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Informationen zum Dokument  BGer 4C.25/2006  Materielle Begründung
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BGer 4C.25/2006 vom 21.03.2006
 
Tribunale federale
 
{T 0/2}
 
4C.25/2006 /ech
 
Arrêt du 21 mars 2006
 
Ire Cour civile
 
Composition
 
MM. et Mme les juges Corboz, président, Favre et Kiss.
 
Greffier: M. Thélin.
 
Parties
 
Y.________ SA,
 
défenderesse et recourante, représentée par Me Douglas Hornung,
 
contre
 
M.X.________,
 
demanderesse et intimée, représentée par Me Jacqueline Mottard.
 
Objet
 
contrat de travail; licenciement abusif
 
recours en réforme contre l'arrêt rendu le 28 novembre 2005 par la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.
 
Faits:
 
A.
 
La société Y.________ SA exploite plusieurs magasins de chaussures et d'articles de sport à Genève et dans sa périphérie. Dès décembre 1981, elle a engagé M.X.________ en qualité de vendeuse-manutentionnaire; par la suite, elle a également engagé sa fille F.X.________ après que celle-ci eut accompli son apprentissage dans l'entreprise.
 
B.
 
Le 18 août 2003, le chef du personnel écrivit à F.X.________ pour lui adresser diverses critiques et l'informer de son déplacement à un autre point de vente. Jugeant les critiques totalement injustifiées, M.X.________ téléphona à A.________, le supérieur hiérarchique de sa fille, pour lui reprocher son attitude.
 
Le même jour, soit le 19 août 2003, M.X.________ se rendit à une séance de formation à laquelle A.________ prenait également part. En présence des autres participants, celui-ci l'avertit qu'elle serait convoquée au service du personnel. Durant cette même séance, B.________, le chef du personnel, vint dire à M.X.________ de se présenter à son bureau à quatorze heures. Lors de l'entrevue, B.________ commença par demander à l'employée comment elle s'appelait, alors qu'il la connaissait, puis il répéta cette question. Il lui déclara « vous ne vous appelez donc pas F. ». Cette entrée en matière provoqua de nouvelles protestations au sujet de la lettre envoyée à F.X.________, sur quoi B.________ se leva et, les mains sur le bureau, ordonna à l'employée de se taire. Celle-ci s'emporta, critiqua B.________ pour n'avoir pas interrogé sa fille avant de lui écrire et déclara qu'elle n'avait pas peur de lui qui avait seulement deux ans d'ancienneté dans l'entreprise. Elle quitta le bureau quand on lui ordonna de retourner à son travail.
 
Une nouvelle entrevue eut lieu le 21 août 2003 dans le bureau de B.________. C.________, responsable de la sécurité et adjoint à la direction, ancien chef du personnel, était lui aussi présent. B.________ résuma les événements et C.________ expliqua à M.X.________ qu'elle devait ne pas intervenir dans les affaires de sa fille. L'employée s'emporta derechef. C.________ lui expliqua encore qu'elle était « allée trop loin » et qu'elle ne pouvait pas rester dans l'entreprise. Une lettre de licenciement avait été préparée; on la lui notifia alors qu'elle se trouvait en crise de nerfs. La réunion s'acheva dans la confusion. Le licenciement était motivé par l'attitude très négative de l'employée depuis la lettre reçue par sa fille. Il prenait effet au 31 décembre 2003; dans l'intervalle, l'employée était libérée de l'obligation de travailler. Elle percevait alors un salaire de 3'700 fr. par mois.
 
Par lettre de son conseil du 25 novembre 2003, M.X.________ a fait opposition à son licenciement qu'elle tenait pour abusif. Y.________ SA a néanmoins refusé de maintenir le rapport de travail.
 
C.
 
Le 28 juin 2004, M.X.________ a ouvert action contre la société devant la juridiction des prud'hommes du canton de Genève. Sa demande tendait au paiement de 22'200 fr., soit six mois de salaire, à titre d'indemnité pour licenciement abusif. Contestant toute obligation, la défenderesse a conclu au rejet de cette demande.
 
Statuant par un jugement du 21 février 2005, le tribunal a donné partiellement gain de cause à la demanderesse en lui allouant une indemnité de 11'100 fr., avec intérêts au taux de 5% par an dès le 28 juin 2004.
 
La défenderesse ayant appelé du jugement afin d'obtenir sa libération, la demanderesse a usé de l'appel incident pour persister dans ses conclusions antérieures. La Cour d'appel s'est prononcée le 28 novembre 2005. Elle a rejeté l'appel principal; elle a partiellement accueilli l'appel incident et elle a condamné la défenderesse à payer une indemnité de 14'800 fr., avec suite d'intérêts, correspondant à quatre mois de rémunération.
 
D.
 
Agissant par la voie du recours en réforme, la défenderesse requiert le Tribunal fédéral de modifier l'arrêt de la Cour de justice en ce sens que la demande soit rejetée.
 
La demanderesse conclut au rejet du recours.
 
Par arrêt de ce jour, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable un recours de droit public que la défenderesse a introduit contre le même prononcé.
 
Le Tribunal fédéral considère en droit:
 
1.
 
Le recours est formé par la partie qui a succombé dans ses conclusions tendant à sa libération. Il est dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal suprême (art. 48 al. 1 OJ), dans une contestation civile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ). Déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ), il est en principe recevable.
 
Le recours en réforme peut être exercé pour violation du droit fédéral, à l'exclusion des droits constitutionnels et du droit cantonal (art. 43 al. 1 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités). Sous réserve d'exceptions qui ne sont pas réalisées dans la présente affaire, le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faits constatés dans la décision attaquée (art. 63 al. 2 et 64 OJ) mais il apprécie librement la portée juridique des faits (art. 63 al. 3 OJ). Le Tribunal fédéral ne peut pas juger au delà des conclusions des parties; en revanche, il n'est lié ni par les motifs qu'elles invoquent (art. 63 al. 1 OJ) ni par la solution juridique adoptée par la juridiction cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4; 128 III 22 consid. 2e/cc in fine).
 
2.
 
Il est constant que les parties se sont liées par un contrat de travail de durée indéterminée et que celui-ci pouvait être résilié conformément à l'art. 335 al. 1 CO. La résiliation est cependant abusive lorsqu'elle intervient dans l'une des situations énumérées à l'art. 336 al. 1 CO, situations qui se rapportent aux motifs de la partie qui résilie. Cette disposition restreint, pour chaque cocontractant, le droit fondamental de mettre unilatéralement fin au contrat (cf. Frank Vischer, Der Arbeitsvertrag, in Schweizerisches Privatrecht, vol. VII/4, 3e éd., p. 236/237). L'énumération de l'art. 336 al. 1 CO n'est d'ailleurs pas exhaustive et un abus du droit de résiliation peut se révéler aussi dans d'autres situations qui apparaissent comparables, par leur gravité, aux hypothèses expressément visées. L'abus n'est pas obligatoirement inhérent au motif de la résiliation; il peut également surgir dans ses modalités. La partie qui veut mettre fin au contrat, même pour un motif légitime, doit exercer son droit avec des égards et s'abstenir de tout comportement biaisé ou trompeur. L'art. 328 al. 1 CO impose à l'employeur de respecter et de protéger la personnalité du travailleur; une violation manifeste de ce devoir, en relation avec le licenciement, peut caractériser l'abus. Par contre, un comportement de l'employeur simplement discourtois ou indélicat est insuffisant car il ne ressortit pas à l'ordre juridique de sanctionner ces attitudes.
 
Lorsque le caractère difficile d'un travailleur engendre une situation conflictuelle dans l'entreprise, préjudiciable à l'accomplissement du travail, l'employeur ne peut licencier ce travailleur qu'après avoir introduit sans succès les autres mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre de lui en vue d'améliorer la situation, telles que des modifications de son organisation ou des instructions adressées aux autres travailleurs. Si l'employeur omet ces mesures ou s'il se contente de démarches insuffisantes et qu'il procède néanmoins au licenciement, il viole l'obligation de protéger la personnalité du travailleur concerné et le licenciement est alors abusif. En raison de la finalité du droit de résiliation, d'une part, et de la disproportion des intérêts en présence, d'autre part, le licenciement peut également être tenu pour abusif lorsqu'il répond à un motif de simple convenance personnelle de l'employeur (arrêt 4C.215/2005 du 20 décembre 2005, destiné à la publication, consid. 2; ATF 131 III 535 consid. 4 p. 537; 125 III 70 consid. 2 p. 72).
 
3.
 
Dans la présente affaire, il est établi que la demanderesse est intervenue auprès de A.________ à la suite d'une lettre reçue par sa fille. Jugeant cette intervention déplacée, le chef du personnel décida de la convoquer pour le 19 août 2003 à quatorze heures; à ce stade, il n'était apparemment pas encore question d'un licenciement mais seulement d'un rappel à l'ordre.
 
A.________ et B.________ ont l'un et l'autre annoncé cette convocation à la demanderesse, successivement et en présence de plusieurs autres collaborateurs de l'entreprise. La première de ces démarches était absolument inutile et toutes deux étaient inutilement indiscrètes. Elles étaient propres à éveiller chez la demanderesse un sentiment de faiblesse par rapport aux collègues qui la voyaient dans cette situation. Le moment venu, B.________ annonça le sujet de l'entrevue par une introduction sibylline et insidieusement aggressive. La demanderesse s'étant emportée, B.________ s'emporta lui aussi.
 
A.________ et B.________ ont envisagé le licenciement dès après cette altercation, ce que la demanderesse ignorait en se présentant à l'entrevue du 21 août 2003. Lors de cet entretien, commencer par rappeler cette même altercation et renouveler les reproches consécutifs à l'intervention initiale de la demanderesse comportait le risque évident de ranimer le conflit, ce qui s'est effectivement produit. Le licenciement fut alors notifié.
 
Il est inutile de rechercher si la défenderesse eût pu, sans commettre d'abus, licencier l'autre partie en raison de son attitude entre la réception de la lettre par sa fille et la séance de formation qui a précédé l'entrevue du 19 août. De toute manière, dès ce moment-ci, les supérieurs de cette employée ont agi de manière blessante et dévalorisante envers elle; en excitant sa propension à l'emportement, ils l'ont induite à surajouter de nouvelles impolitesses ou insubordinations. Au regard de la jurisprudence précitée, cette procédure retorse a abouti à un licenciement abusif selon l'art. 366 al. 1 CO; il importe peu que A.________, B.________ et C.________ ne fussent peut-être pas conscients de nuire à la demanderesse (ATF 131 III 535 consid. 4.2 p. 539).
 
La défenderesse fait valoir qu'à l'issue de la première entrevue, A.________ et B.________ ont décidé que la demanderesse devait présenter spontanément des excuses dans un délai qu'ils estimaient à vingt-quatre heures, que cette employée a gardé le silence et que ceci a exercé une influence déterminante sur le licenciement. Or, ne pas exprimer de regrets, à la suite d'une faute commise, ne constitue pas en soi une faute supplémentaire qui doive, en l'occurrence, être imputée à l'employée. En revanche, ces deux cadres ont subordonné la continuation du rapport de travail à la satisfaction d'une exigence qu'ils n'avaient pas communiquée à la demanderesse; cela confirme qu'ils mettaient en oeuvre une stratégie occulte et donc incompatible avec les règles de la bonne foi.
 
Selon l'argumentation soumise au Tribunal fédéral, quelqu'un a invité la demanderesse à présenter des excuses; il s'agissait d'une secrétaire qui a assisté à la seconde entrevue et qui s'est entremise juste après, en rattrapant la demanderesse qui quittait le bureau. Cette exhortation est donc intervenue, le cas échéant, quand le licenciement était déjà notifié. Elle n'a pas été constatée par la Cour d'appel et, de toute manière, elle ne conduirait pas à une appréciation plus favorable à la défenderesse.
 
4.
 
Selon l'art. 336a al. 1 et 2 CO, la partie qui a résilié abusivement doit à l'autre une indemnité à fixer par le juge et correspondant à six mois de salaire au plus. Le montant doit être évalué selon les règles du droit et de l'équité, conformément à l'art. 4 CC. Il faut notamment prendre en considération la gravité de la faute commise par l'employeur, une éventuelle faute concomitante du travailleur, la gravité de l'atteinte à sa personnalité, son âge, la durée et l'intensité de la relation de travail, les effets du licenciement et les difficultés de réinsertion dans sa vie économique (ATF 123 III 391 consid. 3; voir aussi ATF 123 III 246 consid. 6a p. 255).
 
Le Tribunal fédéral ne contrôle qu'avec retenue une décision de dernière instance cantonale prise en équité. Il intervient lorsque le prononcé s'écarte sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, ou lorsqu'il repose sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu'il méconnaît des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; en outre, le Tribunal fédéral redresse les décisions rendues en vertu d'un pouvoir d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 32; 130 III 213 consid. 3.1 p. 220; 129 III 380 consid. 2 p. 382).
 
En l'espèce, l'indemnité est fixée à quatre mois de salaire. Selon l'arrêt attaqué, la demanderesse a été une excellente employée durant vingt-deux ans; on l'a licenciée à l'âge de cinquante-huit ans, soit cinq ans avant l'âge de la retraite; en novembre 2005, elle n'était pas parvenue à retrouver un emploi. Une faute concomitante lui est imputée par le fait qu'elle s'est mêlée d'une affaire qui ne la regardait pas et qu'elle s'est laissée emporter par la colère. Au regard de ces éléments, la Cour d'appel n'a en tous cas pas abusé de son pouvoir d'appréciation au détriment de la défenderesse. Cette partie soutient vainement, en méconnaissant la jurisprudence, que le travailleur ne peut réclamer une indemnité qu'en cas d'atteinte grave à sa personnalité.
 
5.
 
Le recours en réforme se révèle privé de fondement, ce qui entraîne son rejet. Le Tribunal fédéral ne perçoit pas d'émolument judiciaire car le montant de la demande, qui détermine la valeur litigieuse selon l'art. 343 al. 2 CO, était inférieur au plafond de 30'000 fr. prévu par cette disposition (ATF 122 III 495 consid. 4; 115 II 30 consid. 5b p. 41). A titre de partie qui succombe, la défenderesse doit néanmoins acquitter les dépens à allouer à la partie qui obtient gain de cause (art. 159 al. 2 OJ).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Le recours est rejeté.
 
2.
 
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
 
3.
 
La défenderesse acquittera une indemnité de 2'500 fr. à verser à la demanderesse à titre de dépens.
 
4.
 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.
 
Lausanne, le 21 mars 2006
 
Au nom de la Ire Cour civile
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le président: Le greffier:
 
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