BGer 1C_24/2017 |
BGer 1C_24/2017 vom 09.06.2017 |
{T 0/2}
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1C_24/2017
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Arrêt du 9 juin 2017 |
Ire Cour de droit public |
Composition
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MM. les Juges fédéraux Merkli, Président,
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Fonjallaz et Eusebio.
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Greffier : M. Kurz.
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Participants à la procédure
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Swissgrid SA,
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représentée par Me Benoît Bovay, avocat,
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recourante,
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contre
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A.________,
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représenté par Me Jacques Philippoz, avocat,
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intimé,
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Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement,
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Objet
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indemnité d'expropriation,
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recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour I, du 17 novembre 2016.
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Faits : |
A. La parcelle n° 2515 du registre foncier de la commune de Saint-Maurice, d'une surface de 950 m², est actuellement propriété de A.________. Elle accueille dans sa partie est une maison d'habitation.
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Le 22 juin 1998, le Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication a accordé à la société EOS (devenue par la suite Alpiq, puis reprise par Swissgrid SA, ci-après: l'expropriante) le droit d'expropriation sur la parcelle n° 2515 pour la constitution à l'ouest de la parcelle, d'une servitude de passage des conducteurs - d'une durée limitée à cinquante ans - pour la ligne aérienne 380/132 kV EOS/CFF Saint-Triphon/Chamoson, en remplacement de la ligne existante de 220 kV. Cette décision a été pour l'essentiel confirmée par le Tribunal fédéral par arrêt du 9 novembre 1999 (1E.13/1998), sous réserve de la distance de survol de la ligne, fixée à 23 m. Les prétentions au déplacement de la ligne et les griefs relatifs aux valeurs limites d'immissions concernant le champ électromagnétique et le bruit ont été écartés. L'envoi en possession anticipée a été accordé au 30 juillet 1998.
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B. Par décision du 27 février 2002, la Commission fédérale d'estimation du 3ème arrondissement (ci-après: la commission) a rejeté la demande d'expropriation totale de la parcelle et fixé l'indemnité à 14'750 fr. avec intérêts, soit 4'750 fr. pour la moins-value subie par le terrain et 10'000 fr. fixé ex aequo et bono pour celle affectant le bâtiment. Par arrêt du 22 juillet 2003 (1E.17/2002), le Tribunal fédéral a annulé cette décision, considérant que la méthode de la différence devait être appliquée en déterminant la valeur vénale de l'immeuble avant expropriation et en évaluant la dévaluation de la partie restante.
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Le 4 novembre 2007 (après l'admission par le Tribunal fédéral, le 28 juin 2006 - cause 1E.11/2006 - d'un nouveau recours pour déni de justice), la commission a fixé l'indemnité à 85'757.50 fr. pour la moins-value de la parcelle. Par arrêt du 6 décembre 2010, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a annulé cette décision et renvoyé la cause à la commission afin que l'indemnité soit fixée selon la méthode de la différence, sur la base d'une surexpertise; celle-ci devait fixer en particulier la valeur vénale de la propriété concernée alors qu'elle était déjà grevée d'une servitude de passage pour la ligne 220 kV, ainsi que la valeur vénale de l'immeuble suite au remplacement de la ligne 220 kV par la ligne 380/132 kV en tenant compte du fait que les valeurs limites de l'ORNI et de l'OPB étaient respectées et que la maison des expropriés pouvait, par conséquent, être utilisée à des fins d'habitation. Un recours formé au Tribunal fédéral contre cet arrêt a été déclaré irrecevable par arrêt du 27 janvier 2011 (1C_31/2011).
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C. Par décision du 19 juin 2015, la commission a fixé l'indemnité d'expropriation à 54'000 fr. Elle s'est fondée sur une expertise du 17 novembre 2012 selon laquelle la valeur de l'immeuble (360'000 fr. sans l'installation) subissait une décote de 10% avec l'ancienne ligne et de 25% avec la nouvelle.
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Statuant sur les recours formés par les expropriés (et en fin de cause par le seul A.________) et par Swissgrid SA, le TAF a admis le premier et fixé l'indemnité à 144'000 fr. avec intérêts. L'évaluation de la valeur vénale selon une méthode combinée ne prêtait pas le flanc à la critique. La prise en compte de la date d'envoi anticipé (30 juillet 1998) au lieu de l'audience de conciliation (1er octobre 1997) n'était pas critiquable non plus. S'agissant de la valeur vénale actuelle, il y avait lieu de tenir compte du déplacement de la ligne de deux mètres vers l'habitation, de l'importance plus grande de la nouvelle ligne (deux conducteurs par phases plus les deux lacets de la ligne CFF), de la majoration de la tension de 50% et du bruit. L'expert avait fixé la perte de valeur à 50% mais avait tenu compte d'un marché immobilier à la hausse pour ramener cette moins-value à 25%. Cette dernière réduction était injustifiée: l'expropriante ne pouvait tirer parti d'une évolution à la hausse des prix du marché, d'autant moins que la valeur vénale devait être celle de 1998. Une décote de 50% impliquait une valeur résiduelle de 180'000 fr., soit une indemnité de 144'000 fr.
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D. Agissant par la voie du recours en matière de droit public, Swissgrid SA demande au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt du TAF en ce sens que l'indemnité d'expropriation est fixée à 508.90 fr. Subsidiairement, elle demande de renvoyer le dossier à la Commission d'estimation pour nouveau jugement dans le sens des considérants.
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Le Tribunal administratif fédéral et la Commission d'estimation ont renoncé à répondre au recours. A.________, ainsi que ses parents en tant qu'usufruitiers, concluent au rejet du recours. Dans ses dernières observations, la recourante conteste les allégués de fait de la partie intimée.
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Considérant en droit : |
1. Le recours en matière de droit public (art. 82 let. a LTF) est interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision finale rendue par le Tribunal administratif fédéral (art. 86 al. 1 let. a LTF et 87 al. 1 LEx). La recourante a qualité pour agir en vertu des art. 78 al. 1 LEx et 89 al. 1 LTF.
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L'avocat de l'intimé prétend également agir pour ses parents. Ceux-ci n'étaient toutefois plus parties à la procédure lors du prononcé de l'arrêt attaqué et ne peuvent prétendre intervenir à ce stade.
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2. Se plaignant d'établissement inexact des faits, la recourante relève que la ligne à haute tension survole l'extrémité ouest de la parcelle et que celle-ci n'a aucune fonction valorisante ou protectrice. En outre, cette partie du terrain se trouverait en zone de danger résiduel des torrents où toute construction nouvelle serait interdite selon la réglementation communale. L'instance précédente aurait ignoré ces éléments de fait, susceptibles d'influer sur la valeur vénale du terrain exproprié.
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2.1. Le Tribunal fédéral statue en principe sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF (ATF 142 I 155 consid. 4.4.3 p. 156 s.). Le recourant ne peut critiquer les constatations de fait ressortant de la décision attaquée que si celles-ci ont été effectuées en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF ou de manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire (ATF 136 II 304 consid. 2.4 p. 313 s.), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, le recourant doit expliquer de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées. Les faits et les critiques invoqués de manière appellatoire sont irrecevables (ATF 137 II 353 consid. 5.1 p. 356).Par ailleurs, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut en principe être présenté devant le Tribunal de céans (art. 99 al. 1 LTF). Les allégués et pièces nouvelles produites en particulier par l'intimé, ne sont dès lors pas pris en considération.
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2.2. Les pièces produites sur ce point devant instance précédente font ressortir que la parcelle se trouve, avec l'ensemble du quartier, en zone de dangers résiduels de torrents, ce qui n'affecte nullement sa constructibilité et son classement en zone résidentielle R 2 de maisons individuelles, ainsi que cela a été retenu dans l'ensemble des décisions rendues auparavant. L'instance précédente confirme pour l'essentiel la méthode de calcul de l'expert, reprise par la Commission d'estimation. Or, il ressort de l'expertise que le plan d'affectation des zones adopté en 1995 imposait déjà une interdiction de construire sur une distance de 14,5m depuis l'axe de l'installation, ce qui correspond à la surface inconstructible évoquée par la recourante. Quoiqu'il en soit, l'expertise retient, dans la fixation de la valeur vénale sans la servitude, un très faible degré d'utilisation et ne tient nullement compte de possibilités supplémentaires de bâtir. Dans la mesure où il est suffisamment motivé et ne procède pas lui-même d'une lecture erronée des plans, le grief doit être écarté.
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3. La recourante remet en cause le choix de la méthode de calcul de l'indemnisation. Selon elle, l'art. 19 let. b LEx ne prévoirait pas l'utilisation de la méthode de la différence "globale" dans le cas d'une expropriation partielle par la constitution d'une servitude, mais un raisonnement en deux étapes fixant la valeur du droit exproprié et l'éventuelle moins-value de la partie restante. En l'occurrence, la partie expropriée constituerait un avant-terrain sans aucune fonction valorisante ou protectrice, en soi inconstructible et utilisable comme simple jardin d'agrément. La recourante préconise l'application de la norme d'indemnisation établie par l'Union Suisse des Paysans, soit 508.90 fr. au total. Quant à la partie restante, elle ne subirait pas de dépréciation puisque l'augmentation de la tension ne serait pas perceptible. La décote pratiquée par l'expert, puis aggravée par l'instance précédente, serait injustifiée.
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3.1. La recourante considère que les griefs relatifs à la méthode de calcul seraient recevables; dans son arrêt du 27 janvier 2011, le Tribunal fédéral a en effet retenu que les griefs dirigés contre l'arrêt de renvoi du 6 décembre 2010 pourraient encore être repris à l'occasion d'un recours contre la décision finale, conformément à l'art. 93 al. 3 LTF. Le choix de la méthode de calcul ne résulte toutefois pas de l'arrêt de renvoi, mais a déjà été confirmé par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 22 juillet 2003. Celui-ci retient que l'indemnité d'expropriation pour la constitution d'une servitude doit être fixée selon la méthode de la différence, soit en comparant la valeur du fonds avec et sans la servitude (consid. 3.2; cf. également ATF 129 II 420 consid. 3.1.1 p. 425 concernant une cause connexe). Il impose ainsi à la Commission fédérale de déterminer la valeur vénale de l'immeuble avant la constitution de la servitude et d'examiner l'éventuelle dévaluation de la partie restante (consid. 8). La question de la méthode de calcul était par conséquent définitivement résolue avant même le prononcé du TAF du 6 décembre 2010 et la recourante ne saurait y revenir céans en invoquant une violation des art. 19 et 22 LEx.
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3.2. S'agissant de la dépréciation de la partie restante, la recourante estime que les inconvénients liés à l'existence de la ligne précédente de 220 kV n'auraient pas été aggravés par l'augmentation de la tension, y compris en ce qui concerne la crainte d'effets nocifs et le bruit, lequel n'avait pas été évalué par un expert. Dans la mesure où cette argumentation consiste à reprocher aux instances précédentes d'avoir analysé la valeur globale de la parcelle, il doit être écarté sur le vu du considérant précédent.
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La nécessité d'envisager une diminution de la valeur de la parcelle dans son ensemble en raison de la présence de la ligne électrique est déjà évoquée dans l'arrêt de principe du 22 juillet 2003. Celui-ci retient en particulier que l'expérience montre que la proximité d'une ligne à haute tension entraîne une baisse des prix, même sans diminution des possibilités de construire, en raison de l'atteinte au paysage ou de motifs d'ordre purement psychologique liés en particulier au rayonnement et au bruit (même si ceux-ci ne sont pas excessifs au regard des exigences du droit de l'environnement). Dans son arrêt du 6 décembre 2010, le TAF retient que l'emprise de la nouvelle installation est supérieure à l'ancienne; le conducteur le plus proche se trouvait à 60 mètres de la maison, à une distance horizontale au sol de 12,8 mètres. La ligne survolait la parcelle sur une longueur de 23 mètres. L'expertise du 17 novembre 2012 retient que la nouvelle ligne est plus haute de 4,4 mètres, que la tension est plus élevée (380 kV contre 220) et que les conducteurs sont doublés. La ligne principale de 380 kV est de surcroit surmontée par la ligne CFF de deux lacets de 132 kV. En outre, les crépitements provoqués par la ligne constituaient un désavantage de fait dont il fallait tenir compte. La recourante ne saurait prétendre que le bruit n'a pas fait l'objet d'une expertise; la question a en effet été examinée dans le cadre du rapport d'impact. Il en ressort notamment que si les valeurs limites d'émission sont respectées, les valeurs de planification de nuit applicables au degré de sensibilité du secteur concerné (II) seraient dépassées de 3,36 dB (A), de sorte que si l'installation devait être considérée comme nouvelle, des allègements devraient être accordés (arrêt 1E.13/1998 du 9 novembre 1999, consid. 6b).
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Le TAF n 'a pas non plus méconnu la préexistence d'une ligne à haute tension puisqu'il s'agit du motif de renvoi de la cause à l'instance inférieure (consid. 7.5.2). L'expertise considère ainsi que la ligne précédente entraînait une dévaluation de 10% de la valeur de la parcelle, dans la mesure où la population n'était pas encore sensibilisée à la problématique du rayonnement et qu'il était usuel d'aménager des zones à bâtir sous des lignes à haute tension. Avec la nouvelle ligne, et compte tenu de la sensibilité accrue de la population aux problèmes d'électrosmog, en particulier depuis l'introduction de l'ORNI, l'expert a considéré que la dévaluation d'ensemble de la parcelle était de l'ordre de 50%. Confirmant cette appréciation, le TAF a retenu que la ligne était fortement marquante et perceptible tant depuis la maison que depuis le jardin, indépendamment de l'état de la végétation. L'impact psychologique était encore augmenté par l'agrandissement sensible de l'installation et son rapprochement par rapport à la maison d'habitation.
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L'ensemble de ces considérations apparaît pertinent au regard du droit fédéral et la recourante ne fait valoir que des généralités auxquelles l'instance précédente a d'ailleurs également répondu.
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3.3. En définitive, l'arrêt attaqué ne s'écarte de l'expertise que sur un point, soit l'ampleur de la décote due à la présence de la nouvelle ligne. Celle-ci a été ramenée par l'expert de 50% à 25 % pour tenir compte de l'évolution à la hausse du marché immobilier. Contrairement à ce que semble soutenir la recourante, les inconvénients liés à la précédente installation n'ont rien à voir avec cette réduction. Le TAF a considéré que la hausse générale des prix du marché ne pouvait être prise en considération puisqu'elle devait avoir aussi pour effet une augmentation de la valeur de la parcelle. En outre, il s'agissait d'un événement postérieur à la date d'évaluation. L'instance précédente a ainsi dûment exposé les raisons pour lesquelles elle s'est écartée de cet aspect de l'expertise et l'arrêt attaqué échappe à la critique sur ce point également. En supprimant un facteur de réduction figurant dans l'expertise, le TAF n'a pas substitué son pouvoir d'appréciation à celui de la commission, et ne s'est pas non plus exprimé sur des questions techniques appelant une retenue particulière. Les griefs soulevés à cet égard doivent être écartés.
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3.4. La recourante reproche enfin au TAF d'avoir confirmé la date d'estimation au 30 juillet 1998 (envoi anticipé) alors que la séance de conciliation avait eu lieu le 1er octobre 1997. Elle estime que la crise financière asiatique et son influence sur les marchés immobiliers aurait eu pour conséquence une augmentation des prix dont il n'aurait pas été tenu compte. A l'instar de la commission, le TAF retient (consid 4.2.3.1) que la date déterminante selon l'art. 19bis LEx devait être celle de l'audience de conciliation. Il considère toutefois qu'aucune augmentation de valeur n'était intervenue durant les neuf mois séparant cette date de celle retenue par l'expert. La recourante se contentait d'alléguer que les prix auraient augmenté dans l'intervalle, mais n'avançait aucune preuve à ce propos. Il en va de même devant le Tribunal fédéral; une augmentation significative du marché immobilier entre les deux dates précitées constituerait un fait et il appartenait à la recourante d'exposer en quoi les constatations de l'arrêt attaqué sur ce point seraient manifestement inexactes (art. 97 al. 1 LTF, consid. 2.1 ci-dessus). Faute de toute démonstration à cet égard, le grief doit être écarté dans la mesure où il est recevable.
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4. Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable. Conformément aux art. 66 al. 1 et 68 al. 2 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge de la recourante, de même que l'indemnité de dépens allouée à l'intimé, qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce : |
1. Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
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2. Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
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3. Une indemnité de dépens de 3'000 fr. est allouée à l'intimé A.________, à la charge de la recourante.
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4. Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, à la Commission fédérale d'estimation du 3e arrondissement et au Tribunal administratif fédéral, Cour I.
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Lausanne, le 9 juin 2017
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président : Merkli
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Le Greffier : Kurz
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