BGer 4C.234/2004
 
BGer 4C.234/2004 vom 05.10.2004
Tribunale federale
{T 0/2}
4C.234/2004 /ech
Arrêt du 5 octobre 2004
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, président, Favre et Kiss.
Greffier: M. Carruzzo.
Parties
X.________,
défendeur et recourant, représenté par Me Gilles Crettol,
contre
C.________ N.V.,
demanderesse et intimée, représentée par Me Nicolas Killen.
Objet
prêt de consommation,
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 23 avril 2004.
Faits:
A.
A.a En 1993, AX.________, qui avait déposé un brevet pour un procédé de recyclage de piles usagées, recherchait des capitaux pour créer, avec son frère BX.________, une société qui exploiterait ce procédé. Les frères XX.________ ont alors contacté leur cousin, X.________, afin qu'il intercède auprès d'un prince de ses amis (ci-après: le Prince) qui était en mesure de financer le projet .
La société à créer serait une société anonyme de droit français, dénommée A.________, dont le quart du capital, soit 1'250'000 fr. fr., devait être libéré lors de la fondation. Le Prince a souscrit 50% du capital de A.________, par le truchement de la société néerlandaise B.________ B.V., et il a fait constituer la société C.________ N.V. (ci-après: C.________), laquelle devait prêter à X.________ les fonds que celui-ci mettrait à la disposition de D.________ SA, une holding créée en 1975 par les frères XX.________, pour lui permettre d'acquérir le 20% du capital de A.________.
Par fax du 16 juin 1993, BX.________ a indiqué à Nicolas Killen, conseil de C.________, qu'il aurait à verser à D.________ SA la somme de 250'000 fr. fr., représentant le quart de 20% du capital de A.________, et qu'il recevrait en nantissement les actions de X.________ jusqu'au remboursement du prêt. L'auteur du fax ajoutait qu'il allait demander à X.________ d'envoyer des instructions à Me Killen.
Le 21 juin 1993, X.________ a adressé à Me Killen un fax l'autorisant à verser à D.________ SA la susdite somme de 250'000 fr. fr. ainsi qu'un montant supplémentaire de 111'250 fr. fr. à titre de commissions.
Deux jours plus tard, soit le 23 juin 1993, X.________, qui était de passage à Genève, a signé un contrat de prêt rédigé sur la base des pourparlers conduits antérieurement. Selon ce contrat, C.________ acceptait de prêter à X.________ la somme de 1'111'250 fr. fr. destinée à financer la souscription de 20% du capital de A.________. Cette somme devait parvenir en quatre versements à l'emprunteur, soit une première tranche de 361'250 fr. fr., pour couvrir le premier quart de la souscription (250'000 fr. fr.) et les commissions (111'250 fr. fr.), et trois tranches successives de 250'000 fr. chacune à la demande de l'emprunteur. Le remboursement du capital et des intérêts devait s'effectuer exclusivement au moyen des dividendes versés par A.________ ou grâce au produit de la vente des actions de cette société détenues par l'emprunteur. Ce dernier n'était autorisé à vendre ses actions qu'à d'autres actionnaires de A.________, un droit de préemption étant réservé à la société B.________ B.V. Il devait en outre nantir ses actions en faveur du prêteur jusqu'à remboursement du prêt et des intérêts. Le contrat, soumis au droit suisse, instituait la compétence ratione loci des tribunaux genevois.
Le 7 septembre 1993, C.________ a versé 361'250 fr. fr. à D.________ SA avec la référence "C.________ prêt à X.________".
Le 15 octobre 1993, elle a encore versé à la même société la somme de 250'000 fr. fr., avec une référence identique.
Les 28 avril 1994 et 23 mars 1995, C.________ a versé deux fois 250'000 fr. fr. à D.________ SA, toujours avec la même référence.
A.b D.________ SA détenait 17'142 actions de A.________, à titre fiduciaire, pour ses actionnaires AX.________ et BX.________. Le 15 décembre 2000, elle a cédé ses actions de A.________ à la société E.________ SA. X.________, qui n'était pas encore actionnaire ou organe de D.________ SA - il en est devenu l'actionnaire unique en 2001 - avait donné procuration à son cousin BX.________ pour y procéder. La vente a été faite à titre fiduciaire. Le prix a été payé par un chèque, établi à l'ordre de D.________ SA, que l'administrateur de cette société a endossé en faveur de X.________ sur instructions des frères XX.________.
Ayant appris l'existence de cette vente d'actions, C.________ a considéré que le remboursement du prêt était devenu exigible. C'est pourquoi, le 7 février 2001, elle a fait séquestrer un appartement de X.________. Elle a également fait notifier à l'emprunteur une poursuite en validation de séquestre à laquelle il a fait opposition.
B.
Le 23 juillet 2001, C.________ a assigné X.________ en paiement de 84'532 fr. 50 et de trois fois 58'500 fr., intérêts en sus, ces quatre montants représentant la contre-valeur, en francs suisses, des sommes versées par elle en exécution du contrat de prêt (361'250 fr. fr. et trois fois 250'000 fr. fr.).
Le défendeur a conclu au rejet intégral de la demande.
Par jugement du 4 septembre 2003, le Tribunal de première instance du canton de Genève a fait droit aux conclusions de la demanderesse et prononcé la mainlevée définitive de l'opposition à la poursuite susmentionnée.
Statuant par arrêt du 23 avril 2004, sur appel du défendeur, la Cour de justice genevoise a confirmé ledit jugement. A l'instar du premier juge, elle a considéré que les parties étaient liées par un contrat de prêt de consommation que la demanderesse avait exécuté conformément aux instructions données par le défendeur. Ce dernier, qui contestait en vain l'authenticité de son fax du 21 juin 1993, était donc tenu de rembourser le prêt, la vente des actions de A.________ à E.________ SA ayant rendu exigible la créance y relative de la demanderesse.
C.
Le défendeur interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Il y reprend ses conclusions libératoires.
La demanderesse propose le rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions libératoires et dirigé contre une décision finale rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ), le présent recours est recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).
1.2 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral, mais non pour violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 OJ), ni pour violation du droit cantonal (art. 55 al. 1 let. c in fine OJ).
Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu à rectification de constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).
2.
2.1 En premier lieu, le défendeur se plaint d'une violation de l'art. 8 CC. Selon lui, la cour cantonale aurait méconnu cette disposition en admettant, sur le vu d'une pièce arguée de faux (le fax du 21 juin 1993), que la simple vraisemblance qu'il ait pu être le donneur des instructions ayant amené la demanderesse à verser les montants litigieux sur le compte de D.________ SA constituait une preuve certaine et en lui faisant supporter l'absence de certitude sur ce point.
2.2 L'art. 8 CC répartit le fardeau de la preuve pour toutes les prétentions fondées sur le droit fédéral et détermine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer les conséquences de l'échec de la preuve (ATF 127 III 519 consid. 2a p. 522; 126 III 189 consid. 2b, 315 consid. 4a).
En l'espèce, on ne voit pas que la cour cantonale ait éprouvé un doute et qu'elle ait tranché le point de fait douteux en faveur de la partie qui avait pourtant le fardeau de la preuve. Au contraire, il ressort clairement du considérant 3.4 de l'arrêt attaqué que les juges genevois ont en particulier exclu que le fax du 21 juin 1993, qui contenait les instructions du défendeur quant au destinataire des fonds empruntés par lui, ait pu être un faux. Toutes les longues explications fournies sur ce point par le défendeur dans son mémoire de recours ne consistent, en réalité, qu'en une vaine tentative de remettre en cause l'appréciation d'un élément de preuve à laquelle les juges du fait ont procédé souverainement. De surcroît, l'autorité d'appel a encore précisé que le défendeur était forclos à contester l'authenticité du fax litigieux pour un motif tiré du droit de procédure genevois, lequel échappe à l'examen de la juridiction fédérale de réforme.
Le premier moyen soulevé par le défendeur est ainsi dénué de tout fondement.
3.
Dans une argumentation de type appellatoire, le défendeur fait encore valoir que, si un contrat de prêt a bien été conclu entre les parties, le prêteur n'a pas rempli une obligation essentielle découlant d'un tel contrat, puisqu'il n'a pas versé le montant du prêt à l'emprunteur.
Ce moyen n'est pas plus fondé que le précédent. Aussi bien, son auteur feint d'ignorer que, selon les constatations définitives de la cour cantonale, les sommes prêtées ont été versées à la personne morale désignée par le prêteur, à savoir D.________ SA.
Peu importe, au demeurant, que la demanderesse ait renoncé à exiger le nantissement des actions de A.________. Le défendeur ne peut rien tirer en sa faveur de cette circonstance qui n'affecte pas la validité de l'engagement souscrit par lui dans le contrat de prêt.
4.
Le défendeur soutient, par ailleurs, que les instructions écrites contenues dans le fax argué de faux constituaient une modification essentielle du contrat de prêt qui aurait dû revêtir la forme écrite réservée dans ledit contrat pour toute modification de ses clauses, condition que ne remplissait pas une simple télécopie non signée par les deux parties.
Cette argumentation ne résiste pas à l'examen, ne serait-ce déjà que du point de vue de la simple logique. On ne voit pas, en effet, comment des instructions délivrées dans un fax envoyé le 21 juin 1993 auraient pu modifier un contrat signé deux jours plus tard. Il va de soi, comme le relève à juste titre la cour cantonale, que si les parties avaient voulu substituer D.________ SA au défendeur, en qualité d'emprunteur, en conformité avec le sens que l'intéressé attribue aux instructions données dans le fax en question, il leur aurait suffi de rédiger le contrat de prêt du 23 juin 1993 en conséquence.
Pour le surplus, il est admis que la seule désignation d'un tiers comme destinataire des fonds ne fait pas de celui-ci une partie au contrat de prêt (cf. ATF 117 II 404).
5.
La cour cantonale a laissé ouverte la question de savoir si la personne qui avait signé le contrat de prêt pour le compte de la demanderesse avait les pouvoirs d'engager cette dernière. Elle a, en effet, considéré que la demanderesse avait de toute façon ratifié le contrat de prêt en exécutant sa propre prestation (art. 38 al. 1 CO).
Dans un dernier moyen, le défendeur conteste qu'il y ait eu ratification valable dudit contrat par la demanderesse, au motif que celle-ci n'aurait pas exécuté ses obligations contractuelles, d'une part, en transférant le montant du prêt à une autre personne (D.________ SA) que la personne désignée dans le contrat (le défendeur) et, d'autre part, en n'exigeant pas le nantissement des actions de A.________.
Cette argumentation est dénuée de toute pertinence. Dans sa première branche, elle ne consiste que dans la remise en cause - irrecevable - de la constatation des juges précédents selon laquelle le montant du prêt a été transféré à D.________ SA conformément aux instructions de l'emprunteur. Dans sa seconde branche, elle porte sur une circonstance sans intérêt pour le sort du litige, attendu que le nantissement prévu par le contrat était un droit consenti à la demanderesse et non pas une obligation à exécuter par elle.
6.
En définitive, le présent recours, dont le caractère dilatoire est manifeste, ne peut qu'être rejeté avec suite de frais (art. 156 al. 1 OJ) et dépens (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 6'000 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 7'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 5 octobre 2004
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: