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Informationen zum Dokument  BGer 1P.689/2005  Materielle Begründung
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BGer 1P.689/2005 vom 18.01.2006
 
Tribunale federale
 
{T 0/2}
 
1P.689/2005 /col
 
Arrêt du 18 janvier 2006
 
Ire Cour de droit public
 
Composition
 
MM. les Juges Féraud, Président,
 
Aeschlimann et Fonjallaz.
 
Greffière: Mme Angéloz.
 
Parties
 
A.________,
 
recourante, représentée par Me Mauro Poggia, avocat,
 
contre
 
B.________,
 
intimé, représenté par Me Jean-Franklin Woodtli, avocat,
 
Procureur général du canton de Genève,
 
case postale 3565, 1211 Genève 3,
 
Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, case postale 3108, 1211 Genève 3.
 
Objet
 
art. 9 Cst. (procédure pénale),
 
recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève du 19 septembre 2005.
 
Faits:
 
A.
 
Le 12 mars 2001, A.________ a déposé plainte pénale pour vol contre B.________. Elle soupçonnait ce dernier, qui avait été à son service comme aide à domicile depuis la fin 2000 et logeait dans le même immeuble, de lui avoir dérobé des bijoux et objets de valeur ayant disparu de son appartement.
 
B.
 
Par jugement du 9 mars 2005, le Tribunal de police de Genève a libéré B.________ des fins de la poursuite pénale.
 
Statuant sur appel de A.________, la Chambre pénale de la Cour de justice genevoise l'a déclaré irrecevable par arrêt du 19 septembre 2005. Elle a considéré que l'appelante, faute d'avoir pris des conclusions civiles devant le tribunal de police, ne remplissait pas les conditions auxquelles la partie civile peut appeler d'un jugement selon l'art. 239 al. 3 du code de procédure pénale genevois (CPP/GE; RSG E 4 20).
 
C.
 
A.________ forme un recours de droit public au Tribunal fédéral. Invoquant une interprétation et une application arbitraire de l'art. 239 al. 3 CPP/GE, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué, en sollicitant l'assistance judiciaire.
 
L'intimé et le Procureur général concluent chacun au rejet du recours. L'autorité cantonale se réfère à son arrêt.
 
Le Tribunal fédéral considère en droit:
 
1.
 
La recourante, qui a dénoncé exclusivement une atteinte à ses droits patrimoniaux, n'est pas une victime au sens de l'art. 2 al. 1 LAVI (ATF 129 IV 206 consid. 1 p. 207; 128 IV 188 consid. 2 p. 190, 92 consid. 4a p. 94, 37 consid. 3 p. 38) et ne peut donc fonder sa qualité pour recourir sur l'art. 8 al. 1 let. c LAVI. Sa légitimation à former un recours de droit public doit dès lors être examinée au regard de l'art. 88 OJ.
 
Selon la jurisprudence relative à cette dernière disposition, le droit de punir n'appartenant qu'à l'Etat, le lésé n'est pas habilité à former un recours de droit public pour se plaindre sur le fond d'un acquittement, d'un non-lieu ou d'un classement. Il peut en revanche invoquer la violation, équivalant à un déni de justice formel, des droits procéduraux qui lui sont reconnus en tant que partie par le droit cantonal de procédure ou qui découlent directement de la Constitution fédérale ou de la CEDH (ATF 131 I 455 consid. 1.2.1; 129 II 297 consid. 2.3 p. 301; 128 I 218 consid. 1.1 p. 219/220; 126 I 97 consid. 1a p. 99; 125 I 253 consid. 1b p. 255).
 
En l'espèce, la recourante se plaint de s'être vue dénier la qualité pour interjeter appel selon l'art. 239 al. 3 CPP/GE, donc d'une atteinte aux droits de partie qui découleraient pour elle du droit cantonal de procédure. Le recours est donc recevable sous l'angle de l'art. 88 OJ.
 
2.
 
Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral ne peut examiner que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (cf. art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 127 I 38 consid. 3c p. 43; 126 III 534 consid. 1b p. 536; 125 I 71 consid. 1c p. 76, 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités). Sous peine d'irrecevabilité, le recourant doit donc non seulement indiquer quels sont les droits constitutionnels qui, selon lui, auraient été violés, mais démontrer en quoi consiste cette violation.
 
3.
 
La recourante invoque une interprétation et une application arbitraire de l'art. 239 al. 3 CPP/GE. Elle fait valoir que le texte de cette disposition n'exige pas que la partie civile, pour être recevable à appeler d'un jugement du tribunal de police, ait pris des conclusions civiles. Au demeurant, l'application faite par l'autorité cantonale de l'art. 239 al. 3 CPP/GE lui ferait perdre tous ses droits sur le plan civil et exiger d'elle qu'elle établisse et chiffre son dommage, alors que le Ministère public l'avait déjà fait dans ses réquisitions, équivaudrait à un formalisme excessif.
 
3.1 Le Tribunal fédéral ne revoit l'application et l'interprétation du droit cantonal de procédure que sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 131 I 113 consid. 3.2 p. 115 et les arrêts cités). Cette dernière notion a été rappelée dans divers arrêts récents, auxquels on peut donc se référer (cf. ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9, 173 consid. 3.1 p. 178; 128 I 177 consid. 2.1 p. 182, 273 consid. 2.1 p. 275 et les arrêts cités). Il en découle qu'il ne suffit pas, pour qu'elle puisse être qualifiée d'arbitraire, que l'application ou l'interprétation qui a été faite du droit cantonal de procédure apparaisse discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation mais dans son résultat.
 
3.2 L'art. 239 al. 3 CPP/GE permet à la partie civile d'appeler des jugements du Tribunal de police "dans la mesure où ils peuvent avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles". Le texte de cette disposition n'exige donc pas que la partie civile, pour être recevable à appeler d'un jugement du tribunal de police, ait pris des conclusions civiles devant ce tribunal. L'arrêt attaqué expose toutefois que la jurisprudence cantonale considère que l'art. 239 al. 3 CPP/GE doit être interprété en ce sens. A l'appui, il se réfère à la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la recevabilité du pourvoi en nullité de la victime.
 
La recevabilité du pourvoi en nullité au Tribunal fédéral de la victime, au sens de l'art. 2 al. 1 LAVI, est régie par l'art. 270 let. e PPF, dont le chiffre 1 ouvre cette voie de droit à la victime "si elle était déjà partie à la procédure et dans la mesure où la sentence touche ses prétentions civiles ou peut avoir des incidences sur le jugement de celles-ci". La jurisprudence y relative a été rappelée dans l'ATF 127 IV 185 consid. 1 p. 186 ss. En substance, elle impose que la victime, autant que cela pouvait raisonnablement être exigé d'elle, ait pris des conclusions civiles sur le fond dans le cadre de la procédure pénale, en précisant que cette exigence découle de la conception de la LAVI, qui a en particulier pour but de permettre à la victime de faire valoir ses prétentions civiles dans la procédure pénale elle-même (ATF 127 IV 185 consid. 1a p. 186 s. et les arrêts cités). Toujours selon cette jurisprudence, lorsque la victime n'a pas pris de conclusions civiles, il lui incombe de justifier cette abstention, de préciser quelles prétentions elle entend faire valoir et d'exposer dans quelle mesure la décision attaquée est susceptible d'influencer négativement ces prétentions. Il n'est dérogé qu'exceptionnellement à cette exigence, lorsque l'on peut discerner d'emblée et sans ambiguïté, compte tenu de la nature de l'infraction, quelles prétentions civiles pourraient être élevées par la victime et en quoi la décision attaquée pourrait influer négativement sur celles-ci; encore faut-il en principe que la procédure n'ait pas été menée jusqu'à un stade qui permettait de prendre des conclusions civiles (ATF 127 IV 185 consid. 1a p. 187 et les arrêts cités).
 
3.3 Il résulte de ce qui précède que, selon la jurisprudence genevoise, l'art. 239 al. 3 CPP/GE, en tant qu'il soumet l'appel de la partie civile à une condition similaire à celle à laquelle l'art. 270 let. e ch. 1 PPF subordonne le pourvoi en nullité de la victime, doit être interprété de la même manière que cette seconde disposition, qui, textuellement, ne prévoit pas non plus que la victime doit avoir pris des conclusions civiles. Or, la recourante ne démontre pas ni même ne dit en quoi ce raisonnement serait manifestement insoutenable. Que l'interprétation faite par l'autorité cantonale de l'art. 239 al. 3 CPP/GE serait arbitraire n'est dès lors aucunement établi conformément aux exigences de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ.
 
3.4 La recourante ne démontre guère plus que, sur la base de l'interprétation qu'elle en a faite, l'autorité cantonale aurait appliqué arbitrairement l'art. 239 al. 3 CPP/GE dans le cas concret.
 
Il est constant que la recourante n'a pas pris de conclusions civiles ni même n'a demandé la réserve de ses droits civils en prétendant qu'elle ne pouvait le faire, alors que la procédure a été menée jusqu'au stade du jugement, étant au demeurant observé que la recourante était alors assistée d'un avocat. Elle n'a pas justifié cette abstention et ne nie d'ailleurs pas que le dommage qu'elle invoque était établi et qu'elle était parfaitement à même de le chiffrer. Force est donc de constater que la recourante, alors que la procédure a été menée jusqu'au stade du jugement et qu'elle était en mesure de le faire, n'a, sans justification aucune, pas pris de conclusions civiles, n'indiquant même pas lesquelles elle entendait faire valoir. Dans ces conditions, en considérant, sur la base de l'interprétation qu'elle a faite de l'art. 239 al. 3 CPP/GE, dont l'arbitraire n'a pas été établi, que l'appel devait être déclaré irrecevable, l'autorité cantonale n'a pas fait une application manifestement insoutenable de cette disposition.
 
Au demeurant, les arguments avancés par la recourante à l'appui de l'arbitraire allégué n'en constituent pas une démonstration. Lorsqu'elle objecte que l'application faite par l'autorité cantonale de l'art. 239 al. 3 CPP/GE "choque gravement le sentiment de la justice et de l'équité", car l'acquittement de l'intimé lui fait perdre tous ses droits sur le plan civil, elle se borne à invoquer les conséquences possibles d'une irrecevabilité dont l'arbitraire n'est pas établi. C'est au reste en vain que la recourante allègue une nouvelle fois qu'elle n'avait pas à établir son dommage et à le chiffrer puisque le Ministère public l'avait déjà fait dans ses réquisitions, dès lors qu'elle s'est abstenue, sans justification aucune, de demander la réparation d'un dommage qui lui était parfaitement connu et qu'elle était seule légitimée à faire valoir.
 
4.
 
L'unique grief soulevé, donc le recours de droit public, doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
Comme les conclusions du recours étaient d'emblée vouées à l'échec, l'assistance judiciaire, dont l'une des conditions n'est pas réalisée, ne peut être accordée (art. 152 al. 1 OJ). En conséquence, la recourante, qui succombe, supportera les frais (art. 156 al. 1 OJ) et une indemnité de dépens sera allouée à l'intimé, à la charge de la recourante (art. 159 OJ).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
 
1.
 
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
 
2.
 
La requête d'assistance judiciaire est rejetée.
 
3.
 
Un émolument judiciaire de 1'000 fr. est mis à la charge de la recourante.
 
4.
 
Une indemnité de dépens de 800 fr. est allouée à l'intimé, à la charge de la recourante.
 
5.
 
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Procureur général et à la Chambre pénale de la Cour de justice du canton de Genève.
 
Lausanne, le 18 janvier 2006
 
Au nom de la Ire Cour de droit public
 
du Tribunal fédéral suisse
 
Le président: La greffière:
 
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