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Original
 
[AZA 7]
M 2/01 Tn
IIIe Chambre
Mme et MM. les juges Spira, Widmer et Ursprung. Greffier:
M. Beauverd
Arrêt du 5 septembre 2001
dans la cause
Office fédéral de l'assurance militaire, Division de Genève, Rue Jacques-Grosselin 8, 1227 Carouge, recourant,
contre
S.________, intimé, représenté par Maître Marc Wollmann, avocat, Rue Centrale 56, 2501 Bienne,
et
Tribunal cantonal de la République et canton du Jura, Porrentruy
A.- Lors d'un cours de répétition effectué du 26 septembre au 8 octobre 1988, S.________, a eu les mains coincées entre des éléments de construction et le plancher de la remorque dans laquelle il chargeait ces derniers.
Souffrant de troubles de la sensibilité à l'avant-bras, il a subi, le 7 avril 1989, une opération du syndrome du tunnel carpien. L'assurance militaire a reconnu son entière responsabilité et a pris en charge le cas.
Depuis le 1er septembre 1979, S.________ travaillait au service de la commune de X.________ en qualité d'ouvrier de voirie, préposé à l'entretien des routes, chemins et trottoirs et au ramassage des ordures ménagères. En outre, il exploitait une petite ferme de montagne à titre d'activité accessoire. En automne 1988, il a repris l'exploitation du domaine agricole de son père.
Il n'a pas repris son emploi au service de la commune de X.________ après le 20 mars 1989. Le 1er novembre 1991, il s'est établi à Y.________, afin d'y exploiter un domaine agricole. La commune de X.________ a alors résilié les rapports de travail pour le 31 octobre 1991.
A partir du 1er novembre 1991, l'Office fédéral de l'assurance militaire (OFAM) lui a alloué les prestations suivantes :
- une indemnité à titre d'aide à la réinsertion professionnelle d'un montant de 3500 fr. par mois pour la période du 1er novembre 1991 au 30 juin 1992;
- une indemnité pour personne de condition indépendante, d'un montant correspondant à 30 % d'un gain annuel déterminant de 73 578 fr., pour la période du 1er juillet au 31 décembre 1992.
Par décision du 17 janvier 1994, l'Office AI du canton de Zoug a dénié à S.________ le droit à une rente, motif pris que l'invalidité était insuffisante pour ouvrir un tel droit.
Par proposition de règlement adressée à l'intéressé le 14 mai 1993, l'OFAM lui a proposé l'octroi, à partir du 1er juillet 1992, d'une rente d'invalidité, fondée sur un taux d'incapacité de gain de 30 %, d'un montant mensuel de 1738 fr. 80 du 1er juillet au 31 décembre 1992 et de 1787 fr. du 1er janvier au 31 décembre 1993. Cette prestation a été calculée en fonction du gain réalisable au service de la commune de X.________.
S.________ ayant refusé cette proposition, l'OFAM a rendu une décision, le 28 juin 1994, par laquelle il lui a alloué, à partir du 1er janvier 1994 et pour une durée indéterminée, une rente d'invalidité fondée sur un taux d'incapacité de gain de 30 % et calculée en fonction du gain annuel réalisable au service de la commune de X.________. A l'appui de cette décision, l'office a notamment indiqué que l'assurance militaire ne répondait pas des problèmes de rentabilité de l'exploitation agricole de Y.________.
Saisi d'une opposition, l'OFAM l'a rejetée par décision du 13 septembre 1994.
B.- S.________ a recouru contre cette décision devant le Tribunal cantonal jurassien, en concluant principalement à l'octroi d'une rente d'invalidité fondée sur un taux d'incapacité de gain de 50 % au moins, subsidiairement au renvoi de la cause à l'OFAM pour instruction complémentaire et nouvelle décision.
Dans sa réponse, l'OFAM a précisé qu'en dépit de ce qui était indiqué dans la décision sur opposition, celle-ci concerne le droit à la rente non seulement depuis le 1er janvier 1994, pour une durée indéterminée, mais également pour les années 1992 et 1993.
Par écriture du 5 septembre 2000, l'assuré a précisé sa conclusion principale, en ce sens qu'il a requis l'octroi, dès le 1er juillet 1992, d'une rente fondée sur un taux d'incapacité de gain de 50 % au moins.
Par jugement du 8 janvier 2001, la juridiction cantonale a renvoyé la cause à l'OFAM pour qu'il fixe à nouveau le montant de la rente due à l'assuré depuis le 1er juillet 1992 en fonction d'un taux d'invalidité de 45 %.
C.- L'OFAM interjette recours de droit administratif contre ce jugement, dont il requiert l'annulation, en concluant principalement au rétablissement de sa décision sur opposition du 13 septembre 1994, "en limitant toutefois la durée de la rente d'invalidité au 31 décembre 1994". Subsidiairement, il requiert le rétablissement pur et simple de ladite décision. Plus subsidiairement encore, il demande que la rente allouée à l'assuré, fondée sur un taux d'invalidité de 45 %, soit calculée en fonction d'un gain annuel assuré d'agriculteur, à savoir 20 475 fr.
S.________ conclut au rejet du recours sous suite de dépens. La juridiction cantonale propose le rejet de celui-ci, dans la mesure où il est recevable.
Considérant en droit :
1.- a) L'OFAM reproche aux premiers juges une violation de son droit d'être entendu, au motif qu'il n'a pas pu se déterminer, faute d'en avoir eu connaissance, sur une écriture du 5 septembre 2000, par laquelle l'assuré a fait part à la juridiction cantonale de revenus obtenus durant les années 1995 à 1997 et pris une nouvelle conclusion tendant à l'octroi d'une rente fondée sur un taux d'invalidité de 63 %.
b) Le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel (art. 29 al. 2 Cst.), dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond (ATF 124 V 183 consid. 4a, 122 II 469 consid. 4a et les arrêts cités).
La jurisprudence en a déduit, en particulier, le droit pour le justiciable d'avoir accès au dossier. Une condition nécessaire du droit de consulter le dossier est que l'autorité, lorsqu'elle verse au dossier de nouvelles pièces dont elle entend se prévaloir dans son jugement, soit tenue d'en aviser les parties (ATF 124 II 137 consid. 2b, 114 Ia 100 consid. 2c et les références). Encore qu'elle ne soit pas obligée de les renseigner sur chaque production de pièces, car il suffit qu'elle tienne le dossier à leur disposition (ATF 112 Ia 202 consid. 2a et les références; RCC 1991 p. 107 consid. 4a).
c) En l'espèce, il n'apparaît pas que la juridiction cantonale se soit prévalue, dans le jugement attaqué, de l'écriture de l'assuré du 5 septembre 2000. Aussi, l'omission des premiers juges de donner à l'OFAM l'occasion de se déterminer à ce sujet n'est pas un vice d'une gravité telle qu'il faille considérer qu'il n'est pas réparable lorsque - comme en l'espèce - la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen (ATF 124 V 183 consid. 4a, 392 consid. 5a et les références).
2.- Le Tribunal fédéral des assurances n'étant pas lié par les motifs que les parties invoquent (art. 114 al. 1 en corrélation avec l'art. 132 OJ), il examine d'office si le jugement attaqué viole des normes de droit public fédéral ou si la juridiction de première instance a commis un excès ou un abus de son pouvoir d'appréciation (art. 104 let. a OJ). Il peut ainsi admettre ou rejeter un recours sans égard aux griefs soulevés par le recourant ou aux raisons retenues par le premier juge (ATF 122 V 36 consid. 2b, 119 V 28 consid. 1b, 442 consid. 1a et les références).
3.- Aux termes de l'art. 109 LAM, les cas en cours au moment de l'entrée en vigueur de la LAM seront traités selon le droit nouveau dans les parties qui n'ont pas été reconnues ou qui n'ont pas fait l'objet d'une décision.
La décision sur opposition litigieuse a été rendue le 13 septembre 1994, soit postérieurement à l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1994, de la LAM. La présente affaire doit dès lors être tranchée à la lumière du nouveau droit, même si elle concerne une rente d'invalidité née avant le 1er janvier 1994 et que la proposition de règlement repose sur l'ancien droit (ATF 122 V 30 consid. 1).
4.- a) Selon l'art. 40 LAM, si la poursuite du traitement médical ne permet pas d'escompter une sensible amélioration de l'état de santé de l'assuré et si l'affection, au terme de la réadaptation exigible, est suivie d'une atteinte de longue durée ou présumée permanente de la capacité de gain (invalidité), l'indemnité journalière est remplacée par une rente d'invalidité (al. 1).
En cas d'invalidité totale, la rente annuelle d'invalidité correspond à 95 % du gain annuel assuré. En cas d'invalidité partielle, la rente est réduite d'autant (al. 2). En règle générale, le taux d'invalidité est déterminé par le rapport existant entre le revenu du travail que l'assuré invalide est capable d'obtenir en exerçant l'activité qu'on peut raisonnablement attendre de lui, après l'apparition de l'invalidité et, au besoin, après l'exécution de mesures de réadaptation, compte tenu d'une situation équilibrée du marché du travail, et le revenu qu'il aurait pu obtenir s'il n'avait pas été invalide (al. 4).
b) On applique la méthode extraordinaire d'évaluation de l'invalidité lorsqu'il n'est pas possible de déterminer ou d'évaluer sûrement les revenus en cause, ce qui est notamment le cas en ce qui concerne les indépendants (p.
ex. les agriculteurs). Il faut alors, en s'inspirant de la méthode spécifique pour non-actifs (cf. art. 27 RAI), procéder à une comparaison des activités et évaluer le degré d'invalidité d'après l'incidence de la capacité de rendement amoindrie sur la situation économique concrète. La différence fondamentale entre la procédure extraordinaire d'évaluation et la méthode spécifique (cf. art. 28 al. 3 LAI en corrélation avec les art. 26bis et 27 al. 1 RAI) réside dans le fait que l'invalidité n'est pas évaluée directement sur la base d'une comparaison des activités; on commence par déterminer, au moyen de cette comparaison, quel est l'empêchement provoqué par la maladie ou l'infirmité, après quoi l'on apprécie séparément les effets de cet empêchement sur la capacité de gain (ATF 104 V 136 consid. 2; VSI 1998 p. 122 consid. 1a et p. 257 consid. 2b; Maeschi, Kommentar zum Bundesgesetz über die Militärversicherung [MVG] du 19 juin 1992, n. 50 et 51 ad art. 40).
5.- a) Considérant que l'intimé, même s'il n'était pas devenu invalide, aurait cessé son activité au service de la commune de X.________ pour se consacrer exclusivement à l'agriculture, la juridiction cantonale a appliqué la méthode ordinaire de comparaison des revenus, combinée avec l'art. 25 al. 2 RAI, aux termes duquel les revenus déterminants pour l'évaluation de l'invalidité d'un indépendant qui exploite une entreprise en commun avec des membres de sa famille seront fixés d'après l'importance de sa collaboration.
Toutefois, comme il n'existe pas en l'occurrence de données précises au sujet du revenu de l'assuré, les seuls chiffres disponibles ayant trait aux revenus de la famille, les premiers juges se sont fondés sur les données ressortant d'une enquête économique pour les agriculteurs mise en oeuvre par la Caisse de compensation du canton du Jura, selon laquelle l'empêchement d'exercer l'activité d'agriculteur est globalement de 50 % (150 jours de travail annuel au lieu de 300).
L'OFAM ne remet pas en cause le point de vue des premiers juges, selon lequel l'intimé se serait consacré exclusivement à l'agriculture, même s'il n'était pas devenu invalide. Toutefois, faute de données précises quant aux revenus de l'assuré, il est d'avis que la juridiction cantonale aurait dû évaluer l'invalidité de l'intéressé en appliquant la méthode extraordinaire. En fonction de la liste des activités encore exigibles établie par l'enquête économique, la diminution de la capacité de rendement dans la profession d'agriculteur peut être fixée à 27,5 %, ce qui correspond à peu près au taux d'invalidité de 30 % fixé dans la décision litigieuse.
Dans sa réponse au recours, l'intimé objecte qu'il n'aurait pas abandonné son emploi au service de la commune de X.________ s'il n'était pas devenu invalide. Il allègue que l'exploitation de la ferme de montagne ne représentait qu'une activité accessoire et qu'un changement d'orientation professionnelle n'a été envisagé qu'après la survenance de l'invalidité.
b) En l'occurrence, il est pour le moins douteux que le père d'une famille alors composée de trois enfants renonce sans motifs impératifs à un emploi à plein temps lui procurant, en 1991, un salaire annuel de 79 000 fr.
environ, pour reprendre une exploitation agricole qui ne peut lui rapporter, même sans limitation fonctionnelle, qu'un revenu annuel de 20 475 fr., charges d'exploitation déduites. Force est bien plutôt de considérer que ce changement d'orientation professionnelle était motivé par le handicap subi et ses incidences, en particulier l'impossibilité pour la commune de X.________ de confier à l'intimé un travail compatible avec sa limitation fonctionnelle, ainsi que la perspective pour l'intéressé de pouvoir compenser en partie ce manque à gagner grâce à des prestations d'assurance. Surtout, on ne saurait souscrire aux méthodes d'évaluation de l'invalidité suivies par l'OFAM et la juridiction cantonale : en procédant à une comparaison des activités dans le domaine de l'agriculture et en évaluant le degré d'invalidité d'après l'incidence de la capacité de rendement amoindrie dans cette profession, les autorités administrative et judiciaire susmentionnées ont considéré comme revenu d'invalide le gain perçu effectivement par l'intimé dans une activité impliquant des travaux lourds difficilement compatibles avec son handicap. Ce faisant, elles ont omis de tenir compte du principe selon lequel il appartient au premier chef à l'assuré d'atténuer le mieux possible les conséquences de son invalidité (ATF 113 V 28 consid. 4a et les références), ce qui se traduit par la prise en compte, dans l'évaluation de l'invalidité, du revenu d'invalide réalisable dans une activité raisonnablement exigible (cf. art. 40 al. 4 LAM). Or, en l'espèce, l'activité exercée par l'intimé après la survenance de l'invalidité ne satisfait manifestement pas à cette exigence : d'une part, sa capacité résiduelle de travail pourrait être mieux mise en valeur dans une activité n'exigeant pas le port de lourdes charges; d'autre part, l'intéressé a repris un domaine agricole dont les conditions d'exploitation sont difficiles et qui, pour ce motif, ne peut lui procurer qu'un gain modeste, indépendamment de ses limitations fonctionnelles. Dès lors, il n'est pas admissible de faire supporter à l'assurance militaire les conséquences financières de ce choix.
c) Cela étant, il n'y a pas de raison, en l'occurrence, de s'écarter de la méthode générale de comparaison des revenus prévue à l'art. 40 al. 4 LAM. L'invalidité de l'intimé doit dès lors être évaluée en comparant le revenu qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qu'on peut raisonnablement attendre de lui, après exécution éventuelle de mesures de réadaptation et compte tenu d'une situation équilibrée du marché du travail, avec le revenu qu'il pourrait obtenir, s'il n'était pas invalide, en continuant de travailler au service de la commune de X.________. En l'état, le dossier médical ne permet toutefois pas de déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'intimé. Il convient donc de renvoyer la cause à l'OFAM pour instruction complémentaire sur ce point et nouvelle décision sur le droit de l'assuré à une rente d'invalidité à partir du 1er juillet 1992.
6.- L'OFAM allègue que la situation économique de l'intimé s'est sensiblement modifiée après le prononcé de sa décision sur opposition du 13 septembre 1994 : dès le 1er janvier 1995, il a en effet entrepris une activité de transport d'enfants lui ayant permis de réaliser un revenu brut de 45 647 fr. en 1995; par ailleurs, la ferme qu'il exploitait a été détruite par un incendie le 12 janvier 1999.
Ces circonstances ne sauraient être prises en considération pour l'issue du présent litige, du moment que, selon une jurisprudence constante, le juge des assurances sociales apprécie la légalité des décisions attaquées, en règle générale, d'après l'état de fait existant au moment où la décision litigieuse a été rendue (ATF 121 V 366 consid. 1b et les arrêts cités). Elles devront en revanche être examinées dans le cadre de la procédure de décision que l'OFAM rendra à la suite du présent arrêt.
7.- Au vu du sort de la cause, l'intimé ne peut prétendre des dépens (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral des assurances
prononce :
I.Le recours est admis en ce sens que le jugement du
Tribunal cantonal jurassien du 8 janvier 2001 et la
décision sur opposition de l'Office fédéral de l'assurance
militaire du 13 septembre 1994 sont annulés,
la cause étant renvoyée audit office pour instruction
complémentaire au sens des considérants et nouvelle
décision.
II.Il n'est pas perçu de frais de justice.
III. Le présent arrêt sera communiqué aux parties et au Tribunal cantonal de la République et canton du Jura.
Lucerne, le 5 septembre 2001
Au nom du
Tribunal fédéral des assurances
Le juge présidant la IIIe Chambre :
Le Greffier :