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Informationen zum Dokument  BGer 6B_758/2011  Materielle Begründung
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BGer 6B_758/2011 vom 24.09.2012
 
Bundesgericht
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
{T 0/2}
 
6B_758/2011
 
Arrêt du 24 septembre 2012
 
Cour de droit pénal
 
Composition
 
MM. et Mme les Juges fédéraux Mathys, Président,
 
Schneider, Jacquemoud-Rossari, Denys et Schöbi.
 
Greffière: Mme Paquier-Boinay.
 
 
Participants à la procédure
 
1. V.________,
 
2. W.________,
 
3. X.________,
 
4. Y.________,
 
5. Z.________,
 
tous représentés par Me Christian Bruchez, avocat,
 
recourants,
 
contre
 
1. Ministère public du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3,
 
2. A.A.________ et B.A.________, représentés par
 
Me François Bellanger, avocat,
 
intimés.
 
Objet
 
Violation de domicile (art. 186 CP),
 
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice du canton de Genève, du 10 octobre 2011.
 
Faits:
 
A.
 
Par jugement du 3 mars 2011, le Tribunal de police genevois a reconnu V.________, W.________, X.________, Y.________ et Z.________ coupables de violation de domicile et les a condamnés à une peine de 10 jours-amende, dont le montant varie en fonction de la situation de chacun d'eux, avec sursis pendant 3 ans.
 
Ce jugement a été rendu après qu'une ordonnance de condamnation datée du 31 mai 2010 et condamnant V.________, X.________, W.________, Y.________ et Z.________ à 20 jours-amende avec sursis pendant 3 ans ainsi qu'à une amende a été frappée d'opposition.
 
Les faits à l'origine de cette condamnation sont en substance les suivants.
 
Début septembre 2009, W.________, Z.________ et Y.________, secrétaires syndicaux, se sont présentés à D.________, hôtel et restaurant exploité par la société D.________ SA administrée par A.A.________, son épouse, B.A.________, bénéficiant d'une procuration avec signature individuelle. Ils voulaient informer les employés de l'établissement sur l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2010, des nouvelles conditions de travail prévues par la convention collective de travail nationale de l'hôtellerie et la restauration. En l'absence des époux A.________, ils ont été reçus par une employée de l'établissement, qui leur a signifié qu'il convenait de prendre rendez-vous et qu'ils ne pouvaient pas entrer avant.
 
Par courrier électronique du 16 septembre 2009, l'accès à D.________ a été refusé aux représentants syndicaux, qui ont alors contacté le conseil des époux A.________, lequel leur a répondu qu'ils n'avaient aucun droit de pénétrer dans les locaux de l'établissement afin d'y distribuer des tracts informatifs.
 
Le 7 octobre 2009 vers 14 h. 30, V.________, X.________, W.________, Y.________ et Z.________, accompagnés de T.________, ont pénétré dans l'enceinte de D.________ et se sont rendus tant sur le parking réservé à la clientèle que sur celui des employés pour apposer sur les véhicules qui s'y trouvaient, notamment ceux des clients, des tracts relatifs à la convention collective. A.A.________ et B.A.________ leur ont expressément demandé de quitter les lieux, ce qu'ils ont refusé de faire. Ce n'est qu'après l'intervention de la police, qui avait été appelée à 14 h. 45, qu'ils ont accepté de partir.
 
A l'exception de T.________, tous les intéressés connaissaient l'interdiction qui leur avait été faite de pénétrer dans l'établissement. Ils estimaient toutefois être dans leur bon droit en raison de leur devoir d'informer les travailleurs, auquel aucun employeur ne pourrait s'opposer. Y.________ a expliqué qu'ils s'étaient, dans un premier temps, placés au centre du parking réservé à la clientèle puis que deux de ses collègues s'étaient rendus à l'emplacement dévolu au personnel. Leur action n'avait pas pour but de troubler la tranquillité publique ou celle des clients de l'établissement, mais d'informer les travailleurs de leurs droits.
 
B.
 
Par arrêt du 10 octobre 2011, la Chambre d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise a rejeté l'appel formé par les condamnés.
 
C.
 
V.________, W.________, X.________, Y.________ et Z.________ forment un recours en matière pénale contre cet arrêt. Ils concluent, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt attaqué et à leur acquittement.
 
Considérant en droit:
 
1.
 
1.1 Les recourants invoquent une violation des art. 28 Cst. ainsi que 14 et 186 CP et soutiennent que c'est à tort que l'autorité cantonale les a reconnus coupables de violation de domicile en ne prenant pas en considération l'existence du fait justificatif prévu à l'art. 14 CP, savoir un acte autorisé par la loi.
 
1.2 La cour cantonale a considéré qu'aucun fondement juridique du droit positif permettait d'exclure le caractère illicite du comportement des recourants en application de l'art. 14 CP. Elle a ensuite examiné si les recourants pouvaient être mis au bénéfice d'un fait justificatif extra-légal, en particulier celui de la sauvegarde d'intérêts légitimes. Elle l'a exclu en retenant que leur comportement n'était pas proportionné.
 
1.3 Selon l'art. 14 CP, dont la teneur correspond à celle de l'art. 32 aCP, quiconque agit comme la loi l'ordonne ou l'autorise se comporte de manière licite, même si l'acte est punissable en vertu du code pénal ou d'une autre loi. La licéité de l'acte est, en tous les cas, subordonnée à la condition qu'il soit proportionné à son but (ATF 107 IV 84 consid. 4 p. 86).
 
1.3.1 Les recourants se prévalent de la liberté syndicale, consacrée par l'art. 28 Cst., laquelle conférerait aux syndicats un droit d'accès aux entreprises, indispensable pour qu'ils puissent être en contact avec les travailleurs.
 
La jurisprudence considère que le concept de loi qui figure à l'art. 14 CP s'entend dans le sens matériel du terme (ATF 94 IV 5 consid. 1 p. 7), de sorte que l'injonction ou l'autorisation d'agir ne doit pas forcément émaner d'une loi au sens formel, mais peut aussi ressortir d'une ordonnance, voire d'instructions d'un département (ATF 100 Ib 13 consid. 4 p. 16 ss). La doctrine majoritaire, en revanche, estime que seule une loi au sens formel pourrait acquérir un effet justificatif (DUPUIS ET AL., Code pénal I, Petit Commentaire, n. 5 ad art. 14 CP et les références citées). Tant la jurisprudence que la doctrine se sont toujours posé la question de savoir si une réglementation de rang inférieur à la loi au sens formel suffisait. Elles ne se sont en revanche jamais demandé si une norme de rang constitutionnel, dans la mesure où elle déploie des effets horizontaux, constitue une loi au sens de l'art. 14 CP. Pour les motifs qui seront exposés aux considérants suivants, il n'est pas nécessaire de trancher cette question en l'espèce.
 
1.3.2 L'art. 28 al. 1 Cst. garantit la liberté syndicale ou liberté de coalition (Koalitionsfreiheit), qui est un cas spécial de la liberté générale d'association instaurée par l'art. 23 Cst. L'art. 28 al. 2 Cst. dispose que les conflits sont, autant que possible, réglés par la négociation ou la médiation. Selon l'art. 28 al. 3 Cst., la grève et le lock-out sont licites quand ils se rapportent aux relations de travail et sont conformes aux obligations de préserver la paix du travail ou de recourir à une conciliation.
 
La liberté syndicale, garantie par l'art. 28 Cst., déploie un effet horizontal indirect sur les relations de travail dans le secteur privé (ATF 132 III 122 consid. 4.4.1 p. 133 et les références citées).
 
Le Tribunal fédéral a déjà admis qu'en cas de grève, certaines mesures de combat syndical pouvaient être licites au titre d'ultima ratio (ATF 132 III 122 consid. 4.5.4; cf. aussi ATF 134 IV 216 consid. 5.1.1 et 5.1.2). En l'occurrence, la question du droit d'accès d'un syndicat à une entreprise s'inscrit en dehors du cadre d'une grève, de sorte que cette configuration particulière doit être réservée, sans qu'il soit nécessaire d'y répondre ici.
 
1.3.3 Les recourants invoquent comme critère d'interprétation de l'art. 28 Cst. les conventions de l'Organisation internationale du travail. Même ratifiées par la Suisse, de telles conventions ne sont cependant pas directement applicables et ne peuvent être invoquées directement par les particuliers (cf. arrêt 4C.422/2004 du 13 septembre 2005 consid. 3.3, non publié in ATF 132 III 122). Les recourants ne peuvent donc en tirer argument. Les recourants se prévalent aussi de la jurisprudence allemande. La comparaison avec du droit étranger, qui comporte une réglementation spécifique (cf. ARTHUR ANDERMATT, Liberté syndicale et droit de grève, in Droit collectif du travail, 2010, n. 37 p. 21), n'est pas non plus déterminante.
 
1.3.4 La doctrine n'est pas abondante sur la question du droit d'accès. Un courant déduit du seul art. 28 Cst., indépendamment d'une grève ou d'une réglementation résultant d'une convention collective de travail, un droit d'accès à l'entreprise pour diffuser aux employés des tracts ou d'autres publications (cf. ARTHUR ANDERMATT, op. cit., n. 38 p. 21 et 22; ARTHUR ANDERMATT, Die Gewerkschaften dürfen in die Betriebe, Plädoyer 5/04, p. 44 et 45; JEAN-BERNARD WAEBER, Droit de grève: exercice soumis à conditions, Plaidoyer 6/06, p. 69, qui se réfère à l'opinion d'Andermatt). Un autre courant conteste l'existence d'un droit d'accès déduit directement de l'art. 28 Cst. (cf. SARAH WENGER, Zulässige Mittel im Arbeitskampf, 2007, p. 73).
 
Cette dernière approche doit être privilégiée. Le propriétaire d'une entreprise dispose lui-même de la garantie de la propriété (cf. art. 26 Cst., 641 CC). Il est ainsi libre de déterminer à qui il entend donner accès à son entreprise. La liberté syndicale ne saurait déployer un effet direct et immédiat à l'encontre du propriétaire au point de faire passer au second plan son droit de propriété. Un droit d'accès à l'entreprise ne s'interprète pas comme étant une composante indispensable de la liberté syndicale consacrée par l'art. 28 Cst. A défaut de toute autre réglementation dans l'ordre juridique suisse, la liberté syndicale ne saurait en elle-même fonder un droit d'accès à une entreprise, tout du moins hors du contexte d'une grève licite, cette dernière configuration étant ici réservée (voir supra, consid. 1.3.2 in fine).
 
1.3.5 Il résulte de ce qui précède que c'est en vain que les recourants allèguent que leur comportement était autorisé par la loi conformément à l'art. 14 CP.
 
2.
 
Encore faut-il se demander s'il existe un motif justificatif non prévu par la loi, comme la sauvegarde d'intérêts légitimes. Ce fait justificatif doit être interprété restrictivement et est soumis à des exigences particulièrement sévères dans l'appréciation de la subsidiarité et de la proportionnalité. Les conditions sont réunies uniquement lorsque l'acte illicite ne constitue pas seulement un moyen nécessaire et approprié pour la défense d'intérêts légitimes d'une importance nettement supérieure à celle des biens protégés par la disposition violée, mais que cet acte constitue encore le seul moyen possible pour cette défense. Ces conditions sont cumulatives (ATF 127 IV 166 consid. 2b et les références citées).
 
L'autorité cantonale a noté que les recourants disposaient de moyens licites pour informer les employés des intimés, précisant qu'ils auraient très bien pu se poster sur les vingt premiers mètres du chemin qui mène à leur restaurant, demeurant ainsi sur la voie publique. Ils auraient ainsi pu atteindre les employés, qui doivent emprunter cette route pour quitter l'établissement. Elle a considéré que les recourants avaient la possibilité de procéder de la sorte sans risques, précisant qu'ils l'avaient d'ailleurs fait quelques semaines après les faits litigieux. Elle a ajouté que d'autres moyens, moins incisifs, étaient encore concevables, comme demander aux intimés la liste des employés afin de les contacter par courrier postal ou électronique ou pour le moins agir à une heure creuse de manière à éviter d'importuner la clientèle.
 
Il s'agit de constatations de fait, qui lient le Tribunal fédéral conformément à l'art. 105 al. 1 LTF dès lors qu'il n'apparaît pas d'emblée qu'elles auraient été établies de façon manifestement inexacte ou en violation du droit (art. 105 al. 2 LTF). Lorsque les recourants prétendent qu'il ne leur était pas possible d'atteindre le même résultat en se postant sur le domaine public , ils s'en prennent à l'appréciation des faits à laquelle a procédé l'autorité cantonale, sans toutefois soulever de grief d'arbitraire. Le Tribunal fédéral doit par conséquent statuer sur la base des faits constatés par l'autorité cantonale.
 
Dans ces circonstances, force est de constater que les recourants auraient eu la possibilité d'atteindre leur but, qui était d'informer les employés de l'établissement des intimés sur les conditions de travail prévues par la nouvelle convention collective, sans pénétrer dans l'enceinte du domaine. Par conséquent, il faut dénier toute proportionnalité entre l'acte imputé aux recourants et le but poursuivi par ces derniers. Il ne saurait ainsi être question d'admettre un comportement justifié pour la défense d'intérêts légitimes. La condamnation des recourants en vertu de l'art. 186 CP ne viole pas le droit fédéral.
 
3.
 
Mal fondé, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Les recourants, qui succombent, supporteront les frais de justice solidairement entre eux (art. 66 al. 1 et 5 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
2.
 
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge des recourants, qui devront les supporter à parts égales et solidairement entre eux.
 
3. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice du canton de Genève.
 
Lausanne, le 24 septembre 2012
 
Au nom de la Cour de droit pénal
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président: Mathys
 
La Greffière: Paquier-Boinay
 
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