BGE 120 V 481
 
67. Arrêt du 13 octobre 1994 dans la cause F. contre ASSURA, Caisse-maladie et accidents et Tribunal arbitral des assurances, Genève
 
Regeste
Art. 24 KUVG: Ausschluss eines Arztes von der Kassenpraxis.
- Das administrative Ausschlussverfahren ist unabhängig vom Strafverfahren und setzt nicht notwendigerweise ein qualifiziertes Verschulden voraus (Erw. 2c).
- Verschreibung eines Medikamentes, ausgestellt auf den Namen einer Person, die nicht untersucht worden ist: Wenn der Arzt wie im vorliegenden Fall wusste, dass diese Person von ihren Partnerinnen vorgeschoben war, nimmt er in Kauf, dass dem Apotheker und/oder der Krankenkasse ein Nachteil entsteht, und er beweist damit eine Leichtfertigkeit und Unvorsichtigkeit, die mit den Pflichten eines Arztes unvereinbar sind (Erw. 3).
- Die Sanktion des Art. 24 KUVG bezweckt den Schutz der Krankenkassen und - ausser in indirekter Weise - nicht denjenigen der Versicherten gegen Fehler und Missbräuche der Erbringer von Pflegeleistungen. Es obliegt nicht den Durchführungsorganen des KUVG, einschliesslich das Schiedsgericht gemäss Art. 25, Verstösse gegen die ärztliche Standesordnung zu ahnden (Erw. 4).
 
Sachverhalt
A.- Alors qu'elle bénéficiait d'un congé de maternité, le docteur F., médecin-assistante à la Permanence X, rédigea le 21 juin 1988, à l'intention de Dame P., sur une feuille à l'en-tête de la Permanence, une ordonnance par laquelle elle prescrivait à Véronique P., née en 1984, fille de la prénommée, une cure de Somatonorm - médicament favorisant la croissance des enfants - pour une durée de six mois, à raison de trois flacons de 2 mg par semaine, soit 72 flacons au total.
En réalité, ainsi qu'elle le déclara à un inspecteur de police le 3 septembre 1990, le docteur F., qui est d'origine polonaise, savait que le médicament n'était pas destiné à Véronique P., qu'elle n'avait jamais examinée, mais à un enfant polonais en bas âge souffrant de troubles de la croissance et auquel ce médicament avait été prescrit par son médecin traitant. Cette démarche résultait du fait qu'à cette époque, aux dires de Dame P. et d'une autre compatriote, Dame K., tante de l'enfant malade, il n'était pas possible de se procurer le médicament en question en Pologne.
Le 5 octobre 1988, les Pharmacies Populaires, à Genève, adressèrent une facture de 11'635 fr. 20 à la caisse-maladie et accidents ASSURA (ci-après: la caisse) auprès de laquelle était assurée Véronique P. Ayant découvert le pot aux roses, la caisse refusa d'acquitter cette facture, laquelle a, semble-t-il, été payée par Dame K. sous forme de versements mensuels, effectués dès novembre 1990.
En juillet 1990, la caisse dénonça Dame P. et le docteur F. au Procureur général de la République et Canton de Genève. Au terme de l'instruction, ce magistrat, par ordonnances du 23 janvier 1991, condamna Dame K. et Dame P. à sept jours d'arrêts avec sursis pendant deux ans, respectivement pour instigation à escroquerie et pour escroquerie. Les deux condamnées ont bénéficié de la circonstance atténuante du mobile honorable. Aucune peine n'a été prononcée à l'encontre du docteur F.
B.- Par acte daté du 30 mai 1991, ASSURA requit la constitution du Tribunal arbitral des assurances de la République et Canton de Genève. Reprochant notamment au docteur F. - qui, selon elle, avait été informée par Dame P. du véritable destinataire des médicaments prescrits - de n'avoir pas hésité à établir un faux dans les titres en indiquant sciemment un faux bénéficiaire sur son ordonnance, et de ne s'être nullement souciée de savoir si le véritable destinataire était suivi médicalement, la caisse prenait les conclusions suivantes:
- dire que le docteur F. s'est rendue coupable en la circonstance d'établissement de faux dans les titres;
- confirmer que l'attitude du docteur F., contraire en tout point à la déontologie médicale, doit faire l'objet d'un prononcé d'exclusion au sens de l'art. 24 LAMA, et en fixer la durée;
- se prononcer sur la responsabilité éventuelle encourue par la Permanence X et par son responsable, le docteur B.
Une tentative de conciliation, du 9 septembre 1991, échoua. Sur requête du tribunal arbitral des assurances, le Procureur général autorisa la production du dossier pénal.
ASSURA, dans une communication du 8 avril 1993, informa le tribunal arbitral qu'elle abandonnait ses conclusions contre la Permanence X et son responsable, le docteur B. Par décision du 28 mai 1993, ladite juridiction mit hors de cause ce médecin et la Permanence.
Le docteur F., se fondant sur le fait qu'elle n'avait fait l'objet d'aucune ordonnance de condamnation de la part du Procureur général, conclut au déboutement pur et simple de la caisse en toutes ses conclusions. Elle comparut personnellement devant le tribunal arbitral au cours d'une audience du 14 juin 1993, au cours de laquelle elle déclara:
"Le Tribunal me relit les deux dépositions qui figurent dans la procédure pénale apportées dans la présente procédure. Je les confirme. Je mentionne également ceci: quand j'ai rédigé l'ordonnance, qui fut finalement présentée aux Pharmacies Populaires, j'ai indiqué le nom de Véronique P. qui, pour moi, était un enfant habitant la Pologne. J'ai quitté la Pologne en 1984 où j'avais déjà fait toutes mes études de médecine. En 1988, les premières élections démocratiques pour remplacer la moitié du parlement n'avaient pas encore eu lieu. Je savais également, par ma propre expérience, qu'il n'était pas facile d'obtenir en Pologne des médicaments étrangers et qu'il était fréquent qu'une famille d'un patient se fasse remettre une ordonnance établie par un médecin polonais à destination d'un médecin étranger, à l'étranger, en vue d'obtenir l'envoi dudit médicament de l'étranger vers la Pologne.
J'affirme que j'ai eu en mains l'ordonnance de mon confrère polonais. Je regrette encore de ne pas l'avoir photocopiée et annexée à mon dossier; si je n'ai pas pensé à le faire c'est vraisemblablement parce que j'étais en congé de maternité et que j'ai établi ladite ordonnance dans un café."
Le 22 novembre 1993, le Tribunal arbitral des assurances rendit son jugement, dont le dispositif est le suivant:
"Interdit au Dr F. le droit de traiter les assurés d'Assura, caisse-maladie et accidents, à Y, de leur prescrire ou de leur fournir des médicaments, de leur prescrire ou d'appliquer des traitements scientifiquement reconnus ou de faire des analyses.
Dit que cette mesure déploiera ses effets pendant neuf mois, lesquels courront dès que le présent jugement deviendra définitif..."
Le tribunal arbitral a considéré, en bref, qu'il était établi que le docteur F. avait rédigé une ordonnance au nom de Véronique P., fille de Dame P., dont elle savait qu'elle vivait à Genève, avec sa mère; qu'il était également établi que ce médecin savait que le médicament prescrit était destiné à une tierce personne, un enfant domicilié en Pologne, prétendument la nièce de Dame K., soit Paulina, fille de sa soeur W.; que ces faits étaient constitutifs de l'infraction de faux dans les titres au sens de l'art. 251 CP; que si le délit pénal de faux dans les titres constituait une base suffisante pour prendre une sanction disciplinaire à l'encontre du docteur F., il était évident que, dans le contexte médical du cas, la culpabilité de cette dernière était bien plus engagée par la violation manifeste et grave de son devoir de diligence; qu'il était en effet parfaitement inadmissible qu'un médecin prescrive un médicament qu'il savait être dangereux et qui devait obligatoirement faire l'objet d'une surveillance médicale, qu'il prescrive non pas seulement une dose de ce produit thérapeutique, mais la quantité nécessaire à un traitement complet et, surtout, qu'il le prescrive sans avoir examiné le réel destinataire de son ordonnance, donc sans avoir posé de diagnostic.
C.- Le docteur F. interjette recours de droit administratif contre ce jugement, en concluant, sous suite de frais et dépens, à l'annulation du jugement attaqué. Elle invite la Cour de céans à débouter la caisse des fins de sa requête et de toutes autres ou contraires conclusions. Elle a produit en cours de procédure un document signé par W., daté du 6 janvier 1994, ainsi qu'une traduction de celui-ci.
ASSURA conclut au rejet du recours.
 
Considérant en droit:
1. a) Est litigieuse l'exclusion de la recourante du droit de traiter les assurés de l'intimée, de leur prescrire ou de leur fournir des médicaments, de leur prescrire ou d'appliquer des traitements scientifiquement reconnus ou de faire des analyses. La présente contestation n'a donc pas pour objet l'octroi ou le refus de prestations d'assurance. Le Tribunal fédéral des assurances doit dès lors se borner à examiner si les premiers juges ont violé le droit fédéral, y compris par l'excès ou par l'abus de leur pouvoir d'appréciation, ou si les faits pertinents ont été constatés d'une manière manifestement inexacte ou incomplète, ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de procédure (art. 132 en corrélation avec les art. 104 let. a et b et 105 al. 2 OJ).
b) Lorsque le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral des assurances est limité par l'art. 105 al. 2 OJ, la possibilité d'alléguer des faits nouveaux ou de faire valoir de nouveaux moyens de preuve est très restreinte. Selon la jurisprudence, seules sont admissibles dans ce cas les preuves que l'instance inférieure aurait dû réunir d'office, et dont le défaut d'administration constitue une violation de règles essentielles de procédure (ATF 107 Ib 169 consid. 1b, ATF 106 Ib 79 consid. 2a, ATF 105 Ib 383, 102 Ib 127, ATF 98 V 224, ATF 97 V 136 consid. 1; RCC 1991 p. 478 consid. 3c, 1990 p. 421 consid. 1 et les références; RJAM 1982 no 496 p. 168 consid. 3b, no 484 p. 96 consid. 3).
La recourante a produit en procédure fédérale un document signé par W. à Poznan (Pologne), daté du 6 janvier 1994, ainsi qu'une traduction de celui-ci. Il s'agit là d'un moyen de preuve nouveau, irrecevable parce que tardif au sens de la jurisprudence précitée.
b) L'art. 24 LAMA tend à garantir qu'un traitement médical ne puisse être administré que par des personnes qui non seulement sont au bénéfice des connaissances professionnelles suffisantes, mais qui possèdent également les qualités morales voulues. La loi ne définit pas les "motifs graves" au sens de cette disposition légale. C'est donc à la jurisprudence et à la doctrine qu'il revient de poser les règles y relatives (ATF 106 V 40 consid. 5a).
D'après MAURER, par "motifs graves" au sens de l'art. 24 LAMA, il faut entendre des motifs qui ébranlent profondément le rapport de confiance entre la caisse-maladie et l'intéressé (Schweizerisches Sozialversicherungsrecht, vol. II, p. 376). Par exemple, en cas de certificats médicaux destinés à l'assureur ou de notes d'honoraires non conformes à la vérité, en particulier lorsque le médecin ment à l'assureur, voire commet une escroquerie à son détriment (ATF 106 V 41 ad consid. 5a/aa).
L'art. 55 LAA est le pendant dans l'assurance-accidents de l'art. 24 LAMA. Selon GHELEW, RAMELET ET RITTER, sont réputés graves les motifs qui ne permettent raisonnablement plus d'attendre de l'assureur la prise en charge du traitement prodigué par le dispensateur de soins incriminé (Commentaire de la loi sur l'assurance-accidents, p. 194). Et ces auteurs de mentionner, comme motifs justifiant l'exclusion, la violation de la législation ou de l'éthique professionnelle, les manquements répétés et intentionnels dans l'établissement des certificats et dans l'application des tarifs, et d'autres actes pénalement punissables réprimés par les art. 112 ss LAA.
Quant à MAURER, il range parmi les motifs graves au sens de l'art. 55 LAA les négligences répétées ou la négligence grave lors du traitement des patients, la polypragmasie, voire la faute intentionnelle lors de l'établissement de rapports médicaux ou de factures (Schweizerisches Unfallversicherungsrecht, p. 521).
c) L'exclusion de la pratique des caisses revêt largement le caractère d'une mesure disciplinaire (ATF 106 V 41 ss consid. 5a/cc). La procédure administrative disciplinaire de l'exclusion est indépendante de la procédure pénale, et elle ne suppose pas nécessairement l'existence d'une faute qualifiée (BÜHLMANN, Die rechtliche Stellung der Medizinalpersonen im UVG, thèse Berne 1985, p. 119 et les références; IMBODEN/RHINOW, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, vol. I, p. 316 ss; RHINOW/KRÄHENMANN, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, supplément, spéc. p. 158).
Contrairement à ce qu'a laissé entendre la recourante lors de l'audience du 14 juin 1993 devant le tribunal arbitral, celle-ci savait, lorsqu'elle a établi l'ordonnance litigieuse du 21 juin 1988, que Véronique P. était la fille de Dame P. A cet égard, ses premières déclarations à la police sont parfaitement claires. Au demeurant, il est invraisemblable qu'elle n'ait pas remarqué la concordance des noms de famille de Dame P. et de l'enfant auquel la cure de Somatonorm était apparemment prescrite.
La recourante sachant que Véronique P. était le nom de la fille de Dame P., elle savait donc aussi que l'indication de ce nom sur l'ordonnance n'était qu'un stratagème suggéré par ses deux interlocutrices, sous le prétexte d'éviter des difficultés avec le pharmacien.
Or, sur le vu de la quantité prescrite, la recourante devait se demander si les deux femmes qui s'adressaient à elle étaient en mesure de payer directement au pharmacien le prix élevé du médicament. Elle ne pouvait non plus ignorer qu'en établissant une ordonnance au nom de l'enfant Véronique P., domiciliée chez sa mère, à Genève, elle courait le risque qu'on abuse de sa bonne foi pour tenter d'obtenir des prestations indues de la caisse. Pourtant, elle n'a pris aucune précaution et a fait preuve d'une légèreté et d'une imprudence incompatibles avec ses devoirs de médecin.
En d'autres termes, en tant que médecin praticien, connaissant ou devant connaître le fonctionnement de l'assurance-maladie en Suisse et notamment le système du tiers payant qui est appliqué à la prise en charge des médicaments par les caisses-maladie à Genève, la recourante a pris le risque - qui s'est en partie réalisé - qu'un préjudice soit causé au pharmacien et/ou à la caisse. Dans cette mesure, c'est à juste titre qu'une sanction disciplinaire a été prononcée contre elle en application de l'art. 24 LAMA, car elle a pour le moins fait preuve de négligence grave.
Le jugement attaqué est erroné dans la mesure où il paraît se fonder essentiellement sur la violation des devoirs de la recourante à l'égard du malade qui a finalement bénéficié du traitement médicamenteux. Or, cela relève, le cas échéant, d'une autre procédure disciplinaire. La sanction de l'art. 24 LAMA est destinée à protéger les caisses-maladie et non pas les assurés - si ce n'est de manière indirecte - contre les fautes et les abus des fournisseurs de soins. En outre, il n'appartient pas aux organes d'exécution de la LAMA, y compris le tribunal arbitral de l'art. 25 LAMA, de réprimer d'éventuels manquements à la déontologie médicale.
Il faut enfin tenir compte du fait que l'exclusion n'est prononcée que pour les assurés d'ASSURA et que les patients soignés par la recourante qui sont assurés auprès d'autres caisses ne sont pas concernés.
Une exclusion de six mois paraît dès lors appropriée à l'ensemble des circonstances.