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Informationen zum Dokument  BGE 129 III 426  Materielle Begründung
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Regeste
Sachverhalt
Extrait des considérants:
Erwägung 2
3. La demanderesse fait grief à la cour cantonale d'avoir  ...
Erwägung 3.1
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72. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile dans la cause X. AG contre Y. SA (recours en réforme)
 
 
4C.375/2002 du 2 mai 2003
 
 
Regeste
 
Unlauterer Wettbewerb; vergleichende Werbung (Art. 3 lit. e UWG).  
Grundsätze der vergleichenden Werbung (E. 3.1.1) und der Superlativwerbung (E. 3.1.2).  
Bedingungen, unter denen ein Konkurrent Resultate eines Vergleichstests zu Werbezwecken verwenden darf (E. 3.1.3). Im vorliegenden Fall sind diese Bedingungen von einer im Optikbereich tätigen Gesellschaft missachtet worden, indem sie einen Werbeartikel publizierte, der auszugsweise Resultate einer Vergleichsstudie eines Informationsmagazins für Konsumenten wiedergab (E. 3.2).  
 
Sachverhalt
 
BGE 129 III, 426 (427)A.-
1
A.a X. AG, dont le siège est à A., appartient à un groupe de sociétés actif dans le domaine de l'optique. Elle dispose de nombreux points de vente en Suisse.
2
Y. SA, dont le siège est à B., est l'un des principaux concurrents de X. AG. Implantée dans toute la Suisse, elle pratique une politique commerciale similaire en matière de bas prix.
3
A.b Le 28 mars 2001, "Z.", magazine d'information à l'intention des consommateurs, a publié, sous le titre (traduction française): "Lunettes: politique opaque des prix des opticiens", une étude comparative des prix pratiqués dans le secteur de la lunetterie. La politique en matière de prix d'une douzaine d'opticiens, dont les deux sociétés susmentionnées, a été examinée sur la base d'un échantillonnage de six modèles de lunettes (quatre montures de lunettes optiques et deux paires de lunettes de soleil) et de deux modèles de verres optiques. Les résultats obtenus ont été discutés dans une partie rédactionnelle, puis présentés sous la forme d'un tableau comparatif. "Z." a relevé que X. AG n'était pas toujours le concurrent le plus avantageux, puisque, dans quatre cas (trois montures et une paire de lunettes de soleil), Y. SA s'était révélée meilleur marché grâce à des offres promotionnelles limitées dans le temps.
4
Le 9 mai 2001, "Z." a publié un rectificatif intitulé "Falsche Preisangaben". Il y était précisé qu'un opticien avait livré de faux renseignements quant aux prix qu'il pratiquait. Tel n'était pas le cas des deux sociétés précitées. L'article soulignait, à leur sujet, que Y. SA BGE 129 III, 426 (428)était en mesure, par des actions limitées dans le temps, d'offrir des prix très avantageux mais que, lorsque l'on comparait les prix dits normaux, X. AG faisait presque toujours la meilleure offre pour la plupart des modèles comparés.
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A.c Entre le 20 mai et le 6 juin 2001, Y. SA a fait paraître, dans plusieurs journaux suisses, avec l'autorisation expresse de "Z." donnée le 7 mai 2001, un article publicitaire intitulé (en français): "Optique: les résultats d'une étude comparative de prix". L'article reprenait partiellement (quatre opticiens sur douze) le tableau publié par "Z." mais ne faisait aucune référence au rectificatif. Une lettre "c)", écrite en petits caractères après certains des chiffres de la ligne du tableau concernant Y. SA, renvoyait à l'une des quatre notes figurant au pied du tableau, qui était ainsi libellée: "c) Soldes à demi-prix. Action limitée dans le temps". Le tableau publié par Y. SA comportait une colonne, intitulée "Total", qui faisait ressortir, par des chiffres en gros caractères, le prix global de tous les articles comparés. Dans le texte de sa publicité, Y. SA se référait à l'enquête réalisée par "Z." pour prétendre être meilleur marché que ses concurrents ("Y., leader suisse du marché de l'optique, se révèle être le moins cher"). Elle expliquait cela par le fait que les collections des grandes marques qu'elle vendait sortaient en moyenne deux à quatre fois par an, si bien que "les collections démodées" pouvaient faire l'objet de soldes à moitié prix. L'annonce vantait, pour le surplus, la qualité du conseil donné et de l'accueil réservé aux clients de la société, ainsi que la rapidité des services qui leur étaient proposés.
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X. AG a mis Y. SA en demeure de renoncer immédiatement à cette campagne publicitaire qu'elle jugeait trompeuse et mensongère. Face au refus de sa concurrente d'obtempérer, elle a requis des mesures provisionnelles visant à faire cesser ce qu'elle considérait être de la concurrence déloyale. Statuant le 6 juin 2001, la Cour de justice du canton de Genève a rejeté la requête de mesures provisionnelles au motif que le comportement de Y. SA ne pouvait être considéré comme déloyal.
7
A.d Entre le 30 mars et le 18 novembre 2001, X. AG a également fait paraître, dans divers quotidiens suisses, des annonces publicitaires. Elle y soulignait notamment ce qui suit: "Chez X., vous ne payez jamais trop. Les lunettes de marque vous sont proposées à moitié prix. Celui-ci est, en fait, 70% au-dessous du niveau du marché. Acheter ailleurs, c'est payer plus du double! ...". Cette publicité ne se référait pas à l'analyse comparative réalisée par "Z.".
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B.- Le 3 septembre 2001, X. AG a assigné Y. SA devant la Cour de justice genevoise à qui elle a demandé de:
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BGE 129 III, 426 (429)"1. Constater le caractère illicite de l'article publicitaire de Y. SA dans la mesure où il affirme:
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«Selon une enquête parue le 28 mars dernier dans la revue "Z.", magazine d'information à l'intention des consommateurs, Y., leader suisse du marché de l'optique, se révèle être le moins cher.»
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«Cette entreprise suisse évite de ce fait les intermédiaires et propose ainsi des verres de qualité à des prix compétitifs, de même qu'un service rapide et sur mesure.»
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«En effet, il apparaît que sur les 8 produits identiques testés, soit 4 montures optiques de marque, 2 paires de verres et 2 lunettes de soleil, Y. est en réalité moins cher que ses concurrents. [...] En résumé, lorsque l'on compare des produits comparables et que l'on tient compte de l'ensemble des prestations, le leader du marché suisse n'occupe pas cette position par hasard, mais bien parce qu'il> est globalement le meilleur.»
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2. Faire interdiction à Y. SA d'alléguer, dans ses publicités et autres publications, des phrases telles que:
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«Y., leader du marché suisse du marché de l'optique, se révèle être le moins cher.»
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«Y. est en réalité moins cher que ses concurrents ... En résumé, lorsque l'on compare des produits comparables et que l'on tient compte de l'ensemble des prestations, le leader du marché suisse n'occupe pas cette position par hasard, mais bien parce qu'il est globalement le meilleur.»
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Et ceci sous les menaces des peines prévues à l'art. 292 CPS, soit des arrêts et de l'amende.
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3. Ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à prononcer par Y. SA et à ses frais à deux reprises dans les journaux ...
18
..."
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La défenderesse a conclu au rejet de la demande.
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Statuant par arrêt du 11 octobre 2002, la Chambre civile de la Cour de justice a débouté X. AG des fins de sa demande.
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C.- Parallèlement à un recours de droit public qui a été rejeté, dans la mesure où il était recevable, par arrêt séparé de ce jour, la demanderesse interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Elle y reprend les conclusions au fond qu'elle avait soumises aux premiers juges.
22
La défenderesse propose le rejet du recours.
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Extrait des considérants:
 
 
Erwägung 2
 
2.1 Dans une argumentation subsidiaire critiquée par la demanderesse, la Cour de justice considère que celle-ci ne saurait faire grief BGE 129 III, 426 (430)à la défenderesse d'avoir adopté un comportement prétendument déloyal dès lors qu'elle a fait preuve de déloyauté dans sa propre pratique publicitaire. Aussi lui dénie-t-elle, en vertu du principe de la bonne foi, la qualité pour agir en justice contre sa concurrente.
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Cette argumentation repose sur des données factuelles qui n'ont pas été jugées arbitraires dans l'arrêt rendu séparément ce jour par la Cour de céans sur le recours de droit public connexe exercé par la demanderesse. Elle suffirait à justifier la solution retenue par les juges cantonaux même s'il fallait admettre, contrairement à leur opinion, que la défenderesse a commis des actes de concurrence déloyale. Aussi l'économie de la procédure commande-t-elle d'examiner en premier lieu les critiques dirigées contre cette argumentation subsidiaire, car, si elles se révélaient infondées, le sort du litige s'en trouverait scellé, que l'argumentation principale - elle soulève des problèmes délicats - viole ou non le droit fédéral.
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2.2 L'argumentation subsidiaire critiquée correspond à ce qu'il est convenu d'appeler, par référence au droit anglo-saxon, l'objection des "unclean hands" (sur la question, cf., parmi d'autres: CARL BAUDENBACHER, Lauterkeitsrecht, Bâle/Genève/Munich 2001, n. 35 ss ad art. 2 LCD [RS 241]; MARIO M. PEDRAZZINI/FEDERICO A. PEDRAZZINI, Unlauterer Wettbewerb UWG, 2e éd., n. 4.69; JÜRG MÜLLER, in Schweizerisches Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, vol. V/1, 2e éd., p. 11; SIBYLLE M. WIRTH, Vergleichende Werbung in der Schweiz, den USA und der EG, thèse Zurich 1993, p. 250 ch. 8; pour le droit allemand, voir notamment: ADOLF BAUMBACH/WOLFGANG HEFERMEHL, Wettbewerbsrecht, 22e éd., n. 448 ss ad UWG Einl; JÜRGEN PRÖLSS, Der Einwand der "unclean hands" im Bürgerlichen Recht sowie im Wettbewerbs- und Warenzeichenrecht, in Zeitschrift für das gesamte Handelsrecht und Wirtschaftsrecht 121/1968 p. 35 ss; CHRISTIAN-F. FRIEHE, "unclean hands" und lauterer Wettbewerb, in Wettbewerb in Recht und Praxis 33/1987 p. 439 ss, avec une typologie des cas de "unclean hands"). Cette objection signifie, littéralement, que quiconque a "les mains sales" ne peut pas reprocher à autrui de les avoir dans le même état. En d'autres termes, admettre une telle objection revient à refuser la protection de la loi à celui qui ne la respecte pas lui-même. C'est imputer au demandeur une attitude contraire aux règles de la bonne foi et un abus manifeste de son droit d'agir en justice (art. 2 CC). Certes, un tel comportement ne rend pas licite la violation du droit par le défendeur, mais il a un effet paralysant en ce sens qu'il prive le demandeur de la possibilité de faire sanctionner cette violation par le juge.
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BGE 129 III, 426 (431)Il n'existe pas de règle générale voulant que seul celui qui respecte la loi puisse en réclamer le respect (cf. HANS MERZ, Commentaire bernois, n. 582 ss ad art. 2 CC). Aussi la jurisprudence fédérale exclut-elle de longue date la susdite objection, même si elle n'utilise pas l'expression qui la caractérise ("unclean hands"). Elle s'en est expliquée dans l'arrêt publié aux ATF 81 II 65 consid. 4 et confirmé par la suite (ATF 104 II 124 consid. 4a p. 129). Selon cet arrêt, la concurrence déloyale imputable à la partie défenderesse suffit à légitimer l'action de la partie demanderesse, sans que cette dernière puisse se voir opposer un abus de droit quand bien même elle se serait rendue coupable, elle aussi, de concurrence déloyale. Adopter l'opinion contraire équivaudrait, en effet, à rendre la loi sur la concurrence déloyale inapplicable lorsque deux ou plusieurs entreprises se font une concurrence déloyale. Les cas où la concurrence dégénérerait de façon particulièrement grave échapperaient ainsi à la justice, alors que l'intervention du juge serait des plus nécessaires. Telle n'a pas pu être l'intention du législateur. Il a, au contraire, voulu que, dans l'intérêt de la lutte contre les abus de concurrence, dès que les règles de la bonne foi sont violées, tout concurrent lésé par de tels agissements puisse exercer les actions prévues par la loi. Si donc, de son côté, la partie défenderesse estime que son adverse partie a également enfreint les règles de la concurrence, il lui est loisible de l'actionner en justice (dans le même sens, au niveau cantonal, voir l'arrêt du Tribunal supérieur argovien publié in RSPI 1981 p. 160 ss, 166/167).
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La doctrine suisse partage cet avis (voir les auteurs précités, ibid.), tandis que la doctrine allemande, plus hétéroclite, semble vouloir laisser la porte ouverte à l'objection des "unclean hands" dans certaines hypothèses (voir les auteurs précités, en particulier PRÖLSS, op. cit., p. 70 ss et FRIEHE, op. cit., p. 442 s. ch. 5), suivie en cela, au point de vue théorique du moins, par la jurisprudence (voir par ex. les arrêts publiés in GRUR 1957 p. 24, avant-dernier § in fine, et 1971 p. 584 ch. 3, ainsi que la jurisprudence mentionnée par FRIEHE, op. cit., p. 447 ch. 2).
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La jurisprudence actuelle, en tant qu'elle exclut l'objection des "unclean hands" mérite d'être confirmée. De même que le citoyen ne peut en principe pas faire valoir un droit à l'égalité de traitement dans l'illégalité (ATF 127 I 1 consid. 3a et les références), de même un concurrent ne saurait-il se prévaloir de l'illégalité du comportement d'un ou de plusieurs concurrents pour adopter un comportement semblable et réclamer l'impunité de ce chef en soulevant l'objection en BGE 129 III, 426 (432)question (cf. l'arrêt argovien précité, RSPI 1981 p. 167: "Unrecht schafft kein Recht"). A ce défaut, la loi contre la concurrence déloyale deviendrait lettre morte puisque l'on tolérerait que la victime d'un acte de concurrence déloyale se fasse justice en adoptant elle-même un comportement déloyal. Un autre motif milite contre l'admissibilité de ladite objection: il s'agit du caractère tridimensionnel du droit de la concurrence, lequel a ceci de particulier qu'il vise la protection non seulement des concurrents, mais également de la collectivité et des consommateurs (ATF 120 IV 287 consid. 2f p. 293 s.; KAMEN TROLLER, Précis du droit suisse des biens immatériels, Bâle/Genève/Munich 2001 [cité ci-après: Précis], p. 329 in fine; ANIA KORALNIK, La publicité comparative en droit suisse et en droit européen, in RSDA 2000 p. 116 n. 63 avec d'autres références). Cette spécificité revêt toute son importance dans le domaine de la publicité comparative, ici en cause, où l'accent est mis au premier chef sur la protection du consommateur et la transparence des informations qu'elle suppose (cf. le Message du Conseil fédéral à l'appui de la LCD [cité ci-après: Message], in FF 1983 II 1037ss, spéc. p. 1081 et 1096 ss; LUCAS DAVID/MARK A. REUTTER, Schweizerisches Werberecht, 2e éd., p. 115). Or, il va sans dire que, dans la mesure où une action intentée par un concurrent contre un autre concurrent, en vue de faire respecter les règles de la concurrence, intéresse indirectement la collectivité en général et les consommateurs en particulier, elle concerne également des tiers auxquels on ne saurait opposer le comportement déloyal de la partie demanderesse. Il y a là une raison supplémentaire pour ne pas admettre l'objection des "unclean hands". Celle-ci ne pourrait entrer en ligne de compte, tout au plus, que dans l'hypothèse où les effets du comportement déloyal incriminé se feraient sentir exclusivement ou essentiellement dans le rapport de concurrence liant les parties en litige, sans que la situation des tiers (autres concurrents et consommateurs) ou de la collectivité en soit affectée. Tel n'étant pas le cas en l'espèce, il n'y a pas lieu de pousser plus avant l'examen sur ce point (cf. BAUDENBACHER, op. cit., n. 38 ad art. 2 LCD, lequel exclut de soulever l'objection même en pareille hypothèse).
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2.3 Pour admettre l'objection des "unclean hands", la Cour de justice s'est fondée sur un arrêt zurichois publié in ZR 82/1983 no 96 et résumé in ISABELLE ROMY/EVE WOLLMANN GAUTIER/MARTIN WERNLI, Concurrence déloyale, Cedidac, Lausanne 1989, p. 159. Toutefois, hormis le fait que ce précédent n'est pas conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral, les considérations qui y figurent BGE 129 III, 426 (433)ne peuvent pas être reprises telles quelles dans la présente cause. Le Tribunal supérieur était en effet saisi d'une action en dommages-intérêts que l'éditeur d'un "plan de ville pour hommes" avait ouverte contre un imprimeur pirate de son plan. Il a admis l'objection d'abus de droit soulevée par le défendeur dans le cadre de cette action en réparation, tout en soulignant qu'il l'aurait écartée si le demandeur avait pris des conclusions en cessation de trouble afin que son nom ne soit pas utilisé de manière trompeuse (pour une semblable différenciation opérée en fonction du type d'action, cf. BAUMBACH/HEFERMEHL, op. cit., n. 449 à 451a ad UWG Einl; contre une telle différenciation: BAUDENBACHER, op. cit., n. 36 ad art. 2 LCD). C'est dire que, même sur la base de la jurisprudence zurichoise invoquée par elle, la Cour de justice, qui n'était saisie que d'une action en constatation de droit et en interdiction ou cessation de trouble, aurait dû écarter l'objection des "unclean hands". En ne le faisant pas, elle a violé le droit fédéral.
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Cela étant, il est nécessaire d'examiner le bien-fondé de l'argumentation principale sur laquelle repose l'arrêt attaqué.
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Erwägung 3.1
 
3.1.1 A la différence d'autres pays (l'Allemagne, par exemple), la Suisse a toujours considéré la publicité comparative comme étant en principe licite (voir l'énumération chronologique des arrêts du Tribunal fédéral publiés en la matière, faite par MAGDA STREULI-YOUSSEF, Unlautere Werbe- und Verkaufsmethoden [Art. 3 UWG], in Schweizerisches Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, vol. V/1, 2e éd., p. 126 n. 37; pour la situation dans les pays limitrophes de la Suisse et en droit européen, cf. BAUDENBACHER, op. cit., n. 10 à 25 ad art. 3 let. e LCD avec d'autres références). En effet, la publicité comparative favorise la transparence des marchés, sert à l'information du public et fournit au consommateur la possibilité de faire le choix le plus avantageux pour lui (cf. Message, op. cit., p. 1081; DAVID/REUTTER, ibid.; LUCAS DAVID, Schweizerisches Wettbewerbsrecht, 3e éd., n. 247). Encore faut-il qu'elle respecte les principes généraux de la loyauté commerciale. Consacrant une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, l'art. 3 let. e LCD lui assigne, en conséquence, des limites afin qu'il en aille ainsi.
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BGE 129 III, 426 (434)Aux termes de cette disposition, agit de façon déloyale celui qui compare, de façon inexacte, fallacieuse, inutilement blessante ou parasitaire sa personne, ses marchandises, ses oeuvres, ses prestations ou ses prix avec celles ou ceux d'un concurrent ou qui, par de telles comparaisons, avantage des tiers par rapport à leurs concurrents. Il suffit qu'un seul des différents faits constitutifs mentionnés dans cette disposition existe pour que la publicité devienne déloyale (Message, op. cit., p. 1096 in fine).
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Selon la jurisprudence et la doctrine, à l'instar d'autres méthodes publicitaires, la comparaison doit être objective, véridique et réaliste. Une comparaison est inexacte lorsqu'elle repose sur des données fausses. Cela suffit à lui conférer un caractère déloyal. Mais une comparaison qui s'appuie sur des données véridiques peut également revêtir un tel caractère, si ces données sont imprécises, secondaires ou incomplètes et qu'elles sont propres à susciter des erreurs auprès d'une partie non négligeable du public. Doit être qualifiée de fallacieuse, notamment, la comparaison qui prend en considération des facteurs secondaires sans mentionner des circonstances essentielles. D'un autre côté, une comparaison n'est pas constitutive de concurrence déloyale du simple fait qu'elle n'inclut pas tous les critères concevables, pour autant que cette limitation y soit énoncée sans équivoque de manière à ne pas suggérer que les offres ont été soumises à un test comparatif complet (ATF 125 III 286 consid. 5a et les références; voir aussi, parmi d'autres: BAUDENBACHER, op. cit., n. 39 ss ad art. 3 let. e LCD; TROLLER, Manuel du droit suisse des biens immatériels, Tome II, 2e éd. [cité ci-après: Manuel], p. 953 ss et Précis, op. cit., p. 364 s.; KORALNIK, op. cit., p. 117 s.). De surcroît, on ne comparera que ce qui est comparable. Cela vaut en particulier pour les comparaisons de prix, lesquelles ne sont admissibles que lorsqu'elles portent sur des quantités et qualités identiques; elles doivent, en outre, respecter les dispositions de l'ordonnance du 11 décembre 1978 sur l'indication des prix (OIP; RS 942.211; art. 16 ch. 1 let. c et ch. 5). Pour prévenir les conclusions erronées que le public pourrait en tirer, il conviendra d'indiquer, au besoin, les fondements arithmétiques de la comparaison des prix (ATF 125 III 286 consid. 5a p. 289; ATF 104 II 124 consid. 5b p. 133, chacun avec des références; BAUDENBACHER, op. cit., n. 122 ss ad art. 3 let. e LCD; TROLLER, Manuel, op. cit., p. 953 et 1002). La transparence sera également de mise en ce qui concerne les différents types de prix retenus pour la comparaison. Il est ainsi exclu, par exemple, de comparer un prix résultant d'une offre spéciale (prix de lancement, prix soldé, prix de BGE 129 III, 426 (435)gros, etc.) avec un prix dit normal sans faire clairement état de la spécificité de cette offre (cf., mutatis mutandis, ATF 116 IV 371 consid. 2d).
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Pour déterminer si une publicité comparative contient des indications inexactes ou fallacieuses, le juge doit se placer du point de vue du destinataire. Ce qui importe, c'est le sens que le lecteur est fondé de bonne foi à donner à la publicité selon l'expérience de la vie et les circonstances du cas particulier (cf. ATF 94 IV 34 consid. 1 p. 36; DAVID/REUTTER, op. cit., p. 116). Il s'agit d'un acheteur suisse moyen, non professionnel et normalement doué (cf. KORALNIK, op. cit., p. 118; BAUDENBACHER, op. cit., n. 44, 47 et 57 ad art. 3 let. e LCD). Dès que cet acheteur type risque d'être trompé ou induit en erreur, la démarche du concurrent est déloyale; la preuve que ce risque s'est concrétisé n'est pas exigée (TROLLER, Précis, op. cit., p. 337; BAUDENBACHER, op. cit., n. 58 ad art. 3 let. e LCD). Il ne faut d'ailleurs pas sous-estimer le pouvoir attractif et l'impact de la publicité sur le consommateur moyen, ni surestimer la capacité d'attention et l'esprit critique de celui-ci. De fait, pour ce consommateur, comparaison sera souvent raison. Aussi se justifie-t-il de poser des exigences relativement sévères, s'agissant d'apprécier le caractère trompeur d'une publicité comparative, sous peine d'ouvrir la porte à tous les abus (cf. DAVID/REUTTER, ibid.).
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3.1.2 La publicité dite superlative (Alleinstellungswerbung, Superlativwerbung) constitue une forme de publicité comparative très prisée en Suisse (STREULI-YOUSSEF, op. cit., p. 129). Elle se caractérise par le fait que son auteur compare ses propres prestations non pas uniquement avec celles de tel ou tel concurrent déterminé, mais avec les prestations de l'ensemble de la concurrence (DAVID, op. cit., n. 260). Dans la mesure où il contient des données concrètes et objectivement vérifiables, ce genre de publicité tombe sous le coup de l'art. 3 let. e LCD; ces données doivent donc être exactes (STREULI-YOUSSEF, ibid.; DAVID, op. cit., n. 262; DAVID/REUTTER, op. cit., p. 120; KORALNIK, op. cit., p. 117; BAUDENBACHER, op. cit., n. 41 ad art. 3 let. e LCD). Il en va ainsi du prix (THOMAS WYLER, Werbung mit dem Preis als unlauterer Wettbewerb, thèse Bâle 1990, p. 97). Partant, celui qui affirme que ses prix sont "les plus bas de Suisse" est tenu de prouver ses dires (voir l'arrêt du Tribunal fédéral C.271/1981 du 12 novembre 1981, publié in RSPI 1983 p. 109 ss de même que l' ATF 94 IV 34; pour d'autres exemples, cf. DAVID, op. cit., n. 257 et 262; voir aussi l'arrêt du Tribunal de commerce de Zurich du 6 novembre 1998, reproduit in sic! 1/2001 p. 41 ss). Plus BGE 129 III, 426 (436)généralement, il convient de faire preuve d'une grande prudence si l'on prétend être unique. On ne peut rien objecter à l'affirmation lorsqu'elle est vraie. Toutefois, s'il existe un doute, il est préférable d'y renoncer (TROLLER, Précis, op. cit., p. 338).
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En revanche, lorsqu'une réclame n'éveille que l'impression d'une emphase publicitaire, lorsqu'elle a recours à des jugements de valeur, à des expressions de volonté subjective ou à des exagérations reconnaissables par le destinataire ("le must", "le fin du fin", "la plus belle création de l'homme", "la meilleure odeur du monde", "l'unique voiture de vos rêves", "l'appareil de photo incomparable", "la lessive qui nettoie la concurrence", etc.), cette réclame tapageuse ne prête pas le flanc à la critique sous l'angle de l'art. 3 let. e LCD (TROLLER, Précis, op. cit., p. 337 s.; KORALNIK, op. cit., p. 113 s. et 117; DAVID, op. cit., n. 261 avec des exemples).
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3.1.3 La publicité comparative peut aussi consister en l'utilisation de tests comparatifs à des fins publicitaires (sur les tests eux-mêmes, cf. parmi d'autres: BERNARD ABRECHT, La licéité des tests comparatifs, thèse Lausanne 1994, passim). La licéité de l'usage publicitaire d'un test fait avec sérieux, soit de façon neutre et objective, par des personnes compétentes, n'est pas discutable. Cependant, il va de soi que ceux qui veulent tirer parti d'un test doivent le faire de façon absolument loyale et complète afin que le public puisse avoir une compréhension exacte et entière de l'étude effectuée (EDMOND MARTIN-ACHARD, La loi fédérale contre la concurrence déloyale du 19 décembre 1986, Lausanne 1988, p. 60). Le concurrent qui utilise un test comparatif pour sa publicité devra donc faire preuve de réserve et d'objectivité pour ne pas faire ressortir uniquement les éléments en faveur de son produit. Il devra aussi mentionner ceux qui le sont moins et ne pas taire des éléments importants (TROLLER, Précis, op. cit., p. 344 s. et Manuel, op. cit., p. 954 s.). Il évitera de n'en citer qu'une partie ou de les extraire de leur contexte et sollicitera l'autorisation expresse de l'auteur du test effectué par un institut neutre lorsqu'il entend citer son nom (DAVID, op. cit., n. 263 s.; DAVID/REUTTER, op. cit., p. 121 s.; BAUDENBACHER, op. cit., n. 130 ad art. 3 let. e LCD). Enfin, le concurrent veillera tout particulièrement à ne pas franchir les limites de la concurrence loyale lorsqu'il voudra ajouter son propre commentaire aux résultats du test, car cette manière de procéder comporte un risque évident d'abus (BAUDENBACHER, op. cit., n. 129 ad art. 3 let. e LCD).
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Pour le surplus, le concurrent qui utilise les résultats d'un test comparatif assume lui-même la responsabilité de ces résultats du BGE 129 III, 426 (437)point de vue tant de leur exactitude que de leur exhaustivité (Message, op. cit., p. 1098 in fine; BAUDENBACHER, op. cit., n. 129 ad art. 3 let. e LCD; WYLER, op. cit., p. 108).
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3.2.1 A titre préalable, il y a lieu de réfuter l'argument que la demanderesse croit pouvoir tirer du texte même de la motivation subsidiaire de l'arrêt attaqué, dont il a été question plus haut (cf. consid. 2). Dans le passage topique, la Cour de justice relève que la demanderesse "a également contrevenu aux principes de véracité et de loyauté relatifs à la publicité comparative ...". A en croire la demanderesse, l'adverbe utilisé par les juges cantonaux dans ce passage signifierait qu'ils étaient conscients du fait que la défenderesse avait en premier lieu méconnu ces principes. Il n'en est rien. Comme le souligne à juste titre la défenderesse dans sa réponse au recours, le passage cité, replacé dans son contexte, ne saurait revêtir la signification que lui prête la demanderesse et l'ambiguïté créée par l'utilisation de l'adverbe "également" ne constitue rien de plus qu'une imprécision de plume de la part de la cour cantonale. En effet, si tel n'était pas le cas, on ne comprendrait pas pour quelle raison cette autorité se serait employée à démontrer de manière détaillée l'absence de tout comportement déloyal imputable à la défenderesse. Tout porte à croire, en réalité, que c'est en se plaçant dans la perspective du raisonnement tenu par la demanderesse, c'est-à-dire en admettant, par hypothèse, l'existence d'actes de concurrence déloyale commis par la défenderesse, que la Cour de justice a constaté que la demanderesse avait "également" contrevenu aux principes gouvernant la publicité comparative. Y voir, avec la demanderesse, la reconnaissance judiciaire d'une pratique déloyale de la défenderesse relève, dès lors, du sophisme.
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BGE 129 III, 426 (438)Comme on peut s'en convaincre en mettant en parallèle l'article publicitaire incriminé et l'étude comparative publiée par "Z.", celui-là ne reproduit qu'en partie les résultats de celle-ci. Non seulement, il passe sous silence le texte accompagnant le tableau comparatif des prix pratiqués par les opticiens, mais encore il ne reproduit que partiellement ce tableau, sans préciser d'ailleurs qu'il l'a tronqué, ne retenant que quatre des douze opticiens qui y figurent. Ce mode de faire est déjà sujet à caution dans la mesure où il ne reflète pas de manière complète les résultats dont l'un des opticiens concernés entend tirer parti dans un but publicitaire. La première omission est propre à induire le public en erreur, car elle confère au tableau comparatif une portée qu'il n'a pas si on le replace dans son contexte. De fait, ce tableau ne visait de toute évidence qu'à illustrer le propos de l'auteur de l'article, qui entendait démontrer le caractère opaque des prix pratiqués dans le secteur de la lunetterie, comme l'atteste le jeu de mots utilisé dans le titre de son étude. Quant à la seconde omission, elle confère graphiquement au tableau inséré dans l'article publicitaire un pouvoir attractif plus important que celui du tableau initial, dès lors qu'elle a pour effet de mettre directement en compétition, aux yeux du lecteur, les principaux concurrents qui se partagent le marché suisse de l'optique, au lieu qu'ils se fondent dans le groupe plus étoffé des opticiens inclus dans le test comparatif. La Cour de justice considère pourtant que les données non mentionnées par la défenderesse sont sans influence sur le rapport de concurrence des parties en litige. Outre qu'elle est fausse, pour les motifs qui viennent d'être indiqués, une telle opinion n'est pas conciliable avec le principe voulant que, pour déterminer si une publicité comparative contient des indications inexactes ou fallacieuses, le juge se place du point de vue du destinataire, soit de l'acheteur moyen.
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Si la défenderesse n'a reproduit qu'in parte qua les résultats de l'étude comparative, elle a fait abstraction totale du rectificatif publié le 9 mai 2001 par "Z.". La demanderesse le lui reproche. Selon elle, ce rectificatif visait certes à dénoncer le comportement critiquable d'un concurrent qui avait pris part à l'enquête, mais il apportait aussi un correctif à l'étude comparative publiée le 28 mars 2001 en ce sens qu'il établissait sa suprématie en matière de bas prix si l'on faisait abstraction des actions spéciales de la défenderesse, limitées dans le temps. Sur ce point, il faut toutefois admettre, à l'instar de la cour cantonale, que le rectificatif ne constituait pas à proprement parler un correctif pour les parties en litige, mais qu'il ne faisait que rappeler, sous une autre forme, les conclusions de l'étude BGE 129 III, 426 (439)initiale quant aux prix pratiqués par la demanderesse et la défenderesse. Aussi bien, c'est énoncer la même proposition sous un angle différent que d'affirmer, ici, qu'un concurrent (la demanderesse) n'est pas toujours le plus avantageux si l'on tient compte des prix offerts par un autre commerçant (la défenderesse) dans le cadre d'actions spéciales limitées dans le temps et, là, que ce concurrent est, en règle générale, le moins cher si l'on fait abstraction de telles actions. Dans les deux cas, on donne à penser que ledit concurrent est habituellement le meilleur marché. Reste que, dans ce rectificatif, comme dans la lettre du 7 mai 2001 autorisant la défenderesse à reprendre les résultats de son étude comparative, "Z." mettait l'accent sur la relation de cause à effet existant entre les offres temporaires et la modicité des prix. Il conviendra d'examiner plus loin si la défenderesse en a fait de même dans sa publicité.
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Avant d'examiner de manière plus approfondie les critiques formulées par la demanderesse dans ce cadre-là, il convient d'observer, à la suite de celle-ci, que la défenderesse, au cas où elle aurait effectivement commis des actes de concurrence déloyale, ne saurait exclure sa responsabilité de ce chef en se prévalant de la prétendue concordance entre le tableau comparatif qu'elle a inséré dans son article publicitaire et celui que "Z." avait publié dans son magazine. En effet, comme on l'a indiqué plus haut, le concurrent qui utilise un test comparatif pour ses propres besoins assume la même responsabilité que l'auteur du test. La défenderesse ne peut donc pas échapper à sa responsabilité du seul fait qu'elle a utilisé le même outil graphique que "Z.", si cet outil était insuffisant. L'opinion contraire, apparemment professée par la cour cantonale, n'est pas conforme au droit fédéral.
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La manière dont la défenderesse a reproduit le tableau comparatif dans son article publicitaire apparaît critiquable à plus d'un titre. On a déjà noté, par ailleurs, qu'il s'agit d'un tableau tronqué où ne figurent les noms que de quatre des douze concurrents mentionnés dans le tableau publié par "Z.". Force est également de constater que, dans l'énoncé des noms des concurrents retenus par elle, la défenderesse a inversé l'ordre de présentation suivi par "Z.": alors que le magazine l'avait placée en seconde position dans la colonne de BGE 129 III, 426 (440)gauche de son tableau comparatif, elle s'est au contraire attribué la place d'honneur dans son propre tableau pour donner du relief au classement reproduit dans celui-ci. La mise en évidence du fait que certains des prix pratiqués par la défenderesse résultaient d'une action temporaire laisse aussi à désirer. La rédaction du magazine "Z." en était du reste consciente, qui avait suggéré à la défenderesse de faire ressortir cette circonstance dans sa publicité. Effectivement, le procédé consistant à signaler la chose par un renvoi, au moyen d'une lettre écrite en petits caractères, à l'une des quatre notes, elles aussi rédigées en petits caractères, apposées au bas du tableau n'est pas propre à éveiller l'attention du consommateur moyen, lequel se contentera la plupart du temps d'une lecture cursive, sans prêter garde aux détails et nuances, surtout lorsqu'il parcourt un article publicitaire. Mais ce qui fait le plus problème, en l'occurrence, c'est le complètement du tableau par la défenderesse. Aussi bien, cette dernière s'est permis d'ajouter de son propre chef au tableau publié par "Z." une colonne intitulée "Total" et couverte par l'indication: "Source: Z. du 28 mars 2001", faisant ainsi croire au lecteur de son annonce que ladite colonne se trouvait déjà dans le tableau repris par elle. En agissant ainsi, la défenderesse a fourni une indication inexacte, ce qui suffit à rendre son comportement déloyal, au sens de l'art. 3 let. e LCD, que cette indication ait été fallacieuse ou non. Son attitude est d'autant plus critiquable qu'elle a pris soin de bien mettre en évidence cette colonne en utilisant des chiffres plus grands que ceux des différents articles et en les faisant ressortir en blanc sur fond noir par opposition aux autres chiffres. Que cette indication inexacte ait été, en outre, de nature à tromper le public cible, la demanderesse le démontre de manière convaincante dans son recours en réforme. Avec elle, il faut, en effet, admettre que, grâce à l'ajout de la colonne indiquant le prix total des huit produits testés, la défenderesse - intentionnellement ou non, peu importe - a pu faire croire au lecteur de son article publicitaire qu'elle était la meilleur marché sur chacun de ces huit produits, alors que ce n'était le cas que pour les quatre produits soldés vendus par elle. Le lecteur pouvait d'ailleurs être conforté dans son impression erronée par le texte de l'annonce, dans lequel la défenderesse écrivait ceci, sans préciser qu'il s'agissait d'un total arithmétique: "En effet, il apparaît que sur les 8 produits identiques testés ... Y. est en réalité moins cher que ses concurrents". Et l'expression "globalement le meilleur", utilisée à la fin de l'article, ne pouvait qu'inciter ce lecteur à conclure qu'au total ou en moyenne, c'était bien la défenderesse qui pratiquait les BGE 129 III, 426 (441)prix les plus avantageux. La cour cantonale exprime l'avis contraire en faisant valoir, d'une part, que le prix de chaque produit ressort clairement du détail du tableau comparatif et, d'autre part, que le montant total indiqué n'est pas susceptible d'influencer le comportement des consommateurs, dans la mesure où il n'est guère vraisemblable que ces derniers acquièrent l'ensemble du lot composé aux fins de la comparaison. Cette double argumentation ne convainc pas. Sa première branche néglige le fait que le consommateur moyen ne s'embarrasse pas des détails et va d'ordinaire directement à l'essentiel, surtout lorsqu'on l'y guide par un procédé graphique attractif. La seconde branche de l'argumentation ne pose pas le problème en des termes corrects: s'il est exact qu'un consommateur n'achètera pas un lot aussi disparate que celui qui a été composé pour les besoins du test, il est tout aussi vrai qu'il se rendra d'abord chez l'opticien qui pratique en moyenne les prix les plus bas (à qualité et service équivalents) pour y choisir l'article qui l'intéresse, abstraction étant faite ici des circonstances subjectives telles que la fidélité à un commerçant sympathique.
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S'agissant du contenu de l'article publicitaire incriminé, la cour cantonale considère que la défenderesse ne saurait se voir reprocher d'avoir proposé le même type de comparaison - le prix effectif à payer pour un produit donné, qu'il repose ou non sur une offre promotionnelle - que celui ressortant de l'étude du magazine "Z.", qu'elle a du reste clairement explicité ses pratiques commerciales dans le corps même de la publicité litigieuse et qu'elle n'a donc pas induit le consommateur en erreur. Cette dernière remarque n'est pas pertinente, car le risque de tromperie du public suffit pour qu'une publicité comparative puisse être qualifiée de fallacieuse. Quoi qu'il en soit, les autres éléments de l'argumentation développée par les juges précédents n'emportent pas la conviction. Comme on l'a souligné plus haut, seul peut être comparé ce qui est comparable. Tolérer que des prix soldés et des prix normaux soient mis sur un pied d'égalité sans plus ample précision est manifestement contraire à ce principe. En cela, la publication par "Z." d'un tableau comparatif mélangeant différentes sortes de prix, sans attirer clairement l'attention du lecteur sur cet état de choses (sinon par une note discrète apposée au bas du tableau), pouvait déjà prêter à discussion, encore qu'elle visait seulement à étayer la thèse, défendue par l'auteur de l'article, d'une certaine opacité dans la politique des prix appliquée par les opticiens. A plus forte raison en allait-il de même de l'utilisation par un concurrent, à des fins publicitaires, d'une étude fondée BGE 129 III, 426 (442)sur de telles bases, sans que celles-ci soient dûment expliquées aux destinataires du message publicitaire. Or, c'est bien ce qu'a fait la défenderesse en l'espèce. Le texte de son annonce n'est pas mis directement en relation avec le tableau comparatif placé au centre de celle-ci, qui accroche immédiatement le lecteur. Il y est surtout question des verres optiques, pour lesquels les prix indiqués dans le tableau sont d'ailleurs plus élevés chez la défenderesse que chez la demanderesse, ainsi que du service à la clientèle. Certes, y figure aussi la phrase suivante: "les collections démodées font l'objet de soldes à moitié prix". Il faut toutefois admettre, avec la demanderesse, que cette phrase est trop générale et imprécise pour permettre au lecteur de comprendre tout de suite que les prix favorables de la défenderesse indiqués dans le tableau comparatif sont le résultat de ces soldes. Au demeurant, le caractère permanent des offres à moitié prix, retenu par la cour cantonale, ne ressort pas non plus de manière claire et précise de l'annonce litigieuse. A cet égard, la mention "Action limitée dans le temps", apposée au bas du tableau, serait plutôt de nature à égarer le lecteur et il n'est pas sûr qu'en parcourant l'annonce incriminée, celui-ci en déduira forcément que la défenderesse offre en permanence des prix soldés sur les collections démodées, mais durant une période limitée.
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Dans le sous-titre de son annonce, rédigé en gros caractères, la défenderesse affirme ce qui suit: "Selon une enquête parue le 28 mars dernier dans la revue "Z." ..., Y., leader suisse du marché de l'optique, se révèle être le moins cher". La Cour de justice considère, à juste titre, que la dernière partie de cette affirmation peut être prouvée, de sorte qu'il ne s'agit pas d'un pur slogan publicitaire. Elle a tort, en revanche, lorsqu'elle ne voit dans l'allégation touchant le leadership qu'une emphase publicitaire, en soi admissible. Au contraire de celui qui assure être "globalement le meilleur" (expression figurant à la fin de l'annonce publiée par la défenderesse), le concurrent qui prétend être le leader dans une branche déterminée du commerce assure, par là même, y occuper la première place ou, à tout le moins, une position dominante. Il fournit aux destinataires de son message une donnée concrète et objectivement vérifiable, qui doit être exacte et dont il lui incombe d'établir la véracité en cas de contestation (cf. mutatis mutandis, l' ATF 102 II 286 concernant le fait de présenter une école par correspondance comme étant la plus grande de Suisse).
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BGE 129 III, 426 (443)La cour cantonale est d'avis que la défenderesse n'a pas menti en prétendant être meilleur marché que ses concurrents. Elle en veut pour preuve les résultats de la colonne "Total". Sans doute reconnaît-elle que l'affirmation doit être nuancée si l'on tient compte individuellement des prix des différents produits. Mais, ajoute-t-elle, la défenderesse ne s'en est pas cachée, puisqu'elle a publié le tableau comparatif qui fournit le détail de ces prix. Elle rappelle, en outre, que toute publicité comparative contient des déclarations qui reposent sur des éléments appréciatifs, lesquels sont empreints de la partialité caractérisant la publicité. Semblable opinion ne saurait être partagée. Elle recèle déjà une contradiction interne dans la mesure où les juges cantonaux, après avoir soutenu à un autre endroit que le montant total indiqué dans la colonne ad hoc n'était pas susceptible d'influencer le comportement des consommateurs, accordent un poids décisif à l'existence de ladite colonne pour démontrer que la défenderesse n'a pas menti en affirmant pratiquer des prix inférieurs à ceux de la concurrence. De surcroît, cette dernière affirmation était erronée en tant qu'elle prenait appui sur l'article publié par "Z.". Cet article faisait ressortir, notamment, que la demanderesse n'était pas toujours la meilleur marché (cf. l'un de ses sous-titres: "X. nicht immer am günstigsten") et le rectificatif publié ultérieurement précisait que la comparaison des prix normaux tournait presque toujours à l'avantage de celle-ci. Dans ces conditions, venir prétendre - en se référant audit article et à un tableau comparatif y figurant mais que l'on a à la fois tronqué et complété pour les besoins de la démonstration - que l'on est le moins cher, comme l'a fait la défenderesse, procédait d'une interprétation tendancieuse de l'étude comparative sur laquelle on entendait s'appuyer. Un tel comportement doit être qualifié sans aucun doute de déloyal, en tant qu'il est susceptible d'induire le public en erreur, et la partialité qui caractérise toute oeuvre publicitaire ne saurait le rendre licite.
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La défenderesse affirme sans ambages qu'elle est le leader suisse du marché de l'optique. A lire le passage de son article publicitaire où figure cette affirmation, il n'est pas certain que celle-ci doive être mise en relation avec l'article de "Z.". En toute hypothèse, l'intéressée n'a pas apporté la moindre preuve du bien-fondé de cette assertion. L'étude comparative publiée par "Z." n'en constitue pas une, car elle a trait à la politique des prix dans le secteur suisse de la lunetterie. Or, il n'y a pas de lien, ou en tout cas pas de lien nécessaire, entre le niveau des prix et le leadership, de sorte qu'un commerçant n'occupera pas forcément la première place dans ce secteur BGE 129 III, 426 (444)du seul fait qu'il pratique les prix les plus bas. En réalité, ce n'est pas à l'aune des prix que l'on décidera du leadership dans telle ou telle branche du commerce, mais, d'ordinaire, en fonction des chiffres d'affaires respectifs réalisés par les différents concurrents oeuvrant dans la branche considérée. Il eût donc appartenu à la défenderesse de fournir des indications concrètes à ce sujet. Au lieu de quoi, elle s'est contentée d'assener un slogan publicitaire propre à allécher ses clients potentiels, tant il est vrai que, dans un marché compétitif comme celui de l'optique, le consommateur sera souvent enclin à se tourner vers le commerçant qui est censé y occuper le premier rang. Le comportement adopté par la défenderesse apparaît ainsi déloyal sous cet angle également.
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Extrait du dispositif:
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1. Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.
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2. Il est constaté que Y. SA a commis des actes de concurrence déloyale, au sens de l'art. 3 let. e LCD, en publiant, entre le 20 mai et le 6 juin 2001, dans plusieurs journaux suisses, un article publicitaire dans lequel elle prétend être l'opticien le moins cher et le leader suisse du marché de l'optique, en faisant référence à une enquête parue le 28 mars 2001 dans la revue "Z.".
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3. Interdiction est faite à Y. SA, sous la menace des peines prévues à l'art. 292 CP (arrêts ou amende), de renouveler à l'avenir, sous quelque forme que ce soit, de telles allégations en faisant référence à ladite enquête.
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4. La demande est rejetée pour le surplus.
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