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Informationen zum Dokument  BGer 5A_106/2012  Materielle Begründung
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BGer 5A_106/2012 vom 20.09.2012
 
Bundesgericht
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
{T 0/2}
 
5A_106/2012
 
Arrêt du 20 septembre 2012
 
IIe Cour de droit civil
 
Composition
 
Mme et MM. les Juges fédéraux Escher, Juge présidant, Marazzi et Herrmann.
 
Greffier: M. Braconi.
 
 
Participants à la procédure
 
X.________,
 
recourante,
 
contre
 
Comité international de la Croix-Rouge,
 
représenté par Me Jean-François Marti, avocat,
 
intimé,
 
Office des poursuites de Genève.
 
Objet
 
réquisition de poursuite,
 
recours contre la décision de la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites de la Cour de justice du canton de Genève du 12 janvier 2012.
 
Faits:
 
A.
 
Le 1er février 2011, l'Office des poursuites de Genève a enregistré une réquisition de poursuite déposée par X.________ à l'encontre du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en paiement de la somme de 17'267 fr. 95 plus intérêts et mentionnant comme cause de l'obligation: "(...) frais d'avocat liés à la violation par le CICR de mes droits contractuels (contrat de travail, convention collective de travail) et droit d'auteur comme spécifié par lettres au CICR du 17.12.2009 et du 01.02.2011". Le 3 mars suivant, l'office a informé la poursuivante qu'il refusait de donner suite à sa réquisition pour le motif qu'il ne peut pas être "notifié d'actes de poursuite à une organisation internationale qui jouit de l'extraterritorialité (...)".
 
B.
 
Par décision du 25 août 2011, l'Autorité de surveillance des Offices des poursuites et faillites du canton de Genève a confirmé la position de l'office. Cette décision a été annulée le 25 novembre 2011 par le Tribunal fédéral pour violation du droit d'être entendu (droit à la réplique), l'affaire étant renvoyée à la juridiction cantonale pour nouvelle décision (arrêt 5A_637/2011).
 
Statuant à nouveau le 12 janvier 2012, la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites de la Cour de justice du canton de Genève a maintenu sa précédente décision.
 
C.
 
Par mémoire du 1er février 2012, la poursuivante interjette un recours en matière civile au Tribunal fédéral; elle conclut à ce que l'office soit invité à donner suite à sa réquisition de poursuite.
 
L'intimé propose le rejet du recours; l'office des poursuites se réfère au rapport explicatif produit en instance cantonale; l'autorité précédente ne s'est pas déterminée.
 
Les écritures de l'intimé et de l'office ont été transmises le 20 août 2012 à la recourante, qui n'a pas présenté d'ultérieures observations.
 
Considérant en droit:
 
1.
 
Le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 2 let. a LTF) contre une décision finale (art. 90 LTF; ATF 133 III 350 consid. 1.2) rendue en matière de poursuite pour dettes (art. 72 al. 2 let. a LTF, en relation avec l'art. 19 LP) par une autorité de surveillance statuant en dernière (unique) instance cantonale (art. 75 LTF; Levante, in: Basler Kommentar, SchKG I, 2e éd., 2010, n° 19 ad art. 19 LP); il est recevable sans égard à la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. c LTF); la poursuivante a qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF).
 
2.
 
Alors même que le mémoire de recours est rédigé en allemand (art. 42 al. 1 LTF), le présent arrêt est rendu en français (art. 54 al. 1 LTF).
 
3.
 
Après avoir rappelé que l'intimé bénéficie de l'immunité de juridiction et d'exécution conformément à l'art. 5 de l'Accord du 19 mars 1993 entre le Conseil fédéral et le CICR (RS 0.192.122.50), l'autorité précédente a considéré que les frais d'avocats, même relatifs à un litige de droit du travail, ne tombent pas sous le coup de l'une des exceptions prévues par cet accord (ch. 1 let. a à g), qui vise "exclusivement des créances générées directement par les rapports de travail proprement dits"; il en est ainsi a fortiori pour les frais d'avocats liés à une prétendue violation des "droits d'auteur" de la poursuivante. Partant, c'est à bon droit que l'office a refusé de donner suite à une réquisition de poursuite tendant au recouvrement de telles prétentions.
 
4.
 
4.1 La recourante affirme d'emblée que la juridiction précédente a violé derechef son droit à la réplique, car elle ne lui a pas communiqué les observations "complémentaires" de l'intimé. De surcroît, elle "doute" de la régularité de la composition de cette autorité, dont les mêmes juges avaient rendu la décision annulée par le Tribunal fédéral.
 
4.2 Il ressort de l'état de fait de la décision entreprise que, à réception de l'arrêt du Tribunal fédéral du 25 novembre 2011 (cf. supra, let. B), le Greffe de la juridiction cantonale a, par courrier du 9 décembre 2011, transmis à la recourante les déterminations de l'intimé sur la plainte: la "précitée n'a déposé à ce jour devant la Chambre de céans aucune détermination".
 
La recourante ne prétend pas que ces constatations seraient manifestement inexactes (art. 97 al. 1 LTF), c'est-à-dire arbitraires au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 135 III 127 consid. 1.5). Le fait que la lettre du Greffe parle d'observations "complémentaires" ne permet pas, faute d'indices plus précis, d'affirmer que l'intimé aurait produit d'autres écritures que celle du 29 juin 2011. Au reste, l'intéressée eût pu interpeller l'autorité cantonale sur ce point, ce qu'elle n'a pas fait alors qu'elle en aurait eu le temps; présenté pour la première fois en instance fédérale, le grief apparaît au surplus abusif (ATF 135 I 91 consid. 2.1; 135 III 334 consid. 2.2 et les arrêts cités).
 
4.3 En tant qu'il concerne la composition de la juridiction précédente, le recours s'avère irrecevable, faute de motivation (art. 106 al. 2 LTF), car la recourante n'établit aucunement l'existence d'un risque (objectif) de prévention (cf. sur cette problématique: ATF 116 Ia 28 consid. 2a; pour la jurisprudence récente, notamment: arrêt 6B_811/2010 du 23 août 2012 consid. 4.4.2, avec d'autres citations).
 
5.
 
5.1 La recourante soutient en outre que l'absence de notification par la voie diplomatique confirme l'absence d'immunité.
 
5.2 Tant la décision (annulée) du 25 août 2011 (cf. supra, let. B) que celle qui est présentement entreprise ont été communiquées "par plis recommandés" à l'intimé "c/o Me Jean-François Marti (...)", c'est-à-dire son avocat. Cette manière de procéder est conforme à la règle d'après laquelle, lorsqu'un justiciable a désigné un représentant contractuel, les décisions doivent être notifiées à l'adresse de celui-ci (ATF 113 Ib 296 consid. 2b; cf. ég. art. 137 CPC et Bohnet, in: Code de procédure civile commenté, 2011, n° 3 et 8 ad art. 137 CPC, avec les citations). Le grief est dès lors infondé.
 
6.
 
6.1 Sur le fond, la recourante fait valoir que les créances déduites en poursuite (i.e. notes d'honoraires de Me A.________ [11'695 fr.10] et de Me B.________ [5'572 fr.85]) ne tombent pas sous le coup de l'immunité.
 
6.2 Aux termes de l'art. 5 de l'Accord de siège, dans le cadre de ses activités, le CICR bénéficie de l'immunité de juridiction et d'exécution (ch. 1), sauf en cas de litige opposant, en matière de rapports de service, le Comité à ses collaborateurs, anciens collaborateurs ou à leurs ayants droit (let. c). Il ressort de la réquisition de poursuite (art. 67 al. 1 ch. 4 LP; cf. ATF 121 III 18 consid. 2a) que la recourante procède en recouvrement des "frais d'avocat" qu'elle a encourus pour la défense de ses intérêts; les créances en poursuite ont ainsi leur source dans le contrat de mandat, au sens des art. 394 ss CO, liant l'intéressée aux avocats qu'elle a consultés (cf. ATF 117 II 563 consid. 2a). Suivant les circonstances, les frais d'avocat avant procès peuvent être inclus dans les dépens en vertu de la procédure applicable ou constituer un poste du dommage selon l'art. 41 al. 1 CO (ATF 133 II 361 consid. 4.1; 131 II 121 consid. 2.1, avec les citations; TAPPY, in: Code de procédure civile commenté, op. cit., n° 37 ad art. 95 CPC). Il n'y a pas lieu d'examiner ce qu'il en est dans le cas présent (pour l'art. 95 al. 3 let. b CPC: Hohl, Procédure civile, t. II, 2e éd., 2010, n° 645); il suffit de constater qu'une pareille prétention (en remboursement) n'est pas issue de "rapports de service" à teneur de la norme précitée.
 
Néanmoins, une précision s'impose à cet égard. L'opinion de l'autorité cantonale, selon laquelle l'Accord de siège se rapporte à des créances "générées directement par les rapports de travail proprement dits", est trop absolue. Les honoraires d'avocat avant procès, en tant qu'ils sont compris dans les dépens, suivent en qualité d'accessoires de l'objet du procès (ATF 111 Ia 154 consid. 4) le régime applicable à la créance au fond; il s'ensuit que l'immunité ne saurait être opposée à une poursuite visant à leur encaissement s'ils se rapportent à une prétention qui est soustraite au domaine de l'immunité, alors même qu'ils ne découlent pas directement d'un rapport de travail.
 
7.
 
7.1 Dans un dernier moyen, la recourante se plaint d'une violation des art. 9, 29a et 30 Cst., ainsi que de l'art. 6 § 1 CEDH qui garantit l'accès à la justice.
 
7.2
 
7.2.1 L'art. 6 § 1 CEDH garantit à toute personne le droit à ce qu'un tribunal connaisse d'une contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil; il consacre ainsi le "droit à un tribunal", dont le droit d'accès - c'est-à-dire le droit de saisir le tribunal en matière civile - ne constitue qu'un aspect. Toutefois, ce droit d'accès n'est pas absolu: il se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle, de par sa nature même, une réglementation par l'État, qui jouit en ce domaine d'une certaine marge d'appréciation (ATF 132 V 299 consid. 4.3.1; sur la jurisprudence de la CourEDH, cf. FROWEIN/PEUKERT, EMRK-Kommentar, 3e éd., 2009, n° 45 ss ad art. 6 CEDH; Grabenwarter/Pabel, Europäische Menschenrechtskonvention, 5e éd., 2012, § 24 n° 49 ss).
 
Le rapport entre l'immunité des États ou des organisations internationales et le droit d'accès à la justice a donné lieu à de nombreux débats (cf. parmi plusieurs: Grabenwarter/Pabel, op. cit., § 24 n° 52 et 55/56; Caflisch, Immunité des États et droits de l'homme: Évolution récente, in: Festschrift Ress, 2005, p. 935 ss; Candrian, L'immunité des États face aux Droits de l'Homme et à la protection des Biens culturels, 2005, p. 660 ss; Zarbiev, Quelques observations sur le traitement de l'exception d'immunité juridictionnelle de l'État étranger par la Cour européenne des droits de l'homme, in: Rev. trim. dr. h. 2004 p. 621 ss et les références citées par ces auteurs). La CourEDH a affirmé que le principe de l'immunité de l'État constitue une restriction admissible au droit d'accès à la justice (arrêt Sabeh El Leil c/ France, du 29 juin 2011, §§ 46 ss et les citations), même si l'on discerne une tendance à la limitation de cette immunité "dans les litiges portant sur des questions liées à l'emploi de personnel" (arrêt Cudak c/ Lituanie, du 23 mars 2010, §§ 63 ss et les citations). En matière de conflits de travail entre une organisation internationale et ses employés, elle a considéré que l'octroi de privilèges et immunités est un moyen indispensable au bon fonctionnement de cette entité, de sorte que le principe de "l'immunité de juridiction (...) poursuit un but légitime" (arrêts Beer et Regan c/ Allemagne, du 18 février 1999, §§ 53 et 62; Waite et Kennedy c/ Allemagne, du 18 février 1999, §§ 63 et 72); cependant, l'art. 6 § 1 CEDH n'est respecté que si le justiciable dispose "d'autres voies raisonnables pour protéger efficacement [ses] droits garantis par la Convention" (arrêts précités, respectivement §§ 58 et 68), ce qui signifie a contrario que cette disposition conventionnelle serait transgressée à défaut de "protection équivalente (...) offerte au sein même de l'organisation" (Caflisch, op. cit., p. 935).
 
Cette dernière jurisprudence correspond, en substance, à la pratique suisse. Dans un arrêt du 25 janvier 1999, le Tribunal fédéral a rappelé que les organisations internationales jouissent d'une immunité absolue et complète, sans restriction, le principe de l'immunité dite relative - qui opère une distinction entre acta jure imperii et acta jure gestionis - ne s'appliquant qu'aux États; toutefois, dès lors que l'immunité leur garantit d'échapper aux juridictions étatiques, les organisations internationales au bénéfice d'un tel privilège s'engagent envers l'État hôte à prévoir un mode de règlement des litiges pouvant survenir à l'occasion de contrats passés avec des personnes privées, cette exigence visant à garantir un accès à la justice aux personnes dont les différends sont couverts par l'immunité de juridiction de l'organisation (arrêt 4C.518/1996 consid. 4c, reproduit in: RSDIE 2000 p. 642 ss).
 
7.2.2 Les principes exposés précédemment, touchant à l'immunité de juridiction, s'appliquent également à l'immunité d'exécution, qui n'est qu'une conséquence de celle-là (ATF 124 III 382 consid. 4a in fine; 130 III 136 consid. 2.1). Cela étant, la recourante perd de vue l'objet de la présente procédure, qui est de savoir si l'office a violé la loi en refusant de donner suite à la réquisition de poursuite déposée à l'encontre de l'intimé. Or, en droit suisse, l'office des poursuites est une autorité administrative, et non judiciaire, qui ne se prononce pas sur l'existence de la prétention alléguée par le poursuivant (ATF 130 III 285 consid. 5.1 et les références). Dans cette mesure, l'invocation du "droit d'accès à un tribunal", compris comme la prérogative d'obtenir que l'autorité saisie examine les arguments du justiciable (cf. Frowein/Peukert, op. cit., n° 45 ad art. 6 CEDH et les arrêts cités ["Anspruch auf Sachentscheidung"]), s'avère d'emblée mal fondée.
 
Le refus de l'office n'ayant aucun effet de droit matériel, la recourante conserve ainsi la possibilité de soumettre ses prétentions à un tribunal étatique, à défaut de protection juridique équivalente offerte par l'organisation. À ce propos, l'art. 19 de l'Accord de siège prévoit que le CICR "prendra des dispositions appropriées en vue du règlement satisfaisant de différends résultant de contrats auxquels le CICR serait partie et d'autres différends portant sur un point de droit privé" (let. a). L'art. 22 de ce texte - mentionné par la recourante - est dépourvu de pertinence dans ce contexte, puisque la procédure d'arbitrage instituée par cette norme ne vise que les "divergence[s] de vues concernant l'application ou l'interprétation du présent accord" qui n'ont pu être réglées "par des pourparlers directs entre les parties".
 
8.
 
En conclusion, le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité, avec suite de frais et dépens à la charge de son auteur (art. 66 al. 1 et art. 68 al. 1 et 2 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
2.
 
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
 
3.
 
Une indemnité de 1'500 fr., à payer à l'intimé à titre de dépens, est mise à la charge de la recourante.
 
4.
 
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à l'Office des poursuites de Genève et à la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites de la Cour de justice du canton de Genève.
 
Lausanne, le 20 septembre 2012
 
Au nom de la IIe Cour de droit civil
 
du Tribunal fédéral suisse
 
La Juge présidant: Escher
 
Le Greffier: Braconi
 
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