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Informationen zum Dokument  BGer 1B_365/2012  Materielle Begründung
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BGer 1B_365/2012 vom 10.09.2012
 
Bundesgericht
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
{T 0/2}
 
1B_365/2012, 1B_367/2012
 
Arrêt du 10 septembre 2012
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président, Aemisegger, Merkli, Eusebio et Chaix.
 
Greffier: M. Rittener.
 
 
Participants à la procédure
 
1B_365/2012
 
A.________,
 
recourant,
 
et
 
1B_367/2012
 
B.________, représenté par Me Fateh Boudiaf, avocat,
 
recourant,
 
contre
 
Ministère public du canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
 
Objet
 
ordonnance de séquestre conservatoire,
 
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 16 mai 2012.
 
Faits:
 
A.
 
Le 9 février 2011, le Ministère public du canton de Genève (ci-après: le Ministère public) a ouvert une procédure pénale contre inconnu pour blanchiment d'argent et ordonné le séquestre pénal de divers documents concernant la société X.________. L'instruction, qui vise notamment C.________, a été étendue aux infractions d'abus de confiance, faux dans les titres et blanchiment d'argent aggravé. Il est reproché au prénommé de s'être approprié indûment des fonds qui lui avaient été confiés via la société précitée.
 
Les 4 octobre et 2 novembre 2010, X.________ a effectué deux versements pour un total de 32'557,05 fr. en faveur de l'avocat B.________, à titre de provisions et honoraires. A la fin du mois de février 2011, X.________ et C.________ ont mandaté l'avocat A.________ dans le cadre de plusieures affaires civiles. A cet effet, une provision de 55'000 fr. a été versée par X.________ sur le compte de l'avocat en question. Les mandats ont pris fin en mai 2011 et les notes d'honoraires finales ont laissé apparaître un solde de 11'084 fr. en faveur de X.________.
 
Le 9 août 2011, le Ministère public a invité A.________ à produire ses notes d'honoraires, en l'informant du fait qu'il ordonnait le séquestre conservatoire du solde de la provision versée. Statuant sur recours de C.________, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a considéré, par arrêt du 25 janvier 2012, que l'entier des provisions versées à A.________ par X.________ devait être séquestré. Donnant suite à cet arrêt, le Ministère public a ordonné le séquestre conservatoire des 55'000 fr. versés à l'avocat prénommé, par ordonnance du 9 mars 2012. Se fondant sur l'art. 263 du code de procédure pénale suisse (CPP; RS 312.0), il évoquait le paiement d'une créance compensatrice au sens de l'art. 71 du code pénal suisse (CP; RS 311.0). Par décision du même jour, le Ministère public a ordonné le séquestre pénal conservatoire des 32'557,05 fr. versés à B.________.
 
B.
 
A.________ et B.________ ont recouru contre ces ordonnances auprès de la Cour de justice, qui a rejeté leurs recours par arrêt du 16 mai 2012. Cette autorité a considéré en substance que A.________ ne pouvait pas bénéficier de l'art. 70 al. 2 CP dans la mesure où les fonds détournés avaient été utilisés directement pour le payer. Quant à B.________, il ne pouvait pas se prévaloir du fait que son mandat concernait uniquement la société X.________, les comptes bancaires de cette société ayant été utilisés par C.________ pour commettre un abus de confiance et la somme séquestrée provenant du compte sur lequel les investisseurs dupés ont versé leur argent.
 
C.
 
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ (cause 1B_365/2012) demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt, de lever le séquestre à hauteur de 43'916 fr., d'ordonner le séquestre conservatoire à hauteur de 11'084 fr., subsidiairement de renvoyer la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision. Il requiert en outre l'octroi de l'effet suspensif.
 
B.________ forme lui aussi un recours en matière pénale (cause 1B_367/2012), concluant à l'annulation de l'arrêt attaqué, subsidiairement au renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision.
 
Au terme de ses observations, le Ministère public s'en remet à justice s'agissant du bien-fondé des recours. La Cour de justice se réfère simplement à son arrêt. B.________ a formulé des observations complémentaires, A.________ y a renoncé.
 
D.
 
Par ordonnance du 25 juillet 2012, le Président de la Ire Cour de droit public a rejeté la requête d'effet suspensif présentée dans la cause 1B_365/2012.
 
Considérant en droit:
 
1.
 
Les recours sont formés contre la même décision, les questions soulevées sont semblables et les recourants n'ont pas d'intérêts contradictoires qui commanderaient des prononcés séparés. Il se justifie donc de joindre les causes 1B_365/2012 et 1B_367/2012 pour statuer dans un seul et même arrêt.
 
2.
 
L'arrêt attaqué, qui confirme des séquestres provisoires, est une décision rendue en matière pénale au sens de l'art. 78 al. 1 LTF. Les titulaires des avoirs séquestrés peuvent se prévaloir d'un intérêt juridique à obtenir l'annulation ou la modification de cette décision, de sorte qu'ils ont la qualité pour recourir au sens de l'art. 81 al. 1 LTF (ATF 133 IV 278 consid. 1.3 p. 282 s.; 128 IV 145 consid. 1a p. 148; 108 IV 154 consid. 1a p. 155 s.). La décision par laquelle le juge prononce, maintient ou refuse un séquestre pénal constitue une décision incidente, qui ne met pas fin à la procédure (ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1b p. 100 et les références). Cela étant, la jurisprudence admet que le séquestre de valeurs patrimoniales cause en principe un préjudice juridique irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 126 I 97 consid. 1b p. 101; voir également ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141; 128 I 129 consid. 1 p. 131; 89 I 185 consid. 4 p. 187 et les références). Pour le surplus, les recours sont formés en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue en dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF) et les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
 
3.
 
Les recourants se plaignent en substance d'une violation de l'art. 70 al. 2 CP, en contestant le bien-fondé des séquestres litigieux.
 
3.1 Les séquestres contestés reposent sur l'art. 263 CPP, qui prévoit que les objets et les valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers peuvent être séquestrés notamment lorsqu'il est probable qu'ils devront être confisqués (let. d). Une telle mesure est fondée sur la vraisemblance (ATF 126 I 97 consid. 3d/aa p. 107 et les références citées); comme cela ressort de l'art. 263 al. 1 CPP, une simple probabilité suffit car la saisie se rapporte à des faits non encore établis, respectivement à des prétentions encore incertaines. L'autorité doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 99). Le séquestre conservatoire peut être maintenu tant que subsiste la probabilité d'une confiscation, l'intégralité des fonds devant demeurer à disposition de la justice aussi longtemps qu'il existe un doute sur la part des fonds qui pourrait provenir d'une activité criminelle (LEMBO/JULEN BERTHOD, in Commentaire romand CPP, 2011, n° 27 ad art. 263; arrêt, 1P.405/1993 du 8 novembre 1993 consid. 3, publié in SJ 1994 p. 97).
 
3.2 Aux termes de l'art. 70 al. 1 CP, le juge prononce la confiscation des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction ou qui étaient destinées à décider ou à récompenser l'auteur d'une infraction, si elles ne doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits. L'art. 70 al. 2 CP précise que la confiscation n'est pas prononcée lorsqu'un tiers a acquis les valeurs dans l'ignorance des faits qui l'auraient justifiée, et cela dans la mesure où il a fourni une contre-prestation adéquate ou si la confiscation se révèle d'une rigueur excessive. Conformément à l'art. 71 al. 1 CP, une créance compensatrice ne peut pas non plus être prononcée contre un tiers si les conditions de l'art. 70 al. 2 CP sont réalisées.
 
Selon la jurisprudence, l'art. 70 al. 2 CP ne vise que le tiers qui a acquis des valeurs délictueuses après la commission de l'infraction, à l'exclusion de celui qui a reçu les valeurs directement par l'infraction, à l'instar par exemple de l'entreprise qui profite directement du produit illicite provenant d'une infraction commise par un de ses employés ou du proche d'un fonctionnaire corrompu auquel l'auteur a directement versé le pot-de-vin (arrêts 6B_80/2011 du 8 septembre 2011 consid. 4.2; 6S.298/2005 du 24 février 2006 consid. 4.1 publié in SJ 2006 I p. 461). Le séquestre peut viser en particulier les provisions versées à son avocat par l'auteur présumé de l'infraction. L'avocat peut échapper au séquestre en application de l'art. 70 al. 2 CP s'il ignorait de bonne foi la provenance délictueuse de la somme qui lui a été versée et si cette bonne foi subsistait au moment où il a accompli sa contre-prestation (arrêt 1S.5/2006 du 5 mai 2006, consid. 3.2 publié in SJ 2006 I p. 489).
 
3.3 En l'occurrence, la Cour de justice considère que l'argent détourné par C.________ a été utilisé directement et pour la première fois lors du versement des provisions litigieuses aux recourants. L'enrichissement de ceux-ci et l'appauvrissement des clients du prévenu ont donc eu lieu simultanément, par une opération de débit et de crédit. La Cour de justice en conclut que les valeurs séquestrées ont été acquises directement de l'infraction d'abus de confiance, de sorte que les recourants ne peuvent pas se prévaloir de l'art. 70 al. 2 CP.
 
Ce raisonnement procède d'une interprétation trop extensive de la jurisprudence susmentionnée. En effet, le fait que le versement litigieux ait eu lieu par virement bancaire depuis un compte utilisé pour commettre un abus de confiance ne fonde pas à lui seul un lien direct entre l'infraction et l'acquisition des valeurs par un tiers. Les exemples mentionnés par les arrêts précités se réfèrent à des liens plus étroits que celui existant entre un avocat et son client lui versant une provision par virement bancaire. Le fait que ce versement provienne d'un compte crédité des valeurs confiées à l'auteur présumé d'abus de confiance n'est pas déterminant à cet égard. Retenir un lien direct dans un tel cas reviendrait à exposer à une confiscation tous les tiers payés par le biais dudit compte pour une contre-prestation dûment effectuée, sans égard à la bonne ou à la mauvaise foi des intéressés. La jurisprudence a précisément voulu éviter une telle conséquence, susceptible d'aboutir à des résultats inéquitables, raison pour laquelle elle privilégie une application restrictive des règles sur la confiscation à l'égard des tiers non enrichis (cf. arrêt 6S.298/2005 précité, consid. 4.2 in SJ 2006 I p. 461). L'esprit et le but de la confiscation excluent en effet que cette mesure puisse porter atteinte à des valeurs acquises de bonne foi lors d'un marché conforme à la loi (ATF 115 IV 175 consid. 2b/bb p. 179).
 
Davantage que le mode d'acquisition des valeurs patrimoniales, c'est donc bien le critère de la bonne foi qui revêt une importance centrale dans l'application de l'art. 70 al. 2 CP. S'agissant plus précisément du cas d'un avocat, la date déterminante est celle à laquelle la bonne foi de l'avocat a cessé d'exister, de sorte que la part des provisions correspondant à une contre-prestation effectuée avant cette date échappe à la confiscation ou à une créance compensatrice (arrêt 1S.5/2006 précité consid. 3.1 et 3.2.2 in SJ 2006 I p. 489; LAURENT MOREILLON/YVES BURNAND, Défense pénale et honoraires impurs, in Forum Strafverteidigung, Sonderbeilage Plädoyer Januar 2004, p. 23).
 
3.4 Dans le cas particulier, il faut se demander si les avocats pouvaient ignorer de bonne foi la provenance délictueuse des sommes qui leur ont été versées au moment où ils ont accompli leur contre-prestation. A cet égard, il ne suffit pas qu'ils aient simplement su qu'une procédure pénale était ouverte, mais il faut à tout le moins qu'ils aient dû percevoir des indices sérieux de l'existence des faits justifiant la confiscation, autrement dit qu'ils en aient eu connaissance dans une mesure correspondant au dol éventuel (arrêt 6S.298/2005 précité, consid. 4.2 in SJ 2006 I p. 461 et les références citées). Dans la mesure où elle a exclu d'emblée l'application de l'art. 70 al. 2 CP, la Cour de justice n'a pas procédé à cet examen. Elle a certes retenu que le recourant A.________ avait été mandaté par le prévenu à la fin du mois de février 2011 dans le cadre d'affaires civiles et que son mandat avait pris fin en mai 2011. Cela ne signifie pas encore qu'il n'ait pas eu connaissance des infractions faisant l'objet de la procédure pénale ouverte le 9 février 2011 ou qu'il n'ait pas décelé des indices sérieux de l'existence des faits justifiant la confiscation. Le recourant B.________ allègue quant à lui que son mandat pour X.________ a pris fin au plus tard le 26 octobre 2010 et qu'il ne pouvait pas se douter que sa cliente le paierait avec le produit d'une infraction, ce qui devra être apprécié par l'instance précédente. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral d'examiner pour la première fois ces questions, de sorte que la cause doit être renvoyée à la Cour de justice pour nouvelle décision sur ce point.
 
4.
 
Il s'ensuit que les recours doivent être partiellement admis. L'arrêt attaqué est annulé en tant qu'il concerne A.________ et B.________, la cause étant renvoyée à la Cour de justice pour nouvelle décision dans le sens des considérants. La demande de levée du séquestre est rejetée. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Le recourant B.________, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat, a droit à des dépens, à la charge de l'Etat de Genève (art. 68 al. 1 LTF). En revanche, il n'y a pas lieu d'allouer des dépens au recourant A.________, qui agit comme avocat dans sa propre cause (cf. ATF 129 II 297 consid. 5 p. 304).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Les causes 1B_365/2012 et 1B_367/2012 sont jointes.
 
2.
 
Les recours sont admis partiellement et l'arrêt attaqué est annulé en tant qu'il concerne A.________ et B.________. La cause est renvoyée à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale de recours, pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
 
3.
 
La demande de levée du séquestre est rejetée.
 
4.
 
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
 
5.
 
Une indemnité de 2'000 fr. est allouée au recourant B.________ à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral, à la charge de l'Etat de Genève.
 
6.
 
Le présent arrêt est communiqué aux recourants, au Ministère public et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale de recours.
 
Lausanne, le 10 septembre 2012
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le Président: Fonjallaz
 
Le Greffier: Rittener
 
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