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Informationen zum Dokument  BGer 2C_668/2018  Materielle Begründung
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BGer 2C_668/2018 vom 28.02.2020
 
 
2C_668/2018
 
 
Arrêt du 28 février 2020
 
 
IIe Cour de droit public
 
Composition
 
MM. et Mme les Juges fédéraux
 
Seiler, Président, Zünd, Aubry Girardin, Donzallaz et Stadelmann.
 
Greffière : Mme Jolidon.
 
Participants à la procédure
 
1. AA.________,
 
2. BA.________,
 
tous les deux représentés par Centre Social Protestant - Vaud, Mme Mercedes Vazquez, juriste,
 
recourants,
 
contre
 
Service de la population du canton de Vaud,
 
intimé.
 
Objet
 
Refus d'autorisation de séjour; regroupement familial,
 
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 13 juin 2018 (PE.2017.0521).
 
 
Faits :
 
 
A.
 
BA.________ et AA.________, nés respectivement le 2 décembre 1969 et le 5 octobre 1966, tous deux ressortissants du Kosovo, se sont mariés dans ce pays en 1991; leurs quatre enfants y sont nés en 1992, 1994, 1995 et 1998. AA.________ est entré en Suisse le 22 janvier 1998; il a été mis au bénéfice de l'admission provisoire. Au mois d'août 1998, il a été victime d'un accident de travail: il a passé plusieurs jours dans le coma; il souffrait d'une fracture du crâne, ainsi que d'une hémorragie cérébrale et sous-arachnoïdienne qui ont engendré de graves séquelles et entraîné une incapacité de travail totale et définitive. Il bénéficie depuis lors d'une rente de l'assurance-invalidité (ci-après: AI), ainsi que de prestations complémentaires. Le 23 octobre 2007, AA.________ a obtenu une autorisation de séjour en Suisse.
1
Le 15 janvier 2015, BA.________ a sollicité auprès de l'Ambassade suisse de Pristina la délivrance d'une autorisation d'entrée, respectivement de séjour, afin de rejoindre son époux en Suisse. Par décision du 29 juillet 2015, le Service de la population du canton de Vaud (ci-après: le Service de la population) a rejeté la demande, en indiquant que le délai pour demander le regroupement familial avait expiré le 31 décembre 2012 et en soulignant l'absence de raison familiale majeure. BA.________ a déposé une nouvelle demande de regroupement familial, en date du 29 mai 2017, qui a été traitée comme une demande de réexamen; elle invoquait, comme éléments nouveaux, la dégradation de l'état de santé de son époux; à la demande de l'Ambassade suisse, elle a complété sa requête et fait valoir que son époux avait fait l'objet, du 21 juin au 5 juillet 2017, d'une mesure de placement à des fins d'assistance au service de psychiatrie générale du CHUV ordonnée par un médecin. Un rapport médical du 11 juillet 2017 faisait état de ce qui suit:
2
" Rappel anamnestique 
3
(...) En ce qui concerne l'anamnèse psychiatrique, Monsieur est connu pour un trouble dépressif récurrent avec plusieurs épisodes dépressifs sévères avec des symptômes psychotiques ayant nécessité des hospitalisations en 2006 et 2007. Sa dernière hospitalisation en milieu psychiatrique date de juillet 2007. (...)
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Synthèse - Evolution et discussion
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AA.________ nous est adressé en application d'une mesure de PLAFA médical pour mise à l'abri d'un risque auto- et hétéro-agressif par les urgences psychiatriques du CHUV le 21.06.2017. Sur le plan psychiatrique, nous retenons le diagnostic de trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère avec symptômes psychotiques, le patient expliquant entendre des voix et décrivant par exemple voir un scorpion, ou des ombres et des figures menaçantes durant l'entretien. (...) Sa relation à distance avec son épouse et sa famille qui joue un rôle très important pour AA.________ a prédominé au cours de nos entretiens. Monsieur a exprimé son désir fort pour que son épouse puisse venir s'installer avec lui en Suisse, et nous avons appris qu'elle a récemment effectué une demande de visa auprès des autorités kosovares, fait qui semble également augmenter les angoisses du patient. (...) "
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Un rapport médical, établi le 9 octobre 2017 par le psychologue et le psychiatre-psychothérapeute FMH s'occupant de AA.________, précise:
7
" AA.________ est suivi à notre consultation depuis 18/07/2006 suite à des troubles psychiques consécutifs à un traumatisme crânio-cérébral intervenu à la suite d'un accident de travail survenu le 08/08/1998. La prise en charge ayant débuté après une hospitalisation en milieu psychiatrique. Le patient présentait un tableau clinique post-commotionnel avec céphalée, troubles visuels et douleurs chroniques; en plus d'un tableau clinique dépressif.
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Tout au long de notre prise en charge, l'état de santé psychique s'est notablement amélioré, en particulier pour la symptomatologie dépressive. Les douleurs et les céphalées restent fluctuantes.
9
Tout récemment, AA.________ a été de nouveau hospitalisé en milieu psychiatrique (...) dans un contexte de grande inquiétude quant à la possibilité de pouvoir faire venir son épouse ou pas. Lors de cet épisode, AA.________ a présenté des hallucinations visuelles et acoustico-verbales (des voix inconnues lui ordonnaient de se jeter d'un pont). (...)
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Les tâches quotidiennes lui deviennent de plus en plus difficiles, les troubles de la concentration et de la mémoire s'aggravent entraînant un retrait social allant en s'accentuant. La solitude et l'éloignement de son épouse aggravant la dépression nous craignons une " grabatisation " entraînant des hospitalisations répétées ainsi qu'une dépendance aux services médico-sociaux. A l'inverse, la présence de son épouse permettrait au patient de retrouver une certaine estime de lui-même, une présence soutenante, un équilibre affectif et un soutien non négligeable dans sa vie quotidienne. " 
11
AA.________ a également produit une demande de permis de séjour avec activité lucrative en faveur de son épouse, déposée par une entreprise de nettoyage pour un emploi à 50% (20 heures hebdomadaires pour un salaire horaire de 25 fr.) à durée indéterminée, dès l'obtention d'une autorisation de séjour pour regroupement familial. 
12
Le Service de la population a rejeté la demande de BA.________ le 9 novembre 2017.
13
 
B.
 
Les époux AA.________ et BA.________ ont recouru devant la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal cantonal). Ils ont alors fourni un rapport mé dical établi le 6 décembre 2017 qui mentionnait les éléments suivants:
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" Le présent certificat fait suite à celui établi le 09 octobre 2017. Nous y mettons l'accent sur l'état des capacités physiques et psychiques de AA.________en lien avec la nécessité médicale impérieuse, au vu de son évolution, de continuer de recevoir des soins en Suisse et de pouvoir y accueillir son épouse.
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AA.________ a en effet été victime d'un traumatisme crânio-cérébral en 1998; il vit seul à Lausanne; il est en incapacité totale et définitive de travail; il souffre de douleurs chroniques et de céphalées invalidantes; il a vécu récemment une nouvelle décompensation psychique ayant entraîné une hospitalisation en milieu psychiatrique du 21/06/2017 au 05/07/2017. AA.________ a aussi développé un problème aux coronaires (artères entourant le coeur) pour lequel il a subi une intervention (par cathéter) le 13 décembre 2016. Ce problème de santé ayant laissé des séquelles comme des crises d'angoisse lorsque des douleurs ou des sensations de serrement se produisent dans la région du coeur et du côté du bras gauche.
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L'incapacité définitive totale de travail signifie par ailleurs que AA.________ est dans l'impossibilité physique d'effectuer un grand nombre de tâches professionnelles mais aussi des tâches qui relèvent de la vie quotidienne.
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Les douleurs chroniques non seulement peuvent s'accompagner d'incapacités ponctuelles (se baisser, porter un objet, se raser, se laver, etc.) mais elles altèrent son état psychique et l'isolent socialement. A cela s'ajoutent des déficits cognitifs, tels que des troubles affectant la concentration et des troubles de la mémoire; ainsi que des troubles perceptifs réapparus récemment, tels que des hallucinations acoustico-verbales (entendre des voix) et visuelles. Ainsi que depuis une année les séquelles physiques et psychologiques de son problème coronarien.
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Par ailleurs, AA.________ traverse actuellement un épisode dépressif sérieux qui, d'une part, accentue la perception subjective de ses douleurs et, d'autre part, s'accompagne d'un ralentissement psychomoteur rendant plus pénible, voire impossible, la réalisation de n'importe quelle tâche du quotidien.
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AA.________ s'est résolu à son sort durant plusieurs années malgré une lente détérioration de ses capacités physiques, psychiques et neuropsychologiques. Aujourd'hui, il apparaît que AA.________ est arrivé au bout de ses moyens et, sans la présence de son épouse, il se verra contraint de recourir à des institutions de soins médicaux et sociaux. Son " niveau de fonctionnement général " étant aujourd'hui sérieusement altéré.
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Notre pronostic est très défavorable au vu de l'alternance, chez AA.________, d'épisodes psychotiques (hallucinations) et dépressifs sévères, les deux favorisant des passages à l'acte suicidaire. La présence de son épouse nous apparaît comme un soutien à même de prévenir des épisodes de décompensation pouvant lui être fatals ".
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Par arrêt du 13 juin 2018, le Tribunal cantonal a rejeté le recours des intéressés. Il a en substance retenu que la détérioration de la santé de AA.________ ne constituait pas une raison familiale majeure au sens de la disposition légale topique ou un cas de rigueur justifiant la venue en Suisse de son épouse; si l'état de santé de l'intéressé s'était indéniablement détérioré, il pouvait trouver auprès d'institutions de soins médicaux et sociaux le soutien dont il avait besoin; de la sorte, la venue en Suisse de son épouse n'était pas nécessaire.
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C.
 
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, BA.________et AA.________ demandent au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'admettre leur droit au regroupement familial et à la délivrance d'un permis de séjour en faveur de BA.________. Ils se plaignent d'une violation des art. 8 CEDH et 13 al. 1 Cst. et requièrent le bénéfice de l'assistance judiciaire.
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Le Service de la population et le Tribunal cantonal ont renoncé à se déterminer, le second se référant à l'arrêt attaqué. Le Secrétariat d'Etat aux migrations n'a pas déposé d'observations.
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D.
 
Le 28 février 2020, la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral a délibéré sur le présent recours en séance publique.
25
Considérant en droit :
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1.
 
Le 1er janvier 2019, la révision de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (anciennement LEtr), devenue la loi sur les étrangers et l'intégration (LEI; RO 2017 6521), est entrée en vigueur. Conformément à la règle générale posée à l'art. 126 al. 1 LEI, c'est l'ancien droit matériel qui reste applicable à la présente cause: le litige concerne, en effet, une demande de regroupement familial déposée en 2017, c'est-à-dire avant la révision susmentionnée (cf. arrêt 2C_481/2018 du 11 juillet 2019 consid. 1.1). La Cour de céans se ré férera dès lors en priorité à la loi fédérale sur les étrangers dans le présent arrêt (cf. RO 2007 5437).
27
 
2.
 
D'après l'art. 83 let. c ch. 2 LTF, le recours en matière de droit public est irrecevable contre les décisions relatives à une autorisation de droit des étrangers à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit.
28
Les recourants se prévalent du respect de la vie familiale au sens de l'art. 8 CEDH, respectivement 13 al. 1 Cst. Le recourant 1 possède, depuis 2007, une autorisation de séjour, de sorte qu'en droit interne, il ne peut fonder sa demande de regroupement familial que sur l'art. 44 LEtr, disposition qui ne lui confère aucun droit au sens de l'art. 83 let. c ch. 2 LTF (cf. ATF 139 I 330 consid. 1.2 p. 332; 137 I 284 consid. 1.2 p. 287). En revanche, compte tenu de la longue durée du séjour légal du recourant 1 en Suisse (cf. ATF 144 I 266 consid. 3), le couple invoque, de manière défendable, un droit découlant de la vie privée et familiale issu de l'art. 8 CEDH, leur permettant de vivre leur vie de couple en Suisse. La voie du recours en matière de droit public est partant ouverte, étant rappelé que la question de savoir si un tel droit au regroupement familial existe et doit en définitive être accordé relève du fond (cf. ATF 139 I 330 consid. 1.1 p. 332).
29
Au surplus, le recours remplit les conditions des art. 42 et 82 ss LTF. Il convient dès lors d'entrer en matière.
30
 
3.
 
Le litige porte sur le rejet par le Service de la population, confirmé par le Tribunal cantonal, de la demande d'autorisation de séjour déposée par la recourante 2 en vue de vivre auprès de son époux qui détient une autorisation de séjour depuis octobre 2007.
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Cette demande est la seconde formulée par l'intéressée; le Service de la population a rejeté la première par décision du 29 juillet 2015, décision qui n'a pas été attaquée devant le Tribunal cantonal. Quant à la demande faisant l'objet du présent recours, le Tribunal cantonal a retenu que la détérioration de la santé du recourant 1 ne constituait pas une raison familiale majeure au sens de l'art. 47 al. 4 LEtr.
32
 
4.
 
Dans leur seconde demande, les recourants invoquent la détérioration de la santé du recourant 1 qui ne serait, dorénavant, plus à même de vivre seul.
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4.1. En principe, même après un refus ou une révocation d'une autorisation de séjour, il est possible de demander l'octroi d'une nouvelle autorisation, dans la mesure où, au moment du prononcé, l'étranger qui en fait la demande remplit les conditions posées à un tel octroi. Indépendamment du fait que cette demande s'intitule reconsidération ou nouvelle demande, elle ne saurait toutefois avoir pour conséquence de remettre continuellement en question des décisions entrées en force. L'autorité administrative n'est ainsi tenue d'entrer en matière sur une nouvelle demande que lorsque les circonstances ont subi des modifications notables ou lorsqu'il existe un cas de révision, c'est-à-dire lorsque l'étranger se prévaut de faits importants ou de preuves dont il n'avait pas connaissance dans la procédure précédente, qu'il lui aurait été impossible d'invoquer dans cette procédure pour des motifs juridiques ou pratiques ou encore qu'il n'avait alors pas de raison d'alléguer (ATF 136 II 177 consid. 2.1 p. 181; arrêt 2C_198/2018 du 25 juin 2018 consid. 3.3 et les références citées).
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4.2. En l'occurrence, il faut admettre que la dégradation importante de l'état de santé du recourant 1, qui ne peut désormais plus vivre seul, constitue une circonstance nouvelle, ce que les autorités cantonales ont également admis, puisqu'elles sont entrées en matière sur la nouvelle demande. En conséquence, il s'agit d'examiner la requête en cause dans la mesure où les nouvelles circonstances sont susceptibles de conduire à un résultat juridique différent de celui résultant de la décision du Service de la population du 29 juillet 2015 rejetant la première demande d'autorisation de séjour de la recourante 2.
35
 
5.
 
5.1. Dans un premier temps, il convient d'analyser la situation légale du recourant 1 car le droit au regroupement familial en dépend. Celui-ci est arrivé en Suisse le 22 janvier 1998 et il a été mis au bénéfice d'une admission provisoire. Il a droit, depuis un grave accident de travail survenu en août 1998 qui a entraîné une incapacité de travail totale et définitive, à une rente AI, ainsi qu'à des prestations complémentaires. Le 23 octobre 2007, l'intéressé a obtenu une autorisation de séjour.
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5.2. Dans l'ATF 144 I 266, après avoir rappelé la position de la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après: la CourEDH) sur le droit au respect de la vie familiale et le droit au respect de la vie privée, le Tribunal fédéral a précisé et schématisé sa jurisprudence relative au droit à une autorisation de séjour fondée sur l'art. 8 CEDH. Ce droit dépend fondamentalement de la durée de la résidence en Suisse de l'étranger. Lorsque celui-ci réside légalement depuis plus de dix ans en Suisse, il y a lieu de partir de l'idée que les liens sociaux qu'il a développés avec notre pays sont suffisamment étroits pour que le refus de prolonger l'autorisation de séjour respectivement la révocation de celle-ci ne doivent être prononcés que pour des motifs sérieux.
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L'élément nouveau figurant dans cet arrêt est que le Tribunal fédéral y a fixé le nombre d'années à partir duquel un étranger est présumé bien intégré, c'est-à-dire à partir d'un séjour licite de dix ans, avec pour conséquence qu'il dispose alors, en principe, d'un droit de séjour durable en Suisse sur la base de l'art. 8 CEDH protégeant le respect à la vie privée. Il convient de rappeler ici que cette durée est celle à compter de laquelle une personne bénéficiant d'une autorisation de séjour peut demander une autorisation d'établissement (cf. art. 34 al. 2 let. a LEtr), ainsi que la nationalité suisse (art. 9 al. 1 let. b de la loi fédérale du 20 juin 2014 sur la nationalité suisse [LN; RS 141.0]). Avant cet arrêt, le tribunal de céans avait toujours renoncé à déterminer un laps de temps à partir duquel l'étranger pouvait tirer un droit de l'art. 8 CEDH. La durée du séjour n'était qu'un élément parmi d'autres à prendre en considération dans l'appréciation globale des circonstances du cas d'espèce à effectuer. Une longue présence et une intégration ordinaire correspondante ne suffisaient pas. Il fallait également que l'étranger soit parvenu à créer des liens professionnels ou sociaux spécialement intenses dépassant ceux qui résultent d'une intégration ordinaire (ATF 130 II 281 c. 3.2.1 p. 286; 144 II 1 consid. 6.1 p.13). Dans l'ATF 144 I 266, en précisant et structurant sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a jugé qu'un séjour légal d'environ dix ans permettait en principe de se prévaloir de l'art. 8 CEDH, sous l'angle de la vie privée, dès lors qu'une telle durée présuppose, en règle générale, une bonne intégration. Il avait aussi déjà estimé que la présence consécutive à une admission provisoire pouvait, dans certaines circonstances, conférer un tel droit durable (cf. arrêts 2C_360/2016 du 31 décembre 2017 consid. 5.2; 2C_639/2012 du 13 février 2013 consid. 1.2.2). Il en allait de même en présence d'une admission fondée sur un cas personnel d'extrême gravité au sens de l'art. 13 let. f aOLE (arrêt susmentionné 2C_360/2016 consid. 5.1).
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5.3. En l'espèce, le recourant 1 réside en Suisse légalement depuis plus de dix ans. Il est au bénéfice d'une autorisation de séjour depuis 2007. Auparavant, il avait été admis provisoirement depuis août 1998. Au regard de ce nombre d'années important, il faut lui reconnaître un droit de séjour durable dans notre pays découlant du respect de la vie privée au sens de l'art. 8 CEDH respectivement de l'art. 13 Cst., tel que précisé dans l'ATF 144 I 266.
39
 
6.
 
Il convient ensuite d'examiner si le droit durable du recourant 1 à séjourner en Suisse au titre de la garantie de la vie privée issue de l'art. 8 CEDH permet aux conjoints d'invoquer un droit au regroupement familial découlant de cette même disposition et, le cas échéant, à quelles conditions.
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6.1. Le Tribunal fédéral reconnaît, depuis longtemps déjà, que peut se prévaloir du droit au regroupement familial une personne qui est à même de démontrer une relation étroite et effective avec un membre de sa famille qui possède le droit de résider durablement en Suisse, ce qui suppose que celui-ci ait la nationalité suisse, qu'il soit au bénéfice d'une autorisation d'établissement ou d'un droit certain à une autorisation de séjour (ATF 135 I 143 consid. 1.3.1 p. 145 s.; cf. 2C_360/2016 consid. 5.1; 2C_147/2015 consid. 2.2.1). Le Tribunal fédéral, dans l'ATF 137 I 284 consid. 2.6, l'a rappelé en d'autres termes: la personne qui possède le droit de séjourner en Suisse (" Ein Aufenthaltsberechtigter ") - c'est-à-dire une personne qui détient un droit durable de séjour - doit en principe pouvoir obtenir le regroupement familial au regard des art. 8 CEDH et 13 Cst. (cf. également ATF 130 II 281 consid. 3.2.2). Comme on l'a vu, tel est le cas du recourant 1. Son épouse peut donc invoquer l'art. 8 CEDH, afin de pouvoir venir vivre auprès de celui-ci en Suisse.
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Cela ne signifie pas pour autant qu'un tel droit ne soit pas subordonné à des conditions.
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6.2. Selon l'ATF 137 I 284, il convient, en présence d'un étranger qui possède un droit durable à séjourner en Suisse, dans un souci de cohérence avec la législation interne, de soumettre le regroupement familial aux conditions de l'art. 44 LEtr, conditions qui sont au demeurant compatibles avec l'art. 8 CEDH (ATF 137 I 284 consid. 2.6). L'art. 44 LEtr ne confère certes pas en lui-même un droit à une autorisation de séjour, puisque celle-ci est potestative (" Le conjoint étranger du titulaire d'une autorisation de séjour ainsi que ses enfants célibataires étrangers de moins de 18 ans peuvent obtenir une autorisation de séjour... "; "... può essere rilasciato o prorogato un permesso di dimora..."; "... kann eine Aufenthaltsbewilligung erteilt und verlängert werden... "). Cette restriction résulte du fait que cette disposition concerne en premier lieu les personnes qui ne possèdent pas un droit à faire renouveler leur titre de séjour temporaire. Si les étrangers résidant dans notre pays n'ont pas eux-mêmes un droit de séjour, ils ne doivent pas non plus pouvoir bénéficier d'un droit au regroupement familial. Pour cette raison, le législateur a octroyé aux cantons, dans le cadre du regroupement familial requis par le biais d'un étranger au bénéfice d'un permis de séjour annuel, une certaine marge d'appréciation. Toujours selon l'ATF 137 I 284 consid. 2.6, confirmé à l'ATF 139 I 330 consid. 2.4.1, il en va différemment des étrangers qui possèdent un droit au renouvellement de leur permis de séjour et qui peuvent, selon la jurisprudence relative au regroupement familial, invoquer les art. 8 CEDH et 13 Cst. Dans ce cas de figure, les autorités ne peuvent, compte tenu des droits découlant de ces deux dispositions, refuser le regroupement familial requis que pour de bonnes raisons. On est potentiellement en présence de telles raisons si les conditions de l'art. 44 LEtr ne sont pas remplies ou si l'une des situations d'extinction du droit au regroupement prévues à l'art. 51 al. 2 LEtr (qui renvoie aux motifs de révocation de l'art. 62 al. 1 LEtr) est réalisée (ATF 139 I 330 consid. 2.4.1 et 2.4.2 p. 337; 137 I 284 consid. 2.6 et 2.7 p. 292) : il n'est en effet pas concevable que, par le biais de l'art. 8 CEDH, un étranger qui ne dispose, en vertu de la législation interne, d'aucun droit à faire venir sa famille proche en Suisse, puisse obtenir des autorisations de séjour pour celle-ci sans que les conditions posées par les art. 42 ss LEtr ne soient remplies (arrêt 2C_207/2017 du 2 novembre 2017 consid. 5.1 et les arrêts cités; cf. aussi 2C_943/2018 du 22 janvier 2020 consid. 3.1). Il faut ajouter à cela le respect des délais légaux imposés par l'art. 47 LEtr en lien avec l'art. 73 de l'ordonnance fédérale du 24 octobre 2007 relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative (OASA; RS 142.201) (arrêt 2C_888/2011 du 20 juin 2012 consid. 2.3). Rappelons en outre que ce droit tombe s'il est invoqué de manière abusive (en cas, par exemple, de mariage de complaisance [ATF 139 I 330 consid. 2.4.2 p. 338; 137 I 284 consid. 2.7 p. 293]).
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La doctrine suisse elle aussi considère que celui qui bénéficie d'une autorisation de séjour durable peut se prévaloir des art. 8 CEDH et 13 Cst. pour demander le regroupement familial sur la base de l'art. 44 LEtr aux conditions susmentionnées (CESLA AMARELLE/NATHALIE CHRISTEN, Code annoté de droit des migrations, vol. II: Loi sur les étrangers (LEtr), in Nguyen/Amarelle (éd.), ad. art. 44 LEtr p. 424; MARTINA CARONI/NICOLE SCHEIBER/CHRISTA PREISIG/MARGARITE ZOETEWEIJ, Migrationsrecht, 4e éd., p. 227 ss, spéc. 228; cf. aussi MARC SPESCHA, in Spescha/Zünd/Bolzli/Hruschka/de Weck (éd.), 5e éd. Migrationsrecht, n° 4 ad art. 44, p. 218).
44
En résumé, un droit durable à une autorisation de séjour fondé sur l'art. 8 CEDH donne en principe droit au regroupement familial du conjoint, pour autant que les conditions posées par le droit interne à ce regroupement soient remplies.
45
 
7.
 
Il s'agit, dès lors, d'analyser si, en l'espèce, les conditions posées par les art. 47 al. 4 et 44 LEtr sont réalisées, étant précisé que ce n'est que si tel est le cas que la recourante 2 pourra obtenir un titre de séjour en Suisse.
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7.1. Il convient, tout d'abord, d'examiner ce qu'il en est du respect des délais pour demander le regroupement familial. A cet égard, dans la mesure où il n'est à juste titre pas contesté que la demande de regroupement familial a été formée tardivement au regard de l'art. 47 al. 1 et al. 3 let. b LEtr, ce n'est qu'en présence de raisons familiales majeures que le regroupement familial peut être accordé (art. 47 al. 4 LEtr et 73 al. 3 OASA).
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7.1.1. D'une façon générale, il ne doit être fait usage de l'art. 47 al. 4 LEtr qu'avec retenue. Les raisons familiales majeures pour le regroupement familial hors délai doivent toutefois être interprétées d'une manière conforme au droit fondamental au respect de la vie familiale (art. 13 Cst. et 8 CEDH; arrêts 2C_153/2018 du 25 juin 2018 consid. 5.2; 2C_1172/2016 du 26 juillet 2017 consid. 4.3.1). Selon la jurisprudence, le désir de voir tous les membres de la famille réunis en Suisse est à la base de toute demande de regroupement familial, y compris celles déposées dans les délais, et représente même une des conditions du regroupement (cf. art. 42 al. 1, 43 al. 1 et 44 let. a LEtr " à condition de vivre en ménage commun "). La seule possibilité de voir la famille réunie ne constitue dès lors pas une raison familiale majeure. Ainsi, lorsque la demande de regroupement est effectuée hors délai et que la famille a vécu séparée volontairement, d'autres raisons sont nécessaires (arrêts 2C_153/2018 du 25 juin 2018 consid. 5.2; 2C_386/2016 du 22 mai 2017 consid. 2.3.1; 2C_285/2015 du 23 juillet 2015 consid. 3.1 et les arrêts cités).
48
L'art. 75 OASA ne traite que des raisons familiales majeures pour le regroupement familial des enfants et ne dit rien quant à ces raisons pour le conjoint; la jurisprudence, pas plus que la doctrine, n'en a arrêté les contours de façon déterminante (arrêts 2C_323/2018 du 21 septembre 2018 consid. 8.2.1 et 2C_887/2014 du 11 mars 2015 consid. 3.2).
49
Les travaux parlementaires montrent qu'avec l'adoption de l'art. 47 al. 4 LEtr le législateur a voulu encourager l'intégration avec un regroupement des membres de la famille aussi rapide que possible, sans réduire les raisons de ce regroupement aux événements qui n'étaient pas prévisibles. Selon sa pratique, le Tribunal fédéral estime qu'une famille qui a volontairement vécu séparée pendant des années exprime de la sorte un intérêt réduit à vivre ensemble en un lieu donné; ainsi, dans une telle constellation, c'est-à-dire lorsque les rapports familiaux ont été vécus, pendant des années, par le biais de visites à l'étranger et des moyens modernes de communication, la ratio legis de l'art. 47 al. 4 LEtr que représente l'intérêt légitime (sous-jacent) à une politique d'immigration restrictive l'emporte régulièrement sur l'intérêt privé de l'étranger à vivre en Suisse. Il en va ainsi tant que des raisons objectives et compréhensibles, que celui-ci doit indiquer et justifier, ne suggèrent le contraire (arrêt 2C_323/2018 susmentionné consid. 8.2.2 et les références aux travaux parlementaires et arrêts cités).
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7.1.2. In casu, le regroupement familial est requis en raison d'un changement important des circonstances, à savoir l'état de santé du recourant 1. Celui-ci souffre des séquelles d'un traumatisme crânio-cérébral, à savoir de douleurs chroniques, troubles visuels et de céphalées invalidantes couplés à un état dépressif récurrent; s'y ajoutent des déficits cognitifs (concentration, mémoire, etc.) et des troubles perceptifs (hallucinations acoustico-verbales et visuelles); il a également des problèmes coronariens qui ont pour conséquence des crises d'angoisse. Il découle du rapport médical du 6 décembre 2017 que désormais le recourant " est arrivé au bout de ses moyens et, sans la présence de son épouse, il se verra contraint de recourir à des institutions de soins médicaux et sociaux, son "niveau de fonctionnement général" étant aujourd'hui sérieusement altéré ". Les médecins soulignent que les tâches quotidiennes deviennent de plus en plus difficiles et que son état le pousse à se retirer socialement; ils craignent qu'il devienne grabataire. De plus, en été 2017, le recourant 1 a fait l'objet d'une mesure de placement à des fins d'assistance au service de psychiatrie générale du CHUV. Il découle de ce qui précède que la situation a changé de façon déterminante après l'échéance du délai de cinq ans dont disposait le recourant pour faire valoir son droit au regroupement familial.
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Il sied, en outre, de souligner ici une modification importante de la constellation familiale: le regroupement ne concerne plus cinq personnes, à savoir la recourante 2 et les quatre enfants du couple, puisqu'aujourd'hui ceux-ci sont majeurs et indépendants. Seule est donc concernée par le regroupement la recourante 2, à savoir l'épouse.
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On ne peut, de plus, reprocher aux recourants d'avoir volontairement vécu de façon séparée depuis que l'époux a obtenu une autorisation de séjour, à savoir depuis 2007. En effet, ceux-ci soulignent que, compte tenu de la situation précaire du recourant 1, ils ne remplissaient pas les conditions posées au regroupement familial fondé sur l'art. 44 LEtr: ils ne pouvaient trouver un appartement adéquat pour eux-mêmes et leurs quatre enfants (alors âgés de 15, 13, 12 et 9 ans) et ne bénéficiaient pas des ressources nécessaires pour subvenir aux besoins de la famille, ce qui n'est guère discutable.
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En conclusion, la condition des raisons familiales majeures de l'art. 47 al. 4 LEtr est remplie.
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7.2. Il reste à déterminer si les recourants remplissent les conditions de l'art. 44 LEtr. Cette disposition énumère le ménage commun des époux (let. a), un logement approprié (let. b), ainsi que l'absence de dépendance à l'aide sociale (let. c) (cf. ATF 139 I 330 consid. 2.4.2 p. 338); il est rappelé que les lettres d et e de l'art. 44 LEI ne figuraient pas à l'art. 44 LEtr, puisqu'elles ont été introduites avec la révision de la loi fédérale sur les étrangers entrée en vigueur le 1er janvier 2019, et qu'elles ne sont dès lors pas applicables au présent cas (cf. supra consid. 1). L'arrêt attaqué ne contient toutefois pas les éléments permettant de juger si les exigences susmentionnées sont remplies. Ainsi, en l'absence d'éléments de fait suffisants pour que le Tribunal fédéral statue, il y a lieu, en application de l'art. 107 al. 2 LTF, de renvoyer la cause au Service de la population, afin qu'il en complète l'instruction et prenne une nouvelle décision.
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Dans le cadre de cette instruction, il n'y aura pas lieu d'examiner si le retour du recourant 1 au Kosovo peut être exigé. En effet, l'impossibilité de vivre la vie familiale à l'étranger ne constitue pas une condition légale au regroupement familial et irait au-delà des exigences de l'art. 44 et 47 al. 2 LEtr. La loi ne pose même pas une telle exigence pour les titulaires d'une autorisation de séjour sans droit de présence durable. Cette exigence peut donc d'autant moins s'appliquer dans le présent cas. Elle ferait perdre tout sens audit regroupement qui, selon la jurisprudence précitée, doit être accordé si les exigences posées par ces dispositions sont réalisées, lorsque l'étranger qui demande le regroupement possède un droit de séjour durable en Suisse.
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8. Au regard de ce qui précède, il convient d'admettre le recours dans le sens des considérants, d'annuler l'arrêt attaqué et de renvoyer la cause au Service de la population, afin qu'il procède dans le sens des considérants.
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Bien qu'il succombe, le canton de Vaud, qui ne défend pas d'intérêt patrimonial, ne peut se voir imposer les frais de justice (cf. art. 66 al. 1 et 4 LTF). Ayant obtenu gain de cause avec l'aide d'un représentant, les recourants ont droit à des dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF) qu'il convient de mettre à la charge dudit canton, ce qui a pour conséquence de rendre la demande d'assistance judiciaire formée pour la procédure fédérale sans objet. La cause sera renvoyée au Tribunal cantonal pour qu'il statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure menée devant lui (art. 67 et 68 al. 5 LTF). 
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1. Le recours est admis dans le sens des considérants et l'arrêt du 13 juin 2018 du Tribunal cantonal est annulé. La cause est renvoyée au Service de la population, afin qu'il procède dans le sens des considérants.
 
2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
 
3. Une indemnité de 2'000 fr., à payer aux recourants à titre de dépens, est mise à la charge du canton de Vaud.
 
4. La cause est renvoyée au Tribunal cantonal pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale.
 
5. Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, et au Secrétariat d'Etat aux migrations.
 
Lausanne, le 28 février 2020
 
Au nom de la IIe Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président : Seiler
 
La Greffière : Jolidon
 
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