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Original
 
[AZA 7]
K 8/01
Ière Chambre
MM. et Mme les Juges fédéraux Lustenberger, Président,
Schön, Spira, Widmer et Meyer. Greffier : M. Frésard
Arrêt du 30 novembre 2001
dans la cause
R.________, recourante, représentée par ses parents, Monsieur et Madame R.________,
contre
SUPRA Caisse-maladie, chemin de Primerose 35, 1007 Lausanne, intimée,
et
Tribunal des assurances du canton de Vaud, Lausanne
A.- R.________, née en 1980, a consulté le 1er fé- vrier 1999 la doctoresse K.________, spécialiste FMH en chirurgie maxillo-faciale. Le 7 avril 1999, ce médecin a procédé à l'extraction de trois dents de sagesse incluses (nos 18, 28 et 38). Elle a établi, le 22 avril 1999, une note d'honoraires de 1317 fr. 50.
R.________ est assurée contre la maladie auprès de la Caisse-maladie SUPRA. Par décision du 14 décembre 1999, la caisse a refusé de prendre en charge les frais de l'intervention susmentionnée, considérant qu'il s'agissait d'un traitement dentaire qui ne relevait pas des prestations obligatoires des soins. Elle a confirmé son refus par une décision sur opposition le 31 janvier 2000.
B.- Par jugement du 30 octobre 2000, le Tribunal des assurances du canton de Vaud a rejeté le recours formé par l'assurée contre cette décision.
C.- R.________ interjette un recours de droit administratif dans lequel elle conclut au paiement par la SUPRA du montant de 1317 fr. 50.
La Caisse-maladie SUPRA conclut au rejet du recours.
Quant à l'Office fédéral des assurances sociales, il ne s'est pas déterminé à son sujet.
Considérant en droit :
1.- Selon l'art. 31 al. 1 LAMal, l'assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts des soins dentaires :
a. s'ils sont occasionnés par une maladie grave et non
évitable du système de la mastication, ou
b. s'ils sont occasionnés par une autre maladie grave ou
ses séquelles, ou
c. s'ils sont nécessaires pour traiter une maladie grave ou
ses séquelles.
Selon l'art. 33 al. 2 LAMal, il appartient au Conseil fédéral de désigner en détail les prestations prévues à l'art. 31 al. 1 LAMal. A l'art. 33 let. d OAMal, le Conseil fédéral, comme le permet l'art. 33 al. 5 LAMal, a délégué à son tour cette compétence au Département fédéral de l'intérieur (DFI). Le DFI a fait usage de cette sous-délégation aux art. 17 à 19a de l'ordonnance sur les prestations dans l'assurance obligatoire des soins en cas de maladie du 29 septembre 1995 (OPAS; RS 832. 112.31).
L'art. 17 OPAS édicté en exécution de l'art. 31 al. 1 let. a LAMal renferme une liste des maladies graves et non évitables du système de la mastication. L'art. 18 OPAS (édicté en application de l'art. 31 al. 1 let. b LAMal), énumère les autres maladies graves susceptibles d'occasionner des soins dentaires; il s'agit de maladies qui ne sont pas, comme telles, des maladies du système de la mastication, mais qui ont des effets nuisibles sur ce dernier.
Quant à l'art. 19 OPAS (édicté en exécution de l'art. 31 al. 1 let. c LAMal), il prévoit que l'assurance prend en charge les soins dentaires nécessaires aux traitements de certains foyers infectieux bien définis. Enfin, l'art. 19a OPAS (en vigueur depuis le 1er janvier 1997) concerne les traitements dentaires occasionnés par les infirmités congénitales.
La liste des affections de nature à nécessiter des soins dentaires à la charge de l'assurance selon les art. 17 à 19 OPAS est exhaustive (ATF 124 V 193 consid. 4 et 347 consid. 3a).
2.- En l'occurrence seule peut entrer en ligne de compte une prise en charge en vertu de l'art. 31 al. 1 let. a LAMal et 17 OPAS, plus précisément la lettre a chiffre 2 de cette disposition de l'ordonnance.
a) Sous le titre "Maladies du système de la mastication", l'art. 17 OPAS a la teneur suivante :
A condition que l'affection puisse être qualifiée de maladie et le traitement n'étant pris en charge par l'assurance que dans la mesure où le traitement de l'affection l'exige, l'assurance prend en charge les soins dentaires occasionnés par les maladies graves et non évitables suivantes du système de la mastication (art. 31, 1er al., let. a, LAMal) :
a. maladies dentaires :
1. granulome dentaire interne idiopathique,
2. dislocations dentaires, dents ou germes dentaires
surnuméraires, pouvant être qualifiées de maladie
(par exemple : abcès, kyste);
b. maladies de l'appareil de soutien de la dent
(parodontopathies) :
1. parodontite pré pubertaire,
2. parodontite juvénile progressive,
3. effets secondaires irréversibles de médicaments;
c. maladies de l'os maxillaire et des tissus mous :
1. tumeurs bénignes des maxillaires et muqueuses et
modifications pseudotumorales,
2. tumeurs malignes de la face, des maxillaires et du
cou,
3. ostéopathies des maxillaires,
4. kystes (sans rapport avec un élément dentaire),
5. ostéomyélite des maxillaires;
d. maladies de l'articulation temporo-mandibulaire et de
l'appareil de locomotion :
1. arthrose de l'articulation temporo-mandibulaire,
2. ankylose,
3. luxation du condyle et du disque articulaire;
e. maladies du sinus maxillaire :
1. dent ou fragment dentaire logés dans le sinus,
2. fistule bucco-sinusale;
f. dysgnathies qui provoquent des affections pouvant être
qualifiées de maladie, tels que :
1. syndrome de l'apnée du sommeil,
2. troubles graves de la déglutition,
3. asymétries graves cranio-faciales.
b) Il existe des différences dans l'énumération de ces maladies. Ainsi le DFI se contente-t-il, dans certains cas, de désigner une maladie en particulier, par exemple l'arthrose de l'articulation temporo-mandibulaire (art. 17 let. d ch. 1 OPAS) ou la fistule bucco-sinusale (art. 17 let. e ch. 2 OPAS). Dans d'autres cas, l'auteur de l'ordonnance décrit un état de fait, comme à l'art. 17 let. a ch. 2 OPAS ("dislocations dentaires, dents ou germes dentaires surnuméraires ") en se servant de notions qui, comme telles, lui paraissent trop imprécises, de sorte qu'à ses yeux l'affection doit en plus pouvoir être qualifiée de "maladie" (par exemple : abcès, kystes). Il s'agit dès lors de savoir si cette notion de maladie diffère du critère de la maladie posé de manière générale à l'art. 17 OPAS et si, en conséquence, les affections visées par cette disposition entrent dans le catalogue des prestations à la charge de l'assurance-maladie. En outre, il faut se demander si la notion de maladie dont use l'art. 17 OPAS, de manière générale ou à sa lettre a ch. 2 par exemple (dislocations dentaires, dents ou germes dentaires surnuméraires), recouvre la notion de maladie définie à l'art. 2 al. 1 LAMal.
c) Le Tribunal fédéral des assurances a consulté à ce sujet des publications émanant de deux associations professionnelles et concernant la prise en charge par l'assurance-maladie des frais d'un traitement dentaire (Atlas des maladies avec effet sur le système de la mastication [Atlas SSO] réalisé par la Société suisse d'odontostomatologie [SSO] et le Guide-LAMal de la Société suisse de chirurgie maxillo-faciale). Ces publications ne fournissent que peu de réponses de principe aux questions posées, qu'elles abordent selon une méthode casuistique. D'autre part, elles aboutissent à des conclusions divergentes sur nombre de questions particulières. A cela s'ajoute la portée pratique considérable des problèmes posés, dont les solutions sont susceptibles d'avoir des conséquences financières importantes tant pour les assurés que pour les assureurs.
Ces considérations ont amené le Tribunal fédéral des assurances à confier à un collège d'experts, le 28 mars 2000, une expertise de principe en matière de médecine dentaire. Le collège d'experts était composé de trois membres, savoir MM. Urs Gebauer, docteur en médecine dentaire à la Klinik für Kieferorthopädie de l'Université de Berne, Martin Chiarini, docteur en médecine dentaire à l'Ecole de médecine dentaire, à Genève, et Mme Wanda Gnoinski, docteur en médecine dentaire à la Klinik für Kieferorthopädie und Kinderzahnmedizin, à Zurich. Les experts ont eu la possibilité de demander le concours d'autres spécialistes.
L'expertise a été déposée au tribunal le 31 octobre 2000 et elle a fait l'objet d'une discussion avec les experts le 16 février 2001. Le 21 avril 2001, ces derniers ont déposé un rapport complémentaire. Ils ont répondu aux questions posées sur un plan général, c'est-à-dire abstraction faite des cas particuliers pendants devant le tribunal.
Ils ont ainsi fourni les éléments qui permettent une interprétation de la loi fondée sur une meilleure compréhension de la science médicale dont elle s'inspire.
3.- a) Les experts ont été invités à se prononcer sur le caractère de maladie en présence de dislocations dentaires (position ectopique des dents), dents ou germes dentaires surnuméraires au sens de l'art. 17 let. a ch. 2 OPAS.
Ils ont estimé qu'il devait s'agir d'une maladie qualifiée par rapport à la notion de maladie définie à l'art. 2 al. 1 LAMal. Du moment que les notions de "dislocations dentaires" et de "dents ou germes dentaires surnuméraires" visent aussi bien des maladies sévères que des affections de peu de gravité du système de la mastication, il est possible, grâce à ce critère de distinction, de délimiter les maladies graves - c'est-à-dire celles qui revêtent le caractère de maladie au sens de l'ordonnance - des autres affections qui ne peuvent pas être qualifiées de graves et qui, en conséquence, ne tombent pas sous le coup de l'art. 31 al. 1 LAMal.
b) Sur la base des conclusions des experts, le Tribunal fédéral des assurances a été amené à considérer, de manière générale, que dans la mesure où elle suppose l'existence d'une atteinte qualifiée à la santé, la notion de maladie au sens des art. 17 (phrase introductive) et 17 let. a ch. 2 OPAS, est plus restrictive que la notion de maladie valable généralement dans l'assurance-maladie sociale (art. 2 al. 1 LAMal). Autrement dit, le degré de gravité de la maladie est une des conditions de la prise en charge par l'assurance-maladie des traitements dentaires; les atteintes à la santé qui ne présentent pas ce degré de gravité n'entrent pas dans les prévisions de l'art. 31 al. 1 LAMal. La répétition du terme "maladie" à l'art. 17 let. a ch. 2 OPAS vise à mettre l'accent sur la condition de gravité requise de manière générale à l'art. 17 OPAS. En effet, dans le cas de dislocations dentaires, dents ou germes dentaires surnuméraires, il se trouve précisément un nombre prépondérant d'affections légères par rapport aux atteintes à la santé qui revêtent un caractère de gravité (arrêt M. du 19 septembre 2001, K 73/98, destiné à la publication dans le Recueil officiel).
c) Afin d'être en mesure d'évaluer le degré de gravité de la maladie en cas de dislocations dentaires, de dents ou germes dentaires surnuméraires, les experts opèrent une distinction entre la dentition en développement - en règle ordinaire jusqu'à l'âge de 18 ans - et la dentition définitive.
S'agissant d'une dentition en développement, l'affection peut avoir valeur de maladie lorsqu'elle provoque une entrave à son développement ordonné ou en présence d'un phénomène pathologique. Pour ce qui est d'une dentition définitive, une entrave à un développement ordonné de la dentition n'entre pas en ligne de compte; l'état de maladie se limite ici à un phénomène pathologique.
aa) Selon les experts, pour qu'une entrave à un développement ordonné de la dentition ait valeur de maladie, elle doit être en rapport avec une dislocation dentaire, des dents ou germes dentaires surnuméraires; il faut, en outre, qu'elle se soit déjà manifestée ou qu'elle représente un danger imminent selon l'expérience médicale dentaire; enfin, il faut que l'atteinte ne puisse pas être supprimée ou évitée par des mesures simples. Comme exemples d'entraves à un développement ordonné de la dentition, les experts mentionnent l'entrave à l'éruption de dents voisines, la résorption ou le refoulement de celles-ci et l'arrêt de la croissance de la crête alvéolaire à la suite d'une ankylose de dents définitives et d'une ankylose précoce de dents de lait. Les experts considèrent comme étant des mesures thérapeutiques simples, notamment, l'extraction sans complication de dents de lait ou de dents définitives (extraction simple), l'excision d'une calotte de muqueuse, ainsi que l'utilisation d'un appareillage simple pour offrir l'espace nécessaire à l'éruption dentaire (par exemple un écarteur fixe ou mobile, un arc lingual, un arc palatin, un "headgear").
bb) Toujours selon les experts, on parle de phénomène pathologique quand il est en relation avec une dislocation dentaire ou des dents ou germes dentaires surnuméraires, qu'il ne peut être combattu par des mesures prophylactiques, qu'il provoque des dommages importants aux dents avoisinantes, à l'os maxillaire ou aux tissus mous avoisinants ou encore qu'il risque, selon une évaluation fondée sur un examen clinique ou au besoin radiologique, de provoquer avec une grande probabilité de tels dommages et qu'à défaut d'intervention il en résulterait une atteinte au système de la mastication. A titre d'exemples de dommages importants aux dents avoisinantes, à l'os maxillaire ou aux tissus mous avoisinants, les experts mentionnent l'abcès, le kyste, pour autant qu'ils ne soient pas causés par des caries ou une parodontite évitables, la résorption ou le refoulement de dents avoisinantes, des poches de parodontose déjà constituées auprès de dents avoisinantes, une péricoronarite chronique-récidivante (formation débutante d'un abcès) auprès de dents de sagesse, de même que des dents incluses en contact avec la cavité buccale, qui constituent un facteur de risque d'abcès résultant de caries inévitables.
cc) Les dents de sagesse disloquées présentent, de l'avis des experts, une situation particulière par rapport à d'autres dents disloquées ou à des dents surnuméraires.
En effet, de par leur position topographique dans la région de l'angle mandibulaire inférieur, elles présentent souvent des anomalies de position et sont la cause de complications inflammatoires et de formations kystiques, qui, en raison précisément de cette position topographique particulière, peuvent avoir de graves répercussions, telles que l'extension d'abcès dans des compartiments anatomiques comportant des structures vitales ou la fracture spontanée de la mandibule consécutive à un affaiblissement par de volumineuses formations kystiques.
4.- Le Tribunal fédéral des assurances a considéré, en se ralliant au point de vue des experts, qu'il convenait de reconnaître un caractère de maladie au sens de l'art. 17 let. a ch. 2 OPAS aux entraves à un développement ordonné de la dentition ou à un phénomène pathologique, pour ce qui est de la dentition en développement, et à un phénomène pathologique, pour ce qui est de la dentition définitive.
Le phénomène pathologique doit provoquer des dommages importants aux dents avoisinantes ou, sous certaines conditions, représenter un risque imminent d'un tel dommage.
En conséquence, le caractère de maladie doit d'emblée être nié lorsqu'on est uniquement en présence d'une dislocation dentaire, de dents ou germes dentaires surnuméraires, par exemple quand l'écart par rapport à la position et à l'axe normaux dépasse une valeur minimale (arrêt M. précité).
En outre, ainsi qu'on l'a vu, l'obligation de prise en charge par l'assurance-maladie suppose ici une atteinte qualifiée à la santé : toute affection provoquée par une dislocation dentaire, des dents ou germes dentaires surnuméraires, ne justifie donc pas que des mesures diagnostiques ou thérapeutiques soient prises en charge par l'assurance-maladie.
5.- Egalement dans le cas de dents de sagesse incluses, l'existence d'une maladie dentaire tombant sous le coup de l'art. 17 let. a ch. 2 OPAS implique donc, comme condition préalable, une dislocation dentaire (arrêt Z. du 26 septembre 2001 [K 89/98]).
Dans le cas particulier, il ressort d'un rapport de la doctoresse K.________, du 19 avril 1999, que la patiente l'a consultée pour des douleurs au niveau de la dent de sagesse à droite qui semblait bouger avec un encombrement inférieur. Ce médecin a posé le diagnostic d'accident d'éruption de dent de sagesse. Le fait qu'on est en présence d'un accident de ce type (qui, entre autres symptômes, se manifeste par des douleurs ou une infection sous la forme d'un abcès, ou encore des inflammations) ne suffit pas, à lui seul, pour justifier une prise en charge par l'assurance obligatoire des soins, puisque cette prise en charge suppose la présence d'une dislocation dentaire. Or, à ce dernier propos, les éléments d'ordre médical dont on dispose en l'espèce sont insuffisants et trop imprécis pour qu'on puisse se prononcer en toute connaissance de cause sur le point de savoir si cette condition est ou non remplie. Au surplus, on ignore la nature exacte de l'affection qui s'est manifestée dans le cas particulier.
Le 19 avril 1999, la doctoresse K.________ a adressé au médecin-dentiste traitant de la recourante un document radiologique (orthopantomogramme) qui n'a pas été versé au dossier et dont la caisse n'a apparemment pas eu connaissance.
On ne trouve par ailleurs au dossier aucun rapport du médecin-conseil de la caisse.
Les pièces dont on dispose ne permettent donc pas, dans le cas d'espèce, de dire avec certitude si l'affection dont souffrait la recourante est une maladie qui répond ou non aux critères ci-dessus posés par les experts. Il convient, dès lors, de renvoyer la cause à la caisse intimée pour qu'elle procède à un complément d'instruction sur ce point, notamment en demandant des précisions à la doctoresse K.________ et, éventuellement, en requérant l'avis d'un expert, et qu'elle rende ensuite une nouvelle décision.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances
prononce :
I. Le recours est partiellement admis et le jugement du
Tribunal des assurances du canton de Vaud du 30 octobre
2000, ainsi que la décision sur opposition de la
Caisse-maladie SUPRA du 31 janvier 2000, sont annulés.
II. La cause est renvoyée à la Caisse-maladie SUPRA pour complément d'instruction et nouvelle décision au sens des motifs.
III. Il n'est pas perçu de frais de justice.
IV. Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal des assurances du canton de Vaud et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 30 novembre 2001
Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le Président de la Ière Chambre :
Le Greffier :