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Informationen zum Dokument  BGer 2C_796/2018  Materielle Begründung
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BGer 2C_796/2018 vom 04.02.2019
 
 
2C_796/2018
 
 
Arrêt du 4 février 2019
 
 
IIe Cour de droit public
 
Composition
 
MM. et Mme les Juges fédéraux Seiler, Président,
 
Aubry Girardin et Stadelmann.
 
Greffier : M. Ermotti.
 
 
Participants à la procédure
 
Secrétariat d'Etat aux migrations,
 
recourant,
 
contre
 
A.________, représenté par
 
Me Dina Bazarbachi, avocate,
 
intimé,
 
Commissaire de police du canton de Genève,
 
Objet
 
Interdiction de pénétrer dans une région déterminée,
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, 2ème section, du 20 juillet 2018 (ATA/764/2018).
 
 
Faits :
 
 
A.
 
A.a. A.________, qui est né en 1994 et est - selon ses dires - originaire de la République de Guinée, est entré en Suisse en 2017 et y a déposé une demande d'asile, laquelle a été définitivement rejetée par décision entrée en force le 13 décembre 2017, assortie d'un prononcé de renvoi. La prise en charge de l'intéressé et l'exécution de son renvoi ont été attribuées au canton de Genève.
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A.b. Le 15 janvier 2018, A.________ a été interpellé par la police à la rue du Môle à Genève. Il était en possession de cinq boulettes de cocaïne d'un poids total brut de six grammes et a admis que celles-ci étaient destinées à la vente. Par ordonnance pénale du 16 janvier 2018, l'intéressé a été déclaré coupable d'infraction à la législation sur les stupéfiants et condamné à une peine privative de liberté de 90 jours. A.________ a formé opposition contre cette ordonnance pénale. La suite de la procédure est inconnue.
2
Le 16 juin 2018, A.________ a été appréhendé à la route des Acacias à Genève et conduit dans les locaux de la police aux fins des contrôles d'usage. Selon le rapport de police établi à cette occasion (que l'intéressé conteste sur ce point), il aurait dissimulé dans la banquette du véhicule des forces de l'ordre un sachet contenant six boulettes de cocaïne conditionnées pour la vente. Par ordonnance pénale du 17 juin 2018, A.________ a été déclaré coupable d'infractions aux législations sur les stupéfiants et les étrangers et condamné à une peine privative de liberté de 90 jours.
3
B. Par décision du 17 juin 2018, le Commissaire de police du canton de Genève (ci-après: le Commissaire de police) a prononcé à l'encontre de A.________ une interdiction de pénétrer dans le centre-ville de Genève pour une durée de douze mois. Par jugement du 3 juillet 2018, le Tribunal administratif de première instance du canton de Genève (ci-après: le TAPI) a partiellement admis l'opposition formée par l'intéressé contre cette décision et a réduit la durée de la mesure à six mois.
4
Le 16 juillet 2018, le Commissaire de police a recouru contre le jugement du TAPI, en concluant à ce que la durée de l'interdiction de pénétrer dans la zone concernée soit fixée à douze mois. Par arrêt du 20 juillet 2018, la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a rejeté le recours. Cette autorité a retenu, en substance, qu'il s'agissait de la première mesure d'interdiction de périmètre prononcée à l'encontre de A.________, que les condamnations pénales dont l'intéressé avait fait l'objet n'étaient pas définitives et que la mesure litigieuse n'était assortie d'aucune exception. La Cour de justice a considéré que, au vu de ces circonstances, la durée de six mois de l'interdiction de pénétrer dans le centre-ville de Genève fixée par le TAPI était conforme au principe de proportionnalité.
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C. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, le Secrétariat d'Etat aux migrations (ci-après: le SEM ou le recourant) demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais, d'annuler l'arrêt rendu le 20 juillet 2018 par la Cour de justice, ainsi que le jugement du TAPI du 3 juillet 2018, et de confirmer la mesure d'interdiction de périmètre pour une durée de douze mois prononcée par le Commissaire de police le 17 juin 2018. Il se plaint d'arbitraire dans l'établissement des faits et de violation des art. 74 al. 1 let. a LEtr (actuellement: LEI) et 36 al. 3 Cst.
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Il n'a pas été ordonné d'échange d'écritures.
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Considérant en droit :
 
1. Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours portés devant lui (ATF 140 IV 57 consid. 2 p. 59).
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1.1. L'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90 LTF), rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF) dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF) ne tombant pas sous le coup de l'une des exceptions prévues à l'art. 83 LTF. La voie du recours en matière de droit public est ainsi ouverte.
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1.2. En vertu de l'art. 14 al. 2 de l'ordonnance fédérale du 17 novembre 1999 sur l'organisation du Département fédéral de justice et police (Org DFJP; RS 172.213.1), le SEM a qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral (cf. art. 89 al. 2 let. a LTF), dans le domaine du droit des étrangers, contre des décisions cantonales de dernière instance (arrêts 2C_576/2018 du 16 novembre 2018 consid. 1.2.1 et 2C_22/2018 du 5 juillet 2018 consid. 1).
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1.3. Dès lors que le recourant conclut à l'annulation de l'arrêt confirmant la réduction des effets de la décision d'interdiction de périmètre du 17 juin 2018 de douze mois à six mois, celle-ci pourrait perdurer jusqu'en juin 2019 si cette conclusion devait être admise. Le recours conserve ainsi un intérêt actuel (cf. arrêt 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 1.2).
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1.4. Pour le surplus, le recours a été interjeté en temps utile, compte tenu des féries (art. 46 al. 1 let. b et 100 al. 1 LTF), et dans les formes requises (art. 42 LTF). Il est donc recevable, sous réserve de ce qui suit.
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1.5. En raison de l'effet dévolutif complet du recours déposé auprès de la Cour de justice (cf. ATF 136 II 101 consid. 1.2 p. 104; arrêt 2C_109/2018 du 7 août 2018 consid. 1.3), la conclusion tendant à l'annulation du jugement du TAPI du 3 juillet 2018 est irrecevable.
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2. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits constatés par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF. Selon l'art. 97 al. 1 LTF, le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (ATF 142 II 355 consid. 6 p. 358; 139 II 373 consid. 1.6 p. 377 s.). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, la partie recourante doit expliquer de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées. A défaut, il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de celui qui est contenu dans l'acte attaqué (ATF 137 II 353 consid. 5.1 p. 356; arrêt 2C_665/2017 du 9 janvier 2018 consid. 2.1).
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3. Le recourant se plaint d'une constatation manifestement inexacte des faits concernant les exceptions dont était assortie la décision d'interdiction de périmètre.
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3.1. S'agissant de l'appréciation des preuves et des constatations de fait, il y a arbitraire lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266).
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3.2. En l'espèce, la Cour de justice a retenu que la décision d'interdiction de périmètre prononcée à l'encontre de l'intimé ne prévoyait aucune exception (arrêt entrepris, p. 7). Tel que le relève à juste titre le recourant, la décision en question était toutefois assortie de cinq exceptions, permettant à l'intimé de se rendre au Palais de justice, au TAPI, à l'abri de la protection civile "Vollandes", à la consultation ambulatoire mobile de soins communautaires (CAMSCO) et au Quai 9 (cf. le plan annexe à la décision du Commissaire de police du 17 juin 2018). S'agissant d'un élément propre à influer sur le sort du litige, le grief tiré de l'établissement arbitraire des faits doit être admis et les faits constatés dans l'arrêt entrepris modifiés en ce sens que la décision d'interdiction de périmètre dont a fait l'objet l'intimé prévoyait ces cinq exceptions.
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4. Sur le fond, le recourant critique uniquement la durée de la mesure. A son avis, seule une interdiction de périmètre d'une durée de douze mois aurait été apte à atteindre le but visé. Selon le SEM, l'arrêt attaqué, qui serait disproportionné sur ce point, devrait donc être annulé et la durée de la mesure portée de six à douze mois, conformément à ce qu'avait retenu le Commissaire de police dans sa décision du 17 juin 2018.
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4.1. A teneur de l'art. 74 al. 1 let. a de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l'intégration (LEI; RS 142.20; avant le 1er janvier 2019: LEtr [RO 2007 5437]), l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée lorsqu'il n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et qu'il trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics, étant précisé que cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (arrêt 2C_494/2018 du 10 janvier 2019 consid. 3.1) et à protéger l'ordre et la sécurité publics, ainsi qu'à éloigner les personnes qui sont en contact répété avec le milieu de la drogue des lieux où se pratique le commerce de stupéfiants (arrêt 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.1).
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La réalisation des conditions d'application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI n'étant pas contestée en l'espèce, il reste à examiner le grief du recourant relatif à la violation de l'art. 36 al. 3 Cst.
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4.2. Le principe de proportionnalité exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation des droits individuels allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts; ATF 142 I 76 consid. 3.5.1 p. 84; 142 I 49 consid. 9.1 p. 69; arrêt 2C_206/2017 du 23 février 2018 consid. 8.3). Appliqué à la problématique de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prévue à l'art. 74 LEI, le principe de proportionnalité implique de prendre en compte en particulier la délimitation géographique d'une telle mesure ainsi que sa durée (ATF 142 II 1 consid. 2.3 p. 4; arrêt 2C_494/2018 du 10 janvier 2019 consid. 3.3). Selon la jurisprudence, l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée, à l'instar de l'assignation à un lieu de résidence, ne peut pas être ordonnée pour une durée indéterminée et le périmètre d'interdiction doit être fixé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles (arrêts 2C_494/2018 du 10 janvier 2019 consid. 3.3; 2C_431/2017 du 5 mars 2018 consid. 2.2; 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.1). Il convient de vérifier, dans chaque cas d'espèce, que l'objectif visé par l'autorité justifie véritablement l'interdiction de périmètre prononcée, c'est-à-dire qu'il existe un rapport raisonnable entre cet objectif et les moyens mis en oeuvre pour l'atteindre (ATF 142 II 1 consid. 2.3 p. 5; arrêt 2C_494/2018 du 10 janvier 2019 consid. 3.3).
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Le Tribunal fédéral examine avec une pleine cognition si la décision litigieuse obéit à un intérêt public et est conforme au principe de proportionnalité. Cela étant, il fait preuve de retenue lorsque l'examen dépend de circonstances locales, dont l'appréciation incombe en premier lieu au canton concerné (cf. ATF 140 I 218 consid. 6.7.3 p. 237; 135 I 233 consid. 3.2 in fine p. 246; arrêt 2C_494/2018 du 10 janvier 2019 consid. 3.3).
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4.3. En l'espèce, malgré le fait que la Cour de justice se soit fondée sur un état de fait imprécis, en retenant que la mesure litigieuse n'était assortie d'aucune exception, alors qu'elle en prévoyait en réalité cinq (cf. supra consid. 3), on ne voit pas en quoi l'autorité précédente aurait fait une mauvaise application du principe de proportionnalité, et le recourant ne l'expose pas non plus de manière convaincante.
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4.3.1. Tel que l'a relevé à juste titre la Cour de justice, il s'agissait en effet de la première mesure d'interdiction de périmètre prononcée à l'encontre de l'intimé. Certes, l'intéressé avait fait l'objet de deux ordonnances pénales le condamnant à deux peines privatives de liberté pour des infractions à la LEI et surtout à la loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants et les substances psychotropes (RS 812.121; ci-après: LStup) commises sur une période relativement courte (environ cinq mois). Cependant, n'en déplaise au recourant, les faits reprochés à l'intimé - sans les minimiser - n'apparaissent pas graves à un tel point que seule une interdiction de périmètre d'une durée de douze mois aurait été apte à atteindre le but visé. La mesure litigieuse était en effet propre à éloigner l'intéressé du centre-ville de Genève, lieu notoire du trafic de stupéfiants, à partir du moment où elle a été prononcée et pendant les six mois suivants. On ne voit pas en quoi la réduction de sa durée de douze à six mois, prononcée par le TAPI et confirmée par la Cour de justice, l'aurait rendue moins apte à atteindre le but escompté, soit la lutte contre le trafic illégal de stupéfiants et la protection de l'ordre et la sécurité publics (cf. supra consid. 4.1). Le seul fait que les juges aient prononcé une mesure moins longue que celle souhaitée par le recourant ne signifie pas que ladite mesure soit impropre à dissuader l'intimé de continuer ses activités coupables. En outre, les exceptions dont la mesure a été assortie ne sauraient faire apparaître la réduction de la durée de celle-ci comme disproportionnée par rapport à l'intérêt public poursuivi. Au contraire, les dérogations prévues, qui tendent à permettre à l'intéressé de se rendre aux convocations de la justice et de fréquenter des lieux destinés à le soigner, visent aussi à prévenir la survenance de nouvelles atteintes à l'ordre public; elles n'adoucissent pas l'interdiction de périmètre et ne sauraient ainsi justifier une prolongation de la mesure. Enfin, au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, l'interdiction de périmètre litigieuse n'apparaît pas déraisonnable, le rapport entre l'intérêt public recherché et les effets de celle-ci sur la situation de l'intimé, qui s'est vu privé pendant six mois de tout accès au centre-ville de Genève - hormis les cinq exceptions précitées -, se révélant approprié (proportionnalité au sens étroit).
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4.3.2. Le recourant se réfère à l'arrêt 2C_330/2015 du 26 novembre 2015, dans lequel le Tribunal fédéral avait admis un recours du SEM en matière de durée d'une mesure d'interdiction de périmètre, en raison d'une violation de l'art. 36 Cst. Cet arrêt ne lui est toutefois d'aucun secours. En premier lieu, dans l'arrêt en question, la durée de l'interdiction de périmètre prononcée à l'encontre de l'intéressé avait été réduite de douze à trois mois (et non pas à six mois), ce qui permettait de douter de son efficacité. En outre, le Tribunal fédéral avait admis le recours du SEM en considérant que la "réduction temporelle de la mesure lui fai[sait] perdre son caractère approprié aux circonstances de l'espèce
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Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours dans la mesure où il est recevable.
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5. Succombant dans l'exercice de ses attributions officielles sans que son intérêt patrimonial ne soit en cause, le Secrétariat d'Etat aux migrations ne peut pas être condamné au paiement des frais de justice (cf. art. 66 al. 4 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens à l'intimé, à qui le Tribunal fédéral n'a pas demandé de déposer une détermination sur le recours (cf. art. 68 al. 1 LTF; arrêt 2C_258/2017 du 2 juillet 2018 consid. 8, non destiné à la publication).
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 Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
 
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
2. Il n'est pas perçu de frais judiciaires, ni alloué de dépens.
 
3. Le présent arrêt est communiqué au Secrétariat d'Etat aux migrations, à la mandataire de l'intimé, à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre administrative, 2ème section, au Commissaire de police du canton de Genève, ainsi qu'à l'Office cantonal de la population et des migrations du canton de Genève.
 
Lausanne, le 4 février 2019
 
Au nom de la IIe Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président : Seiler
 
Le Greffier : Ermotti
 
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