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Informationen zum Dokument  BGer 4A_762/2011  Materielle Begründung
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BGer 4A_762/2011 vom 16.04.2012
 
Bundesgericht
 
Tribunal fédéral
 
Tribunale federale
 
f
 
{T 0/2}
 
4A_762/2011
 
Arrêt du 16 avril 2012
 
Ire Cour de droit civil
 
Composition
 
Mme et MM. les Juges Klett, Présidente, Corboz et Kolly.
 
Greffière: Mme Monti.
 
 
Participants à la procédure
 
X.________ SA, représentée par Me Serge Fasel, avocat,
 
recourante,
 
contre
 
1. Y.________ GmbH, représentée par Me Daniel Richard,
 
2. Banque Z.________, représentée par Me Philippe Preti et Me Jean-Louis Collart,
 
intimées.
 
Objet
 
mesures provisionnelles; lettre de crédit standby,
 
recours en matière civile contre l'arrêt rendu
 
le 9 décembre 2011 par la Chambre civile de
 
la Cour de justice du canton de Genève.
 
Faits:
 
A.
 
En février 2011, A.________ a fait un appel d'offre pour l'achat de produits pétroliers auprès de la société Y.________ GmbH, sise en Autrich. A.________, qui agissait pour le compte de X.________ SA sise à Genève, a d'emblée précisé que celle-ci devait servir d'intermédiaire à une société turque. En avril 2011, la société ... en qualité de vendeuse et la société ... en qualité d'acheteuse ont conclu un contrat de vente assorti de la clause Incoterms 2010 "FOB" (free on board); le port de chargement se situait en Ukraine. Le prix était payable par lettre de crédit "standby". Le contrat était soumis au droit suisse et comportait une clause d'arbitrage à Genève.
 
Le 26 avril 2011, la Banque Z.________ (ci-après: la banque) a émis en faveur de la vendeuse une lettre de crédit payable à vue contre présentation de divers documents, dont une déclaration de la vendeuse indiquant le montant demeuré impayé et certifiant qu'il lui était dû aux termes du contrat de vente précité. La lettre de crédit était régie par le droit anglais, avec élection de for exclusive en faveur des tribunaux anglais.
 
Le 16 mai 2011, A.________ a signalé à la vendeuse l'affrètement du bateau "V.________". L'affréteur était la société R.________ Ltd (ci-après: R.________), dont A.________ était le directeur. Le 19 mai 2011, ce dernier a donné à la vendeuse l'instruction de livrer la marchandise en Turquie et de désigner comme consignataire dans les connaissements une société turque dénommée S.________ (raison sociale abrégée); des documents devaient être adressés à R.________. La cargaison de produits pétroliers a été chargée sur le "V.________" entre le 25 et le 27 mai 2011.
 
Le 30 mai 2011, l'acheteuse a prié la vendeuse de ne procéder à aucun déchargement sans instruction de sa part. Elle affirmait que les produits pétroliers avaient été volés et que A.________ n'était pas autorisé à agir en son nom. Le 1er juin 2011, la vendeuse a informé les intervenants concernés du fait que la cargaison aurait été volée. L'acheteuse a vainement tenté d'empêcher la livraison à la société S.________, laquelle, comme unique consignataire, a obtenu gain de cause devant un tribunal turc.
 
Entendu dans le cadre d'une procédure pénale ouverte dans le canton de Genève, A.________ a expliqué qu'il avait convenu avec l'acheteuse que les produits pétroliers reviendraient à R.________ puis, par cette dernière, à la société S.________; il s'agissait selon lui d'une opération de compensation avec des commissions qui lui étaient dues sur des opérations qu'il avait conclues pour le compte de l'acheteuse.
 
Le 3 juin 2011, l'acheteuse a signifié à la banque que la vendeuse n'était pas en droit de faire appel à la lettre de crédit. Le 7 juin 2011, la vendeuse a envoyé à la banque les documents énoncés dans la lettre de crédit.
 
B.
 
Le 16 juin 2011, l'acheteuse a déposé devant le Tribunal de première instance du canton de Genève une requête de mesures provisionnelles tendant à faire interdire à la banque de payer à la vendeuse - ou à une autre entité en sa faveur - tout ou partie de la somme de 2'385'506 euros en lien avec la lettre de crédit du 26 avril 2011.
 
Parallèlement, l'acheteuse a assigné la banque et la vendeuse devant la High Court of Justice de Londres en date du 15 juillet 2011.
 
En Suisse, le tribunal a rejeté la requête provisionnelle par ordonnance du 26 août 2011. L'acheteuse a déféré cette décision à la Chambre civile de la Cour de justice, laquelle a rejeté l'appel et confirmé l'ordonnance par arrêt du 9 décembre 2011.
 
C.
 
Par-devant le Tribunal fédéral, l'acheteuse (ci-après: la recourante) interjette un recours en matière civile dans lequel elle conclut à ce que la banque se voie signifier l'interdiction de payer à la vendeuse tout ou partie de la somme de 2'385'506 euros en lien avec la lettre de crédit ouverte le 26 avril 2011, ce jusqu'à droit jugé ou accord intervenu entre les parties, et à ce qu'il soit constaté que la recourante a d'ores et déjà validé la mesure provisionnelle par le dépôt d'une action devant les juridictions anglaises compétentes.
 
Dans sa réponse, la vendeuse (ci-après: la société intimée) requiert à titre principal que le recours soit déclaré irrecevable, qu'il soit constaté que la recourante n'a pas validé la mesure provisionnelle par le dépôt d'une action devant les juridictions anglaises et que toute autre conclusion de la recourante soit rejetée. Subsidiairement, elle requiert que l'arrêt attaqué soit confirmé, que son droit au paiement de 2'385'506 euros en mains de la banque soit confirmé, qu'il soit constaté que la recourante n'a pas validé la mesure provisionnelle par le dépôt d'une action devant les juridictions anglaises et que toute autre conclusion de la recourante soit rejetée.
 
La banque intimée s'en remet à justice tant sur la recevabilité du recours que sur le fond. L'autorité précédente se réfère à son arrêt.
 
Par ordonnances du 25 janvier 2012 et du 13 mars 2012, la Présidente de la Cour de céans a refusé d'octroyer l'effet suspensif au recours.
 
Considérant en droit:
 
1.
 
1.1 La décision statuant sur une requête de mesures provisionnelles n'est finale au sens de l'art. 90 LTF que si elle est rendue dans le cadre d'une procédure autonome. Tel n'est pas le cas lorsqu'il s'agit d'ordonner des mesures provisionnelles pour la durée d'une procédure principale en cours, respectivement à la condition résolutoire qu'un procès au fond soit introduit. La décision admettant ou rejetant ce type de mesures est une décision incidente (ATF 134 I 83 consid. 3.1), susceptible d'un recours en matière civile uniquement si elle peut causer un préjudice irréparable, ce qu'il incombe au recourant de démontrer (art. 93 al. 1 let. a LTF; ATF 137 III 324 consid. 1.1 p. 328 s.). Le principe sous-tendant les art. 90-93 LTF est que le Tribunal fédéral ne doit examiner une affaire qu'une seule fois, au stade de la décision finale (Message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 4129).
 
Selon certains auteurs, doit être qualifiée de finale la décision du juge étatique suisse statuant sur des mesures provisionnelles alors que le procès au fond est pendant devant une autorité étrangère (art. 10 LDIP) ou devant des arbitres (DENIS TAPPY, Les mesures provisionnelles en matière civile dans le nouveau système de recours au Tribunal fédéral, RSPC 2007 102, cité par YVES DONZALLAZ, Loi sur le Tribunal fédéral, Commentaire, 2008, p. 1200 n° 3206).
 
1.2 En l'occurrence, il n'est à juste titre pas contesté que la requête provisionnelle est régie par les art. 261 ss CPC, et en particulier par l'art. 263 CPC qui impose au juge de fixer un délai pour déposer une demande lorsque l'action au fond n'est pas déjà pendante.
 
Les autorités genevoises ont fondé leur compétence sur les art. 31 CL et art. 10 let. b LDIP, ce qui revient à dire qu'une autorité étatique étrangère était à leur sens compétente pour statuer sur la procédure principale. Il apparaît toutefois que la mesure d'interdiction de payer a été requise à l'encontre de la banque dans une procédure provisionnelle également dirigée contre la bénéficiaire de la lettre de crédit. Deux actions entrent en considération pour valider la mesure demandée: d'une part, l'action fondée sur le contrat de vente liant la donneuse d'ordre (recourante) et la bénéficiaire (société intimée); d'autre part, l'action fondée sur le mandat conclu entre la donneuse d'ordre et la banque (sur ces questions, cf. entre autres auteurs MARC ROBERT RICHTER, Standby Letter of Credit, 1990, p. 285 s. et JÜRGEN DOHM, Les garanties bancaires dans le commerce international, 1986, p. 163 s. n° 363 et p. 175-181 n°s 377-392, pour qui l'action principale doit être introduite contre le seul bénéficiaire de la lettre de crédit, contra NICOLAS DE GOTTRAU, Le crédit documentaire et la fraude [ci-après: Crédit documentaire], 1999, p. 451 ss, spéc. p. 464 s.). L'action tirée du contrat de vente devrait être intentée devant une juridiction arbitrale en Suisse, ce qui pose la question de savoir si la procédure provisionnelle peut être considérée comme autonome par rapport à la procédure principale.
 
Il apparaît en outre qu'une procédure est pendante à l'étranger dans un Etat membre de la Convention de Lugano, ce qui impliquerait d'examiner si le procès principal - pour autant qu'il s'agisse d'une action au fond - est susceptible d'échapper à la connaissance du Tribunal fédéral.
 
Toutes ces questions peuvent rester indécises. Il apparaît en effet que le recours, supposé recevable, devrait de toute façon être rejeté.
 
2.
 
La société intimée conteste la recevabilité du recours au regard de l'art. 42 al. 7 LTF.
 
2.1 Cette disposition déclare irrecevable le recours introduit de manière procédurière ou à tout autre égard abusif. Un tel caractère peut notamment découler d'une attitude d'obstruction systématique, de la multiplication des procédures, de la disproportion évidente entre l'enjeu et les procédés mis en ?uvre ou de la poursuite d'un but dilatoire (cf. ATF 118 IV 291 consid. 2a et 118 II 87 consid. 4, rendus sous l'ancienne OJ; LAURENT MERZ, in Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 2ème éd. 2011, n° 113 ad art. 42 LTF; DONZALLAZ, op. cit., p. 455 s. n° 1061).
 
2.2 En l'occurrence, la recourante reproche essentiellement à la cour cantonale de s'être écartée d'un avis de droit étranger qu'elle a produit en appel et qui lui est favorable. L'on ne discerne pas en quoi un tel grief serait abusif. Il importe peu que la recourante n'ait apparemment pas encore intenté action sur la base du contrat de vente, dès lors qu'elle pouvait légitimement attendre de connaître le sort de la procédure provisionnelle; une solution à l'amiable n'est pas rare lorsque le paiement est provisoirement bloqué (cf. DE GOTTRAU, Crédit documentaire, op. cit., p. 450). Quant aux procédures pénale et civile ouvertes respectivement à Genève et en Angleterre, l'arrêt attaqué ne donne pas d'informations précises; il n'apparaît pas, au regard notamment du vraisemblable détournement de la cargaison et des problèmes de compétence posés par une relation triangulaire, que la recourante aurait multiplié les procédures de façon abusive. Quand bien même elle se serait méprise sur la compétence des autorités anglaises, cela ne dénoterait pas encore un comportement abusif.
 
En bref, le grief ne peut qu'être rejeté.
 
3.
 
Lorsqu'un recours est formé contre une décision portant sur des mesures provisionnelles, seule peut être invoquée la violation des droits constitutionnels (art. 98 LTF). A ce titre, la partie recourante peut notamment se plaindre d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. dans l'établissement des faits (cf. ATF 136 III 552 consid. 4.2) ou dans l'application du droit fédéral ou étranger (ATF 133 III 446 consid. 3.1). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, l'acte de recours doit contenir un exposé succinct des droits ou principes constitutionnels violés et exposer de manière claire et circonstanciée en quoi consiste leur violation (ATF 135 III 232 consid. 1.2; 134 II 244 consid. 2.2).
 
4.
 
La recourante reproche à l'autorité précédente d'avoir versé dans l'arbitraire en ne reprenant pas des faits retenus dans la décision de première instance. Le grief est manifestement mal fondé. Il est en effet patent que la cour cantonale a fait sien l'état de fait des premiers juges en tant qu'il constatait qu'en date du 30 mai 2011, la recourante avait demandé à la société intimée de ne pas décharger la cargaison et l'avait informée du fait que A.________ agissait sans pouvoir, après quoi la société intimée, en date du 1er juin 2011, avait alerté les intervenants concernés du vol de la cargaison.
 
5.
 
La recourante se plaint d'arbitraire dans l'application de l'art. 261 CPC, respectivement du droit anglais régissant la lettre de crédit.
 
5.1 Le Tribunal de première instance a recueilli les informations suivantes: le droit anglais, à l'instar du droit suisse, connaît le principe de la rigueur documentaire et de l'autonomie de la lettre de crédit standby, en ce sens que la banque doit payer la somme convenue contre présentation de documents spécifiés dans la lettre de crédit, sans pouvoir soulever des objections ou exceptions résultant du rapport de valeur (relation entre le donneur d'ordre et le bénéficiaire) ou du rapport de couverture (relation entre le donneur d'ordre et la banque émettrice) (pour le droit suisse, cf. NICOLAS DE GOTTRAU, La lettre de crédit standby en droit suisse, à la lumière des règles de la CCI et de la CNUDCI, SJ 2005 II p. 3, 9 et 33; arrêt 4A_488/2008 du 15 janvier 2009 consid. 6.1 et 6.2 ; cf. aussi ATF 115 II 67 consid. 2a et 100 II 145 consid. 4a). Le droit anglais admet toutefois une dérogation au principe de l'autonomie, en ce sens que l'existence d'une fraud permet à certaines conditions de s'opposer au paiement de la lettre de crédit. Il y a tout d'abord fraud lorsque les documents présentés ne correspondent pas strictement aux exigences posées dans la lettre de crédit. La fraud peut en outre découler de la transaction sous-jacente; cette exception ne concerne que les cas clairs et ne peut être invoquée lorsque la fraud est le fait d'un tiers. Enfin, une exception tirée de l'exorbitance a été retenue par la jurisprudence de Singapour; toutefois, sa portée est floue et n'a pas été confirmée par les tribunaux anglais.
 
En appel, la recourante a produit un avis de droit rédigé le 18 juillet 2011 par C.________, professeur de droit commercial anglo-saxon et avocat au barreau d'Angleterre et du pays de Galles. Cet avocat a retenu qu'une fraud avait été en l'occurrence commise dans la présentation des documents dès lors que la société intimée avait certifié à tort que le prix était dû en vertu du contrat de vente, tout en sachant que l'exécution de cet accord s'était mal déroulée. Son comportement était aussi constitutif de fraud dans l'opération sous-jacente. Le seul fait qu'elle ait eu connaissance d'une fraud avant de faire appel à la lettre de crédit suffisait à entacher sa demande de fraud, sans égard à l'origine de la fraud et nonobstant le fait qu'elle n'en était pas l'auteur. Enfin, l'appel à la garantie pourrait être considéré comme exorbitant selon la jurisprudence de Singapour développée à propos des garanties à vue.
 
5.2 Dans une argumentation qui se situe à la limite des exigences de l'art. 106 al. 2 LTF, mais qui est encore recevable, la recourante reproche à la cour cantonale de s'être écartée de l'avis de droit "sans aucune justification", c'est-à-dire sans référence légale, doctrinale ou jurisprudentielle. Elle fait aussi grief à la Cour de justice de n'avoir pas retenu l'exception d'exorbitance; sur ce point, la motivation est insuffisante. La recourante précise tout au plus que cette exception relève de la bonne foi sans indiquer quelle portée propre aurait ce cas de fraud non explicité par les premiers juges; le renvoi à la pièce 20 contenant l'avis de droit n'est pas suffisant s'agissant d'un grief fondé sur l'art. 9 Cst. Il n'y a ainsi pas à entrer en matière sur ce dernier aspect.
 
5.3 Dans le cas concret, le grief de fraud dans les documents se confond avec celui de fraud dans l'opération sous-jacente. Dans l'un et l'autre cas, la recourante met en cause le fait que la société intimée a demandé le paiement de la lettre de crédit en sachant que la cargaison n'était pas parvenue à sa destinataire légitime et qu'un détournement avait été commis.
 
La cour cantonale a constaté que le détournement de la cargaison était vraisemblablement dû à A.________ et qu'il s'agissait d'un règlement de compte entre celui-ci et la recourante en raison d'un différend au sujet du paiement de commissions. La recourante devait répondre de ce problème en tant qu'elle avait chargé A.________ de procéder à la poursuite de l'exécution du contrat. Quant à la société intimée, il n'était pas rendu vraisemblable qu'elle se serait comportée de manière frauduleuse, qu'elle aurait été complice de A.________ ou qu'elle aurait dû nourrir des doutes quant à sa probité, d'autant moins que la recourante elle-même n'en avait pas eu.
 
La recourante ne discute nullement ces points de fait et de droit, qui sont dès lors acquis. Dans ces circonstances, l'on ne discerne pas en quoi il était arbitraire d'exclure l'exception de fraud. Les premiers juges ont cité une jurisprudence de la Chambre des Lords selon laquelle l'exception de fraud dans la transaction sous-jacente ne peut concerner que des cas clairs et ne saurait être retenue lorsque la fraud est le fait d'un tiers. La recourante ne prétend pas que cette jurisprudence serait remise en question ou relativisée par d'autres arrêts ou par la doctrine majoritaire; elle ne soutient pas non plus que le résumé de l'avis de droit dans l'arrêt de la Cour de justice méconnaîtrait des éléments importants. Il découle par ailleurs de la présentation du droit anglais faite par les premiers juges que ce droit est gouverné par des principes très similaires au droit suisse, à savoir l'autonomie de la lettre de crédit et une admission restrictive des exceptions à ce principe. Or, sauf à nier le caractère indépendant de la lettre de crédit, l'on ne saurait confondre l'abus de droit (respectivement la "fraude" au sens de divers droits étrangers) avec l'inexécution ou la mauvaise exécution du rapport de valeur. Il s'agit ainsi d'établir une distinction entre l'abus de droit (respectivement la "fraude") - et la violation contractuelle (DE GOTTRAU, Crédit documentaire, op. cit., p. 156, 199 et 204). En définitive, il n'apparaît pas que la cour cantonale ait versé dans l'arbitraire en adoptant une conception trop restrictive de l'exception de fraud du droit anglais. En effet, elle a concédé sur le principe que la fraud d'un tiers pouvait justifier un refus de paiement pour autant qu'une part de responsabilité - pas nécessairement limitée au dol - soit imputable à la bénéficiaire de la lettre de crédit; elle a toutefois jugé qu'une telle responsabilité ne pouvait être retenue en l'espèce, ce que la recourante ne critique pas en soi.
 
La société intimée objecte que le droit anglais n'entre pas en considération dans le cas concret dès lors qu'il régit uniquement le contrat sui generis qu'elle a conclu avec la banque.
 
Il suffit de constater que le droit suisse, supposé applicable, ne conduirait pas à une solution différente. L'abus de droit n'est en effet admis que de façon très restrictive, lorsque le vice affectant le rapport de valeur est particulièrement grave (ATF 131 III 222 consid. 4.2; 130 III 462 consid. 6.1). En outre, même si des contrats soumis au droit suisse servent de fondement à la responsabilité que la banque et la société intimée engagent envers la recourante en cas d'appel abusif à la lettre de crédit (sur ces obligations, cf. RICHTER, op. cit., p. 150 s. et 165), il n'en demeure pas moins que la question de l'abus est liée au principe d'abstraction de la lettre de crédit et à la relation contractuelle unissant la banque à la société intimée, relation qui est en l'occurrence régie par le droit anglais.
 
5.4 Le grief d'arbitraire dans l'application du droit anglais se révèle infondé. Pour le surplus, la recourante ne prétend pas que l'autorité précédente se serait méprise sur le degré de vraisemblance requis par l'art. 261 CPC ou aurait fait preuve d'arbitraire à un autre titre dans l'application de cette disposition. En conséquence, la requête provisionnelle en interdiction de paiement doit être rejetée. Sont dès lors privées d'objet les conclusions de la recourante et de la société intimée afférentes à la validation de la mesure requise. Quant à la conclusion de la société intimée tendant à faire "confirmer son droit" au paiement de la somme de 2'385'506 euros en mains de la banque, elle est nouvelle et, partant, irrecevable (art. 99 al. 2 LTF).
 
6.
 
En définitive, le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
La recourante succombe sur l'essentiel. En conséquence, elle supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et versera des dépens à la société intimée (art. 68 al. 1 et 2 LTF).
 
La banque intimée s'en est remise à justice, mais a déposé des observations à propos des deux requêtes d'effet suspensif et du recours. En conséquence, une indemnité réduite fixée à 4'000 fr. lui sera allouée à titre de dépens.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
2.
 
Un émolument judiciaire de 10'000 fr. est mis à la charge de la recourante.
 
3.
 
La recourante versera à titre de dépens une indemnité de 12'000 fr. à l'intimée Y.________ GmbH, ainsi qu'une indemnité de 4'000 fr. à l'intimée Banque Z.________.
 
4.
 
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
 
Lausanne, le 16 avril 2012
 
Au nom de la Ire Cour de droit civil
 
du Tribunal fédéral suisse
 
La Présidente: Klett
 
La Greffière: Monti
 
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