BGer 1P.504/2001
 
BGer 1P.504/2001 vom 24.09.2001
[AZA 0/2]
1P.504/2001
Ie COUR DE DROIT PUBLIC
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24 septembre 2001
Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Vice-président du Tribunal fédéral, Favre et Mme Pont
Veuthey, Juge suppléante. Greffier: M. Parmelin.
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Statuant sur le recours de droit public
formé par
B.________, représenté par Me Jean-Jacques Wicky, avocat à Genève,
contre
l'arrêt rendu le 25 juin 2001 par la Chambre pénale de la Cour de justice du canton de Genève, dans la cause qui oppose le recourant à H.________, représentée par Me Martine Chenou, avocate à Genève;
(procédure pénale; appréciation des preuves)
Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les faits suivants:
A.- B.________, a épousé en quatrièmes noces, à Beida, près d'Alger, le 28 décembre 1999, H.________. De retour à son domicile, il a introduit une demande de visa pour sa nouvelle épouse au titre du regroupement familial.
H.________ a quitté sa fonction dans l'armée algérienne et est venue s'installer à Genève le 2 mars 2000. Le 25 mars 2000, B.________ a écrit à l'Office cantonal de la population pour annuler sa demande de regroupement familial, se plaignant du manque de respect de son épouse à son égard, de son avidité et du fait qu'elle refusait de s'occuper de sa fille de quatre ans, qu'il voyait tous les quinze jours dans l'exercice d'un droit de visite.
Le 29 mars 2000, H.________ a déposé une plainte pénale contre son mari pour menaces, coups et blessures. Selon ses dires, celui-ci l'aurait frappée à plusieurs reprises au visage et l'aurait mordue au cou lors d'une dispute survenue dans la nuit du 27 au 28 mars 2000. Il aurait également menacé de la jeter par la fenêtre de leur appartement, situé au huitième étage.
Elle a produit un certificat médical établi le 28 mars 2000 par le médecin de la division des Urgences Médico-chirurgicales de l'Hôpital cantonal de Genève; ce certificat met en évidence une marque érythémateuse de forme ovale, irrégulière, sur la face latérale du cou juste sous le menton, une tuméfaction de la partie latéro-externe de la lèvre supérieure gauche avec des pétéchies sur la face muqueuse de la lèvre supérieure gauche ainsi qu'une tuméfaction arrondie au niveau fronto-pariétal gauche. En outre, lorsque la jeune femme s'est présentée aux urgences, entre 02h30 et 03h00 du matin, elle était en pleurs, apeurée et tremblante. De même, le médecin légiste, qui l'a examinée le 28 mars 2000, a attesté que les lésions rougeâtres au niveau du cou étaient compatibles avec des traces de morsures et que la patiente souffrait par ailleurs d'un état de stress aigu ainsi que d'épisodes dépressifs, rendant nécessaire une consultation psychiatrique.
B.________ a contesté l'intégralité des accusations portées contre lui, en affirmant que son épouse s'était blessée à la lèvre en heurtant la tête contre les murs et que la marque sur le cou, visible sur les photographies du rapport médical établi le 28 mars 2000, était le résultat d'une succion, dont il était l'auteur.
B.- Statuant sur la base de ces faits par jugement du 12 janvier 2001, le Tribunal de police du canton de Genève a reconnu B.________ coupable de lésions corporelles simples et l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis pendant trois ans.
La Chambre pénale de la Cour de justice de Genève (ci-après: la cour cantonale) a confirmé ce jugement au terme d'un arrêt rendu le 25 juin 2001 sur appel du condamné. Elle a considéré en substance l'infraction comme réalisée sur la base des constatations médicales des lésions subies par la plaignante et de l'état psychique de celle-ci, postérieur à l'incident. Elle a en particulier exclu que H.________ se soit infligé elle-même les sévices constatés et a expliqué le fait que la soeur et le beau-frère de la jeune femme n'aient pas conduit immédiatement cette dernière à l'hôpital par leur désarroi et l'état de choc de la victime.
C.- Agissant par la voie du recours de droit public, B.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt.
Il reproche à la cour cantonale d'avoir retenu à son encontre une infraction à l'art. 123 CP de manière arbitraire et en violation de la présomption d'innocence. Il sollicite l'assistance judiciaire.
H.________ et le Procureur général du canton de Genève concluent au rejet du recours dans la mesure où il est recevable. La cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt.
Considérant en droit :
1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et avec une pleine cognition la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 127 I 92 consid. 1 p. 93; 127 II 198 consid. 2 p. 201 et les arrêts cités).
a) Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral n'est pas ouvert pour se plaindre d'une appréciation arbitraire des preuves et des constatations de fait qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83) ni pour invoquer la violation directe d'un droit constitutionnel ou conventionnel, tel que la présomption d'innocence consacrée aux art. 32 al. 1 Cst. et 6 § 2 CEDH (ATF 120 Ia 31 consid. 2b p. 35/36). Au vu des arguments soulevés, seul le recours de droit public est ouvert.
b) B.________ est directement touché par l'arrêt attaqué, qui confirme sa condamnation pénale à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis pendant trois ans. Il a un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à ce que cet arrêt soit annulé et a, partant, qualité pour recourir selon l'art. 88 OJ. Formé en temps utile contre une décision finale rendue en dernière instance cantonale, le recours répond au surplus aux exigences des art. 86 al. 1 et 89 al. 1 OJ.
2.- Le recourant reproche à la Chambre pénale de s'être livrée à une appréciation arbitraire des preuves et d'avoir violé le principe de la présomption d'innocence en retenant l'application de l'art. 123 CP, alors qu'aucun élément objectif ne permettait de constater une morsure au cou, ainsi que des coups portés au visage de son épouse.
a) En tant qu'elle a trait à la constatation des faits et à l'appréciation des preuves, la maxime "in dubio pro reo" est violée lorsque l'appréciation objective de l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute insurmontable sur la culpabilité de l'accusé (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2c p. 37). Saisi d'un recours de droit public mettant en cause l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral examine seulement si le juge cantonal a outrepassé son pouvoir d'appréciation et établi les faits de manière arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4 p. 211; 120 Ia 31 consid. 2d p. 37/38; 118 Ia 28 consid. 1b p. 30 et les arrêts cités). Une constatation de fait n'est pas arbitraire pour la seule raison que la version retenue par le juge ne coïncide pas avec celle de l'accusé ou du plaignant; encore faut-il que l'appréciation des preuves soit manifestement insoutenable, en contradiction flagrante avec la situation effective, qu'elle constitue la violation d'une règle de droit ou d'un principe juridique clair et indiscuté, ou encore qu'elle heurte de façon grossière le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30), ce qu'il appartient au recourant d'établir (ATF 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités). L'art. 32 al. 1 Cst. , entré en vigueur le 1er janvier 2000, qui consacre spécifiquement la notion de la présomption d'innocence, ne fait que reprendre les principes posés dans ce domaine par la jurisprudence (FF 1997 I 1 ss, notamment p. 188/189; ATF 127 I 38 consid. 2b p. 41/42).
b) En l'espèce, la cour cantonale n'est pas tombée dans l'arbitraire en admettant que le recourant avait mordu son épouse au cou, quand bien même la trace des dents ne pouvait pas être clairement remarquée. La marque ovale irrégulière au cou, érythémateuse, constatée par le médecin de la division des urgences de l'Hôpital cantonal était compatible avec une morsure, en raison de sa forme allongée, ce que pouvait établir le médecin légiste au bénéfice de sa formation particulière et de son expérience dans le domaine. L'autorité intimée pouvait sans arbitraire écarter la thèse du prévenu suivant laquelle la marque relevée sur le cou de l'intimée résulterait d'une succion, en raison de l'état de tension existant entre les époux depuis plusieurs jours et surtout du stress post-traumatique constaté notamment par le médecin légiste.
De même, la Chambre pénale a soigneusement exposé les raisons pour lesquelles elle a exclu que H.________ se soit infligée les lésions observées à la tempe gauche et à la lèvre supérieure gauche, de sorte qu'il ne pouvait s'agir que du résultat des coups portés par un tiers, en l'occurrence son mari, qui seul était avec elle à leur domicile au moment des faits. On cherche en vain dans le mémoire de recours une argumentation destinée à combattre cette appréciation qui échappe au grief d'arbitraire. Outre les constatations somatiques, les médecins ont aussi relevé l'état d'anxiété et de crainte profonde dans lequel se trouvait la victime, tous ces facteurs excluant la possibilité d'une simulation de sa part. Enfin, le fait qu'elle n'ait pas été secourue immédiatement par sa soeur et son beau-frère et que les soins lui aient été prodigués environ trois heures après les événements litigieux, n'enlève rien à la réalité des traumatismes décrits dans les certificats médicaux et à leur répercussion sur l'état psychique de H.________.
c) En définitive, le recourant ne parvient pas à démontrer que l'arrêt attaqué reposerait sur une appréciation arbitraire des preuves, qui serait en contradiction avec les éléments constatés par les médecins.
3.- Le recours doit par conséquent être rejeté; les conditions de l'art. 152 al. 1 OJ étant réunies, il y a lieu de donner suite à la demande d'assistance judiciaire présentée par le recourant et de statuer sans frais. Il convient en outre de désigner Me Jean-Jacques Wicky comme avocat d'office du recourant pour la présente procédure et de lui allouer une indemnité à titre d'honoraires (art. 152 al. 2 OJ). L'intimée qui obtient gain de cause avec l'assistance d'une avocate a droit à des dépens, à la charge du recourant (art. 159 al. 1 OJ). La situation financière de ce dernier étant précaire, il n'est pas exclu que les dépens ne puissent être recouvrés.
Conformément à l'art. 152 al. 2 OJ, il convient de désigner Me Martine Chenou comme avocate d'office de la plaignante pour la présente procédure et de réserver, à titre subsidiaire, la prise en charge de ses honoraires par la Caisse du Tribunal fédéral (cf. Jean-François Poudret, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, vol. V, n. 7 ad art. 152, p. 126).
Par ces motifs,
le Tribunal fédéral :
1. Rejette le recours;
2. Admet la demande d'assistance judiciaire;
3. Dit qu'il n'est pas prélevé d'émolument judiciaire;
4. Désigne Me Jean-Jacques Wicky en qualité d'avocat d'office du recourant et lui alloue une indemnité de 1'200 fr. à titre d'honoraires, à payer par la Caisse du Tribunal fédéral;
5. Alloue à H.________ une indemnité de 800 fr. à titre de dépens, à la charge du recourant;
6. Dit que si l'intimée justifie que les dépens ne peuvent être recouvrés, Me Martine Chenou sera considérée comme son avocate d'office et la Caisse du Tribunal fédéral versera à celle-ci 800 fr. d'honoraires;
7. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires des parties, au Procureur général et à la Chambre pénale de la Cour de justice du canton de Genève.
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Lausanne, le 24 septembre 2001 PMN/dxc
Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,
Le Greffier,