échéance du 28 février 1995, puisque C.________ pouvait la faire valoir; la banque avait de plus refusé précédemment un projet de lettre qui comportait précisément un tel engagement. Enfin, le fax du 19 décembre 1994 était adressé à un établissement bancaire sis en Suisse pour qui tous ces éléments devaient paraître évidents, singulièrement le caractère révocable d'un ordre de virement et le fait que la défenderesse ne souhaitait pas prendre un engagement pour lequel elle n'avait aucune certitude d'être couverte.
3.3 Se fondant sur le droit que reconnaît à l'assigné l'art. 468 al. 1 CO de faire des réserves, la demanderesse soutient qu'en l'occurrence la défenderesse avait fait usage de cette faculté puisque la lettre de confirmation stipulait qu'elle était en possession d'un ordre de transfert de 300 000 UK£ en faveur de la demanderesse "dès la levée de la garantie bancaire par C.________", cette précision constituant une condition suspensive. La banque n'aurait donc pas eu à transférer les 300 000 UK£ si C.________ avait fait valoir la garantie. Autrement dit, soutient la demanderesse, l'assignée se serait engagée sous la condition suspensive de la libération préalable du montant de la garantie, si bien qu'elle était certaine de bénéficier d'une couverture totale au moment de l'engagement.
3.4 Il est vrai que, souvent, les banques ne s'engagent qu'à la condition d'être couvertes au jour d'échéance (Gautschi, Commentaire bernois, n. 5b ad art. 468 CO). En l'occurrence cependant, plusieurs éléments ne permettent pas de suivre la thèse soutenue par la demanderesse. D'abord, d'un point de vue purement littéral, confirmer être en possession d'un ordre n'équivaut nullement à s'engager à effectuer un transfert; l'expéditeur et le destinataire du fax du 19 décembre 1994 étaient tous deux des établissements bancaires sis en Suisse qui ne pouvaient s'abuser sur le caractère révocable d'un ordre de paiement; enfin et surtout, la banque avait déjà clairement manifesté, en refusant de signer un projet préalable, que précisément elle ne voulait pas s'engager personnellement. En déférant finalement aux souhaits de E.________ de confirmer l'existence de l'ordre de paiement litigieux, il apparaît en définitive que la défenderesse n'a fait qu'accomplir un acte de courtoisie commerciale, qu'on peut rapprocher en l'occurrence de l'envoi de la copie d'un document à titre informatif mentionné dans le précédent cité par la cour cantonale (ATF 127 III 553 consid. 2e/bb). L'affirmation selon laquelle les banques ne confirment jamais de telles informations est sans fondement. Le premier moyen du recours doit donc être rejeté.
4.
A titre subsidiaire, la demanderesse invoque la violation du principe de la responsabilité précontractuelle. Elle allègue qu'il est contraire aux règles de la bonne foi de donner sciemment ou par négligence des renseignements inexacts s'il est reconnaissable que ceux-ci influenceront les décisions financières du destinataire. Le fait d'adresser, dans le contexte d'espèce, la lettre du 19 décembre 1994 en sachant que les banques ne confirment jamais par écrit de simples informations aurait à l'évidence constitué une démarche trompeuse pour le groupe canadien, lequel aurait alors procédé au transfert des 300 000 UK£.
4.1 La responsabilité résultant d'une culpa in contrahendo repose sur l'idée que, pendant les pourparlers, les parties doivent agir selon les règles de la bonne foi. L'ouverture des pourparlers crée déjà une relation juridique entre les parties et leur impose des devoirs réciproques. Chaque partie est ainsi tenue de négocier sérieusement conformément à ses véritables intentions; il lui appartient en outre de renseigner l'autre, dans une certaine mesure, sur les circonstances propres à influencer sa décision de conclure le contrat, ou de le conclure à des conditions déterminées (ATF 121 III 350 consid. 6c p. 354; 116 II 695 consid. 3 p. 698; 105 II 75 consid. 2a p. 79 ss et les arrêts cités). La partie qui ne respecte pas cette obligation répond de ce chef non seulement lorsqu'elle a fait preuve d'astuce au cours des pourparlers, mais déjà lorsque son attitude a été de quelque manière fautive, qu'il s'agisse de dol ou de négligence, dans les limites tout au moins de la responsabilité qu'elle encourt sous l'empire du contrat envisagé (ATF 101 Ib 422 consid. 4b p. 432 et les références citées). Le devoir d'information ne concerne pas les circonstances que l'autre partie est censée connaître elle-même. Mais il incombe à chacun de ne pas donner de faux renseignements et d'éviter de provoquer un vice du consentement par inadvertance, laisser-aller ou ambiguïté.
4.2 Dans le cas particulier, la cour cantonale a jugé que les renseignements donnés par la défenderesse étaient parfaitement conformes à l'ordre de virement effectivement émis par A.________. Au surplus, on ne pouvait considérer que le fax du 19 décembre 1994 avait pu susciter une confiance justifiée auprès de la demanderesse, puisque cette dernière, dont le mandataire était un établissement bancaire suisse, ne pouvait et ne devait comprendre de ce document qu'il existait un engagement abstrait de la part de la défenderesse de transférer la somme de 300 000 UK£.
4.3 On a vu que l'une des prémisses sur lesquelles la demanderesse construit sa critique, à savoir que les établissements bancaires ne confirmeraient jamais par écrit de simples informations, était sans fondement. Pour le reste, sur la base des constatations souveraines de la
cour cantonale, on ne peut que suivre celle-ci dans son application du droit fédéral. Ce deuxième moyen doit également être rejeté.
5.
En troisième lieu, la demanderesse invoque la violation de l'art. 41 CO. Se référant à la jurisprudence et à l'art. 3 de la loi fédérale sur les banques qui oblige celles-ci à garantir en tout temps une activité irréprochable, elle fait valoir qu'en omettant toute précision ou réserve quant à la portée de la confirmation donnée et en acceptant par la suite de révoquer l'ordre de paiement sans même un avertissement à l'assignataire, la défenderesse l'aurait exposée au danger de ne plus pouvoir récupérer ses fonds et par là aurait commis un acte illicite.
La cour cantonale a écarté le moyen en retenant que le fax du 19 décembre 1994 était à la fois clair et exact. Par ailleurs, elle a jugé que l'omission d'informer la banque D.________, respectivement la demanderesse, ne constituait pas un acte illicite dès lors que la banque n'avait aucune obligation d'agir envers l'assignataire. Une fois encore, le raisonnement de la cour cantonale paraît conforme au droit fédéral. La demanderesse ne démontre nullement l'existence d'une obligation précise d'agir que la défenderesse aurait violée. La référence à l'art. 3 de la loi sur les banques est vaine.
6.
Dans un dernier moyen, la demanderesse invoque la violation du principe de la responsabilité fondée sur la confiance. Pour les raisons déjà évoquées en ce qui concerne la responsabilité précontractuelle, qui est considérée comme un cas particulier de la responsabilité fondée sur la confiance (ATF 121 III 350 consid. 6c), ce dernier grief doit être écarté sans autre. Comme la cour cantonale, on ne voit pas quel rapport de fidélité et de confiance spécial (cf. ATF 128 III 324 consid. 2.2) pourrait unir les parties.
7.
Il suit de ce qui précède que le recours doit être rejeté. La recourante supportera les frais et dépens (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté
2.
Un émolument judiciaire de 8500 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 10 000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 18 mars 2003
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: